Palafox, d’Eric Chevillard

Dans la série « Je lis des romans ludiques », nous avions déjà Les Grandes Blondes d’Echenoz et Be-Bop de Gailly, ces deux auteurs jouant avec l’écriture. Aujourd’hui, je vais mettre la barre plus haute dans l’amusement littéraire avec Palafox d’Eric Chevillard. Amis lecteurs qui appréciaient la cohérence, la logique voire la rectitude, passez votre chemin. Avec ce roman, il va falloir développer votre grain de folie !

Palafox éclot dans la famille Buffoon qui tout le long de sa vie aura à coeur de lePalafox soigner, de l’élever, de l’apprivoiser, avec plus ou moins de réussite et de plaisir. Mais la seule certitude que l’on a de Palafox c’est sa nature animale. Ils nous est impossible d’en dire plus. Au début, on aurait pu penser que c’était un poussin mais très vite on hésite : est-ce un insecte ? un serpent ? un fauve ? un oiseau de basse-cour ou quelque chose de plus exotique ? et pourquoi pas un grand requin bleu ? ou un rongeur ? Avec ses griffes, ses pattes poilues, palmés, ses serres, ses nageoires, ses ailes, on ne sait pas trop que choisir. Et que dire de son pelage fauve, de ses écailles miroitantes, de ses plumes colorées, sa peau cuirassée ? Palafox est l’être de l’hésitation, on ne fait que douter tout le long du livre. Notre perception de cet animal lunatique, puissant et malin, proche de l’homme que quand ça l’arrange, évolue au fur et à mesure de ses péripéties : une fois apprivoisée et câlin, l’autre fugueur et carnassier, on hésite entre la curiosité et la pure révulsion.

L’auteur de ce surprenant récit est Eric Chevillard, que vous connaissez peut-être par son blog, petites pépites de littérature quotidiennes. Palafox est son troisième roman, publié en 1990, qu’a suivi une production littéraire très riche, et on a pu voir à travers elle des procédés narratifs qui sortent de l’ordinaire. Personnellement, je l’ignore, puisque Palafox est à ce jour le seul livre de Chevillard que j’ai pu lire (plus pour très longtemps je pense !), mais côté dépassement des règles d’écriture habituelles et imagination débridée, ce roman se situe pas mal ! Malgré les incertitudes constantes qui règnent sur le statut de l’animal, ce livre contient une véritable histoire, une intrigue. Une intrigue qui sort des sentiers battus mais qui se tient. Les personnages humains possèdent chacun une vraie personnalité, bien que peu décrite : ce n’est pas la peine, ça ne constitue pas le coeur de l’histoire. Ce livre a beaucoup de points forts mais c’est, je crois, son écriture même qui le rendent « spéciale ».
Chevillard donne l’impression d’une écriture qui coule d’elle-même, qui est facile et naturelle. Sans oublier l’auteur qui se manifeste souvent sans prendre toute la place. Les mots explorent en jouant, en se faisant poésie, les différentes facettes de Palafox, sa nature, son caractère, ses frasques. On suit son parcours, de sa naissance à sa mort, on écoute les différentes hypothèses des scientifiques essayant d’établir à quelle branche du règne animal il appartient (d’ailleurs il se peut que ce soit « elle »). C’est un peu une enquête, c’est un peu un jeu de rôle, c’est un peu un numéro de cirque ou un film d’aventures. On ne peut pas vraiment définir ce que c’est, c’est hybride, à deux, trois, cinq, quinze têtes. Cette aventure polymorphe nous ballade entre petites anecdotes, projets de grande envergure et rebondissements en tout genre à travers une écriture acérée, méchante, fantaisiste, drôle et virtuose. Chevillard ne mâche pas ses mots mais les manie avec drôlerie et critique. Et on arrive à la fin de ces presque deux cent pages un peu essoufflé, emporté par l’envol, la course, la nage survolté de Palafox qui nous a balladé, embarqué tout le long du livre.

Publicité

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s