Cela faisait plus d’un an que je voulais lire ce livre, mais impossible de l’avoir à la médiathèque, il était sans cesse réservé ! Ce livre entre la biographie, l’enquête, le témoignage (un peu romancé), c’est Jack l’Éventreur, affaire classé, portrait d’un tueur (oui, oui, deux sous-titres) de Patricia Cornwell.
Quand je l’ai eu entre les mains, j’ai eu un peu peur car quand le nom de l’auteur sur la couverture est deux fois plus grand que le titre lui-même, j’ai l’habitude de penser que ce n’est jamais bon signe. Mais, c’est assez compréhensible quand on sait que cette auteure est en priorité connue pour ses romans, sa saga de thrillers : ce livre sort de l’ordinaire dans sa biographie.
Sur l’édition que j’ai, aucune quatrième de couverture, mais qu’importe, cela faisait longtemps que je voulais en savoir plus sur les abominables crimes de Londres sans pour autant dépérir d’ennui dans un livre trop sérieux : Cornwell était donc le juste milieu idéal.
A partir de 1888 et jusqu’à 1896 (selon les autorités), des meurtres de plus en plus horribles sont perpétrés sur des prostituées de Londres, qui ont la quarantaine et sont imbibées d’alcool. Ces homicides ont tous lieux dans l’East End, un quartier très pauvre et malfamé de Londres. Et bien qu’il arrive parfois que la police soit sur les lieux moins d’une demi-heure après les meurtres, jamais le coupable ne sera attrapé. Et pourtant, il laisse des indices, et joue avec les autorités en les noyant sous des lettres moqueuses et prophétiques qu’il envoie aussi à différents journaux.
La peur envahit peu à peu le fog londonien, les stipulations vont bon train sur cet être qui égorge et éventre ces pauvres femmes pour leur voler leur utérus. On dit que c’est un fou, un misérable de l’East End, ou bien quelqu’un qui s’y connaît en médecine, en chirurgie, on accuse même un avocat. Mais sans résultat. A l’époque, la médecine légale était quasiment inexistante : ce criminel qui joue au chat est né un siècle trop tôt pour qu’on espère la capturer.
Mais pour Patricia Cornwell qui retrace avec précision et minutie ces meurtres, le coupable ne peut être qu’un seul homme : Walter Sickert. Ce peintre qui deviendra très renommé n’a pas d’alibi, et en épluchant sa biographie, l’auteure a trouvé des similitudes avec la psychologie d’un serial killer. Mais plus encore, elle est certaine que les multiples lettres qu’on a pris pour un canular sont en fait toutes de la main de Sickert qui peut aisément contrefaire son écriture et inclure des fautes d’orthographes (jamais les mêmes, bizarre en effet) volontairement. Adepte des costumes, elle est intimement persuadé qu’il était passé maître dans l’art de se travestir et de se fondre dans la foule : idéal pour passer aperçu et commettre des homicides sans être repéré par la suite. Sickert connaissait l’East End même s’il n’y habitait pas. Bref que de points communs avec le tueur.
Mais Cornwell va encore plus loin en l’accusant d’autres meurtres dans Londres, en Angleterre et même en France : des femmes égorgées ou des corps démembrés qui impliquent un changement de méthode mais qui s’accordent avec les déplacements probables du peintre et la sauvagerie de Jack.
Pourquoi lui et pas un autre ? Cornwell n’est pas la première à l’avoir soupçonnée mais son livre a quand même été une petite bombe dans le milieu, tellement elle est allée loin dans ses recherches (vous verrez, c’est vraiment stupéfiant, tout ce travail qu’elle a accompli!) Elle explique cette violence par une malformation et de douloureuses opérations chirurgicales qui auraient rendu Sickert impuissant. Ce peintre qui aimait représenter des prostituées sur ces toiles aurait transformé cette immense frustration en force mortelle.
De plus, l’auteure dépiaute ses peintures en les mettant en parallèle à des victimes par exemple, et les ressemblances, les « coïncidences » sont tout à fait édifiantes. Elle sait nous convaincre avec des faits.

Un de ses premiers tableaux sur Camden Town, où se déroula un des meurtres de Jack l’Éventreur qui égorgea une prostituée dans son lit.
Mais ce serait mentir que de ne pas souligner que Cornwell fait tout pour qu’on croit que c’est bien Sickert le coupable. Aujourd’hui, on ne sait toujours pas qui est le meurtrier, et on n’aura jamais de vraies preuves tangibles concernant le coupable. A plusieurs reprises, j’ai senti que l’auteure s’arrangeait avec les faits, les poussait au maximum dans leur interprétation pour servir sa cause. Cela m’a mise assez mal à l’aise par moment, j’ai eu l’impression d’une mauvaise foi latente.
Toutefois, ce livre est très convaincant. La lecture est vraiment agréable, il se lit presque comme un polar ! En plus de Jack l’Éventreur, on en apprend beaucoup sur ce peintre mais aussi sur Londres, l’East End, l’opinion publique de l’époque, le simulacre de la médecine légale et ses progrès aujourd’hui, la psychologie des tueurs en série, les conditions de vie des plus pauvres… C’est vraiment complet et je dirais même exhaustif ! La traduction est impeccable, un vrai plaisir. J’ai juste à déplorer quelques redites ou répétitions d’un chapitre à l’autre, mais ce n’est vraiment pas grand chose !
Bref, je vos conseille ce livre qui vous donnera à coup sûr l’envie de continuer l’enquête et d’en apprendre plus sur les autres coupables potentiels !
Patricia Cornwell, Jack l’Éventreur, affaire classée, portrait d’un tueur, traduction de l’américain par Jean Esch, aux éditions des Deux Terres, 22€50, ou chez Le Livre de Poche (37007), 8€10.
j’ai lu plus ou moins les mêmes impressions sur ce roman qui m’attend dans ma bibli 😉 surtout le fait qu’elle cherche vraiment à nous convaincre que c’est lui… il faut le lire comme un polar et non comme un écrit irréfutable…
Merci pour cette critique; je vais mettre ce livre dans ma liste !
Il attend sagement dans ma PAL depuis un moment déjà ! Je suis très curieuse de le lire même si j’espère que la « mauvaise foi » de l’auteur ne se ressent pas trop. Tu devrais regarder la série Ripper Street si ce n’est pas déjà fait ^^