L’amie prodigieuse, d’Elena Ferrante

Eh les amis, c’est l’été ! Et personnellement, chaque été, je vais en Italie, un pays que j’affectionne particulièrement. En 2017, c’est par la littérature que j’ai décidé d’y faire escale, dans une ville encore jamais visitée pour ma part : Naples. Comme d’habitude, je lis après tout le monde mais c’est tout de même avec un réel plaisir que je partage avec vous mon avis sur L’amie prodigieuse d’Elena Ferrante.

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C’est une lubie subite qui m’a poussée vers ce roman que je ne pensais pas me mettre à dévorer un jour. J’avais en tête mon dernier séjour à Venise et ses quartiers méconnus, qui semblaient d’une autre époque. C’est sûrement cela qui m’a attiré vers les quartiers pauvres de Naples à la fin des années cinquante. Elena va nous raconter son enfance, son adolescence. La sienne et celle de Lila. Cette meilleure amie, cette copine, cette petite fille pleine de vie et d’affront. Elles sont toutes les deux très différentes. Lila dit tout ce qu’elle pense et ne semble pas réagir comme tout le monde : elle n’hésite pas à se mettre à danger, sans même réaliser qu’elle prend des risques. Ou alors peut-être que si, elle sait que c’est risqué, mais tente quand même le coup, comme un pied de nez permanent au destin. Elena est une suiveuse, elle est fascinée par cette fillette maigrichonne qui ne connaît pas la peur. Pourtant leur relation a l’air étrange, parfois malsaine : Lila n’a de cesse de tirer sur la corde, mais Elena accepte, Elena prend un peu plus d’assurance, Elena observe.

Les deux petites filles grandissent et leurs chemins semblent se séparer : Elena va au collège, Lila rejoint la cordonnerie de son père et de son frère Rino et devient peu à peu obsédée par un rêve, créer ses propres chaussures. Mais finalement tout ramène Elena vers Lila. Leur lien ne se rompt jamais et c’est au cœur de leur quartier que cette relation va grandir, s’affiner au gré des aléas.

L’amie prodigieuse, voici un titre bien trouvée pour parler de ce personnage intrépide et hors norme : Lila. Nous aussi, petit à petit, on ressent de la fascination pour cette fille. A la place d’Elena, difficile de dire comment on aurait réagi. Elle est méchante, mais aventureuse : faut-il la détester ou la suivre ? Faut-il la retenir ou continuer de l’ignorer ?

20130531084238951_0001-copiaJ’ai adoré nos deux héroïnes et le lien qui les unissent, comme j’ai aimé les suivre dans leur vie respective. Je me reconnais parfois en Elena : parfois passive, très bonne élève, j’ai tout de suite aimé notre narratrice. Mais il n’y a pas que ces deux personnages qui nous marquent : il y a les frères Solara, véritables clichés italiens, il y a Enzo, il y a Antonio, et Nino, et Carmela, Alfonso, etc. Il est vrai qu’on se perd parfois parmi tous ces noms, mais un index en début d’ouvrage nous aide un peu à nous y retrouver. Celui-là est le fils du menuisier, celui-ci fille de l’épicier, etc.

Naples est en ébullition : pendant la plus grande partie du roman, on dépasse peu les frontières du quartier des deux jeunes filles mais cela nous suffit. Entre l’amant poète, la veuve folle, l’ogre des contes et bien d’autres, il y a largement de quoi s’occuper ! On est complètement immergé dans cette Italie de l’après-guerre où les priorités n’étaient absolument pas les mêmes qu’aujourd’hui. L’écriture de l’auteure se confond tout à fait avec celle de la narratrice, d’autant plus qu’elles portent le même prénom. On retrouve une sincérité touchante qui donne cet aspect de véritables souvenirs partagés à ce texte. On a l’impression que c’est une amie qui nous raconte son enfance : les feux d’artifice sur les balcons le jour de la fête nationale, les corrections à l’école, les premiers rouges à lèvres, les rêves d’enfant, les questionnements de l’adolescence…

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J’ai tellement aimé ce livre, je l’ai trouvé beau, juste. Pendant plus de 400 pages, j’étais complètement ailleurs, en plein Naples et je vous invite à faire le voyage vous aussi. J’ai dévoré ce roman en deux jours et je me retiens pour ne pas dévorer la suite immédiatement. Je sens qu’il faut que je laisse un peu grandir Elena et Lila dans mon cœur pour les retrouver un peu plus tard.

Elena Ferrante, L’amie prodigieuse, traduit de l’italien par Elsa Damien, aux éditions folio, 8€20.

L’histoire d’un mariage, d’Andrew Sean Greer

Encore du challenge aujourd’hui avec ma première participation à « Marry me », proposée par George (décidément). Le but est de lire des romans en rapport avec l’amour, le mariage qui portent dans leur titre des mots comme « noces », « époux » ou encore « mariage ». Le mien est en plein dans le sujet et s’intitule L’histoire d’un mariage. Il a été écrit par l’auteur américain Andrew Sean Greer.

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La quatrième de couverture ne dévoile absolument rien de cette histoire qui pourtant regorge de surprise. Je ne vais pas tout dévoiler ici, mais je vais quand même en dire en peu plus que ce résumé d’éditeur, sinon vous n’allez pas bien me comprendre quand je vous dirai que ce roman est bien original dans son thème.

L’histoire d’un mariage parle de l’union de Pearlie avec Holland Cook. Ils s’étaient rencontrés au lycée et s’étaient aimés au premier regard. Malgré bien des efforts pour passé inaperçu, le jeune homme doit quand même partir pour la guerre de Corée. Laissée sans nouvelle, la vie continue pour Pearlie, jusqu’à ce jour de 1949 à San Francisco où ils se retrouvent par hasard sur la plage. Ils se marient, la jeune femme vit de façon tranquille et apaisée avec ce mari au cœur fragile qu’il faut protéger et leur fils Sonny. Mais après quatre ans de doux bonheur, un ami de Holland vient frapper à leur porte : Charles Dummer, homme d’affaires, dit avoir rencontré le mari à la guerre. En fait, leur passé de soldats est un peu plus complexe que cela. Mais le fait est là : ils se sont aimés. Dans cette Amérique des années 50, ils sont « différents » des autres. Le monde s’écroule pour Pearlie : tout ce qu’elle pensait de son mari n’était que mensonge, il n’est pas l’homme qu’elle s’imaginait. Mais leur amour est sincère, on ne peut le nier, comme celui de Charles pour Holland. Et cet étranger veut que ce dernier soit à nouveau à ses côtés : il propose alors un étrange marché à Pearlie. Oui, bon c’est un brouillon, il y a de l’amour et du secret dans tous les sens, c’est un peu dur à expliquer sans tout dévoiler.

Original ce roman car évidemment il parle d’une bisexualité qui pose problème dans ce pays, à cette époque, mais aussi et surtout dans ce couple portant solide que forment Holland et Pearlie. Mais il n’y a pas que ça : la relation étrange qui naît entre Charles et la jeune femme, le fort contexte de ségrégation raciale, les guerres qui n’épargnent aucune famille, la polio en fond de toile qui fait des ravages chez les enfants, l’affaire Rosenberg… toute une société de préjugés, de problèmes sociaux, et de peurs qui fait partie intégrante de ce roman, qui le sculpte et le modèle. L’intrigue est hors du commun et elle nous interroge sur nos propres choix de vie, sur les événements qui pourraient la modifier en profondeur et à notre réaction face aux aléas de la vie. Cette histoire fait relativiser.

Andrew Sean Greer nous embarque pour les années 50, les bals, les meurtres, les condamnations anti-communistes, les nouvelles cités pavillonnaires près de la mer, les prothèses de jambes des petits malades de la polio, la vie métro-boulot-dodo, le formica, les cravates et les mocassins, la joie simple d’avoir un chien. Le decorum est stupéfiant, il se crée par petites touches pour nous faire apparaître un lieu encore inconnu. L’auteur sait s’y prendre pour faire surgir un passé douloureux et propre aux interrogations.

La situation de Pearlie est très touchante, mais aussi sincère. Jamais un mot de trop ne vient appesantir cette histoire très sensible. Dans L’histoire d’un mariage, on parle avant tout d’amour, partout, chez tous, un amour à sens unique, à sens multiple, ou réciproque, un amour caché, secret, manipulé, brisé, oublié… Le sentiment amoureux est partout et rempli les pages discrètement, sans trop oser se découvrir.

Ce n’est pas un roman à l’eau de rose, c’est beaucoup plus complexe et profond que cela. C’est une fresque de l’Amérique à l’un de ses tournants, ce sont des histoires d’amour qui demandent une revanche, ce sont des êtres faits de sentiments contradictoires et de pensées sombres, ce sont des sacrifices et des renoncements. L’écriture est somptueuse même si on peut la trouver lente à démarrer : le choix du récit rétroactif par Pearlie met un peu de temps pour avoir toute sa saveur à la lecture mais finalement, on ne pouvait pas choisir mieux pour ce roman.

Bref, c’est un livre que je vous conseille, captivant et envoûtant, généreux et foisonnant.

Andrew Sean Greer, L’histoire d’un mariage, traduit de l’anglais (États-Unis) par Suzanne V. Mayoux, aux éditions de l’Olivier, 21€.