Encore un livre sur la Russie. Pour une fois, j’en ai choisi un écrit par un Français : Les Yeux de Lénine de Gérard Streiff. Voyage entre Paris et Moscou, passé et présent.
2004. Alain Molinier, mémoire russe de Paris est retrouvé mort, vraisemblablement c’est son asthme non soigné qui l’a emporté. Il a légué par testament ses dizaines, ses centaines de mètres rayon d’archives, papier, photo à une ancienne conquête : Laure. Ils s’étaient rencontrés en Russie vingt ans plus tôt. Elle était correspondante pour L’Égalité, lui voulait retrouver une archive rare qui le hantera toute sa vie : la photographie de Lénine, les yeux ahuris, prise dans un sanatorium en août 1923. Cette image a été tenue secrète des dizaines d’années car si elle avait été connue la face du monde aurait pu être différente. Personne ne savait l’état de santé de Lénine qui ne permettait pas de remplir son rôle à la tête d’un peuple. Pourtant, sa fonction resta la même jusqu’à sa mort, environ une année plus tard.
Quand Laure pénètre dans la « Petite Russie », la tanière de papier et de poussière d’Alain, c’est un voyage entre son passé et son présent, son temps et celui de Staline et Lénine qui s’opère. Chaque feuille collectée par cet archiviste chevronné est un souvenir russe d’un pays qui essayait d’échapper à ses vices : interdiction de l’alcool, athéisme presque terroriste puis reniement d’un passé politique.
Laure veut remarcher sur des traces de pas dissimulées sous des années de crasse et d’oubli, hantée en rêve par la mort d’Alain, un homme qui comptera toujours pour elle, malgré leur éloignement ces dernières années.
C’est un périple à la fois triste et drôle. Entre l’appartement de Lénine, la piscine de Staline et les drogués à l’eau de Cologne, on frôle de près l’absurdité d’un pays bien mystérieux et glacé. Une plume acérée mais aussi légère permet de ne pas tomber dans l’excès. C’est un roman court pourtant l’auteur prend le temps d’explorer la psychologie des personnages, mais nous réserve quand même quelques surprises de dernière minute ! On rencontre des manchots, on visite d’anciens abris antiatomiques, on assiste également à quelques actes de vandalisme de groupuscules moscovites, sans parler des nouveaux millionnaires russes, du caviar et de Nitchevo !
Une belle ballade, presque une parade un peu entêtante, un peu sans queue ni tête, teintée de nostalgie voire de mélancolie. Un roman très agréable à lire, une jolie réussite d’un auteur lui-même correspondant de presse à Moscou.
Gérard Streiff, Les Yeux de Lénine, aux éditions Le Passage, 14 €.