Z, le roman de Zelda, de Therese Anne Fowler

Je reviens vers vous après pas mal de temps. Les vacances sont passées par là, et notamment une jolie semaine à Venise de laquelle je suis revenue avec plein de couleurs dans les yeux et les pieds en compote (je ne peux plus voir un escalier en peinture à présent…). Durant mon séjour italien, j’ai emmené quelques lectures, au grand étonnement de ma copine de séjour qui s’étonnait à n’en plus finir de mon rythme de lecture (quand moi j’enviais son rythme d’écriture proprement ahurissant). J’ai notamment fini la lecture d’un roman qui me regardait avec des yeux doux depuis ma bibliothèque : Z, le roman de Zelda de Therese Anne Fowler.

Je ne fais pas vraiment les choses dans l’ordre. En effet, le couple de F. Scott Fitzgerald m’a toujours un peu fasciné, et c’est pourquoi sur ma pile à lire trônent Gatsby le Magnifique du mari et Accordez-moi cette valse de l’épouse, plus un ou deux autres romans des « années folles » et une biographie. Mais au lieu d’être logique, j’ai préféré plonger dans un roman de fiction retraçant la vie de la célèbre femme de Francis Scott Fitzgerald directement. Une bien belle découverte !

Dans l’Alabama de 1918, la jeune et fougueuse Zelda rencontre un soldat en garnison qui rêve de gloire littéraire et d’épanouissement dans l’écriture mais aussi d’argent facile, de vie de fêtes. Elle, exubérante, veut sortir de ce Sud conservateur, sclérosé. Ils vont se marier et il va devenir célèbre. Il s’agit de Francis Scott Fitzgerald. Les premières années ne sont qu’une succession de fêtes mais lentement et inexorablement, les bonheurs éphémères des soirées mondaines laissent place à la souffrance, aux non-dits, aux désillusions quand bien même l’amour et la romance veulent rester. A Paris, à travers les États-Unis ou près de la Méditerranée, le couple Fitzgerald oscille entre tragédie et passion sincère. Happé par la folie des années de l’entre-deux guerres et la nécessité d’écrire, pas si facile de garder la tête hors de l’eau.

Therese Anne Fowler n’a pas essayé d’en faire trop, et ça fait du bien. Elle a trouvé le juste équilibre entre ces vies uniques et bouleversantes et le ton du roman. L’angle de vue par Zelda et non Scott est rafraîchissant, très judicieux. On s’intéresse rapidement à cette femme magnifique, avec ses rêves, ses espoirs qui se frottent au monde du réel avec plus ou moins de succès. J’ai adoré ce personnage « entier », franc et je trouve que l’auteure a su capter ce qu’il y avait de plus beau en Zelda (même si c’est fictionnel). Elle ne prend pas partie dans le grand débat « est-ce que Zelda qui a conduit Scott à sa perte ou l’inverse ? » Car en effet, leurs vies sont sublimes et tragiques. On a peine à croire qu’elles ont réellement existé ailleurs que dans des livres et des films. La description des lieux, des décors, de l’ambiance est très bien réalisée : on s’y croit, on est dans ce monde qui a existé des décennies avant nous, on le touche du doigt.

Ce roman est captivant, de par son thème, ses personnages emblématiques mais aussi pour le rythme de la narration et le ton employé. Résumer deux vies en quelques centaines de pages n’est pas exercice facile, mais Therese Anne Fowler s’en sort avec brio : les moments racontés sont très bien choisis, agencés, la construction donnent de l’allant à ce texte et on tourne les pages sans s’en rendre compte, trop pris dans notre découverte de ces destins hors du commun.

Ce livre est à la fois divertissant et intelligent. J’ai vraiment été touché par les personnages, même si le traitement d’Hemingway n’est pas celui que j’attendais. J’ai adoré côtoyé Cocteau, Pound et autres stars de l’époque, j’ai adoré voyager dans ces manoirs, ces demeures, ces maisons coloniales, et j’ai été émue de voir la vie intime de ces deux êtres qui s’aimaient d’un amour un peu fou.

Une vraie réussite, une fiction rondement menée, je vous la conseille !

Therese Anne Fowler, Z, le roman de Zelda, traduction de l’anglais par Laure Joanin, aux éditions Pocket (15656), 8€40.

La liste de mes envies, de Grégoire Delacourt

Retour à la littérature française avec Grégoire Delacourt et sa fameuse Liste de mes envies, que l’on a vu en devanture des librairies et des blogs très souvent ces dernières semaines.

Jocelyne a épousé Jocelyn. Elle tient sa propre mercerie dans la ville d’Arras où, il faut bien le dire, il ne se passe pas grand-chose. Pour occuper son temps et faire partager sa passion, elle crée un blog autour de la couture et du tricot, où elle fait découvrir les nouveautés de son magasin, des astuces et des créations faites mains. Ce site internet modeste mais écrit avec le cœur connaît un succès grandissant quand un autre événement vient bouleverser – en secret – la vie de notre héroïne.

Sur un coup de tête, elle achète un ticket de loterie. Sur un coup de chance, elle gagne. Elle remporte une somme si énorme qu’elle n’arrive pas à la saisir toute entière. Elle, mercière sans désir de grandeur, elle se retrouve à pouvoir s’offrir tout ce qu’elle veut. Alors elle fait des listes, et va chercher ce fameux chèque, ce petit bout de papier grâce auquel sa vie entière va changer.

Mais Jocelyne veut être prudente, elle sait que si la nouvelle vient se répandre, des gens viendront à l’aimer pas pour la bonne raison. Alors elle cache sa situation, à tout le monde, même à Jocelyn.

Ce roman se lit très vite, l’écriture est très fluide et efficace, le récit prenant. On entre dans la vie de ce personnage avec facilité et on suit ses questionnements avec un réel plaisir de lecture. Elle égrène ses désirs d’achats et de rencontres, elle remonte le fil de son passé et partage quelques souvenirs, pas toujours drôles. Jocelyne est touchante dans sa simplicité et dans sa sensibilité sans mièvrerie. C’est le personnage qui est le pilier de ce roman, ainsi que sa relation aux autres, notamment avec son mari, pour qui le lecteur ne peut s’empêcher d’éprouver un sentiment ambivalent.

J’ai sincèrement du mal à rajouter des choses à cette chronique. Ce roman n’entrera pas dans mon Panthéon personnel : il n’a pas changé ma vie, ou ma vision des choses. Toutefois, j’ai passé un excellent moment avec lui et dans quelques années, je le relirais avec plaisir. A vous de voir !

Grégoire Delacourt, La liste de mes envies, JC Lattès, 16€.

Sévère, de Régis Jauffret

Désolée de ma présence plus que minimale sur ce blog, sur les vôtres ou sur Twitter, la faute à une semaine très chargée qui m’empêche d’avoir du temps pour moi.

Régis Jauffret, je le croise souvent sur Twitter, et je ne m’étais jamais fait la réflexion que c’était un écrivain (alors que je m’abonne presque exclusivement qu’à des gens qui ont de près ou de loin un rapport avec les livres). Alors quand je suis tombée sur un de ses romans à la faveur d’un reclassement à la médiathèque, je me suis dit que c’était l’occasion. Je vous présente donc aujourd’hui Sévère.

Sévère, il tient bien son nom. C’est un texte fort, parfois rude, parfois poignant, mais qui ne laisse pas indifférent. Certains seraient tentés de penser qu’il est peut-être un peu trop excessif et donc irréaliste, personnellement, je pense plutôt qu’il décrit trop bien les émotions et les personnes pour ne pas avoir une part de vrai.

L’histoire est celle de l’héroïne, mariée, mais en couple par habitude plus que par amour. Un jour, se créer entre elle et un homme très riche, une relation complexe et brûlante, sous forme de je t’aime moi non plus, de domination et de soumission, de jeux sexuels demandant toute confiance. Son mari le sait, et ne peut pas faire autre chose qu’accepter. Mais quand l’homme veut lui donner un million pour lui prouver son amour, mieux vaut ne pas lui mentir. Car c’est une femme forte et indépendante, une femme à qui il ne faut pas raconter de balivernes, surtout quand on lui a appris à manier une arme, surtout quand on lui a offert un revolver.

Un récit court mais puissant, violent. Entre le voyeurisme et la confidence, cette histoire de crime par amour, par passion, par intérêt, par haine – on ne sait pas vraiment – est écrite d’une main de maître. Pas de suspens mais un souffle haletant dans chaque mot, une tension palpable dans les phrases.

J’ai beaucoup aimé cette narration au cordeau, ce style qui tranche dans la vif. L’écriture de Régis Jauffret est à la fois intuitive, incisive et réfléchie, maîtrisée. Du grand art qui surprend et fait peur. Une très belle découverte que je vous invite à lire !

Régis Jauffret, Sévère, aux éditions du Seuil, 17€20.

Bienvenue, de Kim Yi-seol

Je suis assez contente de moi, j’ai lu mon premier roman coréen, et j’ai aimé ça. Vous le trouverez sûrement en ce moment sur les étalages de votre libraire préféré, facilement reconnaissable par sa couverture assez voyante : Bienvenue de Kim Yi-seol.

 bienvenue kim yi seol

L’auteure est née en Corée du Sud en 1975, et en est à son deuxième roman, en plus des nombreuses nouvelles qu’elle a publié. Son roman nous raconte la vie de Yunyeong qui se bat pour essayer d’améliorer son quotidien et celui de sa famille. Et pour cela, le nerf de la guerre, c’est l’argent, dans un pays où il est terriblement facile d’être pauvre. Malheureusement, l’entourage de la jeune femme ne va pas l’aider. Elle a eu un enfant avec un jeune homme qui devait passer les concours de l’administration et trouver un bon poste mais il se trouve que c’est un incapable père au foyer qui laisse ses livres d’études dépérir sur le bureau. Alors Yunyeong doit se débrouiller entre un frère accro aux jeux d’argent, une sœur qui s’endette jusqu’à n’en plus pouvoir et une mère un peu trop présente.

Heureusement pour elle (croit-elle!), elle a réussi à trouver un emploi en bordure de Séoul, dans un restaurant mené d’une main de fer par son patron, le Jardin des Jujubiers. Spécialité : la soupe de poulet au jujubes et les choses pas très légales qui se trament dans les salons privés et les pavillons annexes. Au cours de ses journées de travail exténuantes où Yunyeong peine à gagner de quoi vivre, notre héroïne a vite compris que pour se faire plus d’argent dans une maison de passe clandestine, il fallait s’impliquer un peu plus qu’au service de tables.

C’est un personnage puissant que cette Yunyeong : à bout de bras, elle soutient sa famille, elle en est le pilier mais ne récolte pas les encouragements et les merci qui vont avec. Elle se tue à la tâche, avec obstination, acharnement même et tout ça pour un bébé qui ne la reconnaît pas, pour une sœur qui ne lui téléphone que pour quémander un peu de sous, pour un homme bon à rien et qui n’a jamais de bonnes excuses.

Elle se plie à faire des choses qu’elle pensait impensables mais qui finalement n’ont peut-être pas tant d’importance dans ce monde où tout chose à une valeur sonnante et trébuchante. On peut se demander où elle trouve cette énergie, voire cet espoir qui lui permet de ne pas céder à la violence, aux basses besognes, au mépris, à la dégradation, à la pauvreté. C’est un monde brutal pour une femme, mais elle n’a d’autres choix que de s’y engouffrer pour survivre.

Kim Yi-seol a créé une héroïne vraiment à part, et attachante malgré cette tournure presque purement asiatique, une mélange de distance et d’évidence qu’il faut apprendre à dompter pour l’apprécier pleinement. C’est une plongée en terre coréenne qu’on regrette pressque puisqu’elle nous force à voir la dureté des rapports entres hommes et femmes, la dureté d’une vie qui coûte si cher mais où le travail vaut si peu. Pendant tout le livre, un mot m’a trotté dans la tête sans que je puisse mettre le doigt dessus, maintenant je le devine : c’est « reconnaissance », pour un sacrifice humain, le sacrifice d’une vie, d’une santé, d’une famille, le sacrifice du calme et de l’honneur. On ne peut pas dire que Yunyeong court après la reconnaissance, non, elle ne demande rien à personne, mais on enrage au fil des pages de voir que rien ne change pour elle, que la situation ne s’améliore pratiquement pas, on est colère car elle ne gagne que trop peu de reconnaissance.

Bienvenue est bouleversant parce qu’il décrit une réalité difficile à admettre, mais il n’est pas larmoyant, il ne provoque pas de sentiment de pitié, peut-être seulement l’impression qu’une injustice est commise ici. L’auteure a une plume directe et sincère qui nous touche directement grâce à une traduction (qui semble) impeccable.

Pour mon premier roman coréen, c’est une bonne surprise, un livre que se lit facilement et qui ne laisse pas indifférent, écrit avec clarté et justesse. A lire !

Kim Yi-seol, Bienvenue, traduit du coréen par Lim Yeong-hee et Françoise Nagel, aux éditions Philippe Picquier, 17€50.

C’est un grand moment pour moi puisque, avec cet article, j’arrive au palier symbolique des 100 billets postés. Pendant ces mois de lectures, vous avez été de plus en plus nombreux à venir faire un tour sur le blog, de mon côté, j’ai fait la connaissance d’autres univers de blogueurs littéraires, je me suis inscrite à de nombreux challenges, j’ai été un peu plus assidue sur le toile.

Merci beaucoup de lire les quelques lignes que je gribouille chaque semaine, c’est un plaisir de partager avec vous !

Love & Pop, de Murakami Ryû

« Personne ne demanda comment elle allait faire pour se payer cette bague. Elles savaient toutes qu’il n’y avait pas d’autre moyen que d’accepter un rendez-vous. Il ne lui restait que 10 000 yens de la somme qu’elle avait reçue de sa mère pour acheter un maillot de bain, il lui fallait encore 85 000 yens. Si je n’achète pas aujourd’hui cette bague, je l’oublierai, pensait Hiromi. (…) Ce qu’on a envie de faire ou ce qu’on désire, quand on pense qu’on en a envie, si on ne fait pas l’effort de s’y mettre tout de suite, eh bien, ce désir vous quitte immanquablement sans même que vous en ayez conscience. »


En 1996, Ryû Murakami publie Love & Pop. Rien qu’avec ce titre, on peut se douter, un peu, que ce livre va parler d’adolescentes. Mais pas que. Cet ouvrage traite avant tout des telephone-club, ou telekura qui ont fleuri au Japon dans le milieu des années 90. Un telephone-club permet à l’abonné de laisser un message pour arranger des rendez-vous. Le telekura est implicitement lié à l’enjo kosai : il s’agit d’une pratiques où des jeunes filles sont payées pour accompagner des hommes plus âgées. De l’escort-girl en somme. Bien sûr, on relie souvent ça à de la prostitution de mineur, plutôt facile dans ce pays où la majorité sexuelle est fixée à 13 ans. Dans les faits, rares sont les lycéennes pratiquant l’enjo kôsai qui vont jusqu’au bout.
C’est pour mettre en lumière ce phénomène très connu mais pourtant encore tabou que Murakami a décidé d’écrire ce livre plein de retenue. Il a découvert cet univers et s’y est plongé pour y comprendre les mécanismes, les codes. Pour le faire partager, il nous entraîne dans les pas d’Hiromi. Cette jeune fille de 16 ans aime faire du shopping, traîner avec ses amis. Elle n’a encore jamais accepter de rendez-vous arrangés seules, les rares fois où cela lui est arrivé, elle accompagnait une de ses copines. Elle sait que parmi elles certaines n’hésitent pas à enchaîner les rendez-vous voire à aller plus loin que le simple rôle de compagnie et de faire-valoir habituellement demandé. Hiromi a une devise : quand on veut quelque chose, il faut tout faire pour se le procurer maintenant, sinon le désir s’en va, et cette expérience laisse un goût amer dans la bouche. Le jour où elle découvre une topaze impériale montée en bague, son coeur s’emballe : elle la veut, il lui faut. Pour ça, elle accepte alors de faire de l’enjo kosai. D’abord avec ses amies, puis seules. Toutefois, ces rendez-vous lui réserveront quelques surprises.
Le roman va crescendo, la pression monte au fur et à mesure. La violence aussi : celle des rapports humains, celles de la pensée irraisonnée, celle des décisions hâtives. On tend vers quelque chose de bizarre, un climax qu’on attend et qui nous surprend une fois le moment venu. Dans l’oeuvre de Murakami, on sent ce pessimisme latent : ce n’est pas un roman de la bonne humeur, ni même un roman qui condamne les telekura. Non, ce livre retrace juste le parcours d’une ado qui veut faire comme tout le monde, parce que ça paraît rapide, parce que paraît facile. On saisit vite que derrière les facades, l’enjo kosai peut procurer quelques frayeurs, plus ou moins justifiés ; les hommes aux moeurs légères, aux questions étranges ne manquent pas. Il faut savoir faire le tri, entre hypocrisie et faux-semblants.
L’auteur a une écriture que je qualifierai « de la ville ». A travers la trame narrative pure et les dialogues, s’immiscent les paroles de chansons, les bribes d’émissions de radio, les blablas des publicité, les messages des hommes du telekura. Encore une autre violence, celle qui s’immisce dans une intimité qui n’a plus vraiment lieu d’être dans ce livre. Ici, tout bourdonne, le bruit de fond est toujours là, parfois insoutenable, faisant irruption sans crier gare. Certes, c’est une lecture qu’il faut apprivoiser, car les guillemets sont presque inexistants, ces différentes phases, entre la narration et le brouhaha extérieures, se confondent complètement. Il faut prendre ça comme un tout, et savourer chaque ligne comme elle vient ; même si « savourer » n’est pas vraiment le terme, ce livre m’aura laissé une goût de cendres dans la bouche. Mais ici, c’est une preuve de son efficacité.