India Express, de Constantin Simon

De retour après une petite pause. Il faut dire que c’est un peu la folie au boulot : le Prix du Jeune Écrivain fête ses trente ans, autant dire qu’on a du pain sur la planche. De plus, j’ai eu la très agréable surprise d’apprendre que j’étais le premier prix de la catégorie écriture (section adulte) du Concours Dis-moi dix mots que tu accueilles organisé par la DRAC Midi-Pyrénées dans le cadre de la Semaine de la Langue française. Autant dire que j’ai les idées ailleurs en ce moment. En plus, je patauge dans la semoule pour lire un roman de John Irving, je me demande si j’arriverai à le finir un jour.

Bref, aujourd’hui je vais vous parler d’un livre que j’ai découvert dans le cadre du Prix des Cinq Continents de la Francophonie pour lequel je suis lectrice (et dont je gère la logistique pour le comité français, mais ne parlons pas boulot) (quoique : je n’ai que ça en tête) (vives les vacances !) Il s’agit d’India Express de Constantin Simon.

Ce roman est mi-chemin entre un livre d’aventures, un récit de voyage et un roman d’initiation : il a des facettes de tous ces genres mais sans jamais s’y engouffrer. Il y a dans ce livre un souffle de vie, une étincelle de passion : c’est ce petit gars qui a fini ses études et s’est jeté sur la première (très belle) occasion qu’il a eu de devenir journaliste reporter d’images (caméraman). Il a foncé tête la première dans cette aventure : suivre cette journaliste expérimentée qui a de la poigne et adore les imprévus. Mais pour cela, il doit aller sur un autre continent : l’Asie, le Sri Lanka puis l’Inde, mais aussi d’autre pays plus étonnants, ou plus violents. D’abord en duo (si on peut appeler cela comme ça…), puis en solo, ce jeune journaliste – Pierrot de son petit nom – va apprendre à faire avec ces cultures tout à fait différentes, ces modes de vie et ces méthodes de travail toutes nouvelles. Il va surtout devoir adapter ses efforts aux Indiens et autres personnes qu’il croisera sur sa route, qui vont le mener dans des reportages et des situations drôles, tragiques, étonnantes, à couper le souffle.

Il faut dire que notre héros va rencontrer tout un tas de personnages truculents : des fumeurs de haschich et des cultivateurs népalais de cannabis sur les hauteurs de l’Himalaya, des presque convertis au bouddhisme de masse et les mythiques sâdhus qui se baignent nus comme des vers dans le Gange, les survivants japonais du tsunami, les femmes sans mari du Sri Lanka, les vrais-faux islamistes radicaux du Pakistan, les tueurs de rats professionnels de l’Inde… Autant de missions, autant de reportages qui vont obliger Pierrot à s’adapter, à marchander, à courir, à être à l’affût. Il sera ému aux larmes par de la poésie ancestrale, dégoutté à vie de l’odeur d’une des plus grandes décharges de Bombay, envoûté par une danseuse aux yeux bridés qui tient une caméra.

Mais India Express, ce n’est pas que cela – même si c’est déjà beaucoup. C’est aussi une certaine réalité du journalisme de terrain : les reporters au coude à coude avec les soldats pour filmer le front d’une guerre, la loi de la concurrence entre collègues, les systèmes D, les magouilles, les petits mensonges, les grandes désillusions. Ce qui est sûr, c’est que cette expérience asiatique est riche de découverte et d’enseignement pour Pierrot, aussi bien professionnellement que personnellement.

L’écrivain est lui-même journaliste. On voit qu’il sait de ce dont il parle, il a vécu ces réalités, qu’il enjolive un peu pour les rendre plus drôles à lire, même si le ton est un peu pince-sans-rire. Toutefois, ce n’est pas encore tout à fait la plume d’un romancier qu’on peut découvrir ici : les chapitres sont courts, directs, ils reflètent la réalité, les faits, l’action. J’avoue que le héros m’a paru assez extérieur : il n’y a pas d’identification possible car l’auteur reflète rarement les émotions, les ressentis de son personnage, ou alors de façon très superficielle et succincte. C’est une bonne lecture de divertissement, les situations sont cocasses, et il y a une vraie évolution du personnage, de ses actions au fil de l’intrigue. La narration est très extérieure, c’est vraiment un style journalistique remanié à la sauce fictionnel.

Ça a été pour moi une lecture agréable : j’ai adoré être embarquée dans ces contrées totalement inconnues et exotiques, même dans l’envers du décor qui n’est pas toujours reluisant : l’auteur frôle parfois les clichés du sous-continent indien, mais à chaque fois un élément inattendue crée la surprise. On ne s’ennuie jamais car tout s’enchaîne à un rythme soutenu. Bref, un roman trépidant mais je ne suis pas certaine que je m’en souviendrai encore dans quelques mois.

Constantin Simon, India Express, Le Passage, 18€.

Trembler te va si bien, de Wataya Risa

Je reviens encore avec un peu de Japon dans ma hotte. Et encore une fois, je dois aux éditions Picquier une découverte asiatique, en la personne de Risa Wataya, une jeune auteure tokyoïte. Avec Trembler te va si bien, on entre dans le vie d’Etô, jeune femme qui joue son rôle de femmes dans cette société encore assez traditionnel du Japon. Mais tout n’est pas si manichéen, heureusement.

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Etô, c’est une jeune fille qui travaille au service comptable d’une grande entreprise. Fleur bleue, elle voudrait le grand amour, le mariage, une idylle. Ingénue et maladroite, elle s’arrange pour revoir ce garçon du lycée qui la tend marquée, cet amour à sens unique : Ichi. Mais malgré leurs points communs, elle n’est pas persuadée qu’un jour cette attirance devienne réciproque. Parallèlement, il y a ce collègue, pas vraiment son type, mais au moins, lui, lui a déclaré sa flamme. Etô est bien sûr flattée de cette attention, et elle sait qu’il serait peut-être plus sage de penser à s’établir, à fonder une famille. Plusieurs connaissances de son âge ont déjà des enfants, quand elle s’acharne à converser sa virginité pour celui qui sera l’amour de sa vie.

Les sentiments de la jeune fille sont incertains. Il pèse sur ses épaules un certain poids du passé qu’elle s’inflige en partie elle-même. Dans ce livre, c’est sa voix qu’on entend, ses atermoiements, ses incertitudes, ses prises de bec avec sa conscience. Mais cela se fait toujours avec drôlerie et émotion. Ce n’est pas un livre kawai, ce n’est pas un livre qu’on pourrait rattacher à de la chick-litt ou de la romance harlequin. On retrouve là une certaine image du Japon avec ces postes de secrétaire qui représentent de vrais viviers de futurs mariées pour les salarymen travaillant dans leurs entreprises, avec les désirs d’Etô, qui ne sont pas les mêmes qu’une jeune Française de son âge et de sa classe. On ne peut pas classer ce livre car il n’y a rien d’approchant. Je n’ai pas pleuré ou prié pour l’héroïne, l’identification était minime. Pas de pathos, mais je n’avais pas non plus l’impression de lire le Journal de Bridget Jones. Etô se plaint à peine, elle est juste perdue, elle veut juste trouver sa place. Celle qui lui conviendra, celle où elle pourra s’insérer en douceur et y vivre heureuse.

C’est un peu ce qu’on recherche tous. Dans le cas de notre personnage, cela passe par une lucidité picotée d’humour, un éclairage de deux amours indécis, un ton faussement léger.

Encore une fois, je peine à décrire la plume nippone. D’ailleurs, chapeau au traducteur qui a réussi à retranscrire cette écriture si loin de la nôtre. Et même si cette traduction n’est pas parfaite parfaite, je me rends compte de l’extrême difficulté de la chose.

Ce n’est pas un roman transcendantale ; j’ai malgré tout passé un bon moment en compagnie de notre héroïne et de ses querelles de cœur.

Risa Wataya, Trembler te va si bien, traduction du japonais par Patrick Honnoré, aux éditions Philippe Picquier, 16€.