Le Parfum, de Patrick Süskind

9782253098959-001-tCela fait bien trop longtemps que je n’ai pas publié de chroniques lecture. Avec presque une semaine de retard, voici donc mon billet pour la lecture commune du mois de mai 2016 : il s’agit du Parfum de Patrick Süskind. Encensé par les critiques, révélé au grand public par un film grandiose, je percevais ce livre comme un roman remarquable et mystérieux. Jamais pourtant l’histoire de Jean-Baptiste Grenouille ne m’avait attirée. Il a fallu attendre la belle couverture de Christian Lacroix chez Le Livre de Poche pour que je me décide à l’acheter.

Grenouille est né dans la misère – nous sommes au XVIIIe siècle. Il vit solitaire une existence qui ne tourne autour que d’une seule chose : les odeurs. Il a un nez unique : il sait reproduire toutes les odeurs, même celle de l’être humain. Après avoir vécu en ermite, après s’être initié à l’art de la confection des parfums, il découvre que les odeurs ont un pouvoir inouïe : certaines peuvent contrôler les hommes, les asservir. Il a alors un nouveau projet : trouver cette senteur ultime, la filtrer, même si pour cela il doit prendre quelques vies au passage.


Grenouille est un personnage abject
. On ne s’y attache vraiment pas : il est trop loin de nous pour qu’on puisse le comprendre. Mais il est vrai qu’il a du génie en ce qui concerne les odeurs, s’en est presque surnaturelle. Ce héros n’a pas grand-chose d’humain, on peut le comparer facilement à un monstre : aucune empathie, aucun raisonnement « humain ». Il fait peur, il effraie, peut-être que certains peuvent ressentir une certaine fascination pour ce genre de personnages. Ça n’a clairement pas été mon cas.

Perfume

La mer sentait comme une voile gonflée où se prenait l’eau, le sel et un soleil froid. Elle avait une odeur toute bête, la mer, mais c’était en même temps une grande odeur et unique en son genre, si bien que Grenouille hésitait à la scinder en odeurs de poisson, de sel, d’eau, de varech, de fraîcheur, et autres. Il aimait mieux laisser entière l’odeur de la mer, la conserver tout d’une pièce dans sa mémoire et en jouir sans partage. L’odeur de la mer lui plaisait tant qu’il souhaita l’avoir un jour dans toute sa pureté et e quantités telles qu’il puisse s’en soûler.

J’ai donc suivi un peu à contre-coeur ce héros tout au long de sa vie. Oh, c’est bien écrit, riche de psychologie, de profondeur, de détails, d’images. L’écriture des odeurs est vraiment virtuose, incroyable, surprenante. Un vrai coup de maître, un talent d’écrivain comme on en croise peu. Toutefois… près de 300 pages pour tout ça ! J’ai trouvé le temps très long. Il y a pourtant des rebondissements de poids, des retournements de situation même, mais, j’ignore comment, l’auteur arrive à amener ça d’un ton monocorde. L’action perd toute sa saveur, on a l’impression de lire la description d’un tableau. Cette lecture peut clairement devenir ennuyeuse à la longue malgré la beauté et la richesse du style. La narration ici a clairement un problème ce qui m’invite à penser que Le Parfum est plutôt un livre à savourer, un chapitre de temps en temps entre d’autres lectures. Sinon, vous serez sans doute comme moi : en overdose, pour finir en panne de lecture.

Je me demandais sans cesse : à quel moment l’intrigue va-t-elle commencer ? Je n’ai jamais eu ma réponse. Il manque dans ce roman du piquant, de la vivacité. Et pourtant ce ne sont pas les sujets et les occasions qui manquent ! Et cette fin… Je n’ai vraiment pas accroché. Bref, une petite déception pour moi : personnage que j’ai détesté et subi tout au long de ma lecture, une intrigue au point mort quand bien même il y a une vraie histoire là-dessous – quel paradoxe !

Heureusement, il y a cette langue merveilleuse pour retranscrire les parfums, et rien que pour cela, je vous invite à vous faire votre propre opinion.

Les avis de Virginy, L’Aléthiomètre, Hélène.

Patrick Süskind, Le Parfum, aux éditions Le Livre de Poche, traduit de l’allemand par Robert Lotholary, 7€90.

Jack l’Éventreur, affaire classée, de Patricia Cornwell

Cela faisait plus d’un an que je voulais lire ce livre, mais impossible de l’avoir à la médiathèque, il était sans cesse réservé ! Ce livre entre la biographie, l’enquête, le témoignage (un peu romancé), c’est Jack l’Éventreur, affaire classé, portrait d’un tueur (oui, oui, deux sous-titres) de Patricia Cornwell.

Quand je l’ai eu entre les mains, j’ai eu un peu peur car quand le nom de l’auteur sur la couverture est deux fois plus grand que le titre lui-même, j’ai l’habitude de penser que ce n’est jamais bon signe. Mais, c’est assez compréhensible quand on sait que cette auteure est en priorité connue pour ses romans, sa saga de thrillers : ce livre sort de l’ordinaire dans sa biographie.

Sur l’édition que j’ai, aucune quatrième de couverture, mais qu’importe, cela faisait longtemps que je voulais en savoir plus sur les abominables crimes de Londres sans pour autant dépérir d’ennui dans un livre trop sérieux : Cornwell était donc le juste milieu idéal.

A partir de 1888 et jusqu’à 1896 (selon les autorités), des meurtres de plus en plus horribles sont perpétrés sur des prostituées de Londres, qui ont la quarantaine et sont imbibées d’alcool. Ces homicides ont tous lieux dans l’East End, un quartier très pauvre et malfamé de Londres. Et bien qu’il arrive parfois que la police soit sur les lieux moins d’une demi-heure après les meurtres, jamais le coupable ne sera attrapé. Et pourtant, il laisse des indices, et joue avec les autorités en les noyant sous des lettres moqueuses et prophétiques qu’il envoie aussi à différents journaux.

La peur envahit peu à peu le fog londonien, les stipulations vont bon train sur cet être qui égorge et éventre ces pauvres femmes pour leur voler leur utérus. On dit que c’est un fou, un misérable de l’East End, ou bien quelqu’un qui s’y connaît en médecine, en chirurgie, on accuse même un avocat. Mais sans résultat. A l’époque, la médecine légale était quasiment inexistante : ce criminel qui joue au chat est né un siècle trop tôt pour qu’on espère la capturer.

Mais pour Patricia Cornwell qui retrace avec précision et minutie ces meurtres, le coupable ne peut être qu’un seul homme : Walter Sickert. Ce peintre qui deviendra très renommé n’a pas d’alibi, et en épluchant sa biographie, l’auteure a trouvé des similitudes avec la psychologie d’un serial killer. Mais plus encore, elle est certaine que les multiples lettres qu’on a pris pour un canular sont en fait toutes de la main de Sickert qui peut aisément contrefaire son écriture et inclure des fautes d’orthographes (jamais les mêmes, bizarre en effet) volontairement. Adepte des costumes, elle est intimement persuadé qu’il était passé maître dans l’art de se travestir et de se fondre dans la foule : idéal pour passer aperçu et commettre des homicides sans être repéré par la suite. Sickert connaissait l’East End même s’il n’y habitait pas. Bref que de points communs avec le tueur.

Mais Cornwell va encore plus loin en l’accusant d’autres meurtres dans Londres, en Angleterre et même en France : des femmes égorgées ou des corps démembrés qui impliquent un changement de méthode mais qui s’accordent avec les déplacements probables du peintre et la sauvagerie de Jack.

 Pourquoi lui et pas un autre ? Cornwell n’est pas la première à l’avoir soupçonnée mais son livre a quand même été une petite bombe dans le milieu, tellement elle est allée loin dans ses recherches (vous verrez, c’est vraiment stupéfiant, tout ce travail qu’elle a accompli!) Elle explique cette violence par une malformation et de douloureuses opérations chirurgicales qui auraient rendu Sickert impuissant. Ce peintre qui aimait représenter des prostituées sur ces toiles aurait transformé cette immense frustration en force mortelle.

De plus, l’auteure dépiaute ses peintures en les mettant en parallèle à des victimes par exemple, et les ressemblances, les « coïncidences » sont tout à fait édifiantes. Elle sait nous convaincre avec des faits.

Un de ses premiers tableaux sur Camden Town, où se déroula un des meurtres de Jack l’Éventreur qui égorgea une prostituée dans son lit.

Mais ce serait mentir que de ne pas souligner que Cornwell fait tout pour qu’on croit que c’est bien Sickert le coupable. Aujourd’hui, on ne sait toujours pas qui est le meurtrier, et on n’aura jamais de vraies preuves tangibles concernant le coupable. A plusieurs reprises, j’ai senti que l’auteure s’arrangeait avec les faits, les poussait au maximum dans leur interprétation pour servir sa cause. Cela m’a mise assez mal à l’aise par moment, j’ai eu l’impression d’une mauvaise foi latente.

Toutefois, ce livre est très convaincant. La lecture est vraiment agréable, il se lit presque comme un polar ! En plus de Jack l’Éventreur, on en apprend beaucoup sur ce peintre mais aussi sur Londres, l’East End, l’opinion publique de l’époque, le simulacre de la médecine légale et ses progrès aujourd’hui, la psychologie des tueurs en série, les conditions de vie des plus pauvres… C’est vraiment complet et je dirais même exhaustif ! La traduction est impeccable, un vrai plaisir. J’ai juste à déplorer quelques redites ou répétitions d’un chapitre à l’autre, mais ce n’est vraiment pas grand chose !

Bref, je vos conseille ce livre qui vous donnera à coup sûr l’envie de continuer l’enquête et d’en apprendre plus sur les autres coupables potentiels !

Patricia Cornwell, Jack l’Éventreur, affaire classée, portrait d’un tueur, traduction de l’américain par Jean Esch, aux éditions des Deux Terres, 22€50, ou chez Le Livre de Poche (37007), 8€10.