Black-out, de Marc Elsberg

Ça a commencé avec une simple panne de courant. Des lumières qui s’éteignent, des réfrigérateurs qui ne fonctionnent plus, des pompes à essence hors service, des chaudières qui ne chauffent plus rien. Puis les heures ont commencé à passer. Rien ne s’arrangeait. La panne est devenue un black-out. C’est toute l’Europe qui sombra dans l’obscurité et la peur. Bienvenue dans Black-out de Marc Elsberg.

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En Allemagne, dans les centres d’opérations, dans les centrales électriques, la pression monte et la panique s’insinue. Que peut-il bien se passer ? Pourquoi les systèmes s’éteignent-ils les uns après les autres, inexorablement, sans qu’on ne puisse rien faire ? Manzano a peut-être une idée pour résoudre cet immense problème qui met en danger l’existence de tous. Mais se faire entendre en temps de crise, sans électricité, est ardu.

A travers une galerie de personnages complète, l’auteur nous embarque dans cette sombre enquête, au milieu de l’hiver. Comment survit-on en cas de black-out ? Comment réagit la population ? Comment poursuivre les coupables – car coupables il y a, personne n’en doute – dans ces conditions-là ? C’est une aventure palpitante, un thriller comme je n’en ai jamais lu auparavant. Il faut vraiment se faire à cette écriture qui passe d’un personnage à l’autre à chaque chapitre, on peut se perdre au début – surtout que l’ajout de personnages secondaires peu intéressants nous embrouillent un peu plus. Mais au bout de quelques dizaines de pages, les éléments se mettent à interagir ensemble, à avoir vraiment du sens et alors il est plus aisé de suivre cette histoire d’un bout à l’autre. Et on a envie de savoir, de résoudre ce mystère. Plus que pour résoudre l’énigme, c’est surtout pour résoudre cette situation de crise terrifiante que l’on veut arriver au bout de cette enquête. Car de façon insidieuse et terriblement vivante, empathique, l’auteur nous plonge au fil des jours, au fil des pages dans une réalité tout à fait plausible – et qui en est d’autant plus effrayante. On se demande comment l’humanité peut se relever d’un tel drame, car on la voit peu à peu replonger des années, des siècles en arrière. On se rend alors compte à quel point on est petit, petit et dépendant de l’énergie, de la technologie.

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Ce livre fait très bien son travail : j’ai été emballée par cette narration insolite, cette histoire très bien travaillée, ces personnages divers auxquels on s’identifie vite. Il est certain que ce roman sortira du lot de vos lectures habituelles, mais je peux vous assurer que vous passerez un excellent moment de lecture en compagnie de Marc Elsberg. Éteignez la lumière et laissez-vous embarquer.

Marc Elsberg, Black-out, traduit par Pierre Malherbet, aux éditions Piranha, 22€90.

Elle répondit : « Berlin, baby ! », d’Amélie Vrla

Cela faisait un petit moment que je n’avais pas lu de nouvelles, alors quand une auteure m’a proposé de lire son recueil dont les histoires se déroulent à Berlin – ville que j’apprécie tout particulièrement – je ne pouvais que répondre oui. Amélie Vrla a donc eu la gentillesse de m’envoyer Elle répondit : « Berlin, baby ! ».

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Ce titre, c’est comme un appel à se rendre à l’évidence : enfin, voyons, on ne peut que vivre à outrance à Berlin, on ne peut que profiter de cette existence qui nous permet souffrance mais surtout plaisir. Quitte à en abuser un peu. Ce recueil fait le portrait d’une facette de cette ville cosmopolite et polyglotte. Une ville de la culture, de l’art, mais aussi une ville de la nuit, des fêtes, des cocktails et des rencontres. Berlin, ville de la drogue aussi. Et ville des femmes et de l’amour. L’auteure a voulu explorer ce côté à la fois sombre et trop brillant de la capitale allemande. Sous couvert de désinvolture et de légèreté, ses personnages se dévoilent dans leur faille et leur faiblesse. Toutefois ici la drogue, même si omniprésente, est souvent seulement le prétexte pour mettre en mots ces histoires d’amour/haine : cet homme qui a cru que faire découvrir la poudre blanche à son aimée aurait été une bonne idée, ce frère très peu présent qui a oublié sa sœur le temps d’un week-end car il était sous emprise. Au total, cinq récits d’un moment de vie que la drogue a gâché, envenimé, enjolivé, rendu cocasse ou transformé en malaise.

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Pour le lecteur, c’est une immersion totale. A travers des mots lancés, des phrases courtes, parfois sans queue ni tête, l’auteure a voulu nous faire vivre cette expérience de l’intérieur en quelque sorte : l’hébétement que cause la drogue, l’étourdissement, la fatigue, les élans de colère ou au contraire ce trop plein de joie de vivre que les personnages expérimentent. Ce recueil fait la part belle au dialogue et au monologue ce qui nous plonge directement dans la tête des héros de ces histoires. On a un peu pitié d’eux, on n’est pas toujours d’accord avec eux, en tout cas on ne les cautionne pas quand on voit à quel genre de situation cela les mène. Berlin est comme une excuse : dans cette ville, on ne peut faire que la fête.

Toutefois cette immersion profonde et immédiate peut causer certains problèmes pour le lecteur. En effet, on perçoit à travers les monologues qu’il y a entre telle et telle personne des sentiments réciproques ou non, on peut comprendre qu’il y a là un débat intérieur, malheureusement les phrases chaotiques dues à la drogue et aux sentiments exacerbés, ainsi que ce parti pris du point de vue interne ne nous donnent souvent pas toutes les clés pour comprendre ce qui se déroule. L’auteure ne dit pas tout aux lecteurs pour comprendre les tenants et les aboutissants. À tel point que, même après complète lecture, certaines nouvelles restent assez nébuleuses même si pour la plupart on arrive à comprendre. Ce manque de description et d’information fait également qu’on ne s’attache pas ou peu aux personnages ce qui est bien dommage. Je sais que la nouvelle va au plus rapide, mais une phrase ou deux sur le passé des personnages et leur vie en dehors de ce temps de l’histoire nous auraient permis peut-être de mieux nous immiscer dans ces récits.

Toutefois, ce recueil se lit assez vite et il y a parfois une vraie poésie et une vraie intelligence dans l’écriture d’Amélie Vrla ce qui ne présage que du bon pour la suite. Et j’ai adoré ce côté cosmopolite et mélange de la ville de Berlin qui est mis en avant. Enfin, l’auteure ne tombe pas dans le cliché du drogué avec la devise « la drogue, c’est mal » (ce qui est vrai, hein, soyons d’accord : la drogue, c’est mal). A Berlin, sa consommation réunit, ou au contraire sépare et attise les tensions. Tout n’est pas si simple et manichéen.

Mon grand regret pour ce livre, c’est l’édition car, hormis la couverture (qui est fichtrement par mal je trouve), le reste est plus que moyen. On sent qu’ils ne se sont pas foulés côté correction et maquette et ça c’est bien dommage. Heureusement que le texte fait tenir debout ce recueil !

Amélie Vrla, Elle répondit : « Berlin, baby ! », aux éditions de L’Harmattan, 14€50.

Le Japon comme ma poche, de Jean-Yves Cendrey

Voyager parce qu’il le faut, parce que la vie nous pousse un peu dans un avion. C’est ce que va vivre notre héros dans Le Japon comme ma poche.

 

Il habite à Berlin, et uniquement à Berlin. Sa volonté première : la sédentarité. Il veut une vie tranquille faite d’habitude et de lieux connus. Mais une lettre venue de l’autre bout de monde va changer ses projets égotiques. Il doit prendre l’avion, s’arracher à son appartement et ce brouillon d’allemand qu’il commençait à maîtriser pour se rendre au Japon, chez une hypothétique sœur. Nulle excitation, nulle impatience, il y va car il s’y sent obligé. L’hésitation, le trajet en avion et ses rencontres étranges, le séjour où les jours passent et se ressemblent… Rien ne nous sera épargné.

C’est un contre-guide de voyage, qui clame l’amour d’un homme pour son chez-lui. Il n’est pas contre l’extérieur et le reste du monde, disons juste qu’il estime que l’Univers n’a pas besoin de lui. J’aurais bien du mal à décrire ce petit livre atypique qu’on lit au rythme des soupirs du personnage. Ce n’est pas ennuyeux, ça donne une vision du monde assez douce et originale. On voit le monde comme il est et non pas comme le foyer de découvertes multi-culturelles qu’on imagine. Après tout, il y a des immeubles, des échangeurs autoroutiers, des câbles électriques à Berlin, Paris ou Tokyo. On trouvera partout des gens antipathiques, des voisins qui éviteront de croiser votre regard, des chauffards, des fumeurs qui soufflent leur nuage gris dans votre figure. On peut tous croiser un marchand de sex-toys sandwich par hasard dans l’avion, ou recevoir une lettre d’une sœur née d’un père pas très paternel.

 

J’ai eu l’impression que le héros se terrait derrière des considérations (justes) du monde et du voyage pour éviter de voir en face sa propre vie qui pourrait changer à jamais. C’est un petit roman plus psychologique qu’on pourrait penser. L’écriture est loin d’être plate, elle est ciselée par un orfèvre qui choisit avec un soin furieux, opportuniste et fantaisiste ses mots et ses allusions.

J’ai aimé ce voyageur forcé qui sait d’avance qu’il râlera, sera déçu et empreint d’animosité. Le style est incisif et bizarrement, c’est lui qui nous fait voyager et pas ce transport au-dessus des mers et des terres pour nous faire parcourir la moitié du globe.

Jean-Yves Cendrey, Le Japon comme ma poche, Arbre vengeur, 11€.

Moskova, d’Anne Secret

J’ai découvert les éditions de l’Atelier in 8 (quel super nom quand même !) dans mon master : un de mes camarades (le seul garçon parmi treize filles, respect !) va effectuer son stage chez eux, dans leurs locaux de Pau. Intriguée par ce nom, petit détour par ma médiathèque pour voir un peu ce qu’ils font. J’ai donc choisi de lire un de leurs ouvrages, publié l’année dernière : il s’agit de Moskova d’Anne Secret. Je ne connais pas encore cette auteure qui est pourtant aussi publiée chez Fayard, Le Seuil et Actes Sud, et c’est pas le biais de cette « novela » que je fais sa rencontre. Son livre est classé dans la collection Polaroïd, qui privilégie le Noir et la littérature de l’urgence.

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Anton a fuit Berlin, tout juste réunifié, pour se réfugier dans l’appartement vide d’un ami de son frère, à qui il a demandé de l’aide. Il débarque alors à la Moskova, un quartier chargé d’histoire mais en danger, car une entreprise veut tout raser pour construire du neuf, du moderne, du rentable à la place. Les rues sont parsemées de maisons murées, celles des propriétaires qui ont cédé. Mais les habitants ne vont pas se laisser faire comme ça, ils tiennent bon, mettent en place des squats illégaux et des pétitions. Dans cette situation, Anton est obligé de faire la connaissance de ses nouveaux voisins, mais pour eux, il sera Dieter, venu de Lubeck. C’est que notre héros cache un lourd secret, il doit protéger sa vie qui, indirectement presque, a été mise en danger. C’est la raison de sa fuite et de ses mensonges. Malgré tout, il essaie de revivre, mais en gardant à l’esprit ses années allemandes : Théa, une liste, les agents dormants, la Russie, des sujets secrets, risqués. A Moskova, il rencontre une bibliothécaire Héloïse qui va remettre un peu de soleil dans sa vie, même si elle ignore beaucoup de choses.

C’est vrai que le secret règne dans tout le livre, la quatrième de couverture nous éclaire un peu, la fin nous apporte quelques révélations mais c’est à nous d’essayer de démêler la réalité du mensonge. Nous sommes un peu dans la peau d’un de ces voisins, sauf qu’on ne sait un peu plus grâce aux rares confessions d’Anton et à quelques épisodes de sa vie éclairants. L’intrigue est donc constamment en tension : suspens, attente d’une révélation nous tiennent en haleine. C’est bien joué de la part de l’auteur mais j’en suis resté très frustrée, ce que je sais après lecture du livre ne me suffit pas, j’aimerais en savoir plus sur le passé d’Anton.

L’histoire, les lieux ont une grande place dans cette nouvelle, même si elle est souterraine, cachée, insidieuse. D’ailleurs, le thème même du livre s’est déroulé dans l’ombre des grands événements comme les guerres ou la chute du mur. J’ai eu l’impression par moment d’avoir affaire à un rapport d’enquête préliminaire, celle qui décrit les actions sans les décrypter, celle qui tâtonne, qui comprend juste à quel endroit, plus ou moins, peut se trouver la vérité.

Mais ce qui est le mieux réalisé dans ce livre, c’est bien le personnage principal. On aimerait être plus proche de lui, il semble gentil, presque honnête, mais c’est impossible, car pour se protéger il n’accepte personne, enfin pas encore, dans son intimité. Il se crée un double, mais il a parfois du mal à tenir le rôle. Car cette situation est bien évidemment porteuse de stress, d’angoisse pour lui. Elle fait ressurgir sa vie à Berlin, peuplée de bonheur mais aussi de peurs. Anton sait que la fuite est le meilleur moyen pour mener une existence un peu près normale. Même si on ne peut pas être proche de lui, on saisit tout à fait les enjeux et la gravité de cette vie à la Moskova, de sa coupure avec Allemagne, ce qui est vraiment un tour de maître.

Je suis seulement déçue de la fin. Je trouve que le livre se termine en queue de poisson, trop rapdiment, trop facilement, comme si l’auteure en avait eu assez et voulu jeter son personnage aux orties. Cette conclusion m’a laissé un goût amer de frustration. Toutefois, je pense que j’ai réagi aussi violemment à cette fin car cette histoire m’a vraiment « attrapée », à la fois neutre et dangereuse, l’écriture est bien particulière, je n’en ai jamais lu de telle. Un bon point donc. Puis il faut dire que les dernières pages représentent la chute qu’on attend souvent dans les nouvelles…

Anne Secret, Moskova, aux éditions de l’Atelier in8, 12€.