La Conjuration des Imbéciles, de John Kennedy Toole

Ce livre traîne dans ma bibliothèque depuis longtemps et j’ai décidé de le lire un peu par hasard (je vide ma PAL cette année!). Je ne m’attendais pas du tout à trouver ce genre de pépite. L’histoire de son auteur aussi est intéressante – et un peu triste, il faut l’avouer. La Conjuration des Imbéciles, c’est l’œuvre de John Kennedy Toole. Malheureusement, personne ne veut de ce livre hors normes. L’auteur en finit par se suicider et c’est la ténacité de sa mère qui permit à ce roman de voir le jour aux yeux du grand public.

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Ignatius a la trentaine passée, il vit toujours chez sa mère à la Nouvelle-Orléans. Arrogant, obèse, intellectuel, il parle trop, a un avis pour tout et est en train d’écrire un immense livre sur sa vision de l’Amérique. Il a un corps hors normes, se retrouve dans des situations plus malchanceuses les unes que les autres. On le suit, et on suit les traces et les souvenirs qu’il sème à son passage, qui marquent les autres personnages tout aussi hauts en couleurs de ce livre. Sa mère, avec qui il est toujours en conflit, le somme de trouver un travail. De nouvelles péripéties l’attendent.

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Deux choses m’ont tout de suite étonnée dans ce roman : ce personnage principal si différent, si particulier. Un peu dérangé ou génie refoulé, je n’en sais rien, je ne l’aurais pas apprécié dans la vraie vie, mais il reste un personnage fascinant qui nous laisse pantois à chaque page. La deuxième chose qui m’a marquée, c’est cette langue : celle des dialogues d’abord, un vocabulaire très oral, avec des accents retranscrits, mais aussi la langue de l’écrivain. Il a en effet un style bien à lui, alternant les moments de pause et d’action, avec toujours au centre de son intrigue ses personnages, cœur de l’histoire.

Pour qualifier ce roman, je ne peux pas dire qu’il est fluide, haletant, novateur (au contraire, il y a un charme passéiste dans ces lignes), somptueux (il reste « crade », je ne trouve pas d’autres mots!). Mais il est indéniablement remarquable et je vous invite grandement à tenter l’aventure. Vous serez sans aucun doute désarçonné au début, mais il suffit de ne pas opposer de résistance : les pages défileront alors toutes seules.

John Kennedy Toole, La Conjuration des Imbéciles, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean-Pierre Carasso, aux édition 10/18, 9€60.

Dans les forêts de Sibérie, de Sylvain Tesson

Avant de passer à ma lecture commune de mai, et parce que je suis d’une logique implacable, j’ai décidé pour les premiers beaux jours de l’année de lire un récit qui se déroule sur les rives du lac Baïkal en pleine taïga russe : Dans les forêts de Sibérie de Sylvain Tesson (oui, je le lis après tout le monde sur la blogosphère).

11 février

Au matin, nous reprenons la glace. La forêt défile. (…) La glace craque. Des plaques compressées par les mouvements du manteau explosent. Des lignes de faille zèbrent la plaine mercurielle, crachant des chaos de cristal. Un sang bleu coule d’une blessure de verre.

« C’est beau », dit Micha.

Et plus rien jusqu’au soir.

A 19 heures, mon cap apparaît. Le cap des Cèdres du Nord. Ma cabane.

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Sylvain Tesson a passé six mois en pleine Sibérie. Son environnement se résumait à l’unique pièce de sa cabane et à son poêle qui lui apportait de la chaleur, autant dire ici de la vie. Il voulait goûter à la solitude dans les immensités enneigées de la taïga. Le premier village était à cinq jours de marche. Son quotidien : couper du bois, observer, risquer sa vie sans s’en rendre compte en explorant les environs, boire du thé et de la vodka, lire et écrire, accueillir les visiteurs impromptus.
C’est peut-être d’ailleurs cela qui m’a le plus étonnée dans ce livre, véritable journal autobiographique de cette longue expérience : je m’attendais vraiment à un récit sur la vie d’ermite mais à mon grand étonnement j’ai croisé beaucoup de personnages dans ces pages. J’en suis un petit peu déçue, oui, pour la simple raison que je ne désirais pas vraiment lire ses rencontres avec les rares touristes de passage ou les Russes perdus dans les environs. Le voir se saouler, pêcher et mener de drôles de conversations avec d’autres, j’avoue que je m’en fiche. Je préfère ce passage où il évoque l’importance de voir un oiseau par la fenêtre, ces pérégrinations parmi les sapins, les subtils changements dans le paysage au fil des mois qui passent, son lien avec ses deux chiens.

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J’ai un véritable amour pour ces coins du monde – un de mes rêves est de faire tout le trajet en Transsibérien. Et j’étais très enthousiaste de commencer cette lecture, j’en avais entendu du bien et j’imaginais qu’il me permettrait de m’évader et de me recentrer. J’aimais beaucoup l’idée de cette retraite, avec des livres et de quoi écrire, avec beaucoup de thé et les heures qui se diffusent au gré du soleil. Mais j’ai été tout de suite désarçonnée par le style de l’auteur dont je n’avais rien lu auparavant. Beaucoup de métaphores, de phrases poétiques… ce n’est pas ce que je voulais lire, tout simplement. Cette langue m’a paru trop riche là où j’attendais du dépouillement, de la simplicité. J’avais l’impression de toujours lire quelque chose écrit à côté de ce que je voulais au fond. En bref, ce récit n’est pas fait pour moi, je ne suis pas la bonne personne, la bonne lectrice pour lui.

Je lui reconnais toutefois de nombreuses qualités : les pages défilent assez vite au gré du redoux dans la taïga, le style peut plaire – il est beau. Ça ne se répète pas, sacré exploit. Mais malgré toutes ces bonnes choses, je n’ai pas complètement accroché. Ce moment de lecture fut agréable mais je ne retenterai pas l’expérience Sylvain Tesson.

Et vous, qu’en avez-vous pensé ?

Sylvain Tesson, Dans les forêts de Sibérie, aux éditions folio, 7€70.

Wild, de Cheryl Strayed

Les nuages n’en finissaient plus de s’accumuler au-dessus de ma tête, la panne de lecture n’était plus très loin. J’ai donc essayé de trouver un remède. Alors on m’a conseillé de me plonger dans la lecture de Wild de Cheryl Strayed.

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Ce livre traînait dans ma PAL depuis quelques mois et il est vrai que l’envie de l’ouvrir me taraudait depuis quelques jours. Je me suis alors dit que c’était enfin le bon moment, qu’importe la lecture commune, qu’importe le tirage au sort de la book jar.

Je me suis alors plongée dans ce témoignage natural writing. Alors qu’elle avait la vingtaine, l’auteure doit faire le point sur sa vie. Sa mère est morte, sa famille est brisée, ses études interrompues, son mariage fini. En plein divorce, elle a touché à l’héroïne. Vraiment, elle est au plus bas. Alors Cheryl prend cette décision : partir seule en randonnée pour dix semaines sur le Pacific Crest Trail (ou PCT pour les intimes), un chemin de randonnée peu connu et difficile sur tous les sommets de la côte Est des États-Unis.

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C’est cette aventure qu’elle nous raconte ici. Sa rencontre avec un ours, la joie de rattraper les autres randonneurs, les douleurs quotidiennes et presque insurmontables, la neige qui la bloque en pleine randonnée, les retours rapides vers la civilisation pour se reposer un peu et récupérer les colis de nourriture. C’est un périple, Cheryl ne s’en rend vraiment compte qu’une fois partie sur le sentier. Et même si c’est dur, insoutenable, elle a en elle cette volonté d’aller de l’avant, de poursuivre coûte que coûte. Elle-même ne sait pas pourquoi, mais pourtant elle le fait.

Évidemment, il y a des moments durs, il y a des remises en question, des doutes. Et l’on vit ça avec elle d’un bout à l’autre du livre, d’un bout à l’autre du Pacific Crest Trail. Chaque chapitre est l’occasion pour Cheryl de revenir sur sa vie, sur les épreuves qu’elle a traversée. On comprend mieux son besoin de s’isoler, son besoin d’aller au bout d’elle-même pour mieux se retrouver. L’écriture de l’auteure est sans fioritures, elle est juste. On peut toutefois regretter la redondance de certains sujets. Personnellement, j’aurais parfois aimé que l’écrivain se concentre plus sur la randonnée elle-même et sur son lien avec son ex-mari, même si j’ai apprécié cette façon de traiter le deuil et la mort de sa mère.

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Wild, c’était exactement ce dont j’avais besoin, au bon moment. Cette lecture m’a fait le plus grand bien. Il m’a fait relativiser, et j’ai pu m’évader dans la nature par procuration grâce à Cheryl. Le récit de ce voyage hors du commun dans un paysage sauvage est une vraie évasion. Besoin de sortir du quotidien ? Besoin de se changer les idées ? Ce livre est une bouffée d’air frais et vous fera le plus grand bien. A découvrir !

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Cheryl Strayed, Wild, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Anne Guitton, aux éditions 10/18, 8€80

Comment j’ai écrit un roman sans m’en rendre compte, d’Annet Huizing

Il arrive parfois que je sois prise dans une frénésie de lecture et généralement dans ces cas-là, je lis des choses que je n’ai pas l’habitude de lire – comprenez : pas de littérature française ou classique. C’est assez naturellement que, dans cette période, je me dirige vers les romans jeunesse ou young adult, histoire d’avoir un truc agréable à croquer sous la dent rapidement. Voici comment est donc arrivé dans mes mains le livre d’Annet Huizing : Comment j’ai écrit un roman sans m’en rendre compte.

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Katinka est une jeune fille qui vit seule avec son petit frère et son père. Une de ses meilleures amies est sa voisine Lidwine, une auteure qui la fascine. Avec son aide, elle va commencer à écrire des petites choses, sur sa vie et sa famille. Sur Dirkje qui vient d’entrer dans leur existence tout doucement. Sauf qu’écrire, ce n’est pas toujours facile. C’est tout un art et une technique qui demande de l’entraînement et de l’apprentissage. Chaque jour, Katinka se met devant son ordinateur et essaie de pondre un petit texte. Elle ne s’imaginait pas en se lançant dans cette aventure que cela remuerait autant de choses en elle. Imperceptiblement, elle a autant appris sur elle que sur l’écriture – et sur le jardinage aussi.

C’est une lecture très rapide. J’ai trouvé ce texte simple mais sensible et émouvant. On ne côtoie que peu de temps les personnages mais on s’attache très vite à eux, les trouvant sincères et terriblement humains. Ce sont là plus que de simples êtres de papiers. L’intrigue en soi n’est vraiment pas incroyable mais elle se laisse suivre avec plaisir tout de même. L’auteure a réussi à donner vie à sa narratrice : ce sont vraiment les mots d’une enfant, toutefois cela n’est pas un problème puisque la langue et le style sont tout de même assez bons.

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J’ai peu de choses à rajouter sur ce roman. Il m’a changé les idées, c’est une bonne lecture que je conseillerai aux pré-ados, mais je n’ai pas rêvé comme dans une saga, je n’ai pas vibré comme dans Nos étoiles contraires par exemple. Il est agréable mais je trouve globalement ce livre peu ambitieux malgré un thème très intéressant.

Annet Huizing, Comment j’ai écrit un roman sans m’en rendre compte, traduit du néerlandais par Myriam Bouzid, aux éditions Syros, 14€95.

Un été avec Victor Hugo, de Laura El Makki et Guillaume Gallienne

Vous le savez sûrement, Victor Hugo – dit Vivi dans mon cœur – c’est un peu une histoire d’amour. J’ai lu pas mal de ses romans et poèmes (même s’il me reste encore un bon paquet de lectures), plusieurs biographies et essais sur le personnage. Je me suis beaucoup intéressée à sa vie et à ceux qui gravitaient autour. Parallèlement, une petite collection de livres aux éditions des Équateurs me faisaient de l’œil depuis longtemps. Il s’agit de Parallèles, qui reprend une série d’émissions radiophoniques de France Inter autour de grands écrivains français. C’est donc tout naturellement que j’ai acquis Un été avec Victor Hugo de Laura El Makki et Guillaume Gallienne.

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Je vais vous parler ici du livre en tant que tel, je n’aborderai pas le côté radio de la chose (je ne l’écoute jamais et n’y connais rien). C’est un livre très bien conçu qui, à travers des dizaines de courts chapitres, abordent les aspects les plus importants (et parfois méconnus) de la vie de Victor Hugo. Les tables tournantes, son double Olympio, son lien avec l’enfance ou la musique, son amour et sa défense du peuple, ses penchants et tourments politiques… C’est assez complet sans aller trop dans le détail. Parfait pour poursuivre la découverte de Hugo après une première lecture du bonhomme par exemple, peut-être un peu léger quand on le découvre pour la première fois. J’ai trouvé la plupart des sujets très bien choisis et traités même si certains m’ont paru très artificiels, peu intéressants, comme si on les avait écrits histoire d’avoir le bon nombre de chapitres/émissions.

Le style est limpide, on lit ce livre avec une grande aisance et les pages de ce petit ouvrage soigné se tournent facilement entre nos mains. La faible longueur des chapitres donne beaucoup de dynamisme à la lecture et évite la monotonie d’un récit chronologique. Les auteurs ont pris la peine de citer à plusieurs reprises Victor Hugo : on n’en attendait pas moins. Les extraits sont d’ailleurs soigneusement choisis, toujours judicieux et rendent la lecture encore plus savoureuse.

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J’ai beaucoup apprécié cette lecture rapide et divertissante qui a réussi à m’apprendre encore des choses sur Victor Hugo quand bien même j’en connais déjà pas mal. Petites anecdotes, informations biographiques, réflexion sur ses œuvres littéraires et politiques : on ne s’ennuie jamais malgré quelques petites répétitions d’un chapitre à l’autre. C’est vraiment un livre que je vous conseille vivement et je pense découvrir d’ici peu le reste de cette collection.

Laura El Makki et Guillaume Gallienne, Un été avec Victor Hugo, aux éditions des Equateurs, 13€.

Le Chardonneret, de Donna Tartt

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J’en ai mis du temps à le lire ce roman. Car il faut avouer que Le Chardonneret de Donna Tartt est une belle briquette. Mais au-delà de ça, plus les jours passaient, moins je lisais. Arrivant même à lire les pages dix par dix uniquement pour faire durer le plaisir. Attention, coup de cœur en vue…

L’histoire est difficile à résumer. On suit Théo qui nous parle de lui, de sa vie, de ce qui lui arrive. Au début de l’histoire, c’est encore un adolescent ; on le voit grandir au fil des pages. [Attention, je spoile les 100 premières pages (sur 1100) du roman.] Alors qu’il visite un musée avec sa mère, une bombe explose. Elle meurt sur le coup, et Théo encore sonné va assister au dernier souffle d’un homme. Ce dernier va lui faire comprendre avant sa mort qu’il ne peut pas laisser ce tableau dans ces ruines. Le tableau en question, c’est Le Chardonneret, un minuscule chef-d’œuvre, juste au-dessus de leurs tête. La vie de notre héros est bouleversée : il se retrouve orphelin de mère, avec un père qui a foutu le camp il y a des mois de cela. Il est en possession d’une peinture de maître qu’il cache sans trop savoir pourquoi. Et sa rencontre avec l’homme à l’agonie va le pousser à faire de nouvelles rencontres étonnantes et décisives.

Les événements auraient mieux tourné si elle était restée en vie. En fait, elle est morte quand j’étais enfant ; et bien que tout ce qui m’est arrivé depuis lors soit ma faute, à moi seul, toujours est-il que, lorsque je l’ai perdue, j’ai perdu tout repère qui aurait pu me conduire vers un endroit plus heureux, vers une vie moins solitaire ou plus agréable. Sa mort est la ligne de démarcation entre avant et après. Et même si c’est triste à admettre après tant d’années, je n’ai jamais rencontré personne qui m’ait autant donné le sentiment d’être aimé.

Il m’est très difficile d’en révéler plus, déjà pour ne pas vous gâcher le plaisir de la lecture, mais aussi parce que tous ces éléments sont à la fois primordiaux et liés. Le tableau est le fil conducteur de l’œuvre, on le retrouve au début et à la fin et il fait de nombreuses apparitions au centre du roman, mais ce n’est pas le sujet principal selon moi.

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Le Chardonneret est une œuvre beaucoup plus grande, qui essaie d’englober la vie d’un jeune adulte avec ses hauts et ses bas. Surtout ses bas en fait. Il y a un certain défaitisme dans l’écriture de Donna Tartt : on est impuissant face à la mort, et on ne peut souvent pas empêcher les autres de faire leur choix. La vision des choses ici est assez complexe : il y a cette mort omniprésente, qui semble à la fois si banale et si imprévisible, mais il y a aussi l’espoir, le renouveau, la vie, à travers notamment ce petit oiseau, ce petit chef-d’œuvre qui n’en finit pas d’éclairer par sa beauté et sa naïveté les pages de ce livre.

Mais attention, ce n’est pas un roman triste. Disons que c’est un roman qui suit un personnage malchanceux, qui fait parfois les mauvais choix, qui nous reste un peu obscur et secret quand bien même on penserait bien le connaître. C’est une vraie épopée, l’aventure d’une vie, avec des décisions à prendre, des regrets et des surprises. L’écriture de Donna Tartt est tout simplement merveilleuse. Elle sait rendre cette histoire irrésistible et envoûtante, on tourne les pages sans s’en rendre vraiment compte. Il faut dire que l’auteure pense sa narration d’une main de maître : elle nous emmène où elle veut, on la suit sans sourciller dans les circonvolutions de son histoire.

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Je me rends compte que je ne vends peut-être pas très bien ce groooos roman et ça me désole un peu. Je pense que je n’ai pas vraiment pas les mots pour parler convenablement de cette œuvre, car elle me dépasse un peu. C’est l’histoire d’une vie, que vous devez absolument lire. Voilà. Alors c’est sûr, ce n’est pas un grand destin, c’est plutôt le récit des actions et des choix d’un adolescent qui s’est retrouvé paumé. Mais ça vaut le coup, vraiment. Laissez-vous transporter par la plume de Donna Tartt. Vous ne le regretterez pas.

Donna Tartt, Le Chardonneret, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Edith Soonckindt, aux éditions Pocket, 13€.

Femmes de dictateur, de Diane Ducret

[…] Dans la route pour la conquête du pouvoir, les dictateurs ont très vite compris qu’ils n’avanceraient guère sans gagner avant tout les femmes à leur cause, sans les unir à leur destin. Et pour conquérir le pouvoir et s’y installer, chacun d’eux va s’appuyer sur les femmes. Filles de noce ou grandes bourgeoisies intellectuelles, simple passade ou amour passionné, elles sont omniprésentes dans la vie des dictateurs. Ils les violentent ou les adulent, mais se tournent systématiquement vers elles. […] Ils sont cruels, violents, tyranniques et infidèles. Et pourtant, elles les aiment. Trompées avec d’innombrables rivales, sacrifiées à la dévorante passion de la politique, épiées, critiquées, enfermées, elles résistent. Parce qu’ils les fascinent. Parce qu’ils ont besoin d’elles.

9782262034917Les romans, c’est très bien, mais de temps en temps, j’aime sortir de ce genre fictionnel. Toutefois, j’apprécie toujours autant qu’on me raconte des histoires, et c’est encore mieux si ce sont celles de personnes ayant réellement existées. Femmes de dictateur de Diane Ducret était donc un choix idéal. En quelques chapitres, on découvre les femmes qui ont aimé ou ont été aimées par ces grandes figures tyranniques qui ont peuplé notre Histoire au siècle dernier. Il y a toujours une curiosité malsaine pour l’intimité, la vie privée de ces hommes qui ont bousculé le destin de centaines, de milliers de personnes. On s’imagine pouvoir mieux les comprendre – sans les excuser pour autant bien sûr.

Dans cet ouvrage, Diane Ducret nous entraîne dans l’ombre d’Antonio Salazar, de Joseph Staline, ou de Mao. Elle nous fait découvrir les amantes, les épouses, les maîtresses, les relations plus ou moins publiques, plus ou moins importantes, plus ou moins partagées de ces dames qui ont fait partie de l’Histoire, à leur échelle. De l’incontournable Eva Braun, à la discrète Catherine Bokassa, en passant par l’orgueilleuse Elena Ceausescu, Diane Ducret nous fait faire un tour assez large de toutes ces femmes que l’on peut trouver proches du pouvoir : celle qui ignore tout, celle qui aime jusqu’à la mort, celle qui profite du statut de son mari, celle qui préfère le secret. Le point commun ? La passion : l’amour de l’un pour l’autre, mais aussi la haine, l’obsession.

evaDiane Ducret a écrit ce livre avec beaucoup d’intelligence. Chaque chapitre est la fois court et complet. En quelques pages, on fait le tour de toutes les femmes qui ont gravité autour d’un homme. L’auteure a fait le choix de ne pas respecter un ordre chronologique stricte, en faveur d’une construction plus judicieuse qui incite à la lecture. On arrive à un moment clé, par exemple, qui finit presque en cliffhanger, pour repartir dans le passé sur les origines d’une rencontre. C’est très habile et très judicieux : cela empêche le lecteur de s’ennuyer devant ce qui pourrait paraître comme une énumération des faits.

Mais dans tous les cas, c’est bien plus qu’un simple listing d’informations biographiques. Diane Ducret a réalisé là un travail de fourmi, partant à la recherche des lettres, des témoignages, des conversations, des journaux intimes pour rentrer plus en avant dans la vie de ces hommes et femmes. Comprendre leurs motifs, leurs pensées, leurs désirs, leurs amours, voilà une vraie partie du travail de l’auteure qui redonne une certaine humanité à ces êtres si éloignés de nous, qu’on ne connaît qu’à travers des pages de livres d’Histoire pour les plus fameux d’entre eux.

ob_54f2a8_imageAttention, nous ne sommes pas là pour revenir sur la vie politique de ces dictateurs et leurs actes. On ne remet pas ça en cause. Non, c’est l’autre versant de leur existence que Diane Ducret cherche ici à percer : le premier coup de foudre, le grand amour, le mariage par raison plus que par envie, l’amante délaissée, la jalousie suprême. Tout ce qui fait battre les cœurs plus fort (trop fort parfois…).
Ce n’est pas un livre d’éloge sur l’amour ou la passion, mais plutôt sur ses failles. Il n’en reste pas moins très intéressant d’en savoir plus sur ces hommes si lunatiques, parfois tyranniques, parfois charmants, parfois cruels, parfois attachants, mais toujours puissants. De plus, les chapitres sont agencés de façon réfléchie : le chapitre sur Lénine, par exemple, précède celui de Staline, et historiquement, cela est plus facile à comprendre pour le lecteur.

Femmes de dictateur est un opus qui allie rigueur historique et écriture sensible. C’est un livre à la fois instructif et intelligent qui nous éclaire sur ces presque inconnues qui ont pourtant laissé une marque dans l’Histoire. Un deuxième tome est sorti il y a plusieurs mois, que je vais bien sûr m’empresser de lire.

Diane Ducret, Femmes de dictateur, aux éditions Pocket (14891), PRIX

Z, le roman de Zelda, de Therese Anne Fowler

Je reviens vers vous après pas mal de temps. Les vacances sont passées par là, et notamment une jolie semaine à Venise de laquelle je suis revenue avec plein de couleurs dans les yeux et les pieds en compote (je ne peux plus voir un escalier en peinture à présent…). Durant mon séjour italien, j’ai emmené quelques lectures, au grand étonnement de ma copine de séjour qui s’étonnait à n’en plus finir de mon rythme de lecture (quand moi j’enviais son rythme d’écriture proprement ahurissant). J’ai notamment fini la lecture d’un roman qui me regardait avec des yeux doux depuis ma bibliothèque : Z, le roman de Zelda de Therese Anne Fowler.

Je ne fais pas vraiment les choses dans l’ordre. En effet, le couple de F. Scott Fitzgerald m’a toujours un peu fasciné, et c’est pourquoi sur ma pile à lire trônent Gatsby le Magnifique du mari et Accordez-moi cette valse de l’épouse, plus un ou deux autres romans des « années folles » et une biographie. Mais au lieu d’être logique, j’ai préféré plonger dans un roman de fiction retraçant la vie de la célèbre femme de Francis Scott Fitzgerald directement. Une bien belle découverte !

Dans l’Alabama de 1918, la jeune et fougueuse Zelda rencontre un soldat en garnison qui rêve de gloire littéraire et d’épanouissement dans l’écriture mais aussi d’argent facile, de vie de fêtes. Elle, exubérante, veut sortir de ce Sud conservateur, sclérosé. Ils vont se marier et il va devenir célèbre. Il s’agit de Francis Scott Fitzgerald. Les premières années ne sont qu’une succession de fêtes mais lentement et inexorablement, les bonheurs éphémères des soirées mondaines laissent place à la souffrance, aux non-dits, aux désillusions quand bien même l’amour et la romance veulent rester. A Paris, à travers les États-Unis ou près de la Méditerranée, le couple Fitzgerald oscille entre tragédie et passion sincère. Happé par la folie des années de l’entre-deux guerres et la nécessité d’écrire, pas si facile de garder la tête hors de l’eau.

Therese Anne Fowler n’a pas essayé d’en faire trop, et ça fait du bien. Elle a trouvé le juste équilibre entre ces vies uniques et bouleversantes et le ton du roman. L’angle de vue par Zelda et non Scott est rafraîchissant, très judicieux. On s’intéresse rapidement à cette femme magnifique, avec ses rêves, ses espoirs qui se frottent au monde du réel avec plus ou moins de succès. J’ai adoré ce personnage « entier », franc et je trouve que l’auteure a su capter ce qu’il y avait de plus beau en Zelda (même si c’est fictionnel). Elle ne prend pas partie dans le grand débat « est-ce que Zelda qui a conduit Scott à sa perte ou l’inverse ? » Car en effet, leurs vies sont sublimes et tragiques. On a peine à croire qu’elles ont réellement existé ailleurs que dans des livres et des films. La description des lieux, des décors, de l’ambiance est très bien réalisée : on s’y croit, on est dans ce monde qui a existé des décennies avant nous, on le touche du doigt.

Ce roman est captivant, de par son thème, ses personnages emblématiques mais aussi pour le rythme de la narration et le ton employé. Résumer deux vies en quelques centaines de pages n’est pas exercice facile, mais Therese Anne Fowler s’en sort avec brio : les moments racontés sont très bien choisis, agencés, la construction donnent de l’allant à ce texte et on tourne les pages sans s’en rendre compte, trop pris dans notre découverte de ces destins hors du commun.

Ce livre est à la fois divertissant et intelligent. J’ai vraiment été touché par les personnages, même si le traitement d’Hemingway n’est pas celui que j’attendais. J’ai adoré côtoyé Cocteau, Pound et autres stars de l’époque, j’ai adoré voyager dans ces manoirs, ces demeures, ces maisons coloniales, et j’ai été émue de voir la vie intime de ces deux êtres qui s’aimaient d’un amour un peu fou.

Une vraie réussite, une fiction rondement menée, je vous la conseille !

Therese Anne Fowler, Z, le roman de Zelda, traduction de l’anglais par Laure Joanin, aux éditions Pocket (15656), 8€40.

La petite communiste qui ne souriait jamais, de Lola Lafon

1976, JO de Montréal. Elle a quatorze ans, elle vient d’un pays qu’on ne sait pas situer sur une carte. Elle est là pour bouleverser les guerres, la gymnastique, les ordinateurs. Prestation terminée, elle regarde sa note : 1,00. Pourtant, elle a tout réalisé de façon parfaite. C’est là qu’elle voit le juge qui, tourné vers elle, dresse ses deux mains, les dix doigts levés et écartés. Ce n’est pas 1 sur 10, mais 10, la note maximale, la perfection encore jamais atteinte, une note qu’on ne croyait pas possible, à tel point que les ordinateurs n’étaient pas conçus pour l’afficher. Le monde entier la découvre et l’adule. Elle s’appelle Nadia Comaneci, on la surnomme la petite communiste qui ne souriait jamais.

Vous l’avez compris, je vais vous parler aujourd’hui du roman biographique de Lola Lafon qui a connu un joli petit succès il y a quelques semaines à sa sortie. J’ai eu l’occasion de le lire pour le Prix des Cinq Continents de la Francophonie, vu que ce livre en est candidat. Et disons que je ne m’attendais pas à lire ce genre de choses.

On explore la vie de cette gymnaste de ses débuts à son départ du pays, en passant par ses entraînements, sa relation avec son coach, les JO qui l’ont révélée, les compétitions suivantes, etc. Mais on ne s’arrête pas là puisque l’on découvre aussi sa famille, la réputation qu’a acquise très rapidement cette petite et sa vie sous la politique communiste. Cela est synonyme de galas et de discours pour le « Camarade » Ceausescu, de silence et de concentration extrême, de risques et de dangers à prendre pour être la meilleure. Comaneci est devenue une vraie icône, un modèle, au-delà de ce qu’on peut imaginer aujourd’hui. Elle avait une énorme pression sur les épaules, mais s’en rendait-elle compte ? Avec les années, la petite communiste change, et devient une femme, avec des formes : un descente aux enfers dans un corps qu’elle déteste, et pourtant elle reste sur les podiums.

Il est difficile d’être très claire, ce livre foisonne d’événements et de moments de vie : Nadia n’était pas juste une gymnaste douée, c’était une jeune fille mystérieuse, à la vie difficile. Elle a du faire des sacrifices, pourtant elle est contente de ce qu’elle a vécu.

Ce livre se divise en deux parties distinctes qui se succèdent presque à chaque chapitre. Il y a la narration, cette réalité réécrite, complétée s’il le faut par la fiction, et il y a ces passages en italique où l’auteure témoigne de sa relation avec Nadia Comaneci, relate certaines de leurs discussions par téléphone. On y découvre une femme complexe, fière de ce qu’elle a été, du chemin parcouru, mais toujours aussi secrète et humble.

J’ai été très partagée par ce livre. Après réflexion, je pense que j’ai aimé le sujet de ce roman : la vie très remplie d’une gymnaste fascinante dans un pays intrigant. Cette plongée dans le monde du sport (mais pas que) est vraiment bien réalisée et agréable à lire. J’ai beaucoup moins apprécier l’écriture de Lola Lafon, qui semble parfois artificielle. Certains passages ne me semblent pas assez travaillés. Il semblerait que là où elle se débrouille le mieux, c’est quand elle colle le plus à la réalité, quand elle revêt cet habit d’enquêtrice. Mais quand elle souhaite aller vers plus d’imaginaire, voire de poésie, c’est raté (j’ai en tête les toutes premières pages du livres où elle relate de façon absolument nébuleuse le premier 10 de Nadia.)

Cet avis n’est que le mien, mais c’est ainsi que j’ai ressenti les choses à la lecture de ce livre. Globalement, il est pourtant très intéressant et mérite qu’on y jette un coup d’oeil. Toutefois, aujourd’hui, c’est le personnage de Nadia que je retiens et non pas la plume de Lola.

Lola Lafon, La petite communiste qui ne souriait jamais, aux éditions Actes Sud, 21€.

EDIT : Désolée lecteur, j’ai mal fait mon boulot. J’ai complètement envoyé aux oubliettes l’avant-propos de ce roman, mon étourderie me perdra. En effet, comme me l’ont fait remarquer l’auteure sur Twitter et lilylit en commentaire, les échanges dont je fais mention dans ce billet, entre la narratrice et la gymnaste, sont fictifs. J’ai fait un peu trop vite l’amalgame entre narratrice et auteure, ça m’apprendra à ne pas faire attention. Mea culpa.

Bouquiner, d’Annie François

J’ai sur ma table de nuit un petit livre rouge. Oh, il ne cache rien de sulfureux, et ne renferme aucune secrète passion. À moins que… Dans Bouquiner, Annie François revient sur son rapport aux livres, en tant qu’objet ou en tant que lecture.

On traverse les chapitres et les thèmes avec allégresse, en s’exclamant « Ah, oui ! Je suis comme ça aussi ! » ou « Ah, non, je ne suis pas d’accord. » Lire au lit, lire à deux, lire dans le métro, respirer le livre, le caresser, l’emprunter, le prêter, l’acheter, le donner, l’offrir, l’admirer, le dédaigner, l’abîmer, l’abandonner, le choisir, le dévorer… Des attitudes de lecteur bibliophage universelles et qui font plus doux nos vies. Annie François est vraiment passionnée, amoureuse des romans, des essais, des librairies et des bibliothèques qui débordent, et je dois bien avouer que j’ai adoré me retrouver dans cette confession impudique.

C’est un petit livre qui se lit très vite. L’écriture de l’auteure est fluide et très belle, elle nous invite dans sa vie, dans sa famille, dans sa bande d’amis qu’on tutoie malgré cette première rencontre. C’est une immersion dans une vie de lectrice boulimique qui dépiaute la relation tenue avec l’objet imprimé. Elle préfère le doux chuintement des pages d’un roman que l’on tourne, au lieu du fracas retentissant des journaux que lit son mari. Elle connaît par cœur les odeurs de ses ouvrages préférés et éparpille ses livres sur les trois étages de sa maison. Elle déteste qu’on lise par dessus son épaule et choisit toujours à la dernière minute les romans à emmener en vacances.

Bouquiner est vraiment un petit plaisir si, comme Annie François et moi-même, vous êtes des fétichistes du livre imprimé.

« Tout fait musique dans le livre, pour peu qu’on ait l’oreille : le dos d’un volume cousu émet, quand on l’ouvre, d’imperceptibles pétillances, celui d’un vieux livre de poche un sinistre craquement qui amorce l’effeuillage ; le grain du papier feule et la couverture vibre sous les doigts de l’impatient. »

Annie François, Bouquiner, aux éditions Points (1045), 6€30.