J’ai d’abord été attirée par le couverture de ce roman, une peinture réalisée par Meredith Frampton, puis la quatrième de couverture me promettait une combat sourd et une tension extrême entre deux femmes que tout oppose : je me suis donc empressée de glisser ce livre dans ma PAL. Il s’agit de Chassés-croisés de Molly Keane.
Les deux femmes en question s’appellent Jane et Jessica. La première est blonde, plantureuse, naïve, chouineuse, et a connu quelques aventures peu recommandables dans le passé. Elle adore les cocktails et ne s’exprime que par quelques adjectifs : « Horrible ! », « Fantastique ! ». La seconde est brune, pas très subtile, mais surtout, elle est férocement possessive envers Jane, elle connaît son histoire et s’en sert comme une arme diabolique pour la retenir avec elle. Violente, elle considère son amie comme sa propriété, et ne la laisse pas libre de ses mouvements.
Par hasard, elles se retrouvent en Irlande, hébergées chez les cousines de leur ami écrivain Sylvester, observateur presque voyeur qui prend en pitié Jane. La maison dans laquelle elles sont accueillies appartient à deux sœurs : Hester, une femme gentille mais qui a perdu tout son argent lors de faillites, et Boudinette qui n’a d’yeux que pour sa voisine Joan. Joan justement est un être très doux en surface mais qui se révèle plutôt calculateur. Bref, une fresque de personnages très divers et qui n’est pas exhaustive.
La quatrième de couverture m’avait induite en erreur, mais le titre aurait du plus m’aiguiller. En effet, c’est un véritable enchevêtrement de personnalités que dessine Molly Keane. Jane et Jessica sont au cœur du roman, leur amitié jalouse va diriger beaucoup de leurs actions et de leurs réflexions, toutefois, certains autres personnages sont tout autant intéressants, par la force de leur névrose. Je pense notamment à Boudinette qui ne vit pas pour elle mais pour Joan, elle décortique toutes ses phrases, tous ses gestes, réfléchit à chacune de ses actions pour qu’elles aient toutes un effet positif sur son amitié factice avec sa voisine. Un cas psychologique bien intéressant et peut-être moins effrayant que l’agressivité de Jessica. J’ai beaucoup apprécié ce chaos de subjectivités trompées, biaisées, essayant de s’affirmer, ou au contraire de se cacher.
Malheureusement, je n’irais pas jusqu’à recommander les yeux fermés ce livre : ce qui m’a posé problème, c’est bien l’écriture. Même si elle se lit plus facilement au fur et à mesure des pages, il y a quelques chose de précieux, de petit, de cassant dans ce style qui m’a beaucoup étonnée. Il y a quelques maladresses (que l’on doit peut-être à la traduction et non à l’auteur, je l’ignore) qui rendent le propos incompréhensibles. De plus, la psychologie des personnages, même névrosés, est par moment trop obtuse, insensée, et pas assez expliquée. En aucuns cas cela vient appuyer la sensation de « chassés-croisés », au contraire, ce manque de clarification embrouille le lecteur qui, agacé, n’a qu’une envie : fermer ce livre. Je me suis même demandée si je n’allais pas arrêter ma lecture en cours de route, événement tellement rare qu’il mérite d’être souligné.
Toutefois, ces maladresses sont contrebalancées par le choix d’une narration omnisciente très judicieuse et agréable, et par quelques pages remarquablement écrites. On dirait que Molly Keane balance entre un travail superficiel et peu convaincant d’écriture, et des envolées de sa plume qui lui sont très profitables.
Pour conclure, je dirai que Chassés-croisés est à découvrir pour son traitement des différentes personnalités atypiques qui le composent, mais vous êtes avertis que l’écriture laisse parfois à désirer, son niveau étant inégal dans tout le livre.
Molly Keane, Chassés-croisés, traduit de l’anglais par François Werner, en poche 10/18 (3242), collection « domaine étranger », 7€40.