Elle s’appelait Sarah, de Tatiana de Rosnay

9782253157526-tVoilà, c’est officiel. Avec cet article vont se finir mes lectures communes 2016. Dans deux semaines, on fera le bilan de cette aventure, mais vous n’aurez qu’à attendre quelques jours pour avoir le programme des lectures communes 2017. En espérant que cela vous tente ! Ce mois-ci, c’est un roman très connu de Tatiana de Rosnay qui est à l’honneur : Elle s’appelait Sarah.

C’était une fillette, d’une dizaine d’année. Avec sa famille, ils vivaient à Paris. Petit à petit, les choses sont devenues étranges : on les a obligés à porter des étoiles jaunes sur la poitrine, sa mère ne pouvait faire ses courses qu’en fin de journée, on les regardait, les montrait du doigt. Et les rumeurs de la guerre qui envahissaient Paris… Mais un matin, tout changea. Sarah savait ses parents inquiets, elle comprit pourquoi. On toqua à leur porte. Des gendarmes français. Ils devaient partir. Direction le Vél d’Hiv. Nous sommes le 16 juillet 1942.

Soixante ans après, c’est pour faire un article dans le magazine où elle travaille que Julia Jarmond découvre l’histoire de la Rafle et des familles qu’elle a emportées. Elle est américaine, a épousé un Français et a vécu plus de la moitié de sa vie à Paris. Et c‘est par coïncidence que sa route va croiser celle de Sarah, la fillette juive. Elle découvre alors que sa famille, sa belle-famille plutôt, et cette enfant sont liées. La vie de Julia va changer à jamais : elle n’a de cesse de mener l’enquête, trouver la vérité en explorant les parts d’ombre de sa famille mais aussi celles de l’Histoire française, de l’Occupation.

Je me plantai devant la plaque, sans me soucier du trafic. Je pouvais presque voir Sarah arriver depuis la rue de Saintonge, ce petit matin étouffant de juillet, entre sa mère et son père, et les policiers. Oui, je voyais la scène. […] Le doux visage en forme de cœur était devant moi et j’y voyais l’incompréhension et la peur. Les cheveux lisses retenus par une queue-de-cheval, les yeux turquoises taillés en amande. Sarah Starzynski. Était-elle encore vivante ? Elle aurait soixante-dix ans aujourd’hui. Non, elle ne pouvait être encore de ce monde. Elle avait disparu de la surface de la terre, avec le autres enfants du Vél d’Hiv.

Très sincèrement, je misais énormément sur ce roman. J’apprécie beaucoup en effet les récits qui ont pour toile de fond ou même pour sujet principal la Seconde Guerre mondiale. J’avoue que j’ai été perplexe dès les premières pages de trouver une Américaine en héroïne. Mais pourquoi pas ? Cela sert les rebondissements de l’intrigue, mais je pense qu’un Français fouillant dans l’Histoire française aurait eu plus de poids… Qu’importe. J’ai, après tout, assez bien aimé ce personnage, touchant et sincère, elle aussi traversant une période difficile, qui résonne d’autant plus fort au fur et à mesure qu’elle découvre le destin de la petite Sarah.

On nous promet – soyons honnête – de l’enquête, et même du suspens. Et il n’est pas faux de dire qu’il y a des révélations, des retournements de situation. Mais je n’ai frémi à aucun moment. J’ai beaucoup apprécié redécouvrir l’histoire du Vél’ d’Hiv’, ce roman aide au travail de mémoire et c’est indispensable. Malheureusement, les personnages secondaires sont assez pauvres, mal travaillés. Mais le pire, c’est tout simplement l’intrigue. J’avais pratiquement tout deviné au bout d’une cinquantaine de pages. Autant dire que ça a enlevé beaucoup de charme à cette histoire. Un peu plus et je me serais ennuyée.

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Me voilà bien embêtée. D’un côté, j’ai trouvé ce roman remarquable sur des thèmes comme la culpabilité, le poids du secret, j’ai adoré les passages où l’on suit directement Sarah, j’ai aimé même le personnage de Julia Jarmond. De l’autre, je n’ai ressenti aucune grande émotion à la lecture de ce roman, trouvant que l’intrigue manquait cruellement de reliefs. Et la fin… Larmoyant, j’ai détesté au possible.

Je suis déçue, je dois l’avouer. On m’avait sûrement beaucoup trop vendu ce livre, mes attentes étaient trop hautes. Elle s’appelait Sarah n’est toutefois pas un mauvais livre. Il y a un vrai travail de documentation, la lecture est fluide, la narration bien maîtrisée malgré quelques sensibleries. Mais je ne suis pas parvenue à entrer dans le roman pour autant, je suis passée à côté de cette lecture.

Je lirai encore Tatiana de Rosnay car je sais d’expérience que sa plume arrive normalement à me faire vibrer. Et vous ?

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Tatiana de Rosnay, Elle s’appelait Sarah, Le Livre de Poche, 7€10.

Hangar n°7, de Paul Mainville

Il est toujours intéressant de voir ce qui se fait ailleurs, en terme d’édition, d’écriture, de publication. Quand j’ai eu l’occasion de lire un roman publié au Québec, je me suis donc empressée d’accepter sa lecture. C’est ainsi que Hangar n°7 de Paul Mainville a rejoint ma bibliothèque : un peu par hasard, un peu grâce à ma curiosité envers la Francophonie.

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Albert est trapéziste. Avec sa troupe, il va présenter son nouveau spectacle, l’occasion pour lui de revenir sur sa vie, sur les origines de ce nouveau numéro avec la jeune journaliste Mélaine. Pour connaître le début de tout ça, il faut remonter quelques décennies plus tôt, en 1980. Une guerre ethnique éclate entre deux pays d’Europe de l’Est, la Bordénie et l’Espora, qui se disputent un bout de terre. Des morts, de la violence, des prisons, de l’injustice, et au milieu une petite troupe de cirque faite prisonnière par l’ennemi. Parmi ces artistes, Albert et sa femme Anna, enceinte. Pour survivre dans le camp où ils sont enfermés, ils vont devoir jouer, faire des représentations pour leurs geôliers. L’art comme moyen de survivre.

L’histoire ne peut que nous rappeler les guerres ethniques d’Afrique mais aussi les camps de concentration nazis. Un joyeux mélange de douleur et de guerre. Et malgré les événements terribles que les personnages subissent, il y a une lueur d’espoir : le cirque. Une troupe unie, un art qui fait vivre. Ce livre est assez court et on comprend très vite que les enjeux sont plus grands qu’il n’y paraît, qu’il y a anguille sous roche, ce qui nous pousse d’autant plus à continuer notre lecture.

Il est vrai que le style de l’auteur paraît peu naturel par instant et qu’il y a quelques longueurs. De plus, certains éléments de l’intrigue paraissent inutiles ou mal amenés, comme un acteur surjouant son rôle. Bref, il manque un certain équilibre, un certain côté romanesque, une fluidité dans la narration. Toutefois cela est léger, et même s’il faut faire quelques efforts par moments pour suivre l’histoire, ce roman est globalement intéressant, intriguant et on prend plaisir à suivre l’évolution (parfois tragique) des personnages jusqu’au twist final.

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Ce ne sera pas pour moi la révélation de l’année, mais j’ai quand même apprécié cette lecture malgré quelques lourdeurs. J’ai surtout trouvé l’histoire originale : mêler guerre et cirque avec tel brio n’est pas donné à tout le monde. Je trouve tout de même que l’art n’a pas une place aussi importante dans ce livre que le voudrait l’auteur (comme il nous le dit en post-face). Les descriptions des spectacles sont même assez mauvaises ce qui est vraiment dommage.

Un avis global assez positif. Je dis oui à l’histoire et bof à la manière dont elle nous est racontée. A vous de juger à présent !

Paul Mainville, Hangar n°7, aux éditions Triptyque, 23$

Disponible en version numérique

Kinderzimmer, de Valentine Goby

Devant la flopée d’éloges et parce que ce livre se déroule pendant la Seconde Guerre mondiale (un contexte que j’apprécie dans la littérature), j’ai fait des pieds et des mains pour me procurer Kinderzimmer de Valentine Goby à la médiathèque. J’ai finalement réussi, non sans difficultés, en est ressortie une lecture éprouvante, mais dans le bon sens du terme.

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Kinderzimmer, la chambre des enfants. Une aberration, une étincelle de lumière dans la noirceur et la puanteur du camp de Ravensbrück.

Mila est une déportée politique française. Elle codait des partitions et aidait le résistance, ça lui vaudra le camp avec sa cousine Lisette. Là, elle découvre une autre monde, un autre langage, d’autres pratiques. Les autres femmes lui renvoient son reflet peu à peu famélique, malade, faible, crasseux. Ayant perdu sa mère très jeune, elle ne comprend pas vraiment la mécanique interne des femmes, mais elle sait une chose, dans son ventre, elle porte un enfant. Mais elle préfère l’ignorer, elle a la conviction que cela peut la conduire à sa perte, et de toute façon, s’attacher à un bébé dans ses conditions, ce n’est vraiment pas la peine. Alors les semaines, les mois passent. Il y a les privations, les blessures, les punitions, l’allemand qui claque aux oreilles, le fouet qui claque sur le dos des voleuses. Il y a la fumée du crématorium, le Waschraum débordant d’excréments, les paillasses minuscules, les querelles et l’amitié. La mort, des morts partout.

Un récit de la vie en camp de déportation, particulièrement fort, car nous sommes plongé dans la tête de Mila, et nous découvrons en même temps qu’elle le froid et les Block, le Revier et le Betrieb. C’est glaçant, c’est choquant, mais c’est aussi très beau à lire. Puis il y a ce moment, cette naissance qu’elle aurait voulu ignorer et la découverte qu’il y a un lieu pour les nourrissons, les bébés, les tout-petits. Maigrelets fils et filles de déportés. Une vie qui débute dans un lieu de mort : ça ne peut être qu’un signe d’espoir.

Vous l’aurez compris, c’est un livre fort, mais le plus surprenant est cette écriture, déroutante et obsédante, mélange de narration aux différentes personnes, d’un point de vue omniscient et interne. C’est un peu fou, mais on ne peut que l’être un peu avec l’épuisement causé par Ravensbrück. Ce roman, c’est aussi un mélange de langue, du français et de l’allemand bien sûr, mais aussi du polonais et d’autres encore, inconnues. En fait, ce qui a été éprouvant dans cette lecture, c’est que j’ai vraiment eu l’impression d’y être, pas en tant que spectatrice, mais en tant que déportée. Autant vous dire que ça fait froid dans le dos, mais il faut saluer le génie de la plume qui permet cela.

Toutefois deux bémols : le premier, c’est cette introduction qui n’introduit pas bien du tout. Je l’ai trouvé affreusement artificielle et vraiment dérangeante. Le roman commençant ainsi, j’ai vraiment eu peur pour la suite, heureusement, tout s’est très vite arrangée, et j’ai été comblée par cette écriture qui dit la réalité, qui la construit par touches et détails, une accumulation qui forme un univers dont on prend peu à peu conscience, en même temps que Mila. Deuxième mauvais point qui n’en ai pas forcément un, mais il me semble plus juste de repréciser : en réalité, contrairement à ce que le titre et la quatrième de couverture veulent nous le faire penser, le sujet de la Kinderzimmer ne constitue tout au plus qu’un cinquième du roman, le sujet des bébés, à peine plus. J’ai bien peur que ce soit là une petite astuce artificielle d’éditeur pour jouer sur la corde sensible et faire vendre un chouilla plus (et je dois avouer que ça marche, en tout cas avec moi). Mais je reprécise que cette description d’une vie au camp est vraiment saisissante et mérite toute entière d’être lue, et pas seulement les passages dans cette crèche de petit déportés.

Bref, une lecture que j’ai trouvé vraiment surprenante par la force de sa langue poétique, ses audaces de narration et ce talent inimitable à nous plonger dans ce monde. À découvrir.

Valentine Goby, Kinderzimmer, aux éditions Actes Sud, 20€.

Journal, d’Hélène Berr

« Les amitiés qui se sont nouées ici, cette années, seront empreintes d’une sincérité, d’une profondeur et d’une espèce de tendresse grave, que personne ne pourra jamais connaître. C’est un pacte secret, scellé dans la lutte et les épreuves. »

Des journaux intimes, des écrits autobiographiques témoignant d’une expérience de la Seconde Guerre mondiale, on en trouve déjà beaucoup. Souvent, cela nous raconte la vie de résistants, de déportés, de clandestins, de soldats voir même de collabos. Mais c’est surtout l’horreur qui est mise en scène, les moments les plus difficiles dans ce monde en guerre. Avec Hélène Berr, j’ai découvert l’autre versant : un Paris paralysé, un Paris qui plonge peu à peu dans la peur et ses habitants avec.

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Hélène Berr est une brillante jeune fille de 20 ans qui fait des études d’anglais. La guerre a commencé et elle décide de tenir un journal pour garder une trace de ses journées passées avec des amis de la famille ou à jouer de la musique classique. Mais elle y note également ses réflexions, très abouties et profondes pour certaines, plus triviales pour d’autres. Hélène est juive, les lois raciales la concernent donc en premier : le port de l’étoile jaune, l’exclusion des israélites des transports en communs, des commerces… Elle l’a vécu. Mais c’est quand son père est emprisonné que tout bascule et qu’elle prend peu à peu conscience de l’injustice de cette politique qui prend pour race ce qui n’est « qu’une » religion.

Hélène est surprenante : elle garde un sang froid extraordinaire et n’écrit pas ces quelques lignes pour se plaindre. Non, écrire lui sert d’exutoire : coucher sur le papier ses sentiments lui permet de mieux les comprendre. Surtout qu’en plus de la situation très instable de la France, Hélène doit faire face à des problèmes de cœur : elle réalise qu’elle s’est engagé avec un Gérard de plus en plus absent alors qu’elle vient de faire la rencontre d’un certain J., qui l’obsède tout doucement. Cela pourrait nous sembler anecdotique mais dans l’esprit de cette jeune fille, l’amour qu’elle ressent pour ses proches et ce garçon sont inséparables de sa façon d’appréhender sa vie.

Hélène redoute l’avenir mais refuse de vivre dans la peur : pour cela, elle se souvient de ces journées dans la campagne d’Aubergenville, elle se souvient de son bonheur d’étudier à la Sorbonne. Et elle s’occupe : bénévole dans une bibliothèque, elle prend soin également d’enfants juifs qui n’ont plus de famille (parents déportés par exemple), et Dieu sait comme il y en a ! Elle n’est pas sourde aux rumeurs : les rafles, le Vél d’Hiv, etc. Mais il faut garder courage et la tête sur les épaules.

 

Le plus surprenant, c’ets cette écriture, qui fait preuve d’une réelle maturité dans les idées et dans les formes. Bien sûr, c’est un journal à l’origine privée : certains billets n’ont pas réellement d’intérêt pour nous, on se trouve un peu perdu à travers cette myriade de personnages que nous ne connaissons pas. Il y a quelques facilités de langue, quelques répétitions, mais sincèrement, on pardonne tout cela à Hélène, car on est déjà assez intimidé de rentrer ainsi dans la vie de cette jeune femme qui jusqu’au bout a eu fois en la justice. En effet, malgré les mises en garde et les dangers, la famille Berr n’a pas fui, jusqu’au bout elle est resté à Paris, échappant aux rafles avec une chance insolente. Jusqu’au jour où… le malheur a rattrapé Hélène et ses proches. De ça, on n’en saura pas grand chose, juste une lettre de l’auteure pour sa sœur, écrite le jour de l’arrestation. C’est encore un plus grand déchirement de se séparer d’Hélène, de finir cette lecture quand on sait qu’elle périra dans les camps peu de temps avant leur libération.

C’est une personne pleine de vie, très studieuse : son journal est ponctuée de mots anglais et de références littéraires très agréables. C’est vrai, on ne comprend pas tout parfois, certaines références nous manquent : Hélène a gardé son jardin secret. Pendant des mois, elle admirait la beauté de la capitale, la joie des enfants, mais au fond d’elle-même, elle savait que derrière certains de ces murs la barbarie humaine était à l’œuvre. Au fur et à mesure de l’avancée nazie, la jeune fille ne pouvait se retenir de haïr ces hommes, ces automates qui détruisaient le beau et la paix. Mais tout haut, elle ne pouvait rien dire : c’est à son journal qu’elle dénonçait cela, qu’elle se confiait.

J’ai vécu un moment fort et touchant en partageant la vie et les pensées intimes d’Hélène Berr. Son Journal est une œuvre très belle, empreinte de désespoir mais aussi de vie. Plus que jamais après cela, on se dit que de telles abominations ne doivent surtout pas revoir le jour.

Hélène Berr, Journal, édition Tallandier, 20€.