Je peux très bien me passer de toi, de Marie Vareille

Je dois vous avouer que je ne comprends pas vraiment ce titre… Heureusement que je me suis laissée tenter avec la quatrième de couverture de ce petit roman très agréable. Aujourd’hui, on parle de Je peux très bien me passer de toi de Marie Vareille.

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Chloé est une vraie Parisienne, et elle est éperdument amoureuse de son ex Guillaume qui doit se marier bientôt… En attendant, elle enchaîne les histoires d’un soir. Son amie Constance, au contraire, vit dans le No Sex Land depuis bien trop longtemps et passe son temps à lire Jane Austen. Toutes deux vont conclure un pacte : Chloé va aller se perdre dans un petit village entre les vignes, avec interdiction d’approcher un homme et obligation de commencer à écrire ce roman dont elle rêve depuis longtemps. Constance à l’inverse doit essayer de draguer quelqu’un pour coucher avec le premier venu, et pour l’aider, un peu par hasard, elle va tenter les cours de séduction.

photo-vignobleCe duo improbable est en réalité un très belle amitié. J’ai beaucoup aimé leur relation, mais aussi les autres liens d’amitié présents de ce livre. Les personnages secondaires sont très attachants, bien que certains semblent plus là pour faire avancer l’histoire, pour servir d’outils et sont donc plus artificiels. Constance est une femme naïve et pleine de vie, on la découvre à travers les pages de son irréaliste journal intime, bien trop complet et précis pour être crédible. Elle m’a fait rire et c’est l’archétype même de la bonne copine : un peu plus de profondeur aurait sûrement été la bienvenue, j’ai trouvé ses aventures assez limitées. Il y a un petit côté la femme met des robes et des talons, elle boit du vin et doit draguer, sortir avec des mecs. Ça ne sera pas l’œuvre du siècle ce roman, c’est certain…

Mais je trouve que Chloé, bien que cliché et un peu nunuche par moment, redresse la barre. Même si elle se met dans des situations dignes d’un téléfilm français un dimanche de vacances, elle a plus de vie, elle fait des rencontres plus intéressantes. J’ai adoré le décor où elle a passé plusieurs mois : un petit village, de belles bâtisses un peu croulantes, des vignes de partout. Je viens d’une campagne qui y ressemble, donc ça m’a parlé.

C’est un petit roman qui n’est pas tout à fait une romance, mais dont les relations amoureuses sont le prétexte à tout. J’ai trouvé un peu dommage cette obligation d’en passer par là. On peut être célibataire et ne pas avoir que ça comme problème, ou ne pas considérer ça comme un problème. Mais les personnages restent attachants, l’histoire est mignonne même si un peu convenue. Le rythme est bon, le ton est assez drôle, les pages se tournent vite. L’intrigue n’est pas renversante mais rafraîchissante. Vous passerez avec ce roman un bon moment de lecture plaisir je pense.

Marie Vareille, Je peux très bien me passer de toi, aux éditions Charleston, 9€90.

Le Château de ma mère, de Marcel Pagnol

mincouv72044493L’année dernière, j’avais découvert Marcel Pagnol, et j’avais alors décidé d’attendre l’été suivant pour continuer l’aventure avec Le Château de ma mère, encore un récit qui fleure bon les vacances dans les hautes herbes. On continue d’accompagner Marcel, nous contant son enfance – ce livre-là étant la suite directe de La Gloire de mon père.

gloire_de_mon_pere_chateau_de_ma_mere_2Plus que jamais, l’enfant a trouvé sa place dans la petite maison de vacances où la famille a ses habitudes. Les adultes chassent, Marcel les assistent, jusqu’au jour où il fait la connaissance de Lili, un garçonnet du coin spécialisé dans les pièges. Avec lui, une fidèle amitié se noue, qui va égayer les grandes vacances d’été. Et puis toutes les autres. Après nous avoir parlé de l’amour filiale, de la tendresse familiale, Marcel nous parle d’autres plaisirs et bonheurs d’un petit garçon : battre la campagne avec un copain, loin des adultes, faire des plans sur la comète sans penser aux lendemains, à l’école qui va reprendre. C’est d’ailleurs un déchirement pour Marcel de voir la rentrée prochaine arriver : il fera tout pour repousser la date fatidique mais difficile d’y échapper avec un père instituteur.

Mais une heureuse rencontre va donner à son père une clé, et quelle clé ! Celle-ci ouvre tous les portails le long du canal, abrégeant le grand voyage à pied pour rejoindre la maison de vacances. Ainsi la famille peut même venir les week-ends grâce à ce coup de main, un peu illégal, qui leur fait gagner beaucoup de temps. Mais cela veut aussi dire traverser des domaines privés, des châteaux abandonnés, des terres de paysans, propices aux rencontres… et aux frayeurs ! Gare au terrible gardien et son effrayant chienc475edeb9cbb6986fff2bc84516477b3 !

Cette famille est vraiment touchante et on en vient presque à envier Marcel pour avoir grandi dans un tel foyer. Dans sa rencontre avec Lili, on ne peut que se retrouver : les copains de vacances avec qui on découvrait un nouveau territoire, les amis de l’école primaire avec qui on passait les longs après-midi d’étés… ça rappelle des souvenirs ! L’amitié est quelque chose d’intemporelle qui continue de nous parler aujourd’hui, bien que le livre ait soixante ans. Comme dans La Gloire de mon père, j’ai eu beaucoup de joie à retrouver la langue simple et délicieuse de Marcel Pagnol qui nous entraîne avec énergie et sincérité dans ses aventures d’enfant. Il arrive à nous passionner pour ces choses qui comptaient plus que tout aux yeux d’un jeune garçon, même si cela peut sembler bête à l’adulte qu’on est aujourd’hui. C’est fou comme on peut se faire un monde pour des babioles ! Quelle imagination on a à cet âge ! J’ai tellement aimé retourné en enfance, retrouver la fraîcheur de la première amitié, l’amertume de voir les vacances se finir… Et bien sûr, la description de cette nature en perpétuel renouvellement, que nous avons le bonheur de découvrir cette fois-ci selon plusieurs saisons. Moi qui habite Toulouse, j’ai tellement reconnu cette description du canal… J’avais l’impression d’y être, dans ce petit chemin discret qui longe le cours d’eau, tout en côtoyant ces demeures tranquilles, impressionnantes… dans un petit goût d’aventure.

Canal de Provence, Gardanne, Bouches-du-Rhone (13), France

[…] Dans mon pays de Provence, la pinède et l’oliveraie ne jaunissent que pour mourir, et les premières pluies de septembre, qui lavent à neuf le vert des ramures, ressuscitent le mois d’avril. Sur les plateaux de la garrigue, le thym, le romarin, le cade et le kermès gardent leurs feuilles éternelles autour de l’aspic toujours bleu, et c’est en silence au fond des vallons, que l’automne furtif se glisse : il profite d’une pluie nocturne pour jaunir la petite vigne, ou quatre pêchers que l’on croit malades, et pour mieux cacher sa venue il fait rougir les naïves arbouses qui l’ont toujours pris pour le printemps. C’est ainsi que les jours des vacances, toujours semblables à eux-mêmes, ne faisaient pas avancer le temps, et l’été déjà mort n’avait pas une ride.

Je me rends compte que cette chronique n’est absolument pas construite, et très franchement, ce n’est pas grave, car je ne pourrais guère faire mieux. Le Château de ma mère, ça touche aux émotions, à ces tiraillements, ces joies qu’abritent nos cœurs. Je l’ai préféré à son prédécesseur car le sujet de l’amitié me parle tout simplement plus que celui de la chasse, mais l’écriture est toujours aussi bonne. Je suis donc ravie que, contrairement à son plan initial, Marcel Pagnol ne se soit pas arrêté là et ait continué à écrire sa vie. Très hâte à présent de lire Le Temps des secrets.

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Marcel Pagnol, Le Château de ma mère, aux éditions Fortuno, 5€70.

L’arbre à songes, d’Aurelia Jane Lee

Petit détour par la Belgique aujourd’hui avec les éditions Luce Wilquin, une lecture réalisée dans le cadre du Prix des Cinq Continents. Le roman d’aujourd’hui est d’Aurelia Jane Lee (j’aime ce nom de plume !) et s’intitule L’arbre à songes.

 

 

L’histoire se déroule dans un monde un peu à part, un monde d’herbes folles et de terre séchés, de peau griffée par les ronces, et de secrets. Dans ce monde, au fond d’un terrain façonné puis abandonné par la main de l’homme, il y a un couple que tout le monde sait mais que personne ne connaît, un couple qui constitue le sujet principal des rumeurs dans le village voisin. D’abord, il y a Abel, un écrivain qui se réfugie dans son art et dans la solitude. La chose qu’il aime le plus au monde, c’est sa femme, sa douce Sauvanne. Un amour proche de la folie, fusionnel et nécessaire.

Sur leur domaine, il y a un arbre rouge, un hêtre, qui reste debout malgré les ans, c’est l’arbre à songe, la songeraie. Thomas, un voisin, y passe son temps : il observe les insectes, gratte la boue, construit des cabanes et court dans les chardons. Un clandestin qui entre par les brèches de la clôture et se réfugie ici : il n’est pas comme les autres, il ne vit pas comme les autres. Il y a aussi Madelon qui passe tous ses étés dans ce microcosme à part, immersion dans la nature mais aussi dans des lectures, qu’elle choisit avec raison et sérieux.

Au fil des pages passent les saisons, les adolescents grandissent, s’épanouissent, évoluent. Ils en viendront à croiser Abel et Sauvanne. L’amour est au centre du livre, même s’il est remis en question, malmené par le passé et les vérités douloureuses qui réapparaissent quand l’absence de l’être adoré pèse.

 

Aurelia Jane Lee n’en est pas à son coup d’essai : avant L’arbre à songe, elle a publié deux recueils de nouvelles et trois romans. Son écriture n’est pas balbutiante, on sent une maîtrise de son style, tout en douceur et en évocation. Ce livre est notamment composé de descriptions sans aucune lourdeur : au contraire cela permet de créer une atmosphère à part. A travers différents points de vue narratifs, on découvre les personnages par des éclairages divers, ce qui brise une monotonie qui pourrait s’installer facilement.

L’auteure aborde avec sensibilité les émotions et le ruissellement douloureux des secrets et des profondeurs du passé qui font surface, profitant des rencontres et de l’éloignement propices au questionnement.

Toutefois, bien que très agréable, on peut reprocher à l’auteure de ne pas oser aller au fond des choses. C’est très beau et poétique, léger et à cœur ouvert, toutefois le lecteur est frustré de ne pas en savoir plus. Déjà que les contours de cet univers sont flous, ne faire que suggérer les relations et les événements forts qu’il y a entre eux, ne dire qu’à demi-mot est vraiment agaçant. Une bonne fois pour toute, on souhaiterait lire un « il a envie d’elle » par exemple, on lirait ça avec un soupir de soulagement. Il y a une tension dans la lecture qui parfois énerve, parfois emporte. C’est à double tranchant : entre la beauté des mots et la clarté de la communication.

De même, je regrette le manque d’intrigue. Il y a au fil des pages de nombreux instants, voire quelques péripéties, qui mériteraient qu’on s’y attarde, mais rien n’a été exploité, ce qui peut laisser un arrière-goût amer et une impression de gâchis. A quelques reprises, je me suis sentie abandonnée par l’auteure qui continuait sa route au fil de saisons fictives, en me laissant traîner sur des bordures romanesques où j’aurais voulu me perdre.

 

Pour résumer, ce roman m’a laissé une drôle d’impression : j’ai été subjuguée par l’aura des personnages et du domaine de l’arbre à songes, mais je regrette l’intrigue maigrelette qui aurait pu être plus recherchée, surtout que les moyens stylistiques et narratifs sont là.

 

Aurelia Jane Lee, L’arbre à songes, aux éditions Luce Wilquin, 12€.

Si tu passes la rivière, de Geneviève Damas

Tout d’abord, bonne année 2014 à tous, tous mes vœux de bonheur et de trouvailles littéraires ! Vous avez été nombreux à venir et à revenir sur le blog l’année passée, merci de tout cœur !

Un peu de littérature belge aujourd’hui pour le premier article de cette nouvelle année, ce n’est pas souvent que ce blog en accueille. L’auteure du jour s’appelle Geneviève Damas, elle travaille surtout dans le monde du théâtre. Avec Si tu passes la rivière sorti en 2011, elle a signé son premier roman.

C’est l’histoire d’une campagne, d’un village et d’une ferme. Dans cette ferme, il y a le père et les garçons. Avant il y avait Maryse la fille mais elle est partie, elle est passée de l’autre côté rivière, là où il y a des murs noirs et des cendres. On ne l’a plus revue. Tout ça, c’est François qui nous le raconte. A la ferme, il s’occupe souvent des cochons, puis du marché. On le croirait simplet, mais au fond, ça bouillonne dans sa petite tête. Il a bien compris que tout le monde avait une maman, alors où était passé la sienne ? Est-elle elle aussi passée de l’autre côté de ce court d’eau si mystérieux juste après la naissance du garçon ? François a toujours cru qu’elle était morte mais impossible d’aborder le sujet avec le père. Sa seule solution est de lire les pierres tombales du cimetière pour en trouver une au nom de Sorrente – son nom. Mais pour ça, il faut être allé à l’école… Alors François va se rapprocher du prêtre chez qui il a piqué une livre avec une femme blonde et un enfant dedans. Il veut connaître leur histoire, il veut savoir l’alphabet, il veut découvrir qui était sa mère. C’est une quête de la vérité, un peu boiteuse, mais très touchante.

J’ai adoré ce livre. Les premières pages, on se dit « Oh la ! C’est quoi ce truc trop mal écrit ? » Puis on comprend, c’est François qui parle : avec ses mains de paysan bouseux, il décrit ce qu’il voit, ce qu’il pense, ce qu’il ressent, les méandres de son histoire. Et même si les formes n’y sont pas, ce qu’il a dans la caboche ce petit, ce n’est pas rien. On se prend vite d’affection pour ce personnage sous le joug de l’omerta familial. On ne juge pas son amitié pour sa copine truie, Hyménée. On ne juge pas ses gestes un peu brusques, ses relations sociales si cabossées. Non, on l’aime juste car il est sincère, il est bon, il veut aller de l’avant. La découverte de l’alphabet, il le comprend lui-même, c’est un changement décisif. Il commence à se prendre en main. L’évolution du personnage est très belle, et sa langue le devient avec lui.

L’univers de ce roman, ce sont des secrets, de la solitude qui ne demandent qu’à être brisés, des habitudes qui doivent être chamboulées. On grandit avec François et comme lui on crève d’envie d’en savoir plus sur ce passé, cette naissance, cette rivière. Le style employé dans ce livre est un prouesse, c’est tout à fait remarquable, osé, inoubliable. Je n’ai pas de mots pour exprimer cette découverte. Sincèrement, n’hésitez pas, foncez, allez lire ce petit roman, qui est une vraie pépite !

Geneviève Damas, Si tu passes la rivière, aux éditions Luce Wilquin, 13€00.

Miette, de Pierre Bergounioux

mietteMiette est le douzième livre (je n’ose pas dire « roman ») de Pierre Bergounioux, écrivain né en 1949. Cet ouvrage fait partie intégrante de son oeuvre littéraire où l’auteur n’a de cesse de réfléchir sur la temporalité de nos vies ; il traite également d’une mémoire rurale que les personnages seront les derniers de leur espèce à porter. Il s’inscrit dans le petit cycle de chroniques sur les livres « de la terre » que je met en place sur ce blog, et dans ce cadre il est précédé par l’article sur le roman de Jean-Loup Trassard, La Déménagerie, avec lequel il n’a rien à voir, si ce n’est le monde agricole. Dans le livre de Trassard, on voit une vie de paysan à l’oeuvre, qui avance, tandis que chez Bergounioux l’existence est mise sur pause et l’on revient en arrière pour exposer l’histoire de vie de quelques hommes et femmes hors du temps.

Mais ce n’est pas pour autant qu’une longue description que nous sert ici l’auteur, non : c’est une exploration dans un univers qui n’existe plus. Tout commence au début du XXe siècle, siècle marqué par les quelques spasmes de la guerre, siècle qui marquera la fin de la vie telle qu’on le connaît dans le Limousin, en Corrèze. On suit sur deux générations ce mode de faire et de pensée qui sera peu à peu remplacer par d’autres. Miette est le diminutif pas vraiment diminué de Marie une femme marié avec un homme qu’elle refuse, une femme qui s’efface en tant qu’épouse mais resurgit en tant que veuve et maîtresse des lieux, de la ferme, du bétail, des champs et du vent de la vallée. Quatre enfants, Baptiste, l’homme des bois à la personnalité double, Lucie la brue traditionnelle de la campagne, Octavie l’intellectuelle célibataire que le savoir va faire voyager, Adrien, le dernier de tous, parti quarante ans pour finalement revenir à ses racines. A travers les différents chemins qu’ont emprunté ces personnages on tisse la toile d’une vie séculaire qui n’a plus lieu aujourd’hui. Avec la fin du siècle vient la fin d’une époque qui a marqué pendant trois mille ans la marche à suivre.

« Ce qui serait bien, c’est que nos jours, d’eux-mêmes, se rangent derrière nous, s’assagissent, s’estompent ainsi qu’un paysage traversé. On serait à l’heure toujours neuve qu’il est. On vivrait indéfiniment. Mais ce n’est pas pour ça que nous sommes faits. La preuve, c’est que l’avancée se complique des heures, des jours en nombre croissant qui nous restent présents, pesants, mémorables à proportion de ce qu’ils nous ont enlevé. Ils doivent finir, j’imagine, par nous accaparer. Quand cela se produit, qu’on est devenu tout entier du passé, notre terme est venu. On va s’en aller. »

C’est le premier livre de Bergounioux que je lis et je ne dois pas vous cacher que j’ai eu du mal à rentrer dans l’histoire car il n’y a pas vraiment d’histoire. La fin proche du dernier membre de cette famille et deux photographies d’une Miette différente sont les points de départs d’une transcription pas du tout objective de ce passé, mais l’auteur ne fait pas pour autant preuve d’un passéisme larmoyant à la mode « c’était mieux avant ». Il constate seulement le travail du temps à l’oeuvre et les changements qui en découle. On a parfois du mal à savoir qui est cette voix narratrice, qui parle : l’auteur, un narrateur extérieur, un personnage ? Cette impression de flou est augmenté par de longues phrases par forcément claires entre réflexion et description. Il faut du temps au lecteur pour situer qui est qui. Mais à la fin de l’ouvrage tout est clair : c’est un puzzle qui se construit au fil des pages, l’auteur pratiquant des allers-retours temporels incessants mais suivant toujours un fil rouge auquel il revient régulièrement, celui de la chronologie.

C’est un livre vraiment à part, qui sort des sentiers battus. Je n’ai jamais eu à lire une écriture si personnelle, on sent que le temps qui a bouleversé la vie rurale en pratique depuis le fond des âges est un sujet qui touche particulièrement l’auteur. Il nous en donne un exemple flagrant et sensible : une famille pas comme les autres qui, bien plantée sur ces deux pieds en terre limousine, sera quand même doucement victimes du ravage du temps qui passe. A découvrir.

La Déménagerie, de Jean-Loup Trassard

Jean-Loup Trassard aime la campagne. On s’en doutait au vu de son oeuvre, au vu de ses magnifiques photographies publiées chez Le Temps qu’il fait. Avec La Déménagerie, c’est une exploration en plein monde rural que nous offre l’auteur, un vrai voyage qui me ramène à mes origines de petite provinciale.

la-demenagerie-jean-loup-trassard-9782070336395L’histoire commence avant la deuxième guerre mondiale. Il faut savoir qu’en ce temps-là, les fermiers n’étaient pas propriétaires de leur domaine. Victor et Marguerite font partie de ce cas et avec leur sept enfants, ils commencent par être assez à l’étroit à la Hougerie, alors quand le possesseur des terres décide de vendre deux champs, ils prennent leur décision : ils allaient déménager. Et c’est un changement total qu’ils opèrent : de quelques hectares, ils passent à cinquante, une ferme comme il n’en existe pas en Mayenne. Oui, parce qu’en plus, ils ont changé de département en passant à la Sarthe voisine. Cent dix kilomètres, c’est une aventure à cette époque !
L’histoire nous ait raconté par le petit Rouvier, une dizaine d’années. Son père est un ami de famille qui va les aider au déménagement. Mais juste avant le grand jour, il se blesse à la cheville, ce qui le décide à emmener son fils avec lui. Une aubaine pour le gamin qui frissonne et se réjouit d’avance de ce périple. A travers ses yeux, on observe les préparatifs minutieux, on apprend à connaître chaque bête et son caractère, on touche chaque outils de la ferme. On vit au rythme de la météo, on éternue à cause de la poussière du foin, on crie au chien de se taire. A cette époque, point de tracteurs, il fallait tout acheminer en chârte, des charettes tirées par des juments. C’est un convoi plutôt inhabituel : les fermiers ne se déplacent en général que de quelques kilomètres quand ils leur arrivent de changer de domaine. Mais ce n’est pas tout ! Il est impossible de conduire les bêtes par les routes : c’est le train qui va prendre le relais, Victor se chargeant d’accompagner les bêtes au cours d’un voyage bien bruyant !

A la fois inédite et excitante, cette « déménagerie » est organisée avec calme, car au bout, des champs à perte de vue dont Victor sera la maître, une bonne terre qui les satisfera. Une nouvelle vie dans une immense ferme, assez grande maintenant pour que tout le monde ait de la place. Une sorte de ruée vers l’Ouest, dont les Fourboué seraient les pionniers.
Avec des mots simples et d’origine, Jean-Loup Trassard parcoure la vie de ces fermiers honnêtes et travailleurs, où l’amour de la campagne est innée. L’écriture a le don de nous emporter avec elle dans ses descriptions, sans jamais être ennuyeuse. Elle fait revivre une époque où les valeurs et les caractères étaient différents, où le bruit des sabots et du lait pissant du pie directement dans le « siaux » était courant.
Si jamais vous souhaitez revenir « aux racines », si les bruits de la ville vous agacent et qu’un petit voyage ne vous ferait pas de mal, n’hésitez pas à lire La Déménagerie, une petite pépite de la littérature rurale, dont je vous parlerais encore dans ce blog. Et ne vous fiez surtout pas à la quatrième de couverture de l’édition Folio qui est horriblement mal écrite et donne une mauvaise image de ce livre pourtant magnifique.

« Sur la Mézangerie, dès qu’il a commencé à se sentir installé, malgré la guerre, les restrictions, les prisonniers de Saint-Baudelle (ça, il le savait), les Allemands dans la ville, Victor s’est remis à chanter au labour, d’une façon naturelle, il n’avait aucunement oublié son répertoire et les couplets venaient tout seuls tandis qu’il marchait le long de l’attelée. Le soc grognait contre la terre, les chaînes – toujours nommées chapelets – cliquetaient, tous les pas des juments dans la raie faisaient un froissement continu, sur cette musique sourde Victor aimait chanter, peut-être pas pour exprimer de la joie, non, mais pour s’accorder au travail qui s’accomplissait bien, ou même pour éloigner l’ennui. »

 

En passant, je profite de cet article pour vous remercier, de tout mon coeur, de vos visites sur mon blog, toujours plus nombreuses chaque jour. Je remercie également mes followers sur Twitter (@lacritiquante), les meilleurs de toute la plateforme qui gazouille ! N’hésitez pas une seule seconde à laisser un commentaire ou à me contacter pour me dire ce que vous pensez du blog en général ou d’un article en particulier, ce n’est que comme ça que je peux progresser, évoluer, pour vous satisfaire pleinement ! Encore merci à vous !

Poète et paysan, de Jean-Louis Fournier

« Quand on est amoureux, on devient un peu fou, et comme je l’étais déjà un peu avant, j’étais capable de tout. »


Que diriez-vous d’une petite ballade à la campagne ? On arrête pas d’entendre en ce moment que « L’Amour est dans le pré ». Est-ce vrai ? C’est un peu la question que se pose notre narrateur. Dans Poète et paysan, l’auteur, Jean-Louis Fournier évoque le retour à la terre.
En effet, son héros, bel étudiant parisien, s’est épris d’une jeune fille. Pour faire partie intégrante de sa vie, il va même jusqu’à rejoindre son beau-père dans la ferme familiale, perdue au milieu du Pas-de-Calais. Très vite, le désespoir le guette : il pue, il s’ennuie, il est fatigué et il n’est même pas bon fermier. Son seul ami est une génisse et son seul réconfort est d’écrire dans ses moments de doutes. Car il a toujours voulu être artiste, dans le monde du cinéma ou de la poésie. C’est ce qu’il est, au plus profond de lui. Notre narrateur est un doux rêveur. En partant à la campagne, il s’imaginait comme dans ces peintures pittoresques, labourant les champs avec son fidèle cheval de trait, fier er heureux d’être au grand air. Au lieu de ça, il est enfermé dans un tracteur fumant ou dans une étable dégoulinante de purin. Et ça ne fait plus vraiment carte postale. Alors il note, ce qu’il fait, ce qu’il pense, ce qu’il voit ; son imagination déverse des mots sur les betteraves ou les canards. On hésite, c’est si beau mais teintée d’une forme de tristesse…
« J’en ai marre. Qu’est-ce que je fais sous ce ciel gonflé d’eau, qui me pèse de plus en plus et s’égoutte dans mon cou comme une serpillière ? Moi qui rêvais d’être Fellini, moi qui regardais le monde à travers un viseur de caméra, moi qui passais mon temps à la Cinémathèque devant les films russes, moi qui dissertais sur la négativité de la mise en scène chez Fritz Lang. Pourquoi je suis là ? Aujourd’hui, le metteur en scène a une fourche dans les mains, il essaie de ramasser des betteraves. Je ne suis pas là provisoirement, en vacances chez un parent cultivateur. C’est pire, je suis là pour longtemps. Peut-être pour toujours. »
Passée la douce illusion des débuts, le héros pense amèrement à ce choix qu’il a fait, par amour. Par amour, il a oublié sa vie de jeune parisien, il a enfilé des bottes et s’est roulé dans la boue, dans l’optimiste volonté de reprendre la ferme. Et pour quoi ? Sa fiancée, elle, continue ses études à la capitale, ne le voit que quelques weekend. Ce livre traite de toutes les bêtises, les choses insensées ou contradictoires que nous sommes capables de faire par amour. Un amour peu présent dans ce roman pourtant. Non, la chose omniprésente est la terre, ce qu’elle nous offre mais surtout ce qu’elle nous demande en retour : du travail, de la fatigue, de la patience, de la volonté. Et le narrateur ne saisit même pas les bénéfices de tout ça : la betterave est moche et ce n’est pas lui qui en mangera, la boue lui arrache ses chaussures à chaque pas, jamais un rayon de soleil dans ce pays du Nord, aucun beau paysage qui vaut le coup du déplacement… On comprend son désarroi pour quelqu’un qui vient de la ville, là où tout brille, toute est propre, bon et beau.
Heureusement, Fournier ne se perd pas dans cette dichotomie campagne/ville car toutes les deux ont leurs avantages, leurs inconvénients. Non, son héros n’est juste « pas fait pour ça », et même avec tout l’amour du monde, on ne peut pas changer ce point, ce qu’on est, ce qu’on vit. Il faut se rendre à l’évidence et accepter.
De façon plus terre à terre (ahah), le livre est divisé en de multiples courtes parties, chacune étant une pensée du narrateur. Elles se suivent chronologiquement et l’histoire amoureuse y apparaît en filigrane. L’écriture de Fournier (auteur splendide que je vous recommande chaudement) est sensible et très poétique. Et ça tombe plutôt bien vu le titre du bouquin ! Il n’y a aucune précipation ni lenteur dans le style, le rythme est parfait, les descriptions sont intéressantes, les comparaisons sont belles. C’est un ouvrage court mais ressourçant malgré sa fin. Tendresse et rusticité y sont mêlées avec brio ; croyez-moi, après lecture, vous voudrez faire une sieste dans la paille.