Les femmes du braconnier, de Claude Pujade-Renaud

Le 28 novembre, mon master organise une rencontre avec Claude Pujade-Renaud (14h à la librairie Études de l’université Toulouse-II Le Mirail si ça vous intéresse). C’est une auteur que j’avais déjà lu avec La nuit la neige, roman que j’avais beaucoup apprécié. Aujourd’hui, je vous fait découvrir un autre livre de cette auteur, Les Femmes du braconnier. Pourquoi celui là ? Eh bien surtout à cause d’un de ces personnages principaux : Sylvia Plath, une poète que je voulais connaître un peu, et ça depuis une éternité.

Toutefois, ce roman n’est pas celui d’une femme auteure un peu trop dépressive et émotive, mais de celui qui fut son mari Ted Hughes. Ces deux-là se rencontrent en 1956 à Cambridge, une première rencontre sous le signe de la morsure d’où va naître une histoire sauvage, passionnée. Ted est lui aussi un poète, avec pour thème de prédilection l’animalité, l’instinct, un bestiaire qui a quelque chose de malsain, qui a une odeur de mort. C’est le braconnier.

Ensemble, ils formeront un foyer, ils s’émuleront pour s’inspirer mutuellement et écrire, créer à deux. Ils auront un enfant, achèteront une maison, mais tout ça ne va pas durer. Sylvia replonge peu à peu dans une mélancolie trop sombre alors que Ted s’est découvert d’autres passions, dans la personne d’Assia Wevill. L’amour vous joue des tours, ces trois personnages, tous les trois auteurs, vont l’expérimenter. Les sentiments se font et défont malgré leur puissance, leur séduction. Des relations qui semblent si vivantes peuvent conduire à la mort.

Il faut le dire : ce n’est pas un roman très joyeux. Le destin de Sylvia, Ted et Assia, n’a pas été idéal, c’est un fait. Est-ce que c’est cet homme, ce chasseur, ce braconnier qui en a trop voulu et a changé à jamais le cours de la vie de ces deux femmes ? Est-ce le lot des poètes de ne pas finir bien ? Ou est-ce ce climat d’une moitié de siècle peu épanouissante ? Le hasard peut-être ? Personne ne le sait. Mais on peut essayer de le percevoir.

C’est ce à quoi s’essaie Claude Pujade-Renaud. En donnant la parole à tour de rôle à ses différents personnages, les trois principaux comme d’autres plus extérieurs, elle tente de recréer cet univers, ce contexte, de retranscrire les sentiments sûrement contradictoires qui les ont envahi. Une écriture somptueuse, avec des ardeurs et des prouesses narratives surprenantes et captivantes qui ne font que nous plonger un peu plus dans la vie du braconnier, cet homme obscur et séduisant, homme de la nature, force de la terre, qui écrit avec ses tripes.

L’atout de ce roman est de ne pas vouloir se satisfaire des apparences. De nombreux paramètres rentrent en jeu pour expliquer les tourments d’une vie : les difficultés familiales, les affres de la création et de la poésie, la publication, un passé mouvementé. Mais Ted Hughes a été un être déterminant dans l’existence de ces deux femmes aux âmes profondes et complexes.

Il est difficile de décrire l’atmosphère mise en place dans ces pages. C’est impalpable et pourtant bien présent, cela donne un goût d’espoir bafoué car trop ambitieux, de forêt mouillée, d’adultère. Un mélange imperceptible car savamment bien dosé qui nous plonge dans des vies bouleversées avec brio et refuse de nous en laisser sortir jusqu’à la dernière page, happé par l’appel du braconnier.

Claude Pujade-Renaud, Les femmes du braconnier, aux éditions Babel (1091), 8€50.

La Nuit la Neige, de Claude Pujade-Renaud

Claude Pujade-Renaud est une écrivaine française prolifique qui a surtout été édité aux éditions Actes Sud. Je l’ai découverte grâce à mon master : je n’ai pour l’instant lu qu’un seul de ses livres mais ce fut un fabuleux moment de lecture. Je vais donc vous parler de cet ouvrage : La Nuit la Neige.

Ce roman est historique mais sans le côté rébarbatif de la chose. Le point de La-nuit-la-neigedépart de cette oeuvre est une nuit de décembre 1714, dans la ville de Jadraque, en Espagne. Anne-Marie des Ursins, au service du roi Philippe V depuis vingt ans et ancienne camarera mayor de feu la reine Marie-Louise Gabrielle, accueille Elisabeth Farnèse, duchesse de Parme et dans quelques jours, nouvelle reine. Mais à peine la rencontre eut elle lieu que l’influente et digne princesse des Ursins est chassé de la demeure royale par l’italienne. Que s’est-il donc passé cette nuit-là, dans l’intimité de la chambre ?
Au cours de récits, de témoignages croisés on entendra parler ces deux femmes, les hommes puissants du pouvoir, les amis, les premières dames, la famille pour retracer pendant plusieurs mois, plusieurs années l’évènement qui a peut-être changé le cours de l’Histoire. Et cette Histoire justement prend place devant nos yeux, le puzzle s’assemble au fur et à mesure des chapitres et nous dévoile les différentes combines, les mariages arrangés, les pressions et les manigances, entremêlées de religion, qui fondent le pouvoir. L’Espagne, territoire d’affrontement entre Habsbourg et Bourbons, est rythmée par des enfantements, des noces, des exils, des conseils plus ou moins judicieux et des objectifs qui l’ont façonné.

C’est un livre atypique sur les femmes mais aussi sur le pouvoir qui m’a d’abord plus par son côté historique, basé sur des faits réels et avérés, mais aussi par son traitement où chaque personnage a le droit à son temps de parole. On rentre alors dans les coulisses de la royauté au XVIIIe siècle avec délices, savourant les différences d’opinions entre différents camps, de la reine douairière exilé au roturier opportuniste en passant par la très jeune princesse qui a grandi trop vite. L’écriture s’est adapté à chaque personnage (et non l’inverse, ce qu’il faut souligner car trop rare !), sans répétitions, sans incohérences. J’avoue qu’au début, il m’a fallu un peu de gymnastique intellectuelle pour replacer les personnages ainsi que leurs relations mais on se fait très vite à ce mode de fonctionnement !
L’écriture de Claude Pujade-Renaud n’est pas renversante mais garde un soupçon d’originalité, mais c’est avant tout le travail de l’écrivain, sur le style comme sur la matière, le fond de l’oeuvre, que l’on peut sentir. Afin d’éviter aux lecteurs de trop se perdre, l’auteure glisse des indices permettant de très vite replacer dans le contexte qui est qui, sans pour autant alourdir le texte. Il faut également saluer la profondeur psychologique des deux personnages principaux, deux femmes remarquables qui ont donné leur vie pour le roi. Entre elles, pas de méchante ou de tyrannique qu’il serait aisé de montrer du doigt : cette nuit de Jadraque résulte de mécanismes plus complexes qu’il a fallu une vie entière pour comprendre.

Claude Pujade-Renaud a su créer une oeuvre intrigante, captivante, autant pour ses personnages sensibles que sa description si réaliste du pouvoir et de la royauté. Un livre vraiment hors du commun, unique et magnifique, à découvrir vite !