Hôpital psychiatrique, de Raymond Castells

Après une rencontre et une dédicace avec l’auteur Antoine Sénanque, dont j’ai chroniqué son dernier roman, je ne pouvais pas partir de la librairie sans zieuter un peu ce qui était sorti. A ma grande surprise, mes pas se dirigent vers le rayon policier. Je déniche alors un roman qui s’intitule Hôpital psychiatrique, et une fois la quatrième de couverture lue, s’en est fini pour lui : et hop, dans mon panier ! L’auteur s’appelle Raymond Castells, et je peux vous dire que je suis assez frustrée de ne pas avoir trouvé plus d’informations sur lui que son métier : psychologue clinicien.

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Nous sommes en mai 2010, Louis et Louise arrivent à la fin de leur vie et, pour répondre à un journaliste, ils témoignent et font revivre l’époque de leur rencontre.

A dix-sept ans, Louis Dantezzi est accusé du meurtre de son beau-père, de sa mère et de sa soeur, déclaré fou, il est envoyé dans un asile d’aliénés près de Toulouse. Il raconte son quotidien parmi les criminels dangereux et les Jésus en herbe, son ascension au sein de cette structure, les violences que font subir les gardiens et les expérimentations médicales hasardeuses.

Au cours de ces quelques années passées dans cette maison de fou, le monde change de couleur : c’est la Seconde Guerre mondiale. Heureusement, dans toutes ces atrocités, il rencontre Louise, elle aussi internée pour meurtre, une jeune fille à la vie pas facile : le coup de foudre est immédiat. Louis avait depuis longtemps pour projet de s’évader, mais en faisant les choses bien, en prenant son temps pour que toutes les conditions idéales soient réunies : il ne s’éloigne pas de son but mais à présent, c’est avec Louise qu’il veut s’enfuir.

Mais c’était sans compter sur les affres de la guerre : entre les résistants au sous-sol et les collabos sous les combles, la boucle est bouclée quand un régiment entier de la Wehrmacht prend ses quartiers dans l’asile : c’est bien une maison de fou, le seul lieu où une situation si surréaliste peut voir le jour.

C’est pourtant vrai : ce genre de cohabitation secrète et étrange a bel et bien existé durant la guerre. C’est d’ailleurs toute la force du roman. De nous décrire des évènements, des faits, des traitements, qui étaient légion pour l’époque mais qui nous semblent impossibles ou inhumains aujourd’hui. Et même quand l’asile d’aliénés est devenu hôpital psychiatrique, quand les gardiens sont devenus des infirmiers sur le papier, les choses n’ont pas réellement changé. 

Mais ce que j’ai vraiment adoré, c’est bel et bien le style de l’auteur : je m’y suis retrouvée trait pour trait, il écrit comme je rêverais un jour d’écrire. A la fois grave, sincère, mais aussi drôle et cynique. Il a un ton incisif, il joue sur des chapitres très courts qui jonglent à merveille entre dialogues théoriques, actions étranges, ruses et secrets.

Il faut dire que son personnage principal, Louis, est un garçon plutôt mystérieux : très, très malin, il réussit à graver les échelons, à force de patience. On pourrait parfois le prendre pour un sans-coeur, mais en réalité, Louis n’aime que les personnes qui sont aptes à être aimées. Et pour eux, il donnerait sa vie. Mais pour les autres, ce ne sont que des pions qui l’indiffèrent ou que parfois il déteste. Il arrive toujours à passer dans les mailles de leurs filets, et souvent il retourne cela à son avantage. C’est un personnage très intelligent, qui fait un peu peur c’est vrai, qui s’est peut-être laissé hanté par la folie ambiante.

C’est impossible de décrire de façon rationnelle ce roman, il brasse tellement de choses, de façon si pointue, sans état d’âme. Cette lecture est une aventure, elle nous emporte dans un autre univers qu’il nous est impossible d’imaginer sans y être. J’imagine à la fois les recherches que ce roman a demandé et l’esprit un peu fou qu’il faut avoir pour écrire de telles lignes. Car c’est prodigieux, c’est sauvage, c’est vivant, c’est mordant, c’est aliénant. Un cocktail explosif qui nous tient en haleine. Six cent pages accrocheuses de la préparation d’une fuite, d’un plan pour s’échapper de cette hôpital de malades de l’esprit, six cent pages d’une cohabitation dangereuse mais burlesque, six cent pages de rencontre avec la folie et toutes ses déviances, qu’importe de quel côté de la ligne on soit. Ce livre est fou. Et c’est pour ça que je vous le conseille.

Raymond Castells, Hôpital psychiatrique, aux éditions Payot & Rivages, coll. Rivages/Noir (889).

La Cliente, de Pierre Assouline

Pierre Assouline est connu pour ses nombreuses biographies, son célèbre blog La République des Livres, ou encore son poste de responsable au magazine Lire. On connaît peut-être moins le romancier, plus discret bien que prolifique. En 1998, Assouline publie La Cliente. Un écrit que l’on souhaiterait savoir être une autobiographie un peu romancée d’une aventure qui lui est arrivé lors de ses recherches pour le récit de vie de Désiré Simon. Très vite, une simple autorisation pour visiter les Archives de l’Occupation vont faire basculer sa vie.
Assouline a besoin de consulter ces archives pour savoir si oui ou non Désiré Simon a été « accusé » d’être juif, et si oui quels étaient ses délateurs. Alors il épluche minutieusement toutes ces feuilles, ces procès-verbaux de plaintes, ces dénonciations par lettres anonymes, ces rapport d’enquête et de descente chez des juifs clandestins, cette énorme liste qui regroupe le nom de tous les « collabos » comme on a pu les appeler. Puis, un jour, alors que sa tête est embrumée de toute cette violence gratuite, un mot résonne un peu plus que les autres. « Fechner ». Tiens, c’est ainsi que s’appelle son beau-frère et ami. Ami dont les grands-parents furent déportés. Ce ne doit être qu’une coïncidence. Mais non, tout colle. Des commerçants dans la fourrure, rue de la Convention, il n’y en a pas cinquante. L’auteur commence à être submergé : si proche de lui, un délateur. Et son nom, là, consultable, d’un seul coup d’oeil dans le registre. Une personne si proche de la famille, si proche. Pour quel raison ? Pour quel motif ?
La question du pourquoi résonne encore et toujours sans trouver de réelles réponses. Il n’y a qu’une solution, la confrontation, la discussion pour mieux comprendre. Mais dénoncer le dénonceur de ce quartier où rien ne reste secret, dans cette France en miniature, comporte des risques. Est-ce que cela vaut la peine de tout révéler, de renvoyer à cette personne sa faute, son acte aux conséquences dramatiques ? Cette vérité revenue du passé risque de tout renverser sur son passage dans cet arrondissement où la vie est plutôt calme. Pierre Assouline se tâte, il veut savoir, c’est un fièvre, une obsession, une rage. Il veut comprendre. Il dit qu’il veut juste comprendre, mais on sent dans son ton cette colère sous-jacente, celle de la rancoeur et de l’incompréhension totale. Vendre les siens, d’autres êtres humains, sûrement sans regret aucun, n’est-ce pas là l’acte le plus abominable qui soit ? Les questions se bousculent, l’auteur s’enferme dans cette spirale de la réponse à tous les prix, à ses dépens et aux dépens des autres.
Il ne nous cache rien de cette aventure que ce soit les faits, ou son ressenti. On voit ce qu’il voit, on entend ce qu’il entend, on perçoit ce qu’il perçoit : toutes ces odeurs, ces atmosphères et ces détails qui l’ont interpellés nous sont maintenant transmis. C’est une écriture à la fois très touchante – on trouve de magnifiques passages sur l’écriture et la lecture mais aussi des passages plus forts sur l’Occupation – mais aussi directe et factuelle. Assouline a su trouver le bon entre-deux, son expérience de l’écriture, pratiquée depuis fort longtemps, est indéniable et donne un résultat superbe. J’ai eu l’impression que ce livre était une parenthèse dans sa production, pour que ce souvenir, réel ou fictif, sorte de sa mémoire pour le laisser en repos. C’est un livre à la portée de tous que je vous conseille vivement pour découvrir ce très bon auteur.