Chambre 2, de Julie Bonnie

J’aime les mamans, j’aime les bébés, les tous-petits, les nouveaux-nés. J’ai donc voulu tester un des livres de la dernière rentrée littéraire, un premier roman en plus : Chambre 2 de Julie Bonnie.

Béatrice travaille dans une maternité. Derrière chaque porte se cachent des expériences de vie, mais aussi de mort, des moments forts et puissants où des destins basculent. Dans ce genre de lieu, tout n’est pas rose, des familles sont déchirées, le corps des femmes est maltraité par la nature, par la grossesse.

Tout ça ne fait que rappeller à notre héroïne, par contraste, sa vie d’avant. Elle dansait nue au son du violon de Gabor et de la batterie de Paolo. Avec leur spectacle, il faisait le tour du monde, il vivaient dans un van aménagé, voyager et voir la foule leur suffisaient. Béatrice a même eu deux enfants au cours de cette existence douce et hors du commun. Mais celle-ci devait finir, comme un rappel à la vie normale qui fait du mal.

Que penser de ce roman ? Il n’est pas mal écrit, c’est certain, même si ça ne casse pas trois pattes à un canard. J’ai été très déçue car on n’explore ni la facette du spectacle vivant, ni celle de la maternité, on ne fait que les survoler sans y entrer, alors que pourtant, le vie tragique des personnages est dévoilé. J’ai été étonné de cette vision de la grossesse : bizarrement, dans cet hôpital, il n’y a que des cas malheureux. On oublie les naissances qui se déroulent bien, les prématurés qui vivent malgré tout, etc. Côté passé de l’héroïne, autant le dire tout de suite, j’ai trouvé ça vraiment cliché. Mode « vie de bohème, je me lave au vinaigre ».

L’écriture est légère (dans le sens où elle manque de profondeur), et remue des poncifs. Je pense qu’il y a encore du travail pour cette auteure en devenir. Je ne veux pas être cruelle, mais pour être tout à fait honnête, je ne comprends pas pourquoi ce roman a été édité, l’écrivaine manque de maturité.

Julie Bonnie, Chambre 2, aux éditions Belfond, 17€50.

Be-Bop, de Christian Gailly

« Chez le marchand, la marchande, c’est une dame, Lorettu prend le journal, donne ses dix balles, prend sa monnaie, et, au lieu de se barrer, comme n’importe qui s’en irait, il reste planté devant la dame, pourtant la dame n’est pas aimable et le magasin sent l’encre, le papier, la poussière, d’ailleurs non, il n’a pas envie de parler, pourquoi ai-je dit qu’il avait envie de parler ?, sans doute parce que j’avais envie de parler, non, il n’a pas envie de parler, il veut juste entendre le son de la voix de la dame, ne serait-ce que merci, au revoir monsieur, même pas, au revoir jeune homme, ça ne le gênerait pas, et pendant ce temps-là les secondes passent, au moins trois, c’est long quand on a peur, la dame a peur, elle n’ose pas leur demander s’il désire autre chose, elle attend qu’il s’en aille, elle regarde le pansement sur la joue de Lorettu, se disant ce gars-là s’est battu, je suis bien tranquille, il a donné des coups, il en a reçu, pour en donner ou pour en prendre, faut être là, faut aimer ça.
Je me suis coupé, dit Lorettu. Il décolle son pansement. La dame grimace, ferme les yeux. Il s’est quand même fait une belle entaille. C’est rien, dit-il. Il recolle son pansement. La dame regarde dehors, cherche du regard quelque chose dehors. Lorettu se retourne, regarde aussi dehors, où la dame regarde. Le soleil met du luisant dans les prunelles du général, du relief dans ses favoris, gomine ses boucles. »

bebopAujourd’hui, je vous propose un court roman qui swingue, idéal pour se redonner de l’énergie en ce début d’hiver. Il s’agit de Be-Bop de Christian Gailly, publié en 1995. Pour ceux que ça intéresse, le bebop est courant musical de jazz né dans les années 1940/50, c’est quelque chose qui bouge, qui est très rythmé, foisonnant, qui demande aux musiciens pas mal de technique et qui aiment beaucoup les improvisations. Bref, idéal pour des boeufs endiablés dans les sous-sols d’un monastère.

Be-Bop, c’est l’histoire de Lorettu, un musicien de sax alto qui ressemble à Gerry Mulligan mais qui joue comme Charlie Parker. Ses talents de musicien enfin mis au jour lors d’une improvisation risquée, il sent sur lui le regard de la belle Cécile, une femme grande et élégante accompagnée de sa fille un peu nymphomane… Sur le lac Léman se dénouera leur histoire mais le jazz-man n’oublie pas ses obligations. Au chômage, il est « dans la mouise » financière et doit donc trouver au plus vite un boulot : il répond à la première petite annonce qu’il croise et, à force de culot, est engagé dans une entreprise d’assainissement.
La deuxième partie du livre peut alors commencer : on y retrouve un couple banal, Paul et Jeanne, qui s’aiment et aiment leur routine. Ils ont décidé de prendre des vacances et pour cela de louer une maison, mais leur séjour commence bien mal car filtre à travers la plaque d’égout ce liquide brunâtre et nauséabond qui empuantit toute la vallée. Heureusement, Lorettu vient à leur rescousse, et « ce qui étonne Paul, c’est que Lorettu chante ce thème de Parker, extrêmement difficile, comme tous les thèmes de Parker, avec une justesse, une précision absolument époustouflante. Ça l’étonne tellement qu’il le lui dit. » Il n’en fallait pas moins pour attiser la curiosité du tranquille mari, revisité alors par les démons du jazz qui l’ont si longtemps accompagné.
La troisième et dernière partie du livre, je vous laisse la savourer. Elle n’est que partage, sourire, rythme, swing et danse.

Néophytes du jazz, n’ayez pas peur, ce livre vous accueille à bras ouverts et vous rend complice de ces notes et de ces accords, de ces cuivres, de cette basse, de cette batterie qu’on n’a jamais frôlé. C’est dingue comme la musique peut prendre de la place dans la vie ! Elle envahit notre corps et nous fait claquer des doigts rien qu’à la lecture de ce roman. C’est que Gailly est fort, très fort pour faire swinguer les phrases au rythme de sa pensée. L’écriture est la musique, l’écriture est Lorettu, les personnages nous sont offerts entièrement dans les mots de l’auteur. Il ne faut pas au premier abord se laisser décontenancé par ce style qui peut nous sembler étrange, comme venu d’une autre planète. C’est la planète des afro-américains inventeurs du bebop, c’est la planète des pas de danses et de l’amitié où on est tous les bienvenus ! L’écriture coule, glisse le long des pages comme une impro qui dure, qui dure délicieusement pour se finir en apothéose. Lire Be-Bop, c’est faire l’expérience d’un roman qui est bien plus qu’un livre ou même qu’une partition, de musique ou de vie : lire Be-Bop c’est se rendre compte que l’écriture, ce n’est pas que des mots, ou alors des mots qui transcendent, qui emportent sur le fleuve d’une vie un lecteur ravi de cette musique hilarante et évidente !