Un peu de soleil dans l’eau froide, de Françoise Sagan

J’ai lu mon premier roman de Françoise Sagan et je suis assez contente. Cela faisait très longtemps que ses livres me faisaient de l’œil, l’auteure m’attirait. J’ai donc ressorti un roman d’un recoin caché de ma bibliothèque et lu Un peu de soleil dans l’eau froide.

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C’est un court roman, avec en son cœur une histoire d’amour, une vraie, avec ses côtés triviaux et ses complications. Gilles est un journaliste en pleine déprime – il n’est plus attiré par celle qui vit chez lui, n’éprouve plus de plaisir à rien. Alors, il va se reposer quelques semaines chez sa sœur à Limoges. Là, il rencontre une femme, Nathalie, une femme entière, sincère.

J’ai été particulièrement touchée par cette histoire, parce que certains de ses aspects me rappelaient des épisodes de ma vie. Je pense plus globalement que ce livre aura des résonances dans chaque adulte : l’adultère, la rupture, être l’amant ou l’amante, la dépression, etc. Les thèmes abordés le sont avec pudeur et vérité. J’ai trouvé la plume de Sagan très personnelle et riche, tout en restant simple, dans le ressenti. Ses personnages sont très vrais et on les comprend. Ils ont chacun leurs caractères et on aimerait les suivre encore plus loin dans leur vie.

Dans cette histoire d’amour, on passe sur les choses rébarbatives (comme les aléas d’un emménagement commun), mais on n’ignore pas les éléments quotidiens qui forgent les personnages : aller boire un verre, téléphoner, les ennuis au travail. C’est l’équilibre parfait pour ne pas s’ennuyer tout en étant bien immergé dans l’histoire.

Je regrette par contre la narration parfois désordonnée : on ne sait parfois pas de qui on parle, on est de temps en temps perdu et on a du mal à suivre. Une petite impression de fouillis quand l’auteur veut juste suivre le flot de pensées de ses personnages. De plus, certaines longueurs, ou certains passages mal vieillis, viennent alourdir les pages, heureusement assez rarement. Mais je n’ai que ça a reproché à ce petit roman, qui a un côté très réaliste dans sa vision de l’amour et de la passion, presque fataliste, évident – et aussi parfois un peu désespéré il faut le dire.

Françoise Sagan, Un peu de soleil dans l’eau froide, aux éditions Le Livre de Poche, 6€50.

Le vide de nos cœurs, de Jasmine Warga

Je ne pensais pas du tout que cette lecture allait me faire autant d’effet : encore une fois, je me suis faite avoir avec ma fausse idée comme quoi le young adult c’est un peu doux quand même. Faudrait que je me rappelle plus souvent la claque que Nos étoiles contraires m’avait mise. Bref, aujourd’hui un livre qui m’a ému, faite vibrée et pleurer : Le vide de nos coeurs de Jasmine Warga.

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Aysel veut en finir. Sa décision est prise. Depuis que son père a commis l’irréparable et qu’il est en prison, sa vie, sa famille, son travail, son lycée… tout devient pénible pour elle. Mais surtout, elle a au fond d’elle une grosse limace noire qui siphonne son énergie, ne lui inspire que de la tristesse et l’idée qu’elle pourrait bien finir comme son père. Pour trouver le courage de mettre un terme à sa vie, elle traîne sur le forum Smooth Passages, pour trouver un compagnon de suicide. C’est là qu’elle rencontre Roman, qui lui veut en finir le 7 avril. Roman et Aysel se voit souvent, pour planifier ce moment. Mais au fil des jours qui passent et les rapprochent de la date fatidique, Aysel s’aperçoit que peut-être, il y a une autre solution pour Roman et elle.

Quelque chose ne tourne pas rond chez moi. Bien sûr, certaines choses de ma vie me donnent le sentiment d’être seule au monde, mais rien m’isole et me terrifie plus que ma petite voix intérieure. Elle s’entête à me répéter qu’il y a de fortes chances pour que je finisse exactement comme mon père. Je parie que si on m’ouvrait le ventre, la grande limace noire de la dépression en sortirait. Les conseillers d’orientations adorent rabâcher qu’il suffit de « penser de façon positive », sauf que quand on a ce mollusque dans le ventre qui étouffe le peu de bonheur qu’on arrive à éprouver, c’est mission impossible. Comme machine à détruire les pensées positives, mon corps est d’une efficacité redoutable.

Au début, pour être honnête, je ne m’attendais pas à grand-chose. Je me disais tiens encore une romance sur fond de dépression puis de résurrection mais ce livre est tellement plus que cela. Déjà la romance n’est pas évidente. La relation entre Aysel et Roman n’est pas réelle, pas normale : rien ne peut s’appliquer à eux car ils se sont rencontrés pour mourir. A partir de là, tous les codes des relations amoureuses ne s’appliquent plus à eux, ce qui ne va pas les empêcher de partager une relation forte. L’envers du décor – la réaction des familles, des camarades du lycée, l’obligation de faire semblant d’aller bien devant les autres – est très réaliste. On s’y croit complètement. J’ai été emmené au Etats-Unis aux côtés de nos deux héros en un claquement de doigts et je n’ai plus jamais voulu les quitter. Ils sont terriblement attachants, et on comprend si bien leur douleur.

La dépression. Le mot n’est pas dit et pourtant c’est présent à chaque page. Une tristesse, une limace noire… difficile de l’aborder autrement alors qu’on arrive plus à y faire face. Les mots de l’auteure m’ont transpercée. Vraiment, Jasmine Warga a beaucoup de talent pour faire comprendre, toucher du doigt aux lecteurs non concernés ce qu’est la dépression. Et ce que représente aussi la sortie d’une dépression. J’ai eu peur à un moment que ses personnages soient des caricatures en ados blasés, mais pas du tout. C’est tellement vrai… dans les réactions, dans les mots des héros, dans leurs attitudes, dans leurs manies. Très sincèrement, j’ai vraiment beaucoup pleuré, surtout à la fin : que d’émotions !

Les personnages sont excellents, y compris les personnages secondaires qui sont criants d’humanité et de vérité. Jasmine Warga a vraiment une plume extraordinaire en ce qui concerne l’écriture des personnages. Elle maîtrise également bien le rythme de son histoire qui se déroule telle un compte à rebours vers le moment fatidique. L’auteure ne s’attarde que sur des événements intéressants, parfois seulement indirectement liés à l’intrigue, mais qui nous en apprennent en réalité beaucoup sur les héros et sur leurs vies.

Un belle lecture, je m’en souviendrai ! Un excellente surprise et je ne peux que vous la conseiller !

Jasmine Warga, Le vide de nos cœurs, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Maud Desurvire, aux éditions Hugo Roman, 17€.

Je me suis tue, de Mathieu Menegaux

C’est avec curiosité que j’ai découvert, grâce aux éditions Grasset, le premier roman de Mathieu Menegaux qui est sorti au début du mois : Je me suis tue. C’est le récit franc et dur de la vie d’une femme qui a basculé de la pire des façons qu’il soit.

Claire est emprisonnée à Fresnes. C’est de là-bas qu’elle nous écrit, elle nous livre son histoire qu’elle n’avait révélé encore à personne, l’histoire qui la conduite derrière les barreaux, l’histoire qui explique et dénonce tout. Cette histoire qu’elle a enfermé à double tour dans son cœur, muettement, pour essayer de la faire disparaître.

Il est arrivé à cette femme un crime odieux, innommable. Elle a essayé de s’en défaire, de l’oublier, pour éviter les ennuis, les problèmes, les répercussions qui viendraient encore la hanter. Elle a préféré subir pour rapidement étouffer ces événements, les faire taire. Mais il faut croire que la vie n’avait pas envie de lui laisser ce choix-là. Claire avait voulu porter ce fardeau seule, sans en faire part à personne. Mais quand celui-ci revient dans sa vie avec force, l’obligeant à lui faire une place, alors tout son environnement bascule, et c’est l’inexorable descente aux enfers qui commence. Et Claire va craquer, elle va commettre cet acte inqualifiable et inexplicable aux yeux de son mari, de sa famille, du monde entier. Et même là, elle fera le choix de rester cloîtrée dans un mutisme sans faille.

Le récit qu’elle nous livre ici est son dernier témoignage, où elle dit tout, ne cache rien : ce qui s’est passé, les raisons de son silence, ses espoirs que tout s’arrangerait. Ses derniers mots, car après tout, entre « je me suis tue » et « je me suis tué », il y a peu d’écart.

Je sais que ce résumé ne décrit pas vraiment le contenu de ce roman, mais je ne veux pas vous spoiler. Ce que je peux, par contre, vous avouer, c’est que ce n’est pas un livre à lire quand on va déjà mal. Ce qui est décrit ici est dur, met mal à l’aise, voire en colère. A coup sûr, ça ne vous laissera pas indifférent. Malgré la douleur resentie pour le personnage, le lecteur ne peut s’empêcher de tourner les pages de ce calvaire, pour savoir quelle fin il a eu.

Ce n’est pas un roman joyeux, mais c’est tout de même un roman à découvrir, et à lire. Car écrit de très belle manière, avec justesse, sans fausse tristesse, sans alourdir le trait. On a vraiment l’impression que c’est Claire, que c’est la victime qui a écrit ces mots, et on est d’autant plus gêné que l’empathie entre le lecteur et ce personnage se crée avec une facilité déconcertante. J’ai été très étonnée de voir que c’est bien un homme qui a écrit ce récit, car il a réussi à saisir tous les enjeux, toutes les nuances de la féminité et des autres côtés de la femme.

Un très beau livre, même si le thème est vraiment dur. Je vous conseille donc de bien choisir le moment où vous allez entamer cette lecture (vraiment), car cela paraît tellement réel que vous risquez bien d’en pâtir, mais cela ne doit pa vous empêcher de lire un jour ou l’autre ce roman bouleversant, intense.

Mathieu Menegaux, Je me suis tue, éditions Grasset, 16€50.

Pas à vendre, d’Enzo Cormann

Je ne connaissais pas Enzo Cormann avant ma lecture de son dernier roman Pas à vendre. Pourtant il a plusieurs facettes : maître de conf’, « jazz poet », homme de théâtre. J’ai été très étonnée par son livre, tout à fait surprenant.

Le héros de ce livre s’appelle Paco Liebsman dit Sam Nibel. C’est un immense traducteur de polar, mais alors qu’il arrive à sa centième traduction, il ne voit plus l’intérêt de vivre, et veut se suicider. Mais avant cela, il va voir une dernière fois Sibylle, une escort girl qu’il rencontre depuis plusieurs mois, avec laquelle il a paradoxalement lié une relation sentimentale dénouée de tout sentiment. Un lien étrange les unit, peut-être le dernier filament qui le retienne à la vie. Sibylle fait bien son travail, mais ce qui plaît le plus à notre personnage, c’est qu’elle est aussi étudiante en philosophie, pragmatique, intelligente, cultivée en plus d’être belle.

C’est un roman assez dérangeant, assez tragique (il frôle le cliché du dépressif, mais n’y tombe pas!) car on est véritablement dans la tête du personnage. Ses visions, ses souvenirs, ses réflexions, des pensées parfois décousues, des allers-retours dans le temps, des dialogues qui vont à l’essentiel et une ponctuation toute personnelle. En effet, le roman n’est qu’une longue et immense phrase, mais cela ne dérange nullement. Au contraire, on trouve ce choix plus que justifié : cela nous pousse à vouloir tout lire, jusqu’au bout. Car on sent la fin proche et on veut absolument savoir comment elle sera.

Je ne sais pas si j’ai aimé ce livre, mais ce roman – divertissant – m’a ébranlée, et j’ai été interpellé par ce personnage qu’on connaît sans vraiment le connaître. Je vous invite à découvrir cette petite curiosité !

Enzo Cormann, Pas à vendre, éditions Gallimard, 15€50.

Les femmes du braconnier, de Claude Pujade-Renaud

Le 28 novembre, mon master organise une rencontre avec Claude Pujade-Renaud (14h à la librairie Études de l’université Toulouse-II Le Mirail si ça vous intéresse). C’est une auteur que j’avais déjà lu avec La nuit la neige, roman que j’avais beaucoup apprécié. Aujourd’hui, je vous fait découvrir un autre livre de cette auteur, Les Femmes du braconnier. Pourquoi celui là ? Eh bien surtout à cause d’un de ces personnages principaux : Sylvia Plath, une poète que je voulais connaître un peu, et ça depuis une éternité.

Toutefois, ce roman n’est pas celui d’une femme auteure un peu trop dépressive et émotive, mais de celui qui fut son mari Ted Hughes. Ces deux-là se rencontrent en 1956 à Cambridge, une première rencontre sous le signe de la morsure d’où va naître une histoire sauvage, passionnée. Ted est lui aussi un poète, avec pour thème de prédilection l’animalité, l’instinct, un bestiaire qui a quelque chose de malsain, qui a une odeur de mort. C’est le braconnier.

Ensemble, ils formeront un foyer, ils s’émuleront pour s’inspirer mutuellement et écrire, créer à deux. Ils auront un enfant, achèteront une maison, mais tout ça ne va pas durer. Sylvia replonge peu à peu dans une mélancolie trop sombre alors que Ted s’est découvert d’autres passions, dans la personne d’Assia Wevill. L’amour vous joue des tours, ces trois personnages, tous les trois auteurs, vont l’expérimenter. Les sentiments se font et défont malgré leur puissance, leur séduction. Des relations qui semblent si vivantes peuvent conduire à la mort.

Il faut le dire : ce n’est pas un roman très joyeux. Le destin de Sylvia, Ted et Assia, n’a pas été idéal, c’est un fait. Est-ce que c’est cet homme, ce chasseur, ce braconnier qui en a trop voulu et a changé à jamais le cours de la vie de ces deux femmes ? Est-ce le lot des poètes de ne pas finir bien ? Ou est-ce ce climat d’une moitié de siècle peu épanouissante ? Le hasard peut-être ? Personne ne le sait. Mais on peut essayer de le percevoir.

C’est ce à quoi s’essaie Claude Pujade-Renaud. En donnant la parole à tour de rôle à ses différents personnages, les trois principaux comme d’autres plus extérieurs, elle tente de recréer cet univers, ce contexte, de retranscrire les sentiments sûrement contradictoires qui les ont envahi. Une écriture somptueuse, avec des ardeurs et des prouesses narratives surprenantes et captivantes qui ne font que nous plonger un peu plus dans la vie du braconnier, cet homme obscur et séduisant, homme de la nature, force de la terre, qui écrit avec ses tripes.

L’atout de ce roman est de ne pas vouloir se satisfaire des apparences. De nombreux paramètres rentrent en jeu pour expliquer les tourments d’une vie : les difficultés familiales, les affres de la création et de la poésie, la publication, un passé mouvementé. Mais Ted Hughes a été un être déterminant dans l’existence de ces deux femmes aux âmes profondes et complexes.

Il est difficile de décrire l’atmosphère mise en place dans ces pages. C’est impalpable et pourtant bien présent, cela donne un goût d’espoir bafoué car trop ambitieux, de forêt mouillée, d’adultère. Un mélange imperceptible car savamment bien dosé qui nous plonge dans des vies bouleversées avec brio et refuse de nous en laisser sortir jusqu’à la dernière page, happé par l’appel du braconnier.

Claude Pujade-Renaud, Les femmes du braconnier, aux éditions Babel (1091), 8€50.

La femme de l’Allemand, Marie Sizun

J’étais à la recherche d’un roman pour avancer un peu dans le challenge Marry me proposé par George. Au détour d’un blog, il y a plusieurs semaines, je suis tombée sur ce livre de Marie Sizun et je me suis dit « pourquoi pas ? ». Voici ma rencontre avec La femme de l’Allemand.

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Nous sommes au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Fanny est une mère célibataire. Marion, sa fille, a vite compris qu’elle était le fruit d’une relation interdite, celle d’une jeune Française de 20 ans avec un bel Allemand, soldat nazi, finalement mort sur le Front russe. C’était une histoire d’amour, sincère, en tout cas Fanny en est persuadée. Mais sa famille l’a découvert, elle en a donc été exclue : toute la bienveillance du monde ne pouvait pas cautionner cet acte collaborationniste.

On ne sait pas en détail ce qui s’est passé à cette époque-là puisque on voit cette famille à travers les yeux de la petite fille, ses souvenirs, ses pensées, ses sentiments. Marion a vu peu à peu sa mère tomber dans la folie, cet amour déçu l’a complètement bouleversée et transformée. Parfois, Fanny semble normal, d’autrefois elle se met à fredonner des chansons, à ranger et déranger les affaires dans la maison la nuit. Et encore, ça, c’est le plus gentil.

 

La folie, ce dur mot qu’on préfère taire. On dit que ce sont des « excès », des « emportements ». Marion aime sa mère, mais elle déteste cette tornade qui prend parfois possession de Fanny. Alors les rôles s’inversent : c’est la fille qui s’occupe des comptes, de la maison, qui donne des nouvelles au peu de famille qui veut bien encore leur parler. Elle prend des distances avec cette femme qui ressemble de moins en moins à celle qu’elle aurait voulu.

Marion profite des quelques moments où sa mère, où sa tante veulent bien parler pour en savoir plus sur ce père inconnu qui hante Fanny, sur ce père qu’elle ne connaît pas, pas même son nom, sur ce père qu’elle n’a jamais vu. Elle s’imagine un grand blond aux yeux bleus, fort, et aimant. Un papa qui aurait pu être là si la guerre ne l’avait pas pris.

Cet homme est absent du livre et pourtant il est partout, dans chaque moment de doute de Marion, dans chaque silence et chaque cri de Fanny. Cet Allemand est la cause de tout.

Je dois avouer que l’histoire en jette, il fallait y penser : mêler deux drames dans un même roman, ce n’est pas si simple, et Marie Sizun y arrive assez bien. On tremble, on a peur en même temps que la petite fille, on s’arrête de penser horrifié par les crises de Fanny.

C’est vrai, c’était bien manié, il y a de la tension mais aussi de l’espoir, l’horizon d’attente est toujours repoussé plus loin, et on se retrouve, nous, pauvres lecteurs, essouflés de devoir toujours lui courir après. Malheureusement, quelque chose de très important m’a complètement bloquée dans ma lecture. On dirait ailleurs que c’est un élément original, c’est vrai, mais il faut le manier avec précaution car sa charge de pathos et de tragique est immense, ça peut exploser ou déborder à tout moment. Cette chose ? La narration à la deuxième personne du singulier. C’est un narrateur externe qui pendant tout le livre s’adresse à Marion, lui disant « tu ». On a souvent l’impression que c’est un regard autobiographique et rétrospectif : c’est vraiment très dérangeant, à tel point que ça m’a mise à l’aise.

Le vrai problème, c’est que, alors que le « tu » aurait pu se faire plus discret à certains moments, l’auteure en use et en abuse, si bien qu’il m’a paru absurde, de trop. C’est vraiment un élément trop facile à utiliser, qu’on voit arriver de loin avec ses gros sabots. Je m’en servais à mes débuts de scribouillonne (pas que je sois meilleure écrivain aujourd’hui, mais je connais mes manies de style maintenant), quand j’écrivais de la fiction et que je n’arrivais pas à insérer assez de drame. C’était l’astuce facile, je m’en servais avec parcimonie : il faut dire que le « tu » introduit une certaine lourdeur dans le texte. Mais tout un roman avec ça, surtout quand on s’en sert à outrance, et bien c’est franchement indigeste. Alors oui, c’est un livre avec beaucoup d’émotion, rondement mené, mais je refuse de dire que c’est un roman « bon », ou « passionnant », ou « à lire absolument », parce qu’il repose en grande partie sur la narration, et je l’ai ressenti comme étant de la triche.

Voilà.

Marie Sizun, La femme de l’Allemand, aux éditions Arléa, 17€50 OU aux éditions Le Livre de poche, 6€60.

Les heures souterraines, de Delphine de Vigan

Je vous l’ai souvent dit et je me le répète souvent, je suis un peu à la masse des nouveaux auteurs brillants et/ou connus, des romans à ne pas manquer. C’est pourquoi je ne vous parle que maintenant de Delphine de Vigan et de son roman, Les heures souterraines.

Ce sont deux histoires en parallèles qui sont mises en lumière ici : d’un côté, Mathilde, une jeune cadre dynamique qui se retrouve comme une moins que rien dans son entreprise à la suite d’un harcèlement psychologique qui se veut invisible ; de l’autre Thibault, un médecin généraliste qui soigne les bobos que le SAMU refuse. Deux êtres en plein Paris que la vie a fatigué, si éloignés l’un de l’autre mais qui pourraient d’un rien se percuter. Nous sommes le 20 mai dans la capitale, tout pourrait changer aujourd’hui, pour ces deux personnes que la tristesse qualifie, c’est un peu le moment de voir où ils en sont.

La description de la douce descente aux enfers de Mathilde est vraiment stupéfiante, criante de vérité et d’injustice, saisissante, bouleversante et très bien menée. J’ai tremblé avec elle, il faut le dire. Cette pression et cette angoisse au travail qu’elle subit à cause d’un seul homme, le chef, existent réellement, et je peux vous dire qu’après ma lecture, j’ai compris ce que pouvait être ce harcèlement psychologique si pernicieux qu’on évoque de plus en plus.

Thibault, lui, on n’en parle moins, mais il est présent. Aujourd’hui, alors que les beaux jours reviennent, c’est la grisaille pour lui : la ville se refuse à lui, et lui impose les ralentissements, les embouteillages et les créneaux impossibles. Un travail exténuant l’amène à trouver des remèdes contre les mêmes maux, toujours : rhino-pharyngites, angines, fatigues, gastro, etc. Ses patients sont des patrons pressés et donneurs d’ordre ou de petites vieilles femmes à la recherche d’une présence humaine à leurs côtés. Il côtoie la pauvreté sentimentale et l’arrogante superficialité. Mais à chaque fois qu’il rentre dans sa voiture, sa demeure pour la journée, ce sont les mots de cette femme, si envoûtante, qui lui reviennent en tête. Et Thibault ne peut alors pas s’empêcher de penser à celle avec qui il aurait aimé passer le reste de sa vie, celle qui est si inaccessible.

Thibault et Mathilde ne se sont jamais vus, mais ils se ressemblent, même si leurs vies, leurs malheurs sont différents. Delphine de Vigan les décrit avec tendresse alors qu’ils sont dans un monde de brutes, où la violence se fait souterraine. Il faut l’avouer : cette femme a du style, elle a du talent, elle a une plume.

Mais (il y a toujours un mais), j’ai parfois eu l’impression qu’elle en faisait trop. Pour être franche, cette écriture respire la suffisance, voilà, c’est dit, au moins je suis sincère, honnête avec moi-même. L’auteure prend plaisir à manipuler ses petites marionnettes de personnages, à nous faire comprendre qu’en plus d’être une vraie parisienne qui connaît le RER comme sa poche, elle est aussi « jeune » et sait ce qu’est World of Warcraft. Vous verrez ces petits détails vous-mêmes.

Certains éléments de ce texte m’ont semblé être du bricolage pour toujours en mettre plus sur le dos de ces pauvres personnages, et le pire c’est que c’était rajouté en cours de route, « tiens, et si je mettais ça en plus ? », sans aucune préméditation, préparation. Du collage de maternelle. Il y a des effets de style, douteux : on ne peut pas tout se permettre, en pensant que ça va faire réagir positivement les gens façon « Oh, quel audace ! Comme elle revisite la narration romanesque ! » Ben, non, beurk.

Réaction de jalousie me direz-vous ? Je mentirais en disant que je ne suis pas jalouse de voir un telle écriture vendue par mille. Mais réaction de frustration, ça, c’est sûr. Les pages défilent et on se dit : « Mais il faut qu’il se rencontre ces deux-là ! » Delphine de Vigan aime nous faire languir.

Pour conclure, un bon roman, oui, mais le style et les manières peuvent en agacer quelques uns, si comme moi, vous êtes au moment de la lecture (et de l’écriture du billet qui va avec!) assez râleur.

Delphine de Vigan, Les heures souterraines, aux éditions Le Livre de Poche, 6€60.

Viol, une histoire d’amour, de Joyce Carol Oates

Viol, une histoire d’amour. Forcément quand on croise un titre pareil, on ne s’attend pas à découvrir un conte merveilleux. Toutefois, ce roman de Joyce Carol Oates n’est pas une ode au voyeurisme malsain et aux abus sexuels. Au contraire, il nous raconte comment le hasard et la malchance peuvent faire basculer des vies, et comment cela peut avoir des répercussions pendant de nombreux mois, voire des années.

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Tina Maguire a voulu prendre un raccourci pour revenir chez elle le soir de la fête nationale. Accompagnée de sa fille de 12 ans, Bethie, elle coupe par le parc. Mais ils sont plusieurs à la voir, la croiser, lui parler, l’attraper. Entraînée avec sa mère dans un hangar à bateaux, la gamine parvient à se cacher au fond de la pièce, mais elle ne peut pas empêcher ses hommes de commettre un crime inimaginable, inhumain, une tournante qu’elle n’ose pas voir. Une fois qu’ils ont fini leur affaire et laisser cette mère pour morte, Bethie peut enfin s’extraire de sa cachette et aller chercher de l’aide.

Mais au-delà de ce traumatisme, elles ne sont pas encore sauvées. Il faut après cela témoigner, avoir recours à la justice, aux avocats féroces, à la foule véhémente. La peur les tenaille chaque minute passée dans cette ville et Tina sombre dans une violente dépression. Quant à Bethie, il y a un avant et un après, plus rien ne sera plus jamais pareil, cette expérience terrible l’a fait grandir d’un coup, elle n’est plus une petite fille rieuse et innocente.

Mais un homme, silencieux, secret, et surtout profondément touché, viendra apporté son aide vengeresse, dans l’ombre.

Ce qui est étonnant et intéressant dans ce roman c’est avant tout la narration : à la deuxième personne du singulier, le narrateur s’adresse à Bethie même si celle-ci ne peut pas l’entendre. Ce qui n’empêche pas une vision omnisciente quoique nimbée de zones obscures. Le fil de l’histoire est entrecoupée des paroles rapportés des journaux, des voisins, des rumeurs et des ragots qui accuseraient presque les Maguire. Les chapitres courts et la facilité de lecture font que les pages se tournent à une vitesse folle et il est dur d’esquisser un sourire pendant ce moment.

C’est vrai, c’est un livre pesant, un livre rude, même si, sincèrement, il aurait pu être beaucoup plus violent, plus cru. Ce roman raconte ce que traverse des milliers de femmes chaque année, même si ici c’est un cas extrême : la plainte, l’obligation de raconter et de re-raconter ce qui s’est passé, la mise en doute de ses propos, s’entendre dire qu’on a eu une attitude « ambigüe », les racontars méchants, les menaces, l’audience au tribunal, la peur que les suspects soient dits non coupables… Le viol, c’est un traumatisme, et derrière une machine judiciaire implacable qui peine à prendre en compte les sentiments humains.

Je ne vais pas vous encourager de tout cœur à lire ce roman, tout simplement parce que le sujet n’est pas facile. Toutefois, il est très bien construit et écrit, et on en ressort plus humble.

Tels étaient les faits, les avocats des suspects y insisteraient. Bethel Maguire avait douze ans. Bethel Maguire était la proie de l’affolement, de la panique, au moment de l’agression. Bethel Maguire n’avait été témoin d’aucun acte de viol perpétré sur la personne de sa mère, puisque de son propre aveu, pendant le viol, elle était cachée dans un coin obscur du hangar.

Elle n’avait pas vu le viol. Elle n’avait vu que les visages flous, incertains, d’un certain nombre de jeunes gens, dans le parc, à l’extérieur du hangar.

Le sentier qui longeait l’étang était mal éclairé. L’intérieur du hangar ne l’était pas du tout.

Comment cette enfant peut-elle être sûre de ce qu’elle avance ? Comment la croire ? Comment une enfant de douze ans pourrait-elle prêter serment ? Comment une enfant de douze ans pourrait-elle témoigner ?

Joyce Carol Oates, Viol, une histoire d’amour, traduit de l’anglais (États-Unis) par Claude Seban, aux éditions Philippe Rey, 15€.

L’atelier des miracles, de Valérie Tong Cuong

Tout doucement, je réapparais sur ce blog après trois semaines de calme, avec peu d’articles. Mon rythme de lecture commence à revenir à la normale mais les billets vont se faire de plus en plus nombreux, comme avant.

Depuis quelques semaines ( mois ? je suis toujours la dernière à lire), la blogosphère et le Twitter littéraires sont agités par un livre qui fait des merveilles : L’atelier des miracles de Valérie Tong Cuong. Je ne pouvais pas échapper à ce raz-de-marée et j’ai donc cédé : je me suis procurée ce roman que j’ai dévorer en une journée.

C’est l’histoire croisée de trois personnages à un tournant dangereux de leur vie qui vont rencontrer Jean, le responsable de l’association pour personnes vulnérables, l’Atelier. A Monsieur Mike, ancien militaire qui crèche dans la rue, il va proposer un poste de responsable de la sécurité. A Mariette, une professeure d’histoire-géographie qui, à bout de nerfs, a mis une claque à un élève, il va l’aider à surmonter cette dépression profondément ancrée et aggravée par un mari député pas très conciliant. A Milie qui a souhaité devenir amnésique après un incendie pour changer de peau, il va lui permettre de se construire une autre vie et de devenir plus forte.

Dans cet Atelier, on fait des miracles paraît-il. Mariette commence à prendre sa vie en main, Milie trouve un très bon emploi, Monsieur Mike se sent utile. Ces trois personnages vont chacun à leur façon bouleverser cette association, quitte à en découvrir quelques côtés cachés.

Enfin un livre qui peut traiter de l’espoir et de la bonté d’âme sans être manichéen. Car un être humain ne peut pas être ou tout gentil, ou tout méchant. En chacun d’entres nous il y a un mélange subtil des deux, qui le plus souvent s’équilibre, même si parfois la balance penche plus d’un côté ou d’un autre. Jean est sur un fil sur lequel il se tient debout grâce à moult acrobaties. Ses protégés ont décidés grâce à lui de tourner la page et de se diriger vers autre chose, une nouvelle existence qui leur sera plus profitable. Mais ils ne devinent pas encore que des choses se trament sur le dos de leur revirement.

Un livre somptueusement écrit : chaque personnage a sa propre voix et les chapitres leur donne la parole à tour de rôle. De points de départ complètement différents, ils se retrouvent dans un même but qui va les rapprocher et les faire se rencontrer. C’est un livre qui se lit facilement mais dont le sujet n’en est pas moins intéressant et beau. Quand on termine la dernière page, on soupire d’aise : ce n’est pas une belle histoire, pas vraiment, mais cela nous redonne confiance en la vie, dans les hommes, car il faut continuer coûte que coûte à avancer, et affronter les difficultés. C’est un roman qui parle d’amour, de solidarité, de psychologie, d’entraide, d’affection.

L’atelier des miracles, c’est une petite pépite, un trésor qui reflète le visage de l’humanité, à avoir absolument dans sa bibliothèque !

Valérie Tong Cuong, L’atelier des miracles, aux éditions JC Lattès, 17€.

Passer le pont, de Pia Petersen

Il me disait aussi que j’avais du caractère et qu’il me fallait apprendre à me taire et obéir. Il faut que tu puisses t’accomplir. Pour ça, il faut savoir obéir, apprendre à dire oui, à te soumettre. Il m’a dit ça et aussi qu’il ne fallait pas obéir à n’importe qui, mais à lui seul et que c’était à moi de le choisir, ça, de lui dire oui et après je saurais dire oui à la vie.

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Kara est une jeune femme d’un naturel peu sûre d’elle, un peu tournée vers la mélancolie mais le jour où tous ses collègues se liguent contre elle et la font virer, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Elle glisse vers une dépression foudroyante. Mais au même moment, elle rencontre un ancien copain de lycée, Ron. Face à son désarroi, celui-ci lui propose de rencontrer un de ses amis, ex-psy reconverti dans l’enseignement, selon lui il fait des merveilles. Elle accepte et fait alors la connaissance de celui qui va bouleverser le cours de son existence. Pour lui « changer la vie », il va lui demander de tout quitter, de se déconstruire, d’oublier sa famille, ses amis, son appartement, de vivre dans le confinement. Et pour que Nathan l’aide, il faut qu’elle l’aime, il faut qu’elle accepte de faire des sacrifices. Maintenant ses nouvelles relations sont Sophie, Katrina, Mira, mais aussi Victor, Léon… Des gens qui n’en ont « rien à foutre d’elle » et qui n’ont d’yeux que pour Nathan. C’est vrai qu’il est mystérieux, inaccessible mais tellement attirant. Il est l’objet de toutes les envies, de tous les désirs, on ferait tout pour un regard, une parole, un geste, même si pour cela il faut se faire descendre plus bas que terre, soi-disant pour qu’on « s’améliore ».

J’emploie le « on », pour dire à quel point ce roman m’a obsédée, enivrée dans cette spirale malsaine de la manipulation. Pia Petersen dans Passer le pont m’a hypnotisée par son écriture, par ses mots qui décrivent avec tellement de sincérité le quotidien de cette femme emportée malgré elle dans un voyage qu’elle voulait salutaire. Par désespoir, elle s’est laissé influencée jusqu’au plus profond de son être par ce personnage si captivant qu’est Nathan. A lui seul, c’est presque une secte, même si après lecture on ne sait pas vraiment si ce terme convient tout à fait.

L’écriture est vraiment proche de Kara, c’est Kara. A première vue, on dirait un langage simple, pourtant ce style si proche de la psychologie du personnage a été très travaillé, il ne dit rien de trop ou de moins. C’est un retournement de sa vie que subit dans ces pages l’héroïne, quelque chose de fort et de puissant, et elle est partagée entre ses principes et les restes de sa volonté qui sont restés ancrés en elle et son envie de tout changer, son accord avec les dires de Nathan. Et toute personne qui a connu un jour la tristesse, la souffrance, le manque de confiance en soi se laisse bercer par les propos et les promesses de cet homme : même moi au cours de la lecture je me disais « Eh, mais c’est pas si bête que ça ce qu’il dit celui-là! » Et c’est là sa puissance : tout ce dont il parle a l’air si juste… Il profite de la faiblesse des gens pour mieux les enfermer dans son piège et ça marche. Mais la jeune femme est forte et résistante, et entre une envie de se retrouver maîtresse d’elle-même et celle de profiter d’une liberté légitime qu’elle voit s’enfuir, son cœur balance.

Kara ne s’est pas faite totalement avoir. Le texte se scinde en deux parties qui s’entremêlent : son enrôlement dans l’univers de Nathan et plus tard quand enfin sortie de cette affaire, elle accepte un rendez-vous avec cet homme. On ne sait pas trop quoi penser de cette histoire une fois le livre refermé, la fin est assez particulière, vous le verrez.

J’ai été retournée par ce livre, il ne traite pas d’un sujet facile. Toutefois, l’écriture est vraiment époustouflante, j’ai tout de suite été emmenée par ce style si particulier. Pia Petersen est une vraie découverte pour moi et ce roman ne serait pas le dernier que je lirais d’elle. Je vous le conseille les yeux fermés !

Pia Petersen, Passer le pont, aux éditions Actes Sud, collection « un endroit où aller », 21€80.