Lolita, de Vladimir Nabokov

Nabokov. Une langue puissante et chatouilleuse me disait-on. Une écriture sulfureuse et suintante, qui n’a pas conscience d’elle-même – ou alors est-ce l’inverse ? Je me devais de découvrir ce style et cette histoire, celle de Lo, de Lola, de Lolita.

Alors non, rien à voir avec la chanson d’Alizée, non cette fois, on entre dans la cour des grands. Là où le secret illégal, dangereux, pervers, nous est dévoilé, confié, dans toute sa vérité. Quand l’amour et l’attirance sont des attractions si puissantes qu’elles en sont immorales, quand la jeunesse fougueuse et innocente vient toucher le cœur et le corps d’un mâle observateur, en attente, haletant, redoutant et impatient à la fois. C’est un roman qu’on lit passionnément et à distance, une relation double et trouble entre cette écriture envoûtante et suave, mais parfois crue et trop proche de réalités sociales implacables. D’un côté, on a cette tendresse et ce désir ardent, de l’autre on a la loi, et des mots comme « incestueux » et « pédophile » (qu’on ne pourra lire qu’au bout d’une petite centaine de pages – c’est dire comme les mots peuvent se faire discrets mais les idées passer tout de même).

Bref, il faut que je sois plus claire. Le narrateur se fait appeler Humbert. C’est lui l’homme, le mâle de cette histoire. On pourrait le penser fort et puissant dans une figure de maître, de supérieur, mais non, il n’est qu’à la merci de ces petites jambes aux poils discrets et blonds qui finissent dans des socquettes blanches et vierges. Au début, il les aiment toutes ces nymphettes, mais seulement dans son esprit, il ne faut pas oser, il ne peut pas avancer d’un pas dans cette direction dangereuse où sa folie veut l’entraîner. Imaginer est une chose, mais un acte, c’est une implication qu’il n’est pas encore prêt à prendre sur lui.

Un jour, sa route croise celle de Dolores Haze. Elle a 12 ans. Et c’est une nymphette, cette catégorie si particulière de jeunes filles presque indescriptible, qui seule peut déclencher un désir chez Humbert. Et pour elle, il le sait déjà, il serait prêt à tout. Il la veut, il a besoin d’elle, il veut la boire, la manger, la posséder, l’aimer, la caresser, la chérir, la pétrir. Pour elle, il fera tout ce qui est nécessaire, même si pour cela, il faut du tact, de la patience, de l’imagination, de la stratégie… et un peu de chance.

Lolita a fait un scandale à sa sortie, et on peut le comprendre : il bouscule les mœurs en mettant en scène la pédophilie, mais aussi l’inceste (avec le bref résumé de l’histoire, c’est difficile à imaginer, mais je vous assure, dans un sens on peut parler d’inceste). Aujourd’hui heureusement, on ne s’arrête plus à ça (l’écriture est un espace de liberté), surtout qu’on ne peut pas reprocher à Nabokov une écriture du détail qui serait ignoble. Non, au contraire, sa plume est poésie et passion. Nous sommes Humbert et nous pouvons presque comprendre son attirance pour Lola. Non, ne vous effrayez pas en lisant ça : vous ne serez pas changé en pervers ou délinquant sexuel après cette lecture. C’est juste que passer à côté d’un style si captivant, si fort mais en même temps doux et équilibré, ce serait une bêtise. Vous devez lire Nabokov. Personnellement, j’ai trouvé cette lecture puissante ! Elle restera important dans mon parcours de découverte littéraire.

Vladimir Nabokov, Lolita, traduit de l’anglais par Maurice Couturier, aux éditions Folio, 8€40.

Trembler te va si bien, de Wataya Risa

Je reviens encore avec un peu de Japon dans ma hotte. Et encore une fois, je dois aux éditions Picquier une découverte asiatique, en la personne de Risa Wataya, une jeune auteure tokyoïte. Avec Trembler te va si bien, on entre dans le vie d’Etô, jeune femme qui joue son rôle de femmes dans cette société encore assez traditionnel du Japon. Mais tout n’est pas si manichéen, heureusement.

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Etô, c’est une jeune fille qui travaille au service comptable d’une grande entreprise. Fleur bleue, elle voudrait le grand amour, le mariage, une idylle. Ingénue et maladroite, elle s’arrange pour revoir ce garçon du lycée qui la tend marquée, cet amour à sens unique : Ichi. Mais malgré leurs points communs, elle n’est pas persuadée qu’un jour cette attirance devienne réciproque. Parallèlement, il y a ce collègue, pas vraiment son type, mais au moins, lui, lui a déclaré sa flamme. Etô est bien sûr flattée de cette attention, et elle sait qu’il serait peut-être plus sage de penser à s’établir, à fonder une famille. Plusieurs connaissances de son âge ont déjà des enfants, quand elle s’acharne à converser sa virginité pour celui qui sera l’amour de sa vie.

Les sentiments de la jeune fille sont incertains. Il pèse sur ses épaules un certain poids du passé qu’elle s’inflige en partie elle-même. Dans ce livre, c’est sa voix qu’on entend, ses atermoiements, ses incertitudes, ses prises de bec avec sa conscience. Mais cela se fait toujours avec drôlerie et émotion. Ce n’est pas un livre kawai, ce n’est pas un livre qu’on pourrait rattacher à de la chick-litt ou de la romance harlequin. On retrouve là une certaine image du Japon avec ces postes de secrétaire qui représentent de vrais viviers de futurs mariées pour les salarymen travaillant dans leurs entreprises, avec les désirs d’Etô, qui ne sont pas les mêmes qu’une jeune Française de son âge et de sa classe. On ne peut pas classer ce livre car il n’y a rien d’approchant. Je n’ai pas pleuré ou prié pour l’héroïne, l’identification était minime. Pas de pathos, mais je n’avais pas non plus l’impression de lire le Journal de Bridget Jones. Etô se plaint à peine, elle est juste perdue, elle veut juste trouver sa place. Celle qui lui conviendra, celle où elle pourra s’insérer en douceur et y vivre heureuse.

C’est un peu ce qu’on recherche tous. Dans le cas de notre personnage, cela passe par une lucidité picotée d’humour, un éclairage de deux amours indécis, un ton faussement léger.

Encore une fois, je peine à décrire la plume nippone. D’ailleurs, chapeau au traducteur qui a réussi à retranscrire cette écriture si loin de la nôtre. Et même si cette traduction n’est pas parfaite parfaite, je me rends compte de l’extrême difficulté de la chose.

Ce n’est pas un roman transcendantale ; j’ai malgré tout passé un bon moment en compagnie de notre héroïne et de ses querelles de cœur.

Risa Wataya, Trembler te va si bien, traduction du japonais par Patrick Honnoré, aux éditions Philippe Picquier, 16€.

La nonne et le brigand, de Frédérique Deghelt

La nonne et le brigand : ce titre, ce n’est que la moitié de l’iceberg de ce roman de Frédérique Deghelt. J’en ai entendu que du bien et cela par le biais du meilleur média possible : sur Twitter, que de commentaires élogieux à son sujet, je ne pouvais donc pas passer à côté de ça !

 La nonne et le brigand

J’ai choisi de le lire dans sa première édition chez Actes Sud, dans le collection « un endroit où aller », et non en poche, car j’adore ce format tout en hauteur : ne me demandez pas pourquoi, mais j’ai alors l’impression que le livre est alors un petit bijoux. Puis je n’ai jamais été déçue par les auteurs publiés dans cette collection, donc c’est forcément bon signe.

Je vous avertis, mon jugement ici n’est pas forcément très neutre : je côtoie parfois l’auteure sur Twitter, et ce ne sont que de bons moments, de plus les messages la félicitant pour son roman ne vont pas dans le sens de l’objectivité. Toutefois, j’essaierais d’être la plus honnête possible, c’est une de mes missions pour ces petites chroniques littéraires.

La nonne et le brigand, c’est l’histoire de Lysange, mère de deux grands enfants, épouse pas vraiment fidèle mais qui a besoin de ses aventures pour mener une vie un peu près équilibrée. Sauf qu’un jour, elle rencontre un homme qui va tout faire chavirer, les choses vont aller plus loin qu’une relation de corps. Son âme est embrasé, son esprit embrumé par les ondes de bonheur, de jouissance que lui procurent ces moments passés avec ce journaliste de guerre : elle aime, ou plutôt elle est victime de la passion. C’est une expérience nouvelle pour elle, qu’elle peine à maîtriser.

Démographe, elle reçoit un jour une lettre : Tomas, un retraité qui va bientôt partir au Brésil, veut lui confier sa maison au cap Ferret. Elle ne le connaît ni d’Eve ni d’Adam, visiblement il s’agit d’un de ses lecteurs, qui s’intéresse à ses recherches. Sans vraiment savoir pourquoi, et sans se renseigner au préalable, elle y va. Elle tombe très vite amoureuse de cette cabane entre fleuve et océan, et la compagnie de Tomas lui est agréable. Mais sa plus grande découverte, c’est celle d’un carnet, un journal intime tenu par une jeune nonne alors que celle-ci par en mission au Brésil, à Guajará-Mirim.

Après un changement de dernière minute, sœur Madeleine se retrouve seule pour traverser l’Amazonie et s’enfoncer au cœur de ce continent qu’elle découvre pour la première fois. Heureusement elle est accompagnée par un homme blanc qui connaît par cœur les combines et les dangers de ce territoire, qui a l’habitude des us et coutumes brésiliennes. Il s’appelle Angel, mais pour la nonne, ce nom ne lui convient pas du tout : un peu arrogant, voire violent verbalement, il manque de savoir-vivre et de politesse. Pourtant au fil des semaines et des risques encourus, il a pu montrer à quelques rares occasions son bon fonds, ses qualités discrètes et peu à peu, sœur Madeleine découvre que l’amour du Seigneur ne l’a met pas à l’abri de l’affection humaine. Ce sentiment qu’elle ne peut réprimer la tourmente car, parallèlement, elle ne doute pas de son engagement au service de Dieu. Elle ignore ce qui l’attend et ne préfère pas se l’imaginer.

La nonne et le brigand m’a donné à lire les plus belles pages sur l’amour de toute la littérature française. Peut-être un peu trop pour une lectrice comme moi qui manque de douceur, qui aime bien un peu d’action. Mais je pense aussi que ce sentiment est du à ma répulsion pour l’inertie de Lysange qui « subit » presque cet amour qui la ronge. Je ne supporte pas les gens qui se laissent emporter si loin (… je crois que je manque de tolérance?!).

C’est un roman psychologique, émotif, mais surtout extrêmement bien écrit, bien travaillé, avec des images qui rappellent sans cesse la comparaison entre ces deux femmes prises dans les « lianes » de l’amour. A quelques décennies d’intervalle  le même schéma se répète : on pourrait le trouver destructeur, ou au contraire porteur d’un nouvel espoir, dans tous les cas il est synonyme d’agitation, d’impatience voire d’angoisse.

Le récit est bien structuré selon moi, les liens entre le journal intime et la narration de Lysange n’ont pas un aspect artificiel. La narration justement parlons-en : encore un élément d’originalité bien que discret si on n’y porte pas attention. Le récit passionnant de sœur Madeleine au Brésil est bien sûr à la première personne puisqu’il s’agit d’un carnet personnel où elle-même s’adresse à Dieu ; pour nous raconter la vie de Lysange, ses actions, c’est une narration à la troisième personne qui est utilisée. Mais il y a une entorse à la règle, car de façon très judicieuse, Frédérique Deghelt a choisi de donner la parole directement à cette femme (« je ») quand elle évoque cette passion surpuissante : rien de mieux pour nous faire éprouver au plus profond de nous-mêmes les affres de l’amour qu’elle peut endurer. De plus, les dialogues sont les plus souvent mêlés subtilement au corps de texte, un changement par rapport à d’autres romans plus « classiques » mais très agréable.

Malgré la force, voire la gravité des sentiments évoqués dans ce roman, il a été pour moi comme un vent de fraîcheur dans ma bibliothèque. Le style de l’auteur, ses procédés narratifs sont vraiment particuliers sans être tordus ou inutiles. C’est vrai qu’il y a un peu trop de pages sur l’amour pour moi (je frôle vite l’overdose, mais c’est une de mes caractéristiques) mais l’histoire de cette jeune religieuse en mission au Brésil et sa découverte du sentiment amoureux m’ont vraiment passionnée. L’amour de Lysange en parallèle apporte un éclairage agréable et une comparaison savoureuse. Bref, un bon moment de lecture intense et toute en grâce : ça tombe bien, le livre vient juste de sortir en poche pour les étudiants qui comme moi ont peu de deniers dans leur besace.

Frédérique Deghelt, La nonne et le brigand, aux éditions Actes Sud, 23€20 OU aux éditions Actes Sud, poche Babel (1155), 9€00.

Différente, de Sara Lövestam

 

Il me semble que ça fait bien longtemps que je n’ai pas un peu parlé de littérature nordique. Je vous ai donc choisi un roman en langue suédoise, admirablement traduit en français. Le livre s’intitule Différente, il a été écrit par Sara Lövestam. J’ai lu ce bouquin en regardant en parallèle la première saison de Dexter, sans le faire exprès, j’y ai vu plein de parallèles assez drôles. Toutefois, contrairement à la série télévisée, pas de meurtre dans ces pages.

 différente

Martin réussit à convaincre Paula de passer des échanges virtuelles à une vraie rencontre. Il est très impatient et quand enfin, il la voit, c’est le coup de foudre immédiat. C’est que Martin a des attirances sexuelles assez atypiques : il aime les femme amputées ou aux membres manquants, surtout les jambes, et c’est le cas de Paula. La jeune fille a été abandonnée à la naissance, ce qui ne l’a pas empêché de réussir : elle est linguiste à l’université. Elle n’a jamais vraiment connu l’amour, et elle a toujours refusé de subir son handicap : deux choses qui changent au contact de Martin, un peu trop enthousiaste à son goût.

Mais ce n’en est pas fini pour Paula : rapidement elle rencontre Leo, meilleure amie de Martin et lesbienne revendiquée qui aime bien cumuler les histoires. C’est un peu électrique entre les deux femmes : c’est vrai Leo n’a pas la langue dans sa poche. Mais elles apprendront à se connaître et à vraiment s’apprécier.

Pour Paula, c’est une nouvelle période de sa vie qui s’ouvre, riche en émotions, peut-être trop, trop bouleversante. Et quand en plus des amours, les histoires de familles se croisent et refont surface, ce sont de lourdes révélations qui voient le jour.

Beaucoup de choses déballées dans ce roman à la fois rythmé et grave, drôle et sincère. Peut-être trop de choses, au point que ça en devient parfois surréaliste. Toutefois, Sara Lövestam a réussi à exprimer dans ce tourbillon de sentiments des thèmes universels et touchants, qu’elle traite avec humanité. Toute envie, tout caractère peut s’expliquer par un passé parfois pas facile, même si on l’ignore encore. Dans Différente, on explore des situations inhabituelles, curieuses avec une envie, peut-être malsaine, de voyeurisme, d’en savoir plus sur la vie et l’histoire de ces personnages pas banals.

On ne s’ennuie jamais avec ce livre mas je dois avouer que parfois on s’y perd. L’auteure donne la parole à chacun de ses personnages, souvent de façon rapide : le plus souvent on comprend assez vite de quelle voix il s’agit mais on peut également s’y perdre très facilement, c’est un mode de fonctionnement très dynamique et inhabituelle, surtout pour un lectrice franchouillarde comme moi ! C’est vrai que ça dépayse bien, ça revigore de lire de tels romans mais quand les personnages ne sont pas identifiés ou qu’on n’explique pas ce qu’ils ont à faire là, il est parfois dur de suivre la narration… Et personnellement, j’ai eu beaucoup de mal à intégrer que Leo était bien une fille, malgré un prénom (un diminutif en fait) masculin. Mais heureusement, à la fin, toutes les pièces du puzzle s’assemblent, et notre cœur bat à cent à l’heure, et on est à fleur de peau, et on vibre au même rythme que toutes ces figures si attachantes, et on n’en peut plus, on veut savoir, et c’est exquis. Bref, un livre hors du commun, très agréable bien que bizarre (mais jamais vulgaire), que je vous conseille vivement !

Sara Lövestam, Différente, traduit du suédois par Esther Semage, aux éditions Actes Sud, 22€.

La Septième Vague, de Daniel Glattauer

« Cher Leo, ce que tu me fais ressentir depuis cinq jours est pire que tout ce que tu m’as fait ressentir avant, et pourtant je me suis déjà sentie mal à cause de toi, c’est même toi qui m’a appris à quel point on pouvait se sentir mal. (Bien aussi d’ailleurs.) Mais cela, je n’en avais pas encore fait l’expérience : je t’incommode. Tu reviens de Boston, tu ouvres « Outlook », tu te réjouis de la perspective d’une cyber-reconquête du pays natal. Déjà les premiers mails prometteurs d’abonnées égarées t’attendent. De quoi vivre de nouvelles aventures spirituelles avec des femmes anonymes, peut-être y a-t-il même une célibataire dans le lot. Et après : ah, une certaine Emmi Rothner t’écrit. Le nom te dit vaguement quelque chose. N’est-ce pas celle qu’en charmeur professionnel et virtuel tu avais presque mis dans ton lit, qui était prête à te sauter dans les bras ? Pourtant, un dernier réflexe de sa raison l’a fatalement éloignée de toi, elle t’a manqué, prise de vertige elle est passée à un cheveu de toi. Bien, neuf mois et demi sont passés, tu avais oublié depuis longtemps cette femme et cette frustration. Et voilà qu’elle donne de ses nouvelles, fait un apparition inespérée dans ta boîte mail. Tu lui souhaites (très drôle, Leo, comme à tes meilleurs moments) un joyeux Noël et une bonne année en plein creux estival. Et bye bye ! Elle a eu sa chance. D’autres se pressent déjà au portillon. Elle te dérange, elle t’énerve. Le plus simple est de l’ignorer, Leo, pas vrai ? Elle va vite arrêter. Elle arrête déjà. Elle arrête, promis ! »


Dans Quand le vent souffle du nord, Daniel Glattauer avait mis en scène l’amour virtuel d’Emmi et de Leo. Quelque chose d’intime et de passionné, mais qui ne s’avoue pas vraiment. Emmi est marié et Leo n’a jamais voulu jouer les briseurs de couple. Mais c’est ainsi. Suite à une erreur, ils se retrouvent à communiquer, puis à rire, puis à se connaître, puis à se plaire. Il ne pouvait qu’en être ainsi : humour caustique, écriture poétique. Comme la mer qui avance et recule, ces deux apprentis amoureux jouent au chat et à la souris. Ils savourent cette expérience qu’ils désirent unique, savourent ce qu’ils peuvent avoir l’un de l’autre. Mais cette relation est difficile, à la fin du livre, Leo part à Boston et préfère abandonner sa boîte mail.
La Septième Vague se déroule près de 10 mois après, à son retour. Emmi continue à envoyer des mails à une messagerie qui ne lui répond que par « Attention adresse mail modifiée ». Jusqu’au jour où. Leo n’a pas tenu, il lui répond. Les choses reprennent, dans la méfiance, mais avec aussi un grain de folie. Si on recommence maintenant, ça veut bien dire qu’il y a quelque chose de fort, de profond, qui va plus loin que le virtuel peut-être. C’est ce qu’Emmi espère, c’est ce qu’elle veut, c’est ce qu’elle souhaite essayer. Mais comme toujours l’amour est compliqué. Surtout quand les mails se croisent ou dissimulent. Car derrière un écran, qu’elle est le pourcentage de vérité ?
Car oui, vous l’aurez deviné, tout se déroule par mail. Un procédé poussé à l’extrême qu’on ne rencontre pas souvent dans un roman. Qui EST le roman en fait. On s’habitue vite, et on apprécie ce mode de narration particulier car il permet de n’avoir en tête que les relations humaines, on ne s’écarte pas de l’intrigue principale sauf quand les personnages divaguent eux-mêmes. La Septième Vague est donc la suite de Quand le vent souffle du nord. Il n’est pas indispensable d’avoir lu cet ouvrage d’abord mais c’est vrai qu’ainsi vous en saurez en peu plus sur le passif des héros et comprendrez mieux certaines références. C’est une écriture bourrée d’humour, de sourires, de poésie. Même si les sentiments sont parfois mis à mal, même si les personnages sont quelque fois tourmentés ou dans l’impasse, toujours dans le doute, il y aura toujours une solution pour les sauver ou, du moins, pour alléger la peine. On est transporté dans cette balance du pour et du contre, la balance de leur amour.
Je dois quand même reprocher à l’auteur quelques longueurs un peu lyriques, dans le style « regardez-moi écrire ». Peut-être est-ce du à la traduction (l’auteur est autrichien et écrit en allemand) ? En tout cas, certains passages, notamment dans les mails d’Emmi, sont trop philosophiques pour coller vraiment avec un roman où l’amour est le seul but et donne lieu à une course effrénée. Mais ce petit défaut est contrebalancé par les mails longs ou lapidaires qui donnent un vrai rythme à la lecture et apporte du sens au texte. Donc si vous n’avez pas peur de lire une histoire amoureuse, qui n’est pas à l’eau de rose je vous rassure, à la forme originale, n’hésitez plus !

Belle du Seigneur, d’Albert Cohen

« En ce soir du Ritz, soir du destin, elle m’est apparue, noble parmi les ignobles apparue, redoutable de beauté, elle et moi et nul autre en la cohue des réussisseurs et des avides d’importances, mes pareils d’autrefois, nous deux seuls exilés, elle seule comme moi, et comme moi triste et méprisante et ne parlant à personne, seule amie d’elle-même, et au premier battement de ses paupières je l’ai connu. C’était elle, l’innatendue et l’attendue, aussitôt élue en ce soir de destin, élue au premier battement de ses longs cils recourbés. Elle, Boukhara divine, heureuse Samarcande, broderie aux dessins délicats. Elle, c’est vous. (…) Les autres mettent des semaines et des mois pour arriver à aimer, et à aimer peu, et il leur faut des entretiens et des goûts communs et des cristallisations. Moi, ce fut le temps d’un battement de paupières. Dites-moi fou, mais croyez-moi. Un battement de ses paupières, et elle me regarda sans me voir, et ce fut la gloire et le printemps et le soleil et la mer tiède et sa transparence près du rivage et ma jeunesse revenue, et le monde était né, et je sus que personne avant elle, ni Adrienne, ni Aude, ni Isolde, ni les autres de ma splendeur et jeunesse, toutes d’elle annonciatrices et servantes. Oui, personne avant elle, personne après elle (…). »

Je crois que ces lignes sont un bon témoin de Belle du Seigneur. Ce livre vient terminer une trilogie formée par Solal et Mangeclous. Publié tardivement, en 1968, par Gallimard, il a été bien accueilli par les critiques. Ses quelque mille pages peuvent effrayer au premier abord, mais il suffit de commencer un chapitre pour être happé par cette force religieuse, sexuelle, sociale qui vous entraîne et ne vous lâche plus jusqu’au tout dernier mot de l’ouvrage.

Belle du Seigneur retrace la relation adultère d’Ariane pour Solal. Une passion démesurée, morbide, où l’amour fracasse tout. Mariée à Adrien Deume qui n’a qu’un but, monter sur l’échelle sociale, Ariane se retrouve coincée avec un époux qu’elle n’aime pas mais qu’elle fait semblant d’apprécier, question de convenances. Mais Solal a d’autres plans pour elle, car dès le premier regard, il était tombé amoureux. Et à lui, rien ne résiste. En une soir il séduit la belle, en un soir commence cette histoire enragée d’affection mutuelle. Des plus doux moments de tendresses aux instants les plus difficiles d’une vie sentimentale, ce roman nous fait parcourir l’histoire d’une vie bouleversée.

Albert Cohen écrit ici les plus belles pages de la littérature amoureuse de notre époque. A travers les cent six chapitres, chaque personnage s’exprime de façon personnelle sur ses travers, ses ressentis, sa douleur. Une écriture très particulière, qu’il faut apprendre à dompter pour les lecteurs habitués à la narration classique ; pour vous donner un exemple, dans certains chapitres nous écoutons le monologue d’Ariane dans son bain, sans réel fil conducteur et surtout sans ponctuation. On comprend très vite le choix de l’auteur pour cette particularité : la jeune fille est quelq’un de psychologiquement fragile voire instable, avec un penchant certain pour la mélancolie. A l’inverse, les monologues d’Adrien Deume sont très cadrés par la ponctuation, avec quelques divagations certes, mais ils suivent toujours un plan de route certain. Pour ce personnage, tout doit être préparé et calculé pour favoriser sa montée sur l’échelle sociale, même ses marques d’attention pour sa femme sont parfois contrôlées. L’écriture est toujours prenante, on a hâte de poursuivre notre rôle de voyeur malsain pour connaître enfin la suite de l’histoire. Les personnages sont changeants au fil du livre, comme dans la vraie vie où les expériences nous forgent et nous déduisent. C’est une écriture de la vie dans ce qu’elle a de plus puissant, de plus fort.

C’est d’ailleurs le grand drame de ce roman : quand les gestes d’affection et les paroles de sentiments ne sont plus sincères, quelle valeur porter alors à cet amour ? Solal et Ariane s’aiment de passion, une passion qui les entre-dévorent ; contre l’ennui, le changement radical, les affres de la dispute sont souvent les seules solutions quitte à faire souffrir et à mettre en danger son couple. C’est toute l’ambivalence de cette relation complexe, ambigüe qui nous est jetté à la figure. Aimer, est-ce au point de se faire du mal, pour ne pas s’oublier ?

Mais en plus de l’amour, Albert Cohen insère dans son livre de multiples critiques. Satire de la petite bourgeoisie tout d’abord qui désire toujours plus s’élever à coup de petites combines et de magouilles injustifiées. Amour de cette religion juive qu’il l’a construit, religion menacée par le nazisme. L’auteur a d’ailleurs du arrêter d’écrire un temps à cause de la Seconde Guerre mondiale et c’est sans aucun doute après elle, et les horreurs qu’elle a causé à son peuple, que Cohen écrit ces magnifiques pages sur l’incompréhension de Solal, juif lui aussi, face à toute cette violence gratuite. Bref, c’est un livre multiple qu’on ne peut clairement pas réduire au récit d’une rencontre amoureuse. Il faudrait plus d’une vie pour comprendre et déterminer tous les tenants et aboutissants de cette oeuvre. Elle est si complète, si visionnaire, si démesurée… Je ne peux que vous inviter à lire ce roman si prenant, si fort, qui happe toute votre âme et remet en question vos comportements amoureux. Il changera votre vision de la passion.

La Peau de chagrin, Honoré de Balzac.

Ou comment je me suis décue moi-même. Je vais vous l’avouer tout de suite : je ne l’ai pas fini. Je me suis même arrêtée seulement après le premier chapire, « Le Talisman ».

La Peau de chagrin est un roman d’Honoré de Balzac, publié en 1831 ; il est considéré comme l’un des premiers vrais romans de Balzac et on le classe rapidement dans le réalisme bien que ce soit un conte fantastique. C’est une grand oeuvre de la littérature française, dont, au cours de mes études, j’ai rarement entendu parlé. Pourtant, c’est une mine d’or, partout des choses à approfondir, des concepts cachés, des moyens stylistiques originaux…Mais il a trop l’image d’un roman de loisir, ça fait pas sérieux dans le cursus universitaire, imaginez-vous… Dommage, car apprendre à connaître un ouvrage au sein d’un cours m’a permis de redécouvrir des auteurs et des titres que je sous-estimais. Dommage car j’aurais peut-être pu alors apprécier cette oeuvre balzacienne à sa juste valeur.

La Peau de chagrin ne commence pas joyeusement : Raphaël de Valentin vient de perdre ses dernières pièces au jeu, il décide alors de se suicider. Mais juste avant d’accomplir sa décision, il se promène dans un magasin immense, sorte de brocante-caverne d’Ali Baba. Le vendeur lui présente une peau de chagrin, dont l’expression est toujours employée aujourd’hui. Elle peut réaliser vos désirs mais à chaque fois elle rétrécit un peu plus, comme la longueur de votre vie à laquelle elle est inextricablement liée. On retrouve ici l’idée de pacte avec le Diable, surtout que le jeune aristocrate ne souhaite que s’enrichir, assouvir tous ses souhaits. Après un bref moment d’euphorie, il réalise qu’il devra, une seconde fois, subir une descente aux Enfers terrible.

Il y a dans ce roman des passages qui sont des pures perles. Pour l’unique partie que j’ai pu lire je parle bien sûr de la première rencontre entre le jeune homme et cette peau qui finira par encore plus détruire sa vie. Toutefois, il y a aussi beaucoup de blablas auquel je ne m’attendais pas, des discussions pseudo-intellectuelles ou politiques, longues et hors de propos, qui viennent comme un cheveux sur la soupe. Aucun intérêt pour l’histoire. Je me doute bien sûr que je passe à côté de choses passionnantes ou que je n’ai pas compris certaines choses à propos de ces interminables monologues. Cependant, la plupart sont très ancrés dans leur époque et je n’ai pas vraiment eu envie de potasser le contexte social, historique et politique du début du XIXe siècle pour une simple lecture de loisir. Je me déçois beaucoup car je crois bien que c’est la première fois que je renonce à lire un livre que j’ai choisi… Mais sincèrement, c’était au-dessus de mes forces.

Toutefois, je ne renonce pas à découvrir Balzac ; on m’a d’ailleurs récemment conseillé Le Lys dans la vallée. A rajouter à ma liste de lecture.

Mange, Prie, Aime d’Elizabeth Gilbert

Après plus de 10 millions de livres vendus dans le monde, une multitude de traductions et une adaptation au cinéma avec Jennifer Lopez dans le rôle principal, je m’attendais à un livre assez marketing, assez « niais »,voguant sur la vague du « je prends soin de moi », du yoga et du « je cherche mon moi intérieur ».

Bien mal m’en a pris. Première surprise : c’est un roman autobiographique, d’ailleurs plus bio que roman ; moi qui pensais avoir affaire à une pure fiction… Et deuxième surprise (encore plus agréable) : ce livre est TOUT sauf niais. Il est profond, il est exotique, il est sensible, il est opressant mais aussi libérateur.

La narratrice qui est aussi l’auteure nous raconte comment, à la suite d’un divorce très difficile et d’une grave dépression, elle a décidé de reprendre sa vie en main pendant une année. Une année où elle allait libérer de tous ces poids morts, une année de découvertes plus ou moins personnelles où toute sa vie et son attitude seront remises en question. Elle qui dans son métier a eu plusieurs fois l’occasion de voyager révisera profondément le sens de ce mot, loin de toutes notions de tourisme ou de mercantilisme.

Elle débute par l’Italie (« Mange ») où elle apprend à se faire plaisir ; elle qui était du genre à manger un yaourt de soja saupoudré de graines au petit-déjeuner découvre le vraie gastronomie, ses sens se réveillent et réapprennent à savourer. Tombée amoureuse de la langue italienne, elle se surprend à aimer son corps, à se rédécouvrir toute entière en se rappelant qu’elle est être humain et donc être de désir.

Puis elle part pour l’Inde (« Prie »), dans un ashram pour se soumettre à la discipline sévère du yoga. Des belles rencontres aux remises en question, Elisabeth devra se poser, partir en méditation, persister, faire le vide pour que son moi profond fasse la rencontre divine, l’état magique du yogi averti où tout l’univers se déploie devant vous, son fonctionnement et les problèmes qu’ils soulèvent se résolvent d’eux-mêmes dans vos pensées. Un apaisement dur à obtenir où la tenacité mais aussi la sagesse permette un grand pas en avant pour retrouver une sénérité sincère et profonde.

Apaisée, elle finit son voyage en Indonésie (« Aime »), le dernier des trois « I » de son périple. Ici, elle suit le quotidien d’un sorcier-guérisseur balinais, découvre la méditation indienne, renoue avec la vie dans cette ville si agitée et particulière qu’est Bali. Bercé par des rites religieux très codés et un système de castes primordial, la vie indonésienne lui permet de faire la connaissance de gens extra-ordinaires au sens littéral du terme qui changeront à jamais sa vision du monde. Elisabeth se rend compte alors que la vie vaut la peine de ressentir, d’éprouver… d’être vécue !

C’est plus qu’un voyage, c’est un périple, une initiation au bonheur et à la sagesse à laquelle nous avons la chance d’assister. Entré dans l’intimité profonde de la narrratrice, le lecteur n’est pas perdu : tout est parfaitement expliqué (les notions de yogas, la vie balinaise…) sans être trop descriptif ou posséder un côté ennuyeux. Sans pour autant parler avec « légéreté », l’auteure évoque ses problèmes passés avec franchise, sang-froid mais en réussissant tout de même à nous faire ressentir l’état émotionnel qui l’occupait à ce moment-là. L’écriture est très fluide, les pages glissent entre nos mains sans nous en rendre compte, on traverse des kilomètres, des centaines de péripéties et d’expériences en quelques heures mais ces quelques heures laissent dans notre âme une impression perceptible. L’impression qu’il est peut-être temps pour nous aussi de nous remettre en question, de revoir si nos désirs sont réels ou bien inutiles, si nous nous connaissons vraiment, si nous savons ce qu’est l’amour, ce qu’est la sagesse. C’est une vision de la vie personnelle certes, mais aussi universelle car sa portée dépasse les générations, les religions, les différences culturelles. Une lecture plus que conseillée pour tout ceux qui souhaitent goûter à l’exotisme, avoir le témoignage d’un changement de vie radical, suivre l’évolution d’une existence sur le point de se révolutionner. C’est un livre-médicament, une bible indolente de la sagesse et une invitation paisible au voyage ou invitation résolue à une mutation de nos vies.