Il faudrait s’arracher le cœur, de Dominique Fabre

Il faudrait s’arracher le cœur, c’est vrai que cela rendrait la vie plus simple. Les attaches, les relations, les choses à se dire, à faire, à penser, les autres à prendre en compte, les autres qu’on aime, de quoi nous rendre tristes, nostalgiques, pensifs, insouciants, soucieux. Il faudrait s’arracher le cœur, en plus d’être une idée qui a du sens, est aussi le titre d’un roman de Dominique Fabre, auteur dont j’ai déjà parlé sur le blog : J’aimerais revoir Callaghan.

Le livre se divise en trois parties, liées entre elles par des personnages communs qui les font rentrer en résonnance. Il y a d’abord ce jeune homme de la banlieue qui a pour ami un avocat suicidaire et un couple dans un squat. Puis ce frère et cette sœur dont le père s’en va de la maison familiale. Et enfin cette grand-mère qui doit quitter l’appartement qu’elle occupe depuis toujours à cause d’Alzheimer.

Trois vies qui semblent banales, et qui peuvent l’être assurément car elles sont marquées par des émotions qui nous touchent tous, qui nous parlent à tous : le deuil, le regret, l’incompréhension, l’oubli. Ce n’est pas un livre très facile par son thème. Les sujets sont tristes, l’écriture est assez lente et on ne peut pas dire que c’est une écriture qui fasse sourire. Toutefois, Dominique Fabre ne verse pas dans le pathos, il essaie de coller au plus près du réel, sans introspection intempestive. En nous donnant à voir et à entendre les réactions des personnages, leurs gestes, leurs expressions, l’auteur nous permet de nous trouver aux côtés de ces héros du quotidien comme si nous étions l’ami qui leur tenait la main.

Le style est très particulier, on colle à la peau des personnages, les voix se mêlent parfois, les identités, les actions aussi. Il m’est arrivé à plusieurs reprises de ne pas savoir quelle personne un pronom représentait. L’écriture n’excelle pas dans la clarté. Cela peut être voulu pour créer une impression de flou, de monotonie peut-être mais il est vrai que ça ne facilite pas la lecture. C’est un mauvais point pour ce roman qui traîne parfois en longueur mais qui reste un livre reposant sur ses personnages, un livre des tourments d’une vie, un livre sur l’amitié, la famille et le souci que nous font les êtres qui nous sont chers.

 

Un avis mitigé, mais quoiqu’il en soit, j’apprécie toujours autant cet auteur qui est la gentillesse et la douceur incarnées.

 

Dominique Fabre, Il faudrait s’arracher le cœur, aux éditions Points, 6€70.

J’aimerais revoir Callaghan, de Dominique Fabre

J’ai rencontré Dominique Fabre lors de deux semaines d’ateliers d’écriture dans le sud de la France où j’étais un peu stagiaire, un peu bénévole. Je n’avais rien lu de lui, mais déjà je m’étais fait une opinion sur ce monsieur : un gars incroyablement gentil, doux et souriant. Sincèrement, si tous les écrivains pouvaient avoir cette modestie et cette courtoisie, ce ne serait pas du luxe. Alors quand même, j’ai voulu rencontrer sa plume et j’ai commencé par son livre sans doute le plus connu : J’aimerais revoir Callaghan.

Jimmy Callaghan, c’est un anglais qui a passé son enfance et son adolescence en France, il fume des Benson, n’aime pas les fumer seul mais reste bien solitaire et mystérieux. C’est le genre de garçon aux cheveux blonds, qui a toujours la classe, et ce genre d’aura, obsédante et attirante. Un peu mauvais genre, mais pas le mauvais bougre. On veut tous être son copain, et le narrateur plus que tout. Il veut connaître la vie de Callaghan, recevoir ses confidences, et faire le mur avec lui.

Mais la vie a ses aléas, et Jimmy est le genre de garçon qui s’en va toujours, mais finit par revenir à un moment. Et ce moment, c’est vingt plus tard, quand la vie amoureuse du narrateur connaît un tournant. Callaghan a changé, bronzé et SDF, après un bout de temps en Australie. Les gestes sont naturels, comme s’ils ne s’étaient jamais quitté. Mais de l’eau a coulé sous les ponts, et même s’ils font revivre une amitié un peu ténue, dans leurs existences, rien n’est plus pareil. En partant, Jimmy laisse sa valise. Il faudra bien lui rapporter.

Très étrange cette intrigue, une relation qui unit deux garçons dès l’internat, qui se poursuit et se distance à travers les décennies. Ce n’est pas le cœur du livre puisque la vie du narrateur soulève des questionnements et remplit des dizaines de page, mais en même temps, sans Callaghan, ce livre n’aurait plus de substance. Sa présence permet de mettre en lumière des situations, des souvenirs, tout se dit en se réflétant dans le miroir de Jimmy. Un bien curieux personnage, qui trimbale son lot de passé dépressionnaire, mais avec une flegme extérieure. Un homme qui veut être dans l’ombre mais qui a une vie bien mouvementée, et fait une sacrée impression sur notre narrateur qui se rappellera de lui toujours.

C’est un petit livre assez court, avec une narration qui pourrait semblait ordinaire, mais qui pourrait seulement. Comme un mantra, des bribes de paroles d’écolier font resurgir le souvenir. Une écriture nostalgique, un peu descriptive mais juste ce qu’il faut, avec le ton grave d’une voix qui se raconte. C’est assez particulier, je ne sais pas encore si j’ai aimé, mais je peux déjà dire que j’ai trouvé cette expérience de lecture dépaysante et intrigante. Au moins, vous devriez essayer.

« Alors voilà. Nous étions tous ensemble, il y a longtemps de cela. Nous ne nous sommes jamais vraiment quittés. Nous ne sommes jamais partis pour toujours, même Jimmy. »

 Dominique Fabre, J’aimerais revoir Callaghan, Le Livre de Poche (32184), 6€10.