Le soldeur, de Michel Field

Pendant le NaNoWriMo, j’ai péniblement lu un livre (oui, c’est déjà pas mal). Doublement péniblement qu’il n’était pas franchement passionnant alors que le sujet aurait pu être très intéressant. Il s’agit d’un roman qui parle d’un homme entouré de livres, il a construit toute sa vie avec eux, ils font partie de son identité. Mais un jour, il tombe sur une jeune fille mystérieuse qui l’obsède. Cette dernière lui pose des défis qui l’obligent à se séparer de ses précieux ouvrages. C’est donc l’occasion pour lui de revenir sur ses années de lecture et de découvertes livresques, dans une sorte de crise d’identité qu’il s’impose.

Il s’agit d’un roman de Michel Field publié cette année chez Julliard : Le soldeur.

Concernant l’histoire, il va m’être difficile de vous en dire plus. Ça se veut énigmatique, élevé, bien pensé, romantique, cultivé. A chaque rayon de bibliothèque que le héros vide ou à chaque défi lancé par la jeune fille, une ballade dans des dizaines de thématiques et de livres en particulier sont explorés : Paris, la cuisine, les polars et j’en passe. Il y a toutes sortes de littérature dans cet ouvrage : roman de gare, essai philosophique, écrit sur le féminisme, documentaire en tout genre, etc. Le héros s’y connaît dans tout, et la lectrice que je suis avait l’impression de ne plus rien connaître du tout en littérature, après pourtant 5 années d’études et une vie de passion.

L’auteur du Soldeur a voulu explorer tous les horizons pour décrire, je pense, son propre ressenti, sa propre vie avec les livres, cette relation unique et personnelle. Et ça aurait pu être très intéressant de découvrir cette rétrospective et cette vision des choses. Malheureusement, le faire sous forme d’une fiction a été la pire des idées.

Le récit en soi n’est pas vraiment consistant, il s’évapore par bribes entre toutes ses lignes sur les livres. Cette relation entre la femme et la héros aurait pu être vraiment mieux exploitée. On a l’impression que ces deux personnages ne sont que des figurants, une excuse pour parler de littérature, et ceci est un tort considérable dans un roman. Négliger ses personnages, c’est négliger ses lecteurs.

L’écriture est lisible, bien sûr, mais la construction de l’histoire, le manque de matière terrible de l’intrigue, ainsi que les trop longues diatribes sur des livres – dont pour la plupart on se fiche, il faut l’avouer ! – rendent cet ouvrage lourd et long. Il a failli me tomber des mains plusieurs fois. La seule chose qui m’a fait tenir, c’est découvrir comment allait se finir cette histoire entre les deux personnages. Eh bien, j’ai été sacrément déçue, vraiment. Et rien que pour ça, pour cette déception finale, qui est la goutte d’eau qui fait déborder le vase, je vous déconseille cette lecture.

Michel Field, Le soldeur, Julliard, 20€.

La Couleur du soleil, d’Andrea Camilleri

Bon promis, après ça, j’arrête les livres d’auteurs italiens ou qui ont un rapport à l’Italie. Cette fois, je me suis intéressée à un auteur italien célèbre : Andrea Camilleri. Pourquoi ? En fait, j’ai été bénévole pour la première fois l’année dernière au Marathon des Mots de Toulouse, grand festival qui accueille beaucoup d’écrivains et d’artistes, et l’Italie était justement le pays à l’honneur pour cette édition. Je baragouinais alors deux, trois mots d’italien, et vu que j’étais disponible sur toute la durée de l’événement, hop ! J’ai été catapultée ange-gardien de Môôsieur Carlo Lucarelli, un homme très gentil et patient (je devais paraître cruche devant lui à utiliser mon mini-dictionnaire bilingue toutes les deux syllabes). Par la même occasion, j’ai rencontré son pote de lettres Pennachi (un personnage haut en couleur!) et tous les deux évoquaient sans cesse leur ami Camilleri. Étant donné que je n’ai lu aucun livre de ces trois auteurs, je me suis dit qu’il fallait que je m’y mette, et comme par hasard le jour même, dans une mignonne petite librairie de Carcassonne, je tombe sur La Couleur du soleil d’Andrea Camilleri.

 la couleur du soleil

La quatrième de couverture a fini de me convaincre. Je ne suis pas très calée en peinture mais s’il y a bien un artiste que j’adore, pour lequel je me déplace aux expositions et aux musées, c’est bien Caravage. Et justement, le roman en question (car même si au premier abord on peut se tromper, c’est bien un roman) retranscrit des passages d’un journal écrit de la main même du grand peintre. J’adore quand l’Histoire se mêle à la fiction, j’ai succombé.

Alors que Camilleri était à Syracuse, il se fait embarqué dans le plus grand secret jusqu’à la demeure d’un étranger. Là, l’homme lui avoue que sa femme décédée avait pour souhait de lui montrer des écrits personnels, encore inconnus, de Caravage. A la va-vite, il a une soirée pour retranscrire quelques passages avant d’être ramené à son hôtel.

Qu’est-ce qu’on peut y lire ? Des morceaux de sa vie, de sa pensée, de ses tourments, de sa fuite pour échapper à une accusation de meurtre, de son égarement. On entrevoit également sa vie d’artiste, ses commandes, ses relations. Alors que XVIe siècle se termine, Camilleri nous laisse entrevoir une facette méconnue de ce peintre à la vie mouvementée. Ses passages à Malte, Girgenti (actuelle Agrigente), Licata, Syracuse, Messine et Palerme, dont certains n’étaient alors que supposés. Chevalier de grâce puis pourchassé sur ordre papal, Caravage s’administre dans les yeux un liquide noir qui lui permet enfin de supporter la violente lumière du soleil. L’astre de lumière lui apparaît alors sombre, peut-être ce qui a rendu ses peintures si subtiles dans le clair-obscur, mais on dit aussi à cette époque que ces gouttes sont un poison, une invention du Diable qui pervertit une des plus belles création divine.

J’ai beaucoup apprécié cette recréation de l’Histoire, cette appropriation fictive mais qui paraît (et qui pourrait être) réelle. Il ne faut pas tomber dans le piège de croire que ce sont de vrais écrits de Caravage, d’ailleurs l’auteur le dit explicitement à la fin. Ce qui m’a beaucoup étonnée, c’est le style qui se plie vraiment à la langue de l’époque (d’ailleurs, bravo au traducteur qui retranscrit fidèlement cela en français!), même si Camilleri précise avoir lissé le ton « rocailleux » de l’écriture caravagesque. C’est un peu difficile au début, mais on s’y fait vite, ça coule plus facilement que du Rabelais. Mais je ne le conseillerais pas non plus à ceux qui veulent une lecture très cool, il faut faire un peu de gymnastique d’esprit au début !

Malheureusement, ce livre a quelques défauts. Le contexte d’origine dans lequel il a été écrit s’adressait déjà à des personnes qui connaissait plus ou moins le peintre : ici, même si de très belles représentations de peintures sont disponibles au cœur du livre poche, on est perdu si on ne connaît pas un peu la vie de Caravage ; j’ai du parcourir un peu sa page Wikipédia pour comprendre toutes les références, c’est le seul moyen de vraiment savourer ce texte. De plus, c’est repris ici sous forme de fragments que le Camilleri fictif a recopié à la va-vite et, même si au début de chaque chapitre qui représente chacun une étape de voyage différente, l’auteur réexplique le parcours du peintre, ce n’est pas forcément suffisant… Et les passages s’enchaînent très rapidement, sans vraiment de lien, c’est à nous de reconstruire ce puzzle. Bref, pour les lecteurs habitués, ou connaisseurs, ou débrouillards.

Je le conseillerais vraiment aux personnes qui apprécient la peinture et Caravage car c’est vraiment très intéressant pour rencontrer l’homme, sa subjectivité, son intimité et pas seulement l’artiste. La construction sous forme de faux éléments biographiques de la vie de Camilleri, c’est toujours quelques chose qui personnellement me plaît, à vous de voir si vous voulez jouer le pacte de lecture à fond, ou si c’est trop pour vous. Mais malgré tout, c’est une bonne lecture !

Andrea Camilleri, La Couleur du soleil, traduit de l’italien par Dominique Vittoz, Le Livre de Poche (32847), 5€60