Si tu passes la rivière, de Geneviève Damas

Tout d’abord, bonne année 2014 à tous, tous mes vœux de bonheur et de trouvailles littéraires ! Vous avez été nombreux à venir et à revenir sur le blog l’année passée, merci de tout cœur !

Un peu de littérature belge aujourd’hui pour le premier article de cette nouvelle année, ce n’est pas souvent que ce blog en accueille. L’auteure du jour s’appelle Geneviève Damas, elle travaille surtout dans le monde du théâtre. Avec Si tu passes la rivière sorti en 2011, elle a signé son premier roman.

C’est l’histoire d’une campagne, d’un village et d’une ferme. Dans cette ferme, il y a le père et les garçons. Avant il y avait Maryse la fille mais elle est partie, elle est passée de l’autre côté rivière, là où il y a des murs noirs et des cendres. On ne l’a plus revue. Tout ça, c’est François qui nous le raconte. A la ferme, il s’occupe souvent des cochons, puis du marché. On le croirait simplet, mais au fond, ça bouillonne dans sa petite tête. Il a bien compris que tout le monde avait une maman, alors où était passé la sienne ? Est-elle elle aussi passée de l’autre côté de ce court d’eau si mystérieux juste après la naissance du garçon ? François a toujours cru qu’elle était morte mais impossible d’aborder le sujet avec le père. Sa seule solution est de lire les pierres tombales du cimetière pour en trouver une au nom de Sorrente – son nom. Mais pour ça, il faut être allé à l’école… Alors François va se rapprocher du prêtre chez qui il a piqué une livre avec une femme blonde et un enfant dedans. Il veut connaître leur histoire, il veut savoir l’alphabet, il veut découvrir qui était sa mère. C’est une quête de la vérité, un peu boiteuse, mais très touchante.

J’ai adoré ce livre. Les premières pages, on se dit « Oh la ! C’est quoi ce truc trop mal écrit ? » Puis on comprend, c’est François qui parle : avec ses mains de paysan bouseux, il décrit ce qu’il voit, ce qu’il pense, ce qu’il ressent, les méandres de son histoire. Et même si les formes n’y sont pas, ce qu’il a dans la caboche ce petit, ce n’est pas rien. On se prend vite d’affection pour ce personnage sous le joug de l’omerta familial. On ne juge pas son amitié pour sa copine truie, Hyménée. On ne juge pas ses gestes un peu brusques, ses relations sociales si cabossées. Non, on l’aime juste car il est sincère, il est bon, il veut aller de l’avant. La découverte de l’alphabet, il le comprend lui-même, c’est un changement décisif. Il commence à se prendre en main. L’évolution du personnage est très belle, et sa langue le devient avec lui.

L’univers de ce roman, ce sont des secrets, de la solitude qui ne demandent qu’à être brisés, des habitudes qui doivent être chamboulées. On grandit avec François et comme lui on crève d’envie d’en savoir plus sur ce passé, cette naissance, cette rivière. Le style employé dans ce livre est un prouesse, c’est tout à fait remarquable, osé, inoubliable. Je n’ai pas de mots pour exprimer cette découverte. Sincèrement, n’hésitez pas, foncez, allez lire ce petit roman, qui est une vraie pépite !

Geneviève Damas, Si tu passes la rivière, aux éditions Luce Wilquin, 13€00.

La Déménagerie, de Jean-Loup Trassard

Jean-Loup Trassard aime la campagne. On s’en doutait au vu de son oeuvre, au vu de ses magnifiques photographies publiées chez Le Temps qu’il fait. Avec La Déménagerie, c’est une exploration en plein monde rural que nous offre l’auteur, un vrai voyage qui me ramène à mes origines de petite provinciale.

la-demenagerie-jean-loup-trassard-9782070336395L’histoire commence avant la deuxième guerre mondiale. Il faut savoir qu’en ce temps-là, les fermiers n’étaient pas propriétaires de leur domaine. Victor et Marguerite font partie de ce cas et avec leur sept enfants, ils commencent par être assez à l’étroit à la Hougerie, alors quand le possesseur des terres décide de vendre deux champs, ils prennent leur décision : ils allaient déménager. Et c’est un changement total qu’ils opèrent : de quelques hectares, ils passent à cinquante, une ferme comme il n’en existe pas en Mayenne. Oui, parce qu’en plus, ils ont changé de département en passant à la Sarthe voisine. Cent dix kilomètres, c’est une aventure à cette époque !
L’histoire nous ait raconté par le petit Rouvier, une dizaine d’années. Son père est un ami de famille qui va les aider au déménagement. Mais juste avant le grand jour, il se blesse à la cheville, ce qui le décide à emmener son fils avec lui. Une aubaine pour le gamin qui frissonne et se réjouit d’avance de ce périple. A travers ses yeux, on observe les préparatifs minutieux, on apprend à connaître chaque bête et son caractère, on touche chaque outils de la ferme. On vit au rythme de la météo, on éternue à cause de la poussière du foin, on crie au chien de se taire. A cette époque, point de tracteurs, il fallait tout acheminer en chârte, des charettes tirées par des juments. C’est un convoi plutôt inhabituel : les fermiers ne se déplacent en général que de quelques kilomètres quand ils leur arrivent de changer de domaine. Mais ce n’est pas tout ! Il est impossible de conduire les bêtes par les routes : c’est le train qui va prendre le relais, Victor se chargeant d’accompagner les bêtes au cours d’un voyage bien bruyant !

A la fois inédite et excitante, cette « déménagerie » est organisée avec calme, car au bout, des champs à perte de vue dont Victor sera la maître, une bonne terre qui les satisfera. Une nouvelle vie dans une immense ferme, assez grande maintenant pour que tout le monde ait de la place. Une sorte de ruée vers l’Ouest, dont les Fourboué seraient les pionniers.
Avec des mots simples et d’origine, Jean-Loup Trassard parcoure la vie de ces fermiers honnêtes et travailleurs, où l’amour de la campagne est innée. L’écriture a le don de nous emporter avec elle dans ses descriptions, sans jamais être ennuyeuse. Elle fait revivre une époque où les valeurs et les caractères étaient différents, où le bruit des sabots et du lait pissant du pie directement dans le « siaux » était courant.
Si jamais vous souhaitez revenir « aux racines », si les bruits de la ville vous agacent et qu’un petit voyage ne vous ferait pas de mal, n’hésitez pas à lire La Déménagerie, une petite pépite de la littérature rurale, dont je vous parlerais encore dans ce blog. Et ne vous fiez surtout pas à la quatrième de couverture de l’édition Folio qui est horriblement mal écrite et donne une mauvaise image de ce livre pourtant magnifique.

« Sur la Mézangerie, dès qu’il a commencé à se sentir installé, malgré la guerre, les restrictions, les prisonniers de Saint-Baudelle (ça, il le savait), les Allemands dans la ville, Victor s’est remis à chanter au labour, d’une façon naturelle, il n’avait aucunement oublié son répertoire et les couplets venaient tout seuls tandis qu’il marchait le long de l’attelée. Le soc grognait contre la terre, les chaînes – toujours nommées chapelets – cliquetaient, tous les pas des juments dans la raie faisaient un froissement continu, sur cette musique sourde Victor aimait chanter, peut-être pas pour exprimer de la joie, non, mais pour s’accorder au travail qui s’accomplissait bien, ou même pour éloigner l’ennui. »

 

En passant, je profite de cet article pour vous remercier, de tout mon coeur, de vos visites sur mon blog, toujours plus nombreuses chaque jour. Je remercie également mes followers sur Twitter (@lacritiquante), les meilleurs de toute la plateforme qui gazouille ! N’hésitez pas une seule seconde à laisser un commentaire ou à me contacter pour me dire ce que vous pensez du blog en général ou d’un article en particulier, ce n’est que comme ça que je peux progresser, évoluer, pour vous satisfaire pleinement ! Encore merci à vous !

Poète et paysan, de Jean-Louis Fournier

« Quand on est amoureux, on devient un peu fou, et comme je l’étais déjà un peu avant, j’étais capable de tout. »


Que diriez-vous d’une petite ballade à la campagne ? On arrête pas d’entendre en ce moment que « L’Amour est dans le pré ». Est-ce vrai ? C’est un peu la question que se pose notre narrateur. Dans Poète et paysan, l’auteur, Jean-Louis Fournier évoque le retour à la terre.
En effet, son héros, bel étudiant parisien, s’est épris d’une jeune fille. Pour faire partie intégrante de sa vie, il va même jusqu’à rejoindre son beau-père dans la ferme familiale, perdue au milieu du Pas-de-Calais. Très vite, le désespoir le guette : il pue, il s’ennuie, il est fatigué et il n’est même pas bon fermier. Son seul ami est une génisse et son seul réconfort est d’écrire dans ses moments de doutes. Car il a toujours voulu être artiste, dans le monde du cinéma ou de la poésie. C’est ce qu’il est, au plus profond de lui. Notre narrateur est un doux rêveur. En partant à la campagne, il s’imaginait comme dans ces peintures pittoresques, labourant les champs avec son fidèle cheval de trait, fier er heureux d’être au grand air. Au lieu de ça, il est enfermé dans un tracteur fumant ou dans une étable dégoulinante de purin. Et ça ne fait plus vraiment carte postale. Alors il note, ce qu’il fait, ce qu’il pense, ce qu’il voit ; son imagination déverse des mots sur les betteraves ou les canards. On hésite, c’est si beau mais teintée d’une forme de tristesse…
« J’en ai marre. Qu’est-ce que je fais sous ce ciel gonflé d’eau, qui me pèse de plus en plus et s’égoutte dans mon cou comme une serpillière ? Moi qui rêvais d’être Fellini, moi qui regardais le monde à travers un viseur de caméra, moi qui passais mon temps à la Cinémathèque devant les films russes, moi qui dissertais sur la négativité de la mise en scène chez Fritz Lang. Pourquoi je suis là ? Aujourd’hui, le metteur en scène a une fourche dans les mains, il essaie de ramasser des betteraves. Je ne suis pas là provisoirement, en vacances chez un parent cultivateur. C’est pire, je suis là pour longtemps. Peut-être pour toujours. »
Passée la douce illusion des débuts, le héros pense amèrement à ce choix qu’il a fait, par amour. Par amour, il a oublié sa vie de jeune parisien, il a enfilé des bottes et s’est roulé dans la boue, dans l’optimiste volonté de reprendre la ferme. Et pour quoi ? Sa fiancée, elle, continue ses études à la capitale, ne le voit que quelques weekend. Ce livre traite de toutes les bêtises, les choses insensées ou contradictoires que nous sommes capables de faire par amour. Un amour peu présent dans ce roman pourtant. Non, la chose omniprésente est la terre, ce qu’elle nous offre mais surtout ce qu’elle nous demande en retour : du travail, de la fatigue, de la patience, de la volonté. Et le narrateur ne saisit même pas les bénéfices de tout ça : la betterave est moche et ce n’est pas lui qui en mangera, la boue lui arrache ses chaussures à chaque pas, jamais un rayon de soleil dans ce pays du Nord, aucun beau paysage qui vaut le coup du déplacement… On comprend son désarroi pour quelqu’un qui vient de la ville, là où tout brille, toute est propre, bon et beau.
Heureusement, Fournier ne se perd pas dans cette dichotomie campagne/ville car toutes les deux ont leurs avantages, leurs inconvénients. Non, son héros n’est juste « pas fait pour ça », et même avec tout l’amour du monde, on ne peut pas changer ce point, ce qu’on est, ce qu’on vit. Il faut se rendre à l’évidence et accepter.
De façon plus terre à terre (ahah), le livre est divisé en de multiples courtes parties, chacune étant une pensée du narrateur. Elles se suivent chronologiquement et l’histoire amoureuse y apparaît en filigrane. L’écriture de Fournier (auteur splendide que je vous recommande chaudement) est sensible et très poétique. Et ça tombe plutôt bien vu le titre du bouquin ! Il n’y a aucune précipation ni lenteur dans le style, le rythme est parfait, les descriptions sont intéressantes, les comparaisons sont belles. C’est un ouvrage court mais ressourçant malgré sa fin. Tendresse et rusticité y sont mêlées avec brio ; croyez-moi, après lecture, vous voudrez faire une sieste dans la paille.