Titus n’aimait pas Bérénice, de Nathalie Azoulai

titus-n-aimait-pas-bereniceLe théâtre tragique du XVIIe, je dois dire que ce n’est pas mon fort. Je suis plutôt du genre Molière et Aristophane. Je ne dis pourtant jamais non à quelques vers bien tournés. C’est un peu par hasard que je me suis tournée vers Titus n’aimait pas Bérénice. Quand je me suis lancée dans cette lecture, j’ignorais complètement de quoi cela allait parler. C’est en tournant les pages que j’ai découvert cette héroïne, meurtrie par une blessure profonde due à l’amour. Pour panser ses plaies, elle s’est lancée corps et âmes dans la lecture des pièces de Racine.

Une occasion pour l’auteure Nathalie Azoulai de revenir sur la vie de ce grand homme. On retrace ici son parcours, de son enfance à sa mort. On découvre un homme passionné, ou plutôt obsédé par la pureté de la langue, des mots, qui devaient transcrire dans des sons clairs des émotions plus qu’un sens. Son entrée dans le monde, ses liens avec sa tante, ses rencontres avec d’autres écrivains (Molière, La Fontaine), sa rivalité avec Corneille, son amour profond pour le roi. Et cette passion pour les mots, et pour celles qui les disaient bien.

Je ne vais pas longtemps m’arrêter à l’intrigue, à l’histoire : elle est très intéressante, même si je m’y suis un peu perdue (à cause de mon inattention je pense). Ce qui prime ici, c’est avant tout la plume de l’auteure : Nathalie Azoulai a un style vraiment à elle, très poétique, nébuleux, aérien. On s’éloigne un peu du réel, pour entrer dans un biographie romancée qui ressemble à un cocon. On parle latin, inspiration, sentiments et noms grecs. On parle rencontre, parole, alexandrin et rêve. Et surtout, on parle d’amour.

musee-jean-racine-portrait-la-ferte-milon-aisne-picardieLes images, les comparaisons, les métaphores, les références, les dialogues rapportés : voilà de quoi est composé cet ouvrage. A cela, il faut rajouter les bons mots, les vers blancs et toutes ces phrases qui sont si douces aux oreilles.
Je suis plutôt du genre à aimer les romans efficaces et très réalistes. C’est pour ça que je n’ai pas vraiment accroché à cette lecture. Mais cela ne m’a pas empêchée de voir que derrière ces pages, il y avait beaucoup de talent, une plume riche et lumineuse. Personnellement, je me serais satisfaite de la simple histoire de Racine (écrivain que j’ai hâte de mieux connaître), mais l’écho produit par l’intrigue autour de la première héroïne est très intéressant et révélateur.

C’est un roman que j’ai eu un peu de mal à saisir, je pense toutefois qu’il vaut vraiment le détour, ne serait-ce que pour cette langue si belle. J’ai emprunté Bérénice de Racine, et c’est la première pièce que je lirais de ce grand auteur, et ça, grâce à Nathalie Azoulai.

Nathalie Azoulai, Titus n’aimait pas Bérénice, P.O.L., 17€90.

La femme de l’Allemand, Marie Sizun

J’étais à la recherche d’un roman pour avancer un peu dans le challenge Marry me proposé par George. Au détour d’un blog, il y a plusieurs semaines, je suis tombée sur ce livre de Marie Sizun et je me suis dit « pourquoi pas ? ». Voici ma rencontre avec La femme de l’Allemand.

la femme de l'all

Nous sommes au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Fanny est une mère célibataire. Marion, sa fille, a vite compris qu’elle était le fruit d’une relation interdite, celle d’une jeune Française de 20 ans avec un bel Allemand, soldat nazi, finalement mort sur le Front russe. C’était une histoire d’amour, sincère, en tout cas Fanny en est persuadée. Mais sa famille l’a découvert, elle en a donc été exclue : toute la bienveillance du monde ne pouvait pas cautionner cet acte collaborationniste.

On ne sait pas en détail ce qui s’est passé à cette époque-là puisque on voit cette famille à travers les yeux de la petite fille, ses souvenirs, ses pensées, ses sentiments. Marion a vu peu à peu sa mère tomber dans la folie, cet amour déçu l’a complètement bouleversée et transformée. Parfois, Fanny semble normal, d’autrefois elle se met à fredonner des chansons, à ranger et déranger les affaires dans la maison la nuit. Et encore, ça, c’est le plus gentil.

 

La folie, ce dur mot qu’on préfère taire. On dit que ce sont des « excès », des « emportements ». Marion aime sa mère, mais elle déteste cette tornade qui prend parfois possession de Fanny. Alors les rôles s’inversent : c’est la fille qui s’occupe des comptes, de la maison, qui donne des nouvelles au peu de famille qui veut bien encore leur parler. Elle prend des distances avec cette femme qui ressemble de moins en moins à celle qu’elle aurait voulu.

Marion profite des quelques moments où sa mère, où sa tante veulent bien parler pour en savoir plus sur ce père inconnu qui hante Fanny, sur ce père qu’elle ne connaît pas, pas même son nom, sur ce père qu’elle n’a jamais vu. Elle s’imagine un grand blond aux yeux bleus, fort, et aimant. Un papa qui aurait pu être là si la guerre ne l’avait pas pris.

Cet homme est absent du livre et pourtant il est partout, dans chaque moment de doute de Marion, dans chaque silence et chaque cri de Fanny. Cet Allemand est la cause de tout.

Je dois avouer que l’histoire en jette, il fallait y penser : mêler deux drames dans un même roman, ce n’est pas si simple, et Marie Sizun y arrive assez bien. On tremble, on a peur en même temps que la petite fille, on s’arrête de penser horrifié par les crises de Fanny.

C’est vrai, c’était bien manié, il y a de la tension mais aussi de l’espoir, l’horizon d’attente est toujours repoussé plus loin, et on se retrouve, nous, pauvres lecteurs, essouflés de devoir toujours lui courir après. Malheureusement, quelque chose de très important m’a complètement bloquée dans ma lecture. On dirait ailleurs que c’est un élément original, c’est vrai, mais il faut le manier avec précaution car sa charge de pathos et de tragique est immense, ça peut exploser ou déborder à tout moment. Cette chose ? La narration à la deuxième personne du singulier. C’est un narrateur externe qui pendant tout le livre s’adresse à Marion, lui disant « tu ». On a souvent l’impression que c’est un regard autobiographique et rétrospectif : c’est vraiment très dérangeant, à tel point que ça m’a mise à l’aise.

Le vrai problème, c’est que, alors que le « tu » aurait pu se faire plus discret à certains moments, l’auteure en use et en abuse, si bien qu’il m’a paru absurde, de trop. C’est vraiment un élément trop facile à utiliser, qu’on voit arriver de loin avec ses gros sabots. Je m’en servais à mes débuts de scribouillonne (pas que je sois meilleure écrivain aujourd’hui, mais je connais mes manies de style maintenant), quand j’écrivais de la fiction et que je n’arrivais pas à insérer assez de drame. C’était l’astuce facile, je m’en servais avec parcimonie : il faut dire que le « tu » introduit une certaine lourdeur dans le texte. Mais tout un roman avec ça, surtout quand on s’en sert à outrance, et bien c’est franchement indigeste. Alors oui, c’est un livre avec beaucoup d’émotion, rondement mené, mais je refuse de dire que c’est un roman « bon », ou « passionnant », ou « à lire absolument », parce qu’il repose en grande partie sur la narration, et je l’ai ressenti comme étant de la triche.

Voilà.

Marie Sizun, La femme de l’Allemand, aux éditions Arléa, 17€50 OU aux éditions Le Livre de poche, 6€60.

La ronde de nuit, de Patrick Modiano

Voilà, c’est officiel ! J’ai lu mon premier Modiano. Voilà, voilà…

Je vous avoue que je ne saute pas au plafond, j’ai du tomber sur le mauvais livre, celui qui n’allait pas vraiment m’aller. J’ai choisi de lire La ronde de nuit, pour la simple raison qu’il n’est pas bien long, en plus la quatrième de couverture me promettait une histoire de traître, et j’aime beaucoup ce thème dans la littérature.

Me voilà donc, toute guillerette de commencer ce livre, d’entrer dans l’univers de cet auteur obsédé par la Seconde Guerre mondiale qu’il a frôlé de peu. Mais j’ai un peu déchanté, je me suis retrouvée un peu perdu au milieu de tous ces noms, ces identités mêlées.

 la ronde de nuit

Le narrateur traîne dans un Paris sous domination allemande quand il est remarqué par le Khédive, un chef de la Gestapo française. Ce policier va faire de lui un infiltré, en l’obligeant à s’introduire sous couverture chez ses adversaires, un mouvement de résistance, pour fournir par la suite des informations. Aux côtés du Khédive, le narrateur devient Swing Troubadour, et fait la connaissance d’une nouvelle société qui a émergé dans ce climat de confusion : des penseurs de seconde main, des officiers un peu limite, des danseuses de peu de renom fondent un nouvel ordre qui remplace la bourgeoisie et les notables déjà en place qui ont fui la capitale. Ils se gavent de cognac, de fois gras, fument des cigares, tout ça hors de prix. Ils voguent au-dessus de la misère ambiante mais notre narrateur ne se sent pas vraiment à sa place ici. Il préfère la compagnie d’Esmeralda et de Coco Lacour qu’il a recueilli et nourri, personnages bien mystérieux qui ont pris bien des formes dans mon esprit.

Vient le jour où Swing Troubadour entre en contact avec cette cellule de résistance qu’il doit infiltrer. Et il y arrive à la perfection, devient l’un des leurs, leur allié, leur ami. Son nom de code : la Princesse de Lamballe. Mais notre narrateur ne veut faire de mal à personne. Il ne veut décevoir aucun de ses patrons qu’il lui demande de tuer ou de dénoncer l’autre. Il n’a pas vraiment d’avis sur la guerre, sur l’Occupation, il mène son petit bonhomme de chemin mais ces identités multiples, contradictoires le laissent perplexe. Il n’arrive plus à s’y retrouver, son choix devient impossible. De toute part, il est un traître, même si ceux qui lui font confiance ne le savent pas encore. Mais n’est-ce pas d’abord envers lui qu’il a commis une trahison ?

Le récit est ponctué de paroles de chansons qui viennent illustrer, expliquer le texte. Je vous ai dit avoir été perdu au début du roman : il y a de quoi. A de nombreuses reprises je n’ai pas compris qui était qui, faisait quoi, parlait à qui, quel rôle jouait notre héros à ce stade de l’histoire. La multitude de noms et de personnages au début du récit n’arrange pas les choses. Heureusement, les choses s’arrangent au fur et à mesure, des pièces du puzzles commencent à s’assembler, notamment à partir de la participation du narrateur chez les résistants. Toutefois, de nombreuses zones d’ombres subsistent : des choses laissées en suspens, juste effleurées et qui mériteraient une explication. Ce roman commence vraiment in medias res, et dans la tête du personnage, si bien que l’on est obligé de sauter dans le train en cours de route et d’essayer de comprendre un peu comme on peut, d’assembler les éléments au fur et à mesure qu’ils nous sont donnés en espérant qu’il y ait un minimum de cohérence dans tout ça.

Mais après réflexion, il est indéniable que cette écriture reflète à la perfection le mic-mac qui se déroule dans la tête du narrateur, puisque c’est lui qui nous parle ici. Et il ne faut pas retenir que le brouhaha du début, qui m’a vraiment empêché de rentrer dans l’histoire convenablement. En effet, le livre suit les pérégrinations du personnage dans Paris : chaque lieu est l’occasion de se remémorer un souvenir d’avant-guerre, d’avant-occupation, d’avant-trahison, un souvenir de famille ou d’amitié. Ce côté tendre tranche énormément avec la cruauté que la vie inflige au héros : pris entre deux feux croisés, il ne peut pas choisir de camp. Un peu malléable, peut-être naïf, notre narrateur cherche surtout une solution pour sortir de cet état de traître, mais, avec angoisse, peine à trouver une solution.

Ce livre vaut le coup d’être lu bien sûr, mais peut-être pas comme une première lecture de Modiano. Je retenterais cette expérience, lire un des romans de cet auteur, histoire de voir si c’est son style qui ne me convient pas du tout, ou si ce livre ne m’était juste pas destiné. Déception encore plus amère puisque j’apprécie particulièrement les thèmes qu’il développe dans ses ouvrages.

Patrick Modiano, La ronde de nuit, aux éditions Gallimard (Folio 835), 4€80.