La Fureur du Prince, de Thierry Berlanda

Au début de l’année, j’avais lu un thriller étonnant : L’Insigne du Boiteux de Thierry Berlanda. Et pour mon plus grand bonheur, est sorti le deuxième opus de cette trilogie : La Fureur du Prince. Et le charme a encore agi.

Dans le premier livre (qui peut se lire seul sans frustration), on découvre un tueur intelligent, sanglant et psychopathe, fils d’une famille noble arabe : le Prince. Son truc, c’est de tuer et de hacher menu des mères devant leur jeune fils. Ambiance. Heureusement, le commandant Falier, avec l’aide du professeur Bareuil (personnage doué et détestable) et de Jeanne Lumet (une ancienne élève du professeur, restée en très mauvais terme avec lui), a réussi le faire enfermer après toutes les horreurs qu’il a commises. Je résume de façon très partielle, mais c’est seulement pour vous replacer quelques points afin de mieux comprendre le roman qui suit. Car à mon grand regret, ce deuxième livre ne permet pas complètement de prendre la lecture en cours de route. Il y a quelques éléments manquants pour tout comprendre sans avoir lu auparavant L’Insigne du Boiteux. C’est faisable, mais pas l’idéal. Bref, petite déception sur ce point. Un petit rappel dans les premières pages n’auraient pas été de trop, d’autant plus que l’histoire nous plonge directement dans la vie des différents personnages.

[Si vous ne voulez pas vous spoiler du tout le premier opus, il ne vaut mieux pas lire ce qui suit.] Avec un titre pareil, on se doute bien que le Prince est de retour, et qu’il n’est pas content du tout. Après quelques magouilles administratives, il ne va pas en prison comme prévu, mais en hôpital psychiatrique. Un endroit sur-protégé et surveillé conçu exprès pour lui. Mais le prendre pour un malade est peut-être la faiblesse de trop. Cela ne suffit pas à le retenir, et cet homme finit par s’échapper. Mais il est peu probable qu’il y soit arrivé seul : qui l’a aidé ? Dans quel but ? A peine échappé, il commence déjà à tuer, il faut l’arrêter. Pour se dresser sur sa route, Falier reprend du service tant bien que mal, accompagné d’une Jeanne Lumet aussi terrifiée que déterminée et de Bareuil qui a un étrange comportement avec elle.

Dans ce roman, l’intrigue se focalise beaucoup plus sur ces personnages, plus que l’enquête. C’est pourtant bien un thriller, avec une menace imminente qu’ il faut urgemment arrêter, avec des embûches, des personnages récalcitrants, des énigmes. Toutefois, je n’ai pas senti le même malaise d’insécurité que dans le premier livre. Les personnages secondaires, comme la directrice de l’hôpital psychiatrique et le chargé de l’enquête, prennent beaucoup de place, et même si cela suit une logique dans la narration, même si ces passages sont liés à l’enquête, on est moins dans l’action que dans les dialogues, les explications. Toutefois, cela a aussi permis d’en savoir plus sur le Prince, son passé, son enfance, son premier meurtre : voir comment se construit un meurtrier en puissance nous permet de mieux comprendre ce personnage – ce qui manquait un peu à L‘Insigne du Boiteux.

J’ai apprécié cette lecture, plus posée que le premier roman. Je dirais qu’il était passionnant plus que haletant, mais je me suis toutefois régalée, et j’avais vraiment hâte de voir comment cette histoire finirait ! L’écriture de l’auteur est toujours si fluide et claire, la lecture est aisée, les nombreux dialogues rendent ce roman très vivant et les personnages sont très attachants. L’idéal est vraiment de lire L’Insigne du Boiteux ET La Fureur du Prince, car ce que l’un n’a pas pas, l’autre le possède. Ils se complètent parfaitement.

Thierry Berlanda, La Fureur du Prince, La Bourdonnaye, 19€75 (et une magnifique couverture! Des livres toujours aussi soignés dans cette belle maison d’édition!)

Feu pour feu, de Carole Zalberg

Je reviens vers vous après une absence de plusieurs jours et un été assez pauvre en articles. Les vacances sont passées par là, mais aussi un tournant dans ma vie : j’ai fini et validé mon master en métiers de l’écriture. Je me lance dans la vie active. Hier, jour de mon anniversaire, mon auto-entreprise en animation littéraire a officiellement commencé son activité. Je dois monter un site internet, faire de la communication, trouver les premiers clients… D’ailleurs, si vous êtes dans la région toulousaine et que vous recherchez quelqu’un pour des ateliers d’écriture, de lecture ou, plus généralement, pour de l’animation dans le monde littéraire, faites-moi signe !

J’espère aussi pouvoir alimenter plus régulièrement mon blog. Pour moi, les vacances ne sont pas du tout synonymes de lecture, au contraire ! Aucun roman dévoré, à peine quelques articles de presse… Mais j’ai fait main basse sur un tout petit roman très beau, lu dans le cadre de sa participation au Prix des Cinq Continents de la Francophonie. Il s’agit de Feu pour feu de Carole Zalberg, et c’est un coup de cœur.

L’histoire se déroule dans plusieurs pays, on ne sait pas vraiment lesquels, mais on les devine. C’est une histoire de survie, de sauvegarde, de famille, d’émigration. Un père prend dans ses bras sa petite fille, un bébé encore contre mère alors que celle-ci vient de mourir, entourée d’autres corps. Il faut partir, pour sauver sa peau, trouver d’autres lieux plus sûrs, d’autres façons de continuer. C’est le récit d’une lutte où il faut garder espoir, car on ne peut plus reculer : derrière il n’y a que les morts et les souvenirs.

Ce père va marcher, assurer leur sécurité, il va essayer de tout donner à ce petit bébé si patient, si sage qu’on dirait qu’elle comprend toute la situation. Il fera confiance aux autres quand il n’aura pas le choix. Il travaillera en confiant son unique enfant à une inconnue, car il n’aura pas le choix. Il prendra les décisions qu’il faudra prendre, et il réussira. Oh, bien sûr, ce n’est pas le paradis et les étapes ont été longues, mais ce qu’il a pu lui offrir sera toujours mieux que ce qu’il y avait là-bas.

De ce passé, nul besoin d’en parler, c’est ancré en lui mais il ne souhaite pas que sa fille parte elle aussi dans la vie avec un bagage aussi lourd. Il ne peut que la voir grandir, s’épanouir, et essayer de la comprendre, même ses gestes les plus fous, même ses mots les plus durs.

C’est un récit poignant, à l’émotion affleurante, mais c’est aussi et surtout un roman tout en pudeur. Il raconte ce qui ne se dit pas, sans que ce soit réellement un secret. L’errance, le départ sont des étapes parfois vitales mais toujours difficiles. Cette expérience, des gens ont du la vivre : c’est ce que je m’imagine, et c’est pour ça que j’ai d’autant plus été à fleur de peau à la lecture de ce petit livre. Il est difficile d’en dire vraiment plus : au début, on ne sait pas où ces mots nous entraînent, mais très vite on suit la plume de l’auteur malgré nous, le cœur battant. L’écriture semble très personnelle, intime, même si l’on sait que ce n’est pas la voix propre de l’auteure. On rentre sur un territoire privé, où l’ombre du passé et la lumière de l’amour se côtoient.

Je n’en dirai pas plus, car ce que je ressens pour ce minuscule ouvrage est ineffable. Juste : lisez-le.

Carole Zalberg, Feu pour feu, aux éditions Actes Sud, 11€50.

Tangente vers l’est, de Maylis de Kerangal

« Le premier couloir est vide, tout le monde dort là-dedans quand pourtant c’est dehors que ça se passe, l’aube qui relève la forêt à toute allure, redresse chaque fût à la verticale, le sous-bois bleuté perforé de rayons chargés d’une lumière charnelle, la taïga comme un tissu magnétique que la nouvelle épaisseur de l’air module à l’infini. Hélène, captée par l’extérieur, traîne insensiblement – traverser la baie vitrée et atterrir dans les mousses, un roulé-boulé et puis l’infiltration (…). »

Tangente vers l’est, un livre que j’avais peur de ne pas aimer après l’immense réussite de Naissance d’un pont. Maylis de Kerangal a écrit ce petit livre lors d’un voyage dans le transsibérien organisé par France Culture, en compagnie d’autres écrivains. Des personnages à la russe.

 

De nos jours (enfin, j’en déduis que c’est de nos jours car à part un ordinateur et un ou deux téléphones portable, on pourrait très bien penser que l’histoire se déroule il y a plusieurs dizaines d’années de cela), il y a encore des conscrits, des jeunes appelés à l’armée russe sans qu’on leur demande leurs avis. Ils savent déjà ce qui va leur arriver : débarquer dans le vent et la neige sur une terre sibérienne inconnue, dans une base militaire vieillotte, obéir aux réglements, aux ordres sans moufter, se faire lyncher par les anciens, les plus grands, les plus forts, ne pas savoir quand est le retour, vivre à la dur, vivre sous les insultes peut-être, et les coups, à des milliers de kilomètres de sa famille. Et pour les emmener vers ce nouvelle horizon, il y a le transsibérien, cette ligne de train russe qui parcoure presque un quart de la planète, qui traverse des cités de charbons et des bleds gelés. Pour nous, c’est un train mythique signe d’aventure, pour la plupart des Russes, c’est le moyen le plus économique de voyager.

Aliocha fait partie de ces jeunes à qui on veut mettre de force un treillis militaire, mais depuis le début il veut tout sauf ça. Il aimerait s’enfuir, partir en ligne droite sans un regard en arrière, même si cela veut dire vivre dans l’illégalité, tout mais pas ça. Pas mourir gelé dans le permafrost, pas avoir le nez qui pisse le sang parce qu’on aura regardé un peu trop longtemps un mec plus baraqué que soi. Le jeune homme scrute et scrute encore les rails qui défilent, il essaie d’en faire une ligne de fuite par où s’échapper.

Puis au détour d’un wagon et d’une vodka, il rencontre Hélène, une Française qui a pris le transsibérien sur un coup de tête, alors que son couple avec un jeune homme russe bat de l’aile. Avec des gestes, lui et elle se comprennent : la détresse, la peur, l’appel au secours. La jeune femme va essayer d’aider ce garçon, mais c’est parfois difficile de s’accorder alors qu’on vient juste de se rencontrer… Un courte rencontre, riche en émotion et en péripétie.

 

Petit ce livre qui se dévore en une journée. Au début, j’ai été perplexe : cet Aliocha ne me semblait pas si intéressant que ça, j’avais vraiment du mal à situer l’époque de l’histoire. Mais petit à petit, on découvre que ce jeune homme est un vrai personnage russe, un mélange de plainte et d’angoisse, d’attachement et de timidité. Quant à Hélène, je l’ai tout de suite aimé. Leur relation éclair n’est pas simple et elle est gouvernée par des impératifs : fuir et ne pas se faire prendre.

C’est une jolie parenthèse dans le mode de vie russe et dans cet étrange rituel des conscrits (je suis bien contente après cette lecture que le service militaire ne soit plus obligatoire en France!). Il y a beaucoup d’émotion, même si c’est peu mis en relief, et un peu caché sous une mise à distance factice des personnages.

La plus belle chose de ce roman, c’est la description de ce mode de transport si particulier, ce train qui traverse les kilomètres, les décors et les fuseaux horaires. Voyager dans le transsibérien est depuis longtemps un de mes rêves – mon chéri, lui, préférerait l’Orient Express – donc j’étais par avance sure d’aimer au moins un peu ce roman. Mais j’ai été comblée : on a vraiment l’impression de vivre pendant une semaine dans ce train, entre la troisième et la première classe, entre les escales et le wagon restaurant. C’est une mécanique huilée qui assure le fonctionnement du transsibérien, j’ai beaucoup aimé la découvrir. Les longues phrases de Maylis de Kerangal, rythmées par les virgules, m’ont fait croire entendre le cliquetis des roues sur les rails, le ronflement du moteur.

Toutefois, ce n’est pas là le meilleur livre de l’auteure. Son style est léger mais parfois trop emphatique. C’est impossible d’aller à l’essentiel ici, mais ce n’est pas grave car les mots de Kerangal créent une atmosphère poétique. Cependant, un peu de concision, parfois, ne m’aurait pas déplu. J’ai eu un peu de mal à rentrer dans ce texte qui m’a convaincu au fil des pages. Autant vous le dire, à la fin, j’ai foncé sur internet pour voir le prix des billets pour le transsibérien. Bref, je vous conseille cette lecture si vous avez envie d’évasion dans la toundra. Un petit roman russe assez agréable ma foi.

Maylis de Kerangal, Tangente vers l’est, aux éditions Verticales, 11€50.

Hôpital psychiatrique, de Raymond Castells

Après une rencontre et une dédicace avec l’auteur Antoine Sénanque, dont j’ai chroniqué son dernier roman, je ne pouvais pas partir de la librairie sans zieuter un peu ce qui était sorti. A ma grande surprise, mes pas se dirigent vers le rayon policier. Je déniche alors un roman qui s’intitule Hôpital psychiatrique, et une fois la quatrième de couverture lue, s’en est fini pour lui : et hop, dans mon panier ! L’auteur s’appelle Raymond Castells, et je peux vous dire que je suis assez frustrée de ne pas avoir trouvé plus d’informations sur lui que son métier : psychologue clinicien.

Hopital-Psychiatrique-Raymond-Castells

Nous sommes en mai 2010, Louis et Louise arrivent à la fin de leur vie et, pour répondre à un journaliste, ils témoignent et font revivre l’époque de leur rencontre.

A dix-sept ans, Louis Dantezzi est accusé du meurtre de son beau-père, de sa mère et de sa soeur, déclaré fou, il est envoyé dans un asile d’aliénés près de Toulouse. Il raconte son quotidien parmi les criminels dangereux et les Jésus en herbe, son ascension au sein de cette structure, les violences que font subir les gardiens et les expérimentations médicales hasardeuses.

Au cours de ces quelques années passées dans cette maison de fou, le monde change de couleur : c’est la Seconde Guerre mondiale. Heureusement, dans toutes ces atrocités, il rencontre Louise, elle aussi internée pour meurtre, une jeune fille à la vie pas facile : le coup de foudre est immédiat. Louis avait depuis longtemps pour projet de s’évader, mais en faisant les choses bien, en prenant son temps pour que toutes les conditions idéales soient réunies : il ne s’éloigne pas de son but mais à présent, c’est avec Louise qu’il veut s’enfuir.

Mais c’était sans compter sur les affres de la guerre : entre les résistants au sous-sol et les collabos sous les combles, la boucle est bouclée quand un régiment entier de la Wehrmacht prend ses quartiers dans l’asile : c’est bien une maison de fou, le seul lieu où une situation si surréaliste peut voir le jour.

C’est pourtant vrai : ce genre de cohabitation secrète et étrange a bel et bien existé durant la guerre. C’est d’ailleurs toute la force du roman. De nous décrire des évènements, des faits, des traitements, qui étaient légion pour l’époque mais qui nous semblent impossibles ou inhumains aujourd’hui. Et même quand l’asile d’aliénés est devenu hôpital psychiatrique, quand les gardiens sont devenus des infirmiers sur le papier, les choses n’ont pas réellement changé. 

Mais ce que j’ai vraiment adoré, c’est bel et bien le style de l’auteur : je m’y suis retrouvée trait pour trait, il écrit comme je rêverais un jour d’écrire. A la fois grave, sincère, mais aussi drôle et cynique. Il a un ton incisif, il joue sur des chapitres très courts qui jonglent à merveille entre dialogues théoriques, actions étranges, ruses et secrets.

Il faut dire que son personnage principal, Louis, est un garçon plutôt mystérieux : très, très malin, il réussit à graver les échelons, à force de patience. On pourrait parfois le prendre pour un sans-coeur, mais en réalité, Louis n’aime que les personnes qui sont aptes à être aimées. Et pour eux, il donnerait sa vie. Mais pour les autres, ce ne sont que des pions qui l’indiffèrent ou que parfois il déteste. Il arrive toujours à passer dans les mailles de leurs filets, et souvent il retourne cela à son avantage. C’est un personnage très intelligent, qui fait un peu peur c’est vrai, qui s’est peut-être laissé hanté par la folie ambiante.

C’est impossible de décrire de façon rationnelle ce roman, il brasse tellement de choses, de façon si pointue, sans état d’âme. Cette lecture est une aventure, elle nous emporte dans un autre univers qu’il nous est impossible d’imaginer sans y être. J’imagine à la fois les recherches que ce roman a demandé et l’esprit un peu fou qu’il faut avoir pour écrire de telles lignes. Car c’est prodigieux, c’est sauvage, c’est vivant, c’est mordant, c’est aliénant. Un cocktail explosif qui nous tient en haleine. Six cent pages accrocheuses de la préparation d’une fuite, d’un plan pour s’échapper de cette hôpital de malades de l’esprit, six cent pages d’une cohabitation dangereuse mais burlesque, six cent pages de rencontre avec la folie et toutes ses déviances, qu’importe de quel côté de la ligne on soit. Ce livre est fou. Et c’est pour ça que je vous le conseille.

Raymond Castells, Hôpital psychiatrique, aux éditions Payot & Rivages, coll. Rivages/Noir (889).

Le Sang du temps, de Maxime Chattam

C’est avec une grand joie que je vous annonce que, voilà, c’est fait, j’ai lu mon premier Maxime Chattam. Il me fallait un livre prenant pour éviter de penser au Salon du Livre où je n’étais pas… J’ai donc choisi Le Sang du temps (titre que je suis obligée de regarder cinq fois pour m’en souvenir, et le ré-oublier deux minutes après).

 SangDuTemps

Cette histoire est en fait double. D’un côté, Marion, qui était il y a encore quelques heures secrétaire à l’Institut médico-légal de Paris. Mais ça, c’était avant qu’elle se retrouve détentrice d’un lourd secret d’État et menacée de mort par des gens pas très fréquentables… La DST décide donc pour sa sécurité de la faire disparaître, le temps que les choses se tassent. Elle est conduite en secret au Mont-Saint-Michel où elle est obligée de résider incognito. Accueillie par la communauté religieuse de l’île, elle découvre la beauté de ces paysages hors du commun et l’état d’esprit insulaire. Un jour qu’elle aide à trier des archives sur la terre ferme, elle découvre un journal intime, un carnet de bord, caché sous une couverture d’un livre de Virginia Woolf et écrit en anglais. Très vite, elle se passionne pour ce récit d’une enquête policière qui s’est déroulée au Caire en 1928.

Jeremy Matheson doit élucider d’abominables meurtres : des enfants sont retrouvés assassinés et atrocement mutilés dans les faubourgs est de la ville. Une rumeur enfle et se propage : on aurait vu une ghûl, une goule dans les rues du Caire, essayant d’entrer dans les chambres des enfants, reniflant les vêtements en train de sécher sur un fil. Un être abominable, sans visage, qui se cache sous une bure et ne sort que la nuit. Mais le policier anglais ne veut pas croire à cette piste surnaturelle.

On a du mal à comprendre comment ces deux histoires sont liées. Pourtant, elles le sont, mais je ne peux pas vous en dire plus malheureusement. Ce roman était parfait pour me faire oublier le reste du monde, il m’a pris dans son étau, entre France et Égypte, et m’a embarqué. Chattam sait travailler le suspens, l’appréhension et l’angoisse, en ça, on peut dire qu’il est un bon écrivain de thriller.

J’ai eu du mal au début à me faire à cette distance si grande, sur tous les plans, qui séparent le Mont-Saint-Michel du Caire : le livre opère des allers-retours presque à chaque chapitre entre ces deux univers. On ne lit pas le carnet de Matheson, on est immergé dans sa vie, la narration de ces passages ne diffèrent guère de ceux où on retrouve Marion. Cependant, au fil de la lecture, on se fait à ce monde de fonctionnement, et on va d’un pays à l’autre, d’une époque à l’autre, sans trop de difficultés : l’auteur arrive à nous faire voyager dans ces deux mondes qu’on ne connaît pas, quitte à pousser les poncifs un peu plus loin que nécessaires (la communauté religieuse austère, ou l’opposition coloniale arabes/blancs).

Mais il y a quelques points que je n’ai pas vraiment apprécié et qui m’ont déçu. Ce livre aurait pu être fignolé pour éviter quelques maladresses, notamment dans les transitions narration au Caire/lecture de Marion. En effet pour expliquer que l’on passe de l’un à l’autre, l’auteur utilise des stratagèmes très voyants et peu esthétiques. C’est un peu du bricolage, du collage. Idem pour la fin qui m’a paru bâclée. Ce ne sont que des avis subjectifs et ça n’enlève rien aux autres charmes de ce livre : l’écriture, le style plutôt, est assez particulier, mais ça change de la logorrhée narrative habituelle. C’est une écriture qui parlera à tout le monde : elle utilise des images et topoï admis mais s’en sert avec parcimonie, et je dirais même, à bon escient. De plus, attendez-vous à lire la deuxième moitié du livre d’une traite tellement vous aurez envie de savoir, de voir cette goule, si elle existe.

Les thèmes sont plus qu’originaux, même si j’ai trouvé que le secret d’État détenu par Marion n’était qu’une excuse pour lui faire découvrir ce carnet et l’emmener sur ce lieu si romanesque qu’est le Mont-Saint-Michel. J’aurais aimé qu’on creuse un peu plus peut-être la profondeur psychologique des deux personnages principaux, mais je me suis satisfaite de ce qu’il y avait, c’est suffisant pour un thriller.

Bref, il y a deux-trois petites choses à redire sur Le Sang du temps selon moi, d’un point de vue techniques d’écriture surtout, mais je crois que je suis un peu trop pointilleuse… Ce livre fait quand même super bien son boulot et vous passerez un très agréable moment de lecture grâce à Maxime Chattam.

Maxime Chattam, Le Sang du temps, aux éditions Michel Lafon, coll. Pocket (13173), 7€60.

Moskova, d’Anne Secret

J’ai découvert les éditions de l’Atelier in 8 (quel super nom quand même !) dans mon master : un de mes camarades (le seul garçon parmi treize filles, respect !) va effectuer son stage chez eux, dans leurs locaux de Pau. Intriguée par ce nom, petit détour par ma médiathèque pour voir un peu ce qu’ils font. J’ai donc choisi de lire un de leurs ouvrages, publié l’année dernière : il s’agit de Moskova d’Anne Secret. Je ne connais pas encore cette auteure qui est pourtant aussi publiée chez Fayard, Le Seuil et Actes Sud, et c’est pas le biais de cette « novela » que je fais sa rencontre. Son livre est classé dans la collection Polaroïd, qui privilégie le Noir et la littérature de l’urgence.

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Anton a fuit Berlin, tout juste réunifié, pour se réfugier dans l’appartement vide d’un ami de son frère, à qui il a demandé de l’aide. Il débarque alors à la Moskova, un quartier chargé d’histoire mais en danger, car une entreprise veut tout raser pour construire du neuf, du moderne, du rentable à la place. Les rues sont parsemées de maisons murées, celles des propriétaires qui ont cédé. Mais les habitants ne vont pas se laisser faire comme ça, ils tiennent bon, mettent en place des squats illégaux et des pétitions. Dans cette situation, Anton est obligé de faire la connaissance de ses nouveaux voisins, mais pour eux, il sera Dieter, venu de Lubeck. C’est que notre héros cache un lourd secret, il doit protéger sa vie qui, indirectement presque, a été mise en danger. C’est la raison de sa fuite et de ses mensonges. Malgré tout, il essaie de revivre, mais en gardant à l’esprit ses années allemandes : Théa, une liste, les agents dormants, la Russie, des sujets secrets, risqués. A Moskova, il rencontre une bibliothécaire Héloïse qui va remettre un peu de soleil dans sa vie, même si elle ignore beaucoup de choses.

C’est vrai que le secret règne dans tout le livre, la quatrième de couverture nous éclaire un peu, la fin nous apporte quelques révélations mais c’est à nous d’essayer de démêler la réalité du mensonge. Nous sommes un peu dans la peau d’un de ces voisins, sauf qu’on ne sait un peu plus grâce aux rares confessions d’Anton et à quelques épisodes de sa vie éclairants. L’intrigue est donc constamment en tension : suspens, attente d’une révélation nous tiennent en haleine. C’est bien joué de la part de l’auteur mais j’en suis resté très frustrée, ce que je sais après lecture du livre ne me suffit pas, j’aimerais en savoir plus sur le passé d’Anton.

L’histoire, les lieux ont une grande place dans cette nouvelle, même si elle est souterraine, cachée, insidieuse. D’ailleurs, le thème même du livre s’est déroulé dans l’ombre des grands événements comme les guerres ou la chute du mur. J’ai eu l’impression par moment d’avoir affaire à un rapport d’enquête préliminaire, celle qui décrit les actions sans les décrypter, celle qui tâtonne, qui comprend juste à quel endroit, plus ou moins, peut se trouver la vérité.

Mais ce qui est le mieux réalisé dans ce livre, c’est bien le personnage principal. On aimerait être plus proche de lui, il semble gentil, presque honnête, mais c’est impossible, car pour se protéger il n’accepte personne, enfin pas encore, dans son intimité. Il se crée un double, mais il a parfois du mal à tenir le rôle. Car cette situation est bien évidemment porteuse de stress, d’angoisse pour lui. Elle fait ressurgir sa vie à Berlin, peuplée de bonheur mais aussi de peurs. Anton sait que la fuite est le meilleur moyen pour mener une existence un peu près normale. Même si on ne peut pas être proche de lui, on saisit tout à fait les enjeux et la gravité de cette vie à la Moskova, de sa coupure avec Allemagne, ce qui est vraiment un tour de maître.

Je suis seulement déçue de la fin. Je trouve que le livre se termine en queue de poisson, trop rapdiment, trop facilement, comme si l’auteure en avait eu assez et voulu jeter son personnage aux orties. Cette conclusion m’a laissé un goût amer de frustration. Toutefois, je pense que j’ai réagi aussi violemment à cette fin car cette histoire m’a vraiment « attrapée », à la fois neutre et dangereuse, l’écriture est bien particulière, je n’en ai jamais lu de telle. Un bon point donc. Puis il faut dire que les dernières pages représentent la chute qu’on attend souvent dans les nouvelles…

Anne Secret, Moskova, aux éditions de l’Atelier in8, 12€.