Fangirl, de Rainbow Rowell

J’ai lu mon premier Rainbow Rowell ! Et c’était tellement bien ! Il faut dire que je commence avec du lourd, puisque pour cette première lecture j’ai choisi Fangirl et qu’est-ce que j’ai adoré…

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C’est tout de même un petit pavé qui n’en a pas l’air, avec 570 pages au compteur dans la version poche, il faut dire qu’il y a une histoire dans l’histoire. Je m’explique : notre héroïne s’appelle Cath. C’est une passionnée d’écriture qui passe sa vie à créer des fanfictions. Depuis toujours, surtout depuis que leur mère a fichu le camp, elle est complètement inséparable de sa sœur jumelle Wren. Il faut dire que cette dernière est plus enjouée et flamboyante que sa sœur, ça équilibre les choses. Mais alors qu’elles rentrent toutes deux à l’université, Wren apprend à Cath qu’elles devront faire chambre à part. Un grand défi pour Cath, un peu effrayée par le monde extérieur qui va devoir jongler entre son nouveau et exigeant cours d’écriture créative, sa colloc un peu bizarre et ce Lévi qui la colle tout le temps, et ses phobies sociales. Heureusement, elle peut se réfugier dans son univers préféré : celui de la saga Simon Snow. Et c’est là qu’intervient l’histoire dans l’histoire. Rainbow Rowell nous présente au fil des pages l’univers de cette saga à base de mages et de vampires. On découvre de nombreux passages des livres Simon Snow ainsi que des fanfictions écrites par Cath. Des extraits qui résonnent étrangement avec ce que vit notre héroïne.

J’ai découvert énormément de choses sur l’univers de fanfictions : je n’en lis aucune – ce n’est pas mon truc, tout simplement – même si plusieurs de mes amis lisent et rédigent plusieurs fics. Ça me fait voir d’un œil nouveau ce type d’écriture particulier que je n’avais jamais vraiment compris. C’est savamment dosé pour que l’intrigue ne repose pas dessus – sinon, j’aurais lâché l’affaire.

Fangirl est comme un roman d’apprentissage : comment devenir indépendante et grandir ? Cath est un personnage vraiment très attachant et on comprend ses angoisses : on les a toutes eues, à plus ou moins grande échelle. Quand tu ne connais personne, que tu es lâché dans la fosse aux lions, trouver le chemin du réfectoire peut représenter à lui seul une vraie épreuve. Heureusement pour notre héroïne, dans son malheur elle a de la chance et rencontrera d’autres personnes qui l’aideront, la feront grandir, prendront soin d’elle. Ces personnages secondaires sont très bien dessinés, c’est vraiment un des points forts de l’auteur : ils sont très différents les uns des autres, ils ont leur tics, leurs habitudes, leur passé, leurs points forts… Ils deviennent des amis pour nous aussi et non plus des êtres de papier. C’est vraiment un exploit que réalise ici l’auteur.

J’ai beaucoup apprécié le fait que Cath est un univers complet : on la suit pendant ses cours, sa vie quotidienne sur le campus, dans sa chambre en colocation, mais aussi dans sa maison, auprès de son père. Les décors sont très bien plantés, sans lourdeur. J’ai adoré les relations que Cath partage avec sa sœur jumelle et son père : leur évolution est vraiment bien écrite.

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Rainbow Rowell dans un style efficace mais qui prend tout de même son temps, nous embarque dans cette aventure. On passe par toutes les émotions en lisant ce roman. Évidemment, on le sait, on le comprend avec la couverture pastel que c’est une lecture feel-good, une lecture doudou. Mais ça fait du bien et surtout cela ne veut pas dire que ce n’est pas fait avec talent, au contraire !

Bref ce roman a été l’occasion d’une vraie rencontre et d’un vrai coup de cœur. A mon avis, il ne va pas falloir longtemps avant que je dévore un autre roman de l’auteur.

Rainbow Rowell, Fangirl, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Cédric Degottex, aux éditions Castelmore, 6€90.

Comment j’ai écrit un roman sans m’en rendre compte, d’Annet Huizing

Il arrive parfois que je sois prise dans une frénésie de lecture et généralement dans ces cas-là, je lis des choses que je n’ai pas l’habitude de lire – comprenez : pas de littérature française ou classique. C’est assez naturellement que, dans cette période, je me dirige vers les romans jeunesse ou young adult, histoire d’avoir un truc agréable à croquer sous la dent rapidement. Voici comment est donc arrivé dans mes mains le livre d’Annet Huizing : Comment j’ai écrit un roman sans m’en rendre compte.

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Katinka est une jeune fille qui vit seule avec son petit frère et son père. Une de ses meilleures amies est sa voisine Lidwine, une auteure qui la fascine. Avec son aide, elle va commencer à écrire des petites choses, sur sa vie et sa famille. Sur Dirkje qui vient d’entrer dans leur existence tout doucement. Sauf qu’écrire, ce n’est pas toujours facile. C’est tout un art et une technique qui demande de l’entraînement et de l’apprentissage. Chaque jour, Katinka se met devant son ordinateur et essaie de pondre un petit texte. Elle ne s’imaginait pas en se lançant dans cette aventure que cela remuerait autant de choses en elle. Imperceptiblement, elle a autant appris sur elle que sur l’écriture – et sur le jardinage aussi.

C’est une lecture très rapide. J’ai trouvé ce texte simple mais sensible et émouvant. On ne côtoie que peu de temps les personnages mais on s’attache très vite à eux, les trouvant sincères et terriblement humains. Ce sont là plus que de simples êtres de papiers. L’intrigue en soi n’est vraiment pas incroyable mais elle se laisse suivre avec plaisir tout de même. L’auteure a réussi à donner vie à sa narratrice : ce sont vraiment les mots d’une enfant, toutefois cela n’est pas un problème puisque la langue et le style sont tout de même assez bons.

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J’ai peu de choses à rajouter sur ce roman. Il m’a changé les idées, c’est une bonne lecture que je conseillerai aux pré-ados, mais je n’ai pas rêvé comme dans une saga, je n’ai pas vibré comme dans Nos étoiles contraires par exemple. Il est agréable mais je trouve globalement ce livre peu ambitieux malgré un thème très intéressant.

Annet Huizing, Comment j’ai écrit un roman sans m’en rendre compte, traduit du néerlandais par Myriam Bouzid, aux éditions Syros, 14€95.

Séna, de Françoise de Luca

Vous souvenez-vous de Traité des Peaux ? Un livre magnifique dans une édition adorable mais malheureusement canadienne… Mais j’ai tellement aimé les éditions Marchand de feuilles que je profite de mes lectures spéciales Prix des Cinq Continents de la Francophonie 2015 (P5C pour les intimes) pour vous en reparler. Cette fois-ci, il s’agit d’un petit roman sur la famille, l’amour : Séna de Françoise de Luca.

Le personnage principal vient de trouver un livre alors qu’il voyageait. Sur la couverture, il reconnaît le nom de l’auteure : Séna, la jeune fille noire qu’il avait éperdument aimée à la fac avant de la rejeter de la façon la plus ignoble possible. Voir ce nom lui remémore des souvenirs puissants, douloureux. Il revient alors à son enfance, son adolescence, sa vie d’adulte pour comprendre les causes et les conséquences de cet instant où tout a basculé. Il ne se cherche pas d’excuses mais veut appréhender les failles de son passé qui explique son bouleversement présent : un père absent, une mère impitoyable, une famille de substitution et de bonheur disparue sans laisser de traces, un amour sans retenue, une volonté de rentrer dans le moule. Tout ça a forgé son caractère, ses décisions, sa vie. Maintenant, il se demande s’il ne peut pas changer tout cela.

Le roman se concentre surtout sur l’enfance du héros et sur sa relation avec Séna qui ne rentre visiblement pas dans les modèles préconçus de la famille du personnage. Plus jeune, il était partagé entre la violence silencieuse et glaçante de son chez-lui et la joie, la chaleur des Zapelli : Theresa, presque devenue une mère de cœur, et les deux jumeaux Jean-Baptiste et Mario pour qui il était le grand-frère qu’ils n’avaient jamais eu. Ce contraste frappant est très bien décrit par l’écrivain qui nous fait vivre le quotidien de ce petit garçon innocent, à la fois naïf et malin. On se prend vite d’affection pour le héros, on le plaint. Mais très vite, il grandit, il fait ce choix courageux de partir, d’aller étudier, de vivre sa vie, ses amours. On commence à devenir moins proche de lui, comme lui l’est de sa famille. On s’extasie toutefois sur la relation entre Séna et lui. Puis vient ce fameux épisode où on se met à détester notre personnage pour l’acte affreux qu’il commet, trop peureux pour affronter l’avenir. On le trouve lâche, salaud, on ne comprend pas tant d’idiotie et de brutalité. Et pour finir, on le revoit des années plus tard, en proie au doute, après du temps passé dans l’aveuglement et la fuite. Et on recommence à avoir de l’affection pour lui.

« Oh, cétait une famille vivante ! Il y avait des jeux, de la confusion et de la pagaille. Et, quelquefois, quand autour de la table tu poursuivais Jean-Baptiste et Mario qui riaient de terreur, tu imaginais qu’un petit garçon solitaire entendait vos rires et vous enviait. Mais c’était fini pour toi la retraite du couloir. A peine rentré de l’école, tu te précipitais chez les Zapelli. Il y avait désormais ta vie le jour et ta vie la nuit. Mais la nuit passait vite : les pas tardifs de ton père, le visage absent de ta mère à la table du petit-déjeuner, et tu dévalais l’escalier vers le jour. Le jour, c’était Theresa. »

L’auteure nous mène par le bout de nez, elle tutoie son personnage, comme si nous-mêmes nous lui parlions, comme si nous émettions un jugement, des remarques, des conseils à son égard. On se sent impliqué dans ce livre qui se dévore avec facilité et émotion. Françoise de Luca ne rate pas le coche, son ton est juste pendant toute l’histoire : sans commisération, sans pitié, sans compromis non plus. Son personnage est avant tout terriblement humain et c’est sûrement pour ça que l’on accroche si bien à cette prose qui, dans le thème, est somme toute assez classique. L’intrigue file droit et la narration est judicieuse. Pas de fil conducteur trop linéaire, pourtant les événements s’enchaînent de façon logique et bien pensée dans le récit. Une construction intelligente et simple à la fois qui fonctionne très bien.

L’écriture est belle (des images très bien trouvées, un style aérien) et directe (chaque mot compte et est sans détour). On ne s’ennuie jamais d’autant plus que ce petit roman se lit assez vite et cette très jolie édition nous rend la lecture encore plus agréable. Toutefois, ce récit est assez modeste. Ce n’est pas franchement novateur et la narration à la seconde personne peut parfois sembler lourde et artificielle. Malgré ces petits défauts, ce roman m’a fait passer un bon moment aux côtés d’un personnage riche et complexe, un homme manqué. C’est d’ailleurs le traitement des personnages qui est le plus virtuose ici. Bref, un livre à découvrir.

Françoise de Luca, Séna, Marchand de feuilles, 21$95.

A moi seul bien des personnages, de John Irving

Je ne suis pas vraiment régulière avec la publication des billets, alors que j’achève mes lectures à un bon rythme, autant dire que j’ai plusieurs chroniques en retard à rédiger (pour l’instant, 3), donc je profite d’un regain de motivation pour écrire tout de suite, avant de retomber dans la procrastination hebdomadaire du week-end.

Il y a quelques jours, j’ai fini ma très très longue lecture d’un roman tout récent de John Irving (oui, oui, celui de Garp) : A moi seul bien des personnages. En lisant la quatrième de couverture de ce livre de presque 600 pages, je m’imaginais découvrir l’histoire d’un garçon qui devient homme en même temps qu’écrivain. Puis en commençant la lecture, j’ai pensé lire l’aventure d’un adolescent qui a ses premiers émois tout en étant indétachable des troupes de théâtre de sa petite ville (oui, ce n’est pas très claire comme description). D’où le titre. Mais ce roman se révèle beaucoup plus vaste, plus intime que cela. En même temps, en 600 pages, il peut se le permettre.

Le héros s’appelle Billy, il a soixante-quinze ans, et nous raconte la vie qu’il a eu, entre l’ardesse de son adolescence et ses réflexions d’adulte. On est donc immergé dans sa vie de jeune garçon pensionnaire d’un lycée non mixte. Et très vite, on découvre que Billy n’a pas l’amour conventionnel qu’on attendrait d’un gamin américain d’une ville de province. En effet, il a le béguin pour son beau-père ou encore pour un camarade de classe, lutteur exceptionnel. Mais il est aussi très intrigué par la petit poitrine de la bibliothécaire municipale – beaucoup plus âgée que lui –, et fait semblant de s’intéresser amoureusement à sa meilleure amie. Bref, Billy se cache, révèle à bien peu de gens ses véritables sentiments, se dissimule derrière des personnages, des masques.

Vous l’aurez compris, ce livre parle de sexualité, notamment de celle qui n’est pas « normale », du moins pour l’entourage de ce jeune garçon. Mais il n’y a pas que le héros qui possède des penchants que l’on acceptait mal en ce lieu et cette époque. Sa famille renferme quelques secrets, idem pour ses connaissances ou même ses amis. Billy va grandir, devenir un adulte et écrivain complet. Il va comprendre que fuir n’est pas une solution. Il suffit juste d’être discret pour ne pas gêner les autres, sans pour autant nier ce que l’on est ou ce que l’on veut être. Il se rend compte qu’autour de lui nombreux sont ceux qui portent des masques.

Bref, je me mélange un peu les pinceaux, il est difficile de parler de ce long roman sans s’y perdre tellement il est vaste et profond. La seule chose que je peux vous dire sans me tromper, c’est à quel point cette lecture est atypique. Elle demande beaucoup d’investissement de la part du lecteur, mais qu’on est ravi d’offrir à la plume de l’auteur. En effet, cette histoire n’est pas résumable, il faut la lire et la vivre. C’est une vie de questionnement, de doute, d’attente, de découverte(s), le genre de vie qu’on croise rarement et qu’on expérimente encore moins. C’est riche d’enseignement, d’humilité, d’acceptation envers toutes les personnes de ce monde, quelque soit leur genre, leur sexualité. Il faut se laisser emporter par ce style qui prend son temps, qui décrit beaucoup mais de façon bien choisie.

Encore une fois, John Irving est l’auteur d’une œuvre vraiment à part, en dehors de la littérature de fiction traditionnelle. Un roman à découvrir en prenant son temps.

John Irving, A moi seul bien des personnages, traduction de l’anglais par Josée Kamoun et Olivier Grenot, Points (P3264), 8€50.

La Promesse de l’aube, de Romain Gary

Je n’ai pas tout lu, c’est évident. Certains auteurs célébrissimes, des monstres de la littérature française me sont encore inconnus. Parmi eux, il y avait Romain Gary. Les aléas de la vie ont fait qu’avant 2015 je n’avais encore jamais lu cet écrivain, quand bien même il m’intéressait. Je dois vous avouer que j’ai toujours été amusée par sa mystification littéraire : quand il s’est dédoublé pour être à la fois Romain Gary et Emile Ajar, quand il a donc reçu le prix Goncourt à deux reprises pour chacune de ses identités, et quand on a fini par découvrir cela, mais seulement après sa mort.

Il se trouve que je suis tombée dessus par hasard au travail, et cette ancienne curiosité est remontée. En ce moment, j’ai assez de temps pour lire, alors je ne pouvais plus reculer. Pour une première rencontre, j’ai choisi La Promesse de l’aube. Un roman à part dans la bibliographie de Romain Gary, car c’est aussi une auto-biographie, avec quelques écarts subjectifs peut-être, des oublis, mais cela retrace assez bien la jeunesse de l’écrivain vu par lui-même des dizaines d’années plus tard. Il raconte d’ailleurs comment il a commencé très tôt à chercher des pseudonymes (sans jamais citer celui qui fut le plus célèbre) :

Depuis six mois, je passais des heures entières chaque jour à « essayer » des pseudonymes. Je les calligraphiais à l’encre rouge dans un cahier spécial. Ce matin même, j’avais fixé mon choix sur « Hubert de la Vallée », mais une demi-heure plus tard je cédais au charme nostalgique de « Romain de Roncevaux ». Mon vrai prénom, Romain, me paraissait assez satisfaisant. Malheureusement, il y avait déjà Romain Rolland, et je n’étais disposé à partager ma gloire avec personne. Tout cela était bien difficile. L’ennui, avec un pseudonyme, c’est qu’il ne peut jamais exprimer tout ce que vous sentez en vous. J’en arrivais presque à conclure qu’un pseudonyme ne suffisait pas, comme moyen d’expression littéraire, et qu’il fallait encore écrire des livres.

La Promesse de l’aube, c’est l’histoire d’une mère ambitieuse et d’un fils qui fera tout pour la combler. Cela débute en Russie, mais la seule patrie visée et aimée, c’est la France. Et pour l’atteindre, il faut se distinguer par tous les moyens, toutefois les plus nobles sont ceux à privilégier : l’œuvre littéraire, les faits de guerre, la diplomatie.

Ce roman, c’est la quintessence de l’amour filial, c’est l’aboutissement extrême de l’adoration maternelle. C’est un témoignage poignant et doux, l’hommage d’un fils pour sa mère chérie.

L’histoire en elle-même, ce n’est presque pas important, elle retrace tous les moyens mis en œuvre à travers la Russie, la Pologne, la France, les territoires alliés pour qu’un petit garçon devienne un homme, toujours sous le regard, même lointain, de sa maman. C’est comment Roman Kacew devient Romain Gary, diplomate français et écrivain célèbre. Il nous raconte comment sa mère tombait en dévotion devant ses yeux clairs tournés vers la lumière, comment il poursuivait son rêve d’écriture dans des conditions loin d’être idéales, comment il a tout fait pour devenir Français alors que sa naturalisation récente le freinait, comment il s’est battu dans des avions pendant la guerre, et comment il y a perdu tous ses camarades.

Je ne peux pas vraiment en dire plus, car rien ne peut résumer les mots de Gary. Je ne regrette pas d’avoir attendu un peu avant de le lire, de ne pas avoir fondu dessus à l’adolescence. Car un peu de maturité pour comprendre ce livre permet de le voir dans toute sa profondeur et son génie.

On me répète que cette œuvre-là s’éloigne des autres livres de Gary, j’imagine donc que je ne suis pas au bout de mes surprises.

Romain Gary, La Promesse de l’aube, folio (373), 8€.

La petite communiste qui ne souriait jamais, de Lola Lafon

1976, JO de Montréal. Elle a quatorze ans, elle vient d’un pays qu’on ne sait pas situer sur une carte. Elle est là pour bouleverser les guerres, la gymnastique, les ordinateurs. Prestation terminée, elle regarde sa note : 1,00. Pourtant, elle a tout réalisé de façon parfaite. C’est là qu’elle voit le juge qui, tourné vers elle, dresse ses deux mains, les dix doigts levés et écartés. Ce n’est pas 1 sur 10, mais 10, la note maximale, la perfection encore jamais atteinte, une note qu’on ne croyait pas possible, à tel point que les ordinateurs n’étaient pas conçus pour l’afficher. Le monde entier la découvre et l’adule. Elle s’appelle Nadia Comaneci, on la surnomme la petite communiste qui ne souriait jamais.

Vous l’avez compris, je vais vous parler aujourd’hui du roman biographique de Lola Lafon qui a connu un joli petit succès il y a quelques semaines à sa sortie. J’ai eu l’occasion de le lire pour le Prix des Cinq Continents de la Francophonie, vu que ce livre en est candidat. Et disons que je ne m’attendais pas à lire ce genre de choses.

On explore la vie de cette gymnaste de ses débuts à son départ du pays, en passant par ses entraînements, sa relation avec son coach, les JO qui l’ont révélée, les compétitions suivantes, etc. Mais on ne s’arrête pas là puisque l’on découvre aussi sa famille, la réputation qu’a acquise très rapidement cette petite et sa vie sous la politique communiste. Cela est synonyme de galas et de discours pour le « Camarade » Ceausescu, de silence et de concentration extrême, de risques et de dangers à prendre pour être la meilleure. Comaneci est devenue une vraie icône, un modèle, au-delà de ce qu’on peut imaginer aujourd’hui. Elle avait une énorme pression sur les épaules, mais s’en rendait-elle compte ? Avec les années, la petite communiste change, et devient une femme, avec des formes : un descente aux enfers dans un corps qu’elle déteste, et pourtant elle reste sur les podiums.

Il est difficile d’être très claire, ce livre foisonne d’événements et de moments de vie : Nadia n’était pas juste une gymnaste douée, c’était une jeune fille mystérieuse, à la vie difficile. Elle a du faire des sacrifices, pourtant elle est contente de ce qu’elle a vécu.

Ce livre se divise en deux parties distinctes qui se succèdent presque à chaque chapitre. Il y a la narration, cette réalité réécrite, complétée s’il le faut par la fiction, et il y a ces passages en italique où l’auteure témoigne de sa relation avec Nadia Comaneci, relate certaines de leurs discussions par téléphone. On y découvre une femme complexe, fière de ce qu’elle a été, du chemin parcouru, mais toujours aussi secrète et humble.

J’ai été très partagée par ce livre. Après réflexion, je pense que j’ai aimé le sujet de ce roman : la vie très remplie d’une gymnaste fascinante dans un pays intrigant. Cette plongée dans le monde du sport (mais pas que) est vraiment bien réalisée et agréable à lire. J’ai beaucoup moins apprécier l’écriture de Lola Lafon, qui semble parfois artificielle. Certains passages ne me semblent pas assez travaillés. Il semblerait que là où elle se débrouille le mieux, c’est quand elle colle le plus à la réalité, quand elle revêt cet habit d’enquêtrice. Mais quand elle souhaite aller vers plus d’imaginaire, voire de poésie, c’est raté (j’ai en tête les toutes premières pages du livres où elle relate de façon absolument nébuleuse le premier 10 de Nadia.)

Cet avis n’est que le mien, mais c’est ainsi que j’ai ressenti les choses à la lecture de ce livre. Globalement, il est pourtant très intéressant et mérite qu’on y jette un coup d’oeil. Toutefois, aujourd’hui, c’est le personnage de Nadia que je retiens et non pas la plume de Lola.

Lola Lafon, La petite communiste qui ne souriait jamais, aux éditions Actes Sud, 21€.

EDIT : Désolée lecteur, j’ai mal fait mon boulot. J’ai complètement envoyé aux oubliettes l’avant-propos de ce roman, mon étourderie me perdra. En effet, comme me l’ont fait remarquer l’auteure sur Twitter et lilylit en commentaire, les échanges dont je fais mention dans ce billet, entre la narratrice et la gymnaste, sont fictifs. J’ai fait un peu trop vite l’amalgame entre narratrice et auteure, ça m’apprendra à ne pas faire attention. Mea culpa.

J’aimerais revoir Callaghan, de Dominique Fabre

J’ai rencontré Dominique Fabre lors de deux semaines d’ateliers d’écriture dans le sud de la France où j’étais un peu stagiaire, un peu bénévole. Je n’avais rien lu de lui, mais déjà je m’étais fait une opinion sur ce monsieur : un gars incroyablement gentil, doux et souriant. Sincèrement, si tous les écrivains pouvaient avoir cette modestie et cette courtoisie, ce ne serait pas du luxe. Alors quand même, j’ai voulu rencontrer sa plume et j’ai commencé par son livre sans doute le plus connu : J’aimerais revoir Callaghan.

Jimmy Callaghan, c’est un anglais qui a passé son enfance et son adolescence en France, il fume des Benson, n’aime pas les fumer seul mais reste bien solitaire et mystérieux. C’est le genre de garçon aux cheveux blonds, qui a toujours la classe, et ce genre d’aura, obsédante et attirante. Un peu mauvais genre, mais pas le mauvais bougre. On veut tous être son copain, et le narrateur plus que tout. Il veut connaître la vie de Callaghan, recevoir ses confidences, et faire le mur avec lui.

Mais la vie a ses aléas, et Jimmy est le genre de garçon qui s’en va toujours, mais finit par revenir à un moment. Et ce moment, c’est vingt plus tard, quand la vie amoureuse du narrateur connaît un tournant. Callaghan a changé, bronzé et SDF, après un bout de temps en Australie. Les gestes sont naturels, comme s’ils ne s’étaient jamais quitté. Mais de l’eau a coulé sous les ponts, et même s’ils font revivre une amitié un peu ténue, dans leurs existences, rien n’est plus pareil. En partant, Jimmy laisse sa valise. Il faudra bien lui rapporter.

Très étrange cette intrigue, une relation qui unit deux garçons dès l’internat, qui se poursuit et se distance à travers les décennies. Ce n’est pas le cœur du livre puisque la vie du narrateur soulève des questionnements et remplit des dizaines de page, mais en même temps, sans Callaghan, ce livre n’aurait plus de substance. Sa présence permet de mettre en lumière des situations, des souvenirs, tout se dit en se réflétant dans le miroir de Jimmy. Un bien curieux personnage, qui trimbale son lot de passé dépressionnaire, mais avec une flegme extérieure. Un homme qui veut être dans l’ombre mais qui a une vie bien mouvementée, et fait une sacrée impression sur notre narrateur qui se rappellera de lui toujours.

C’est un petit livre assez court, avec une narration qui pourrait semblait ordinaire, mais qui pourrait seulement. Comme un mantra, des bribes de paroles d’écolier font resurgir le souvenir. Une écriture nostalgique, un peu descriptive mais juste ce qu’il faut, avec le ton grave d’une voix qui se raconte. C’est assez particulier, je ne sais pas encore si j’ai aimé, mais je peux déjà dire que j’ai trouvé cette expérience de lecture dépaysante et intrigante. Au moins, vous devriez essayer.

« Alors voilà. Nous étions tous ensemble, il y a longtemps de cela. Nous ne nous sommes jamais vraiment quittés. Nous ne sommes jamais partis pour toujours, même Jimmy. »

 Dominique Fabre, J’aimerais revoir Callaghan, Le Livre de Poche (32184), 6€10.

La femme de l’Allemand, Marie Sizun

J’étais à la recherche d’un roman pour avancer un peu dans le challenge Marry me proposé par George. Au détour d’un blog, il y a plusieurs semaines, je suis tombée sur ce livre de Marie Sizun et je me suis dit « pourquoi pas ? ». Voici ma rencontre avec La femme de l’Allemand.

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Nous sommes au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Fanny est une mère célibataire. Marion, sa fille, a vite compris qu’elle était le fruit d’une relation interdite, celle d’une jeune Française de 20 ans avec un bel Allemand, soldat nazi, finalement mort sur le Front russe. C’était une histoire d’amour, sincère, en tout cas Fanny en est persuadée. Mais sa famille l’a découvert, elle en a donc été exclue : toute la bienveillance du monde ne pouvait pas cautionner cet acte collaborationniste.

On ne sait pas en détail ce qui s’est passé à cette époque-là puisque on voit cette famille à travers les yeux de la petite fille, ses souvenirs, ses pensées, ses sentiments. Marion a vu peu à peu sa mère tomber dans la folie, cet amour déçu l’a complètement bouleversée et transformée. Parfois, Fanny semble normal, d’autrefois elle se met à fredonner des chansons, à ranger et déranger les affaires dans la maison la nuit. Et encore, ça, c’est le plus gentil.

 

La folie, ce dur mot qu’on préfère taire. On dit que ce sont des « excès », des « emportements ». Marion aime sa mère, mais elle déteste cette tornade qui prend parfois possession de Fanny. Alors les rôles s’inversent : c’est la fille qui s’occupe des comptes, de la maison, qui donne des nouvelles au peu de famille qui veut bien encore leur parler. Elle prend des distances avec cette femme qui ressemble de moins en moins à celle qu’elle aurait voulu.

Marion profite des quelques moments où sa mère, où sa tante veulent bien parler pour en savoir plus sur ce père inconnu qui hante Fanny, sur ce père qu’elle ne connaît pas, pas même son nom, sur ce père qu’elle n’a jamais vu. Elle s’imagine un grand blond aux yeux bleus, fort, et aimant. Un papa qui aurait pu être là si la guerre ne l’avait pas pris.

Cet homme est absent du livre et pourtant il est partout, dans chaque moment de doute de Marion, dans chaque silence et chaque cri de Fanny. Cet Allemand est la cause de tout.

Je dois avouer que l’histoire en jette, il fallait y penser : mêler deux drames dans un même roman, ce n’est pas si simple, et Marie Sizun y arrive assez bien. On tremble, on a peur en même temps que la petite fille, on s’arrête de penser horrifié par les crises de Fanny.

C’est vrai, c’était bien manié, il y a de la tension mais aussi de l’espoir, l’horizon d’attente est toujours repoussé plus loin, et on se retrouve, nous, pauvres lecteurs, essouflés de devoir toujours lui courir après. Malheureusement, quelque chose de très important m’a complètement bloquée dans ma lecture. On dirait ailleurs que c’est un élément original, c’est vrai, mais il faut le manier avec précaution car sa charge de pathos et de tragique est immense, ça peut exploser ou déborder à tout moment. Cette chose ? La narration à la deuxième personne du singulier. C’est un narrateur externe qui pendant tout le livre s’adresse à Marion, lui disant « tu ». On a souvent l’impression que c’est un regard autobiographique et rétrospectif : c’est vraiment très dérangeant, à tel point que ça m’a mise à l’aise.

Le vrai problème, c’est que, alors que le « tu » aurait pu se faire plus discret à certains moments, l’auteure en use et en abuse, si bien qu’il m’a paru absurde, de trop. C’est vraiment un élément trop facile à utiliser, qu’on voit arriver de loin avec ses gros sabots. Je m’en servais à mes débuts de scribouillonne (pas que je sois meilleure écrivain aujourd’hui, mais je connais mes manies de style maintenant), quand j’écrivais de la fiction et que je n’arrivais pas à insérer assez de drame. C’était l’astuce facile, je m’en servais avec parcimonie : il faut dire que le « tu » introduit une certaine lourdeur dans le texte. Mais tout un roman avec ça, surtout quand on s’en sert à outrance, et bien c’est franchement indigeste. Alors oui, c’est un livre avec beaucoup d’émotion, rondement mené, mais je refuse de dire que c’est un roman « bon », ou « passionnant », ou « à lire absolument », parce qu’il repose en grande partie sur la narration, et je l’ai ressenti comme étant de la triche.

Voilà.

Marie Sizun, La femme de l’Allemand, aux éditions Arléa, 17€50 OU aux éditions Le Livre de poche, 6€60.