Sévère, de Régis Jauffret

Désolée de ma présence plus que minimale sur ce blog, sur les vôtres ou sur Twitter, la faute à une semaine très chargée qui m’empêche d’avoir du temps pour moi.

Régis Jauffret, je le croise souvent sur Twitter, et je ne m’étais jamais fait la réflexion que c’était un écrivain (alors que je m’abonne presque exclusivement qu’à des gens qui ont de près ou de loin un rapport avec les livres). Alors quand je suis tombée sur un de ses romans à la faveur d’un reclassement à la médiathèque, je me suis dit que c’était l’occasion. Je vous présente donc aujourd’hui Sévère.

Sévère, il tient bien son nom. C’est un texte fort, parfois rude, parfois poignant, mais qui ne laisse pas indifférent. Certains seraient tentés de penser qu’il est peut-être un peu trop excessif et donc irréaliste, personnellement, je pense plutôt qu’il décrit trop bien les émotions et les personnes pour ne pas avoir une part de vrai.

L’histoire est celle de l’héroïne, mariée, mais en couple par habitude plus que par amour. Un jour, se créer entre elle et un homme très riche, une relation complexe et brûlante, sous forme de je t’aime moi non plus, de domination et de soumission, de jeux sexuels demandant toute confiance. Son mari le sait, et ne peut pas faire autre chose qu’accepter. Mais quand l’homme veut lui donner un million pour lui prouver son amour, mieux vaut ne pas lui mentir. Car c’est une femme forte et indépendante, une femme à qui il ne faut pas raconter de balivernes, surtout quand on lui a appris à manier une arme, surtout quand on lui a offert un revolver.

Un récit court mais puissant, violent. Entre le voyeurisme et la confidence, cette histoire de crime par amour, par passion, par intérêt, par haine – on ne sait pas vraiment – est écrite d’une main de maître. Pas de suspens mais un souffle haletant dans chaque mot, une tension palpable dans les phrases.

J’ai beaucoup aimé cette narration au cordeau, ce style qui tranche dans la vif. L’écriture de Régis Jauffret est à la fois intuitive, incisive et réfléchie, maîtrisée. Du grand art qui surprend et fait peur. Une très belle découverte que je vous invite à lire !

Régis Jauffret, Sévère, aux éditions du Seuil, 17€20.

Deux étrangers, d’Emilie Frèche

Ce livre, c’est grâce à Twitter que j’en ai pris connaissance : son auteur, Emilie Frèche, y était sans cesse félicitée par la communauté bloguesque littéraire pour son dernier roman, Deux étrangers, qui obtint même le prix Orange. Alors, le jour où je l’ai vu apparaître dans les rayons de ma médiathèque, je ne me suis pas trop posé de questions : hop ! Sans même savoir de quoi il parlait, je l’embarquais.

 deux-etrangers

Deux étrangers, c’est l’histoire d’un père et de sa fille Élise. Drôle de coïncidence, je finis de le lire juste avant la fête des pères ! Alors qu’Élise regarde son couple faire naufrage, elle reçoit un appel de cet homme avec qui elle n’a plus eu de contact depuis sept ans. Il lui demande, ordonne même, de venir le voir à Marrakech, où il habite, avant la fin du mois. Sans vraiment savoir pourquoi, la jeune femme grimpe dans l’ancienne Renault 5, héritage chéri de sa mère bien-aimée, et se dirige vers le Sud dès le lendemain.

Ce voyage presque automatique la conduira à tirer sur le fil de leur histoire, l’amour d’un père et d’une fille qui s’est très étiolé pour devenir de la peur, des menaces. Une figure d’homme presque tyrannique, qui ne dépassait jamais les limites légales, mais qui n’avait pas besoin de ça pour faire du mal, et pour être détesté. Après coup, Élise cherche des réponses dans son enfance, son adolescence mais aussi dans le passé foisonnant de son père, français né en Algérie, juif qui se réclame d’ascendance espagnole, un riche de l’immobilier qui a fait changé son nom « Benhamou » en « Amour ».

Les souvenirs se succèdent : des moments d’humiliation, des moments de grande colère et de rage, des moments de souffrance tue. Ces humiliations ont blessé leur amour jusqu’à le rompre. Père et fille sont devenus des étrangers jusqu’à leur ultime séparation à la mort de la mère d’Élise. Alors qu’elle tente de redresser la barre de son histoire d’amour avec Simon avec grande difficulté, la jeune femme se dirige avec beaucoup d’émotion, un mélange d’impatience et de peur, vers des retrouvailles qu’elle pensait impossibles. Qu’importe que le temps et les déchirures soient passés par là, la famille, les liens du sang ne peuvent pas s’effacer et sont ancrés en nous comme autant de cicatrices, une force d’attachement immuable.

J’ai aimé ce livre : il ne se prend pas pour plus haut qu’il n’est, il est à hauteur d’hommes et c’est suffisant pour voir à quel point nos caractères et nos sentiments peuvent être tordus, injustes, complexes, contradictoires. Il est très touchant, sensible : Emilie Frèche a su trouvé les mots justes pour évoquer ce passé qui fait mal et cette angoisse de l’avenir. Ce roman ne tombe jamais dans le pathétique, il effleure avec doigté et émotion l’amour et ses méandres, il enchaîne avec aisance les souvenirs, les disputes, les bons et les mauvais moments qui ont jalonné cette vie. Elise est une héroïne qui garde tout son honneur alors qu’elle est abattue par l’avenir de son couple et ce rappel trop vivace de sa jeunesse gâchée. Avec humour, elle comprend mieux son attachement presque ridicule envers cette vieille voiture, un débris, qui représente peut-être les seules étincelles de bonheur de l’époque où elle vivait encore chez ses parents. Et petit à petit, elle comprend pourquoi ce voyage si long en Renault 5 depuis Paris lui était une nécessité.

Je pense qu’il n’y a pas grand chose d’autre à rajouter : l’écriture est somptueuse, le style doux mais jamais on ne s’ennuie. On vibre au même rythme que l’héroïne et on parcoure ces kilomètres dans le même état d’esprit bouleversé qu’elle. Peut-être une petite déception sur la fin, pas que je sois déçu de la tournure que prennent les choses mais j’aurais aimé en savoir plus, au moins en apprendre davantage sur le ressentiment d’Élise. Mais en dehors de ce détail, Deux étrangers est vraiment un livre formidable que je vous conseille de tout cœur !

Emilie Frèche, Deux étrangers, aux éditions Actes Sud, 21€00.