Nos faces cachées, d’Amy Harmon

Une romance dont j’avais lu du bien ! Je me disais donc que j’allais tenter ma chance et ne pas m’arrêter à cette couverture. Aujourd’hui, on parle donc de Nos faces cachées d’Amy Harmon.

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L’auteure nous raconte l’histoire de Fern, qui est amoureuse depuis toujours d’Ambrose, le garçon parfait, grand lutteur, etc. Fern passe énormément de temps avec son cousin adoré Bailey, ils ont le même âge, sont très complices. Bailey est en fauteuil roulant, atteint d’une maladie qui le destine à mourir jeune. Les adolescents sont au lycée. Nous sommes en septembre 2001 : des avions s’écrasent dans des tours et la face du monde chance. Un cataclysme pour toute l’Amérique : Ambrose va alors se demander si sa vocation ne serait pas de servir son pays.

C’est assez compliqué de résumer ce bouquin sans trop en dire. L’intrigue se passe sur des mois et des mois, sans compter sur quelques flash-backs qui nous aident à mieux cerner les relations des personnages. Très honnêtement, je trouve que ce temps étalé ne sert pas vraiment l’histoire. Pour relater des faits sur une si longue période, il aurait alors vraiment fallu travailler beaucoup le rythme qui laisse franchement à désirer. Très honnêtement, je ne voyais pas vraiment où l’auteure voulait en venir, jusqu’à ce que tout s’éclaire à la page 165 – ça fait long quand même ! – où l’intrigue, les personnages ont pris plus d’épaisseur et d’intérêt à mes yeux.

Ce qui ne m’a pas vraiment aidé dans ce roman, ce sont les personnages. Ils n’existent que les uns pour les autres, on ne les découvre qu’ainsi. J’aurais aimé que l’auteur prenne le temps de les approfondir, de les travailler pleinement. J’aurais apprécié les connaître un à un car ils ont tous l’air géniaux ! Les personnages secondaires sont tous attachants. Quant aux personnages principaux, j’ai trouvé Ambrose assez réaliste, mais Fern me semblait illogique, je n’ai pas réussi à vraiment la comprendre.

C’est une romance, donc oui, il y a du cliché et même des beaux. Surtout dans les scènes de rapprochements physiques où je levais trop souvent les yeux au plafond. Rah, puis les « mais je suis pas assez bien pour lui/pour elle », je n’en pouvais plus, overdose ! Mais sur un public facile, ça fonctionne, on papillonne avec les amoureux.

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L’écriture un peu simplette, très inégale, avec un style bancal, m’a vraiment vraiment donné une impression de bâclé. Je n’arrive pas à zapper ce genre de choses même si le reste tient la route. Et je dois vous avouer que je suis un peu perdue car j’ai vraiment aimé l’intrigue générale et tous les thèmes abordés. On parle de la guerre et ses séquelles, de la mort, de la maladie, de l’alcoolisme, des soucis familiaux, du divorce, des valeurs du sport, du handicap, des violences conjugales… Ce sont rarement des thèmes exploités de façon si juste dans une simple roman ! Je pense que l’auteure a voulu faire les choses en grand et qu’elle tenait une idée en or. Malheureusement, elle n’avait pas encore l’expérience nécessaire pour retransmettre tout ça de la meilleure des façons.

Ils sont en terminale et ils auront le bac dans quelques mois. La saison de lutte a pris fin deux semaines auparavant et ils s’ennuient déjà – peut-être davantage que d’habitude – parce qu’il n’y aura plus de saisons, plus de but, plus de matchs, plus de victoires. […] Ils se tiennent au bord d’un abîme de changement et aucun d’eux, pas même Ambrose – surtout pas Ambrose – n’est enthousiasmé par cette perspective. Mais qu’ils choisissent ou non d’avancer vers l’inconnu, ce dernier viendra à eux, le gouffre béant les avalera tout entiers et la vie qui était la leur jusqu’à présent changera radicalement. Et ils ont une conscience aiguë de la façon dont elle finira.

C’est un vrai paradoxe ce livre. Très sincèrement, je ne sais pas si je vous le recommande ou pas. Pour encourager l’auteure à aller plus loin, à continuer, à progresser, j’ai envie de dire que oui.

Amy Harmon, Nos faces cachées, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Fabienne Vidallet, aux éditions Robert Laffont, 17€90.

Patients, de Grand Corps Malade

Connaissez-vous Grand Corps Malade ? C’est celui qui a fait connaître et répandre le slam. Ses textes sont forts et sa voix nous emportent. Mais savez-vous qu’avant d’écrire, c’était une autre vie qu’il s’imaginait ? Il voulait faire du sport. Jusqu’à ce qu’un mauvais plongeon dans la piscine en décide autrement, alors qu’il n’a que vingt ans. Paralysie à vie, c’est le diagnostic qu’on lui donne. Il est allongé sur un lit, puis en fauteuil, on sait aujourd’hui qu’il finira debout. Dans son livre Patients, il raconte – en prose – son séjour dans un centre de rééducation.

J’aime beaucoup cet artiste donc je vais avoir un mal fou à être objective. Le témoignage que Grand Corps Malade a écrit n’est pas long mais il dit beaucoup de choses. Dans un centre de rééducation, il y a des vies qui se jouent, des avenirs qui se tracent et d’autres qui s’évaporent. En plus de nous raconter sa propre expérience, son propre vécu, c’est aussi sa vie avec ses colocataires d’infortune qu’il nous fait découvrir et les « joies » d’être tétra ou paraplégique.

Il y a des choses qu’on n’imagine pas et qu’on réalise à la lecture de ce livre : les Patients doivent être patients avant tout, « il faut être pote avec la grande église de l’horloge ». Dans son style poétique et vif, inimitable, l’auteur retrace les péripéties, les rencontres. Il y a de tout, toutes les personnalités sont représentées, tous sont des destins qui sont ou ont été malheureux à un moment donné. Jamais la plume de Grand Corps Malade ne tombe dans le pathos. Il s’en sort avec sensibilité, à la fois pudeur et dérision. Il sait jongler entre toutes ces émotions et ne nous met jamais mal à l’aise quand bien même il nous met devant une réalité qui n’est pas la plus belle.

Je suis sortie de cette lecture avec un sourire. C’est l’histoire d’une renaissance obligée, d’un quotidien qui est, pour nous valides, atypiques. J’ai l’impression aujourd’hui de mieux connaître cette partie de la population qui attend, qui est immobile, paralysée, mais qui n’est pas pour autant inactive. J’aurais aimé apprendre comment Grand Corps Malade en est venue à l’écriture par le biais de cette expérience, mais ce livre n’est pas une autobiographique, c’est un témoignage sur un moment décisif de sa vie, et un hommage envers ceux qu’il a croisé et qui se battent encore. Une belle ode à la vie dont la lecture est un régal éclairant.

Grand Corps Malade, Patients, Points, 5€70.

N’aie pas peur si je t’enlace, de Fulvio Ervas

Oui, encore une histoire italienne aujourd’hui. Déjà que j’avais lu un livre en VO pour le challenge de George et Marie… Mais je le jure, je n’ai pas fait exprès, je n’ai remarqué qu’après que mon roman était traduit de l’italien. N’aie pas peur si je t’enlace a été écrit par Fulvio Ervas qui retrace ici l’histoire vraie d’un père et son fils lors de leur voyage en Amérique.

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Rien de bien original vous allez me dire ? Sauf que le plus jeune, Andrea, est un adolescent atteint d’autisme, habitué à câliner et embrasser tout ce qu’il croise, d’où l’inscription « N’aie pas peur si je t’enlace » que ses parents avaient fait mettre sur ses t-shirts. C’est une aventure un peu folle que son père Franco tente ici. On conseille en général d’éviter les choses inhabituelles avec les personnes autistes : la routine serait le meilleur remède à une vie paisible, sans « crise ». Mais Andrea est un jeune homme qui semble curieux et Franco souhaite qu’il voit le monde. Alors, c’est décidé, ils partent traverser l’Amérique du Nord en Harley. A part ça, rien n’est décidé d’avance, ils vivront cette aventure au jour le jour, trouvant des hôtels en pleine nuit, déjeunant dans des stations services. Le trajet ? D’est en ouest, c’est déjà une indication suffisante, les villes et les paysages traversés resteront à choisir le moment même par les deux compères.

Ce voyage est pour Franco une occasion d’essayer de comprendre un peu plus son fils, dont l’esprit n’est pas régi par les mêmes nécessités que nous, son fils qui ne voit pas et ne perçoit pas le monde comme les autres. Ils connaîtront quelques déboires, ce qui est assez normal pour un voyage fait au pied levé. Ils se laisseront même tenter par l’appel de l’Amérique de Sud. Ce périple sera peuplé de surprises mais surtout de rencontres drôles, émouvantes, chanceuses, malheureuses, bouleversantes qui vont les diriger tout au long de ces kilomètres. Plus que jamais, Andrea touche aux vivants, il les approche, les apprivoise, de grands moments pour son père qui assiste à ses premières amours, ses premiers vrais amis, qui voit dans les yeux de son garçon tout l’amour qu’il porte pour le monde et les autres, il voit dans ses yeux qu’Andrea peut également être de notre côté de l’univers.

C’est un texte très beau qu’il est bien agréable de lire sous forme de roman. J’avoue que je n’ai encore jamais lu ce genre d’adaptation mais elle est très réussie. Écrivant moi-même la vie des autres, je sais à quel point cela peut être difficile, entre implication et mise à distance, il est parfois dur de choisir. Fulvio Ervas sait décrire ce voyage avec le ton juste : doux, sincère mais qui ne tombe jamais dans le pathétique, dans l’exagération. Avec ses mots, on part à la conquête de l’Amérique, Franco et Andrea vivent le périple que l’on aimerait vivre soi-même un jour. L’autisme entraîne des situations parfois cocasses, parfois tristes, mais il ne laisse jamais indifférent, cela fait partie intégrante d’Andrea, il faut le prendre comme ça.

Je regrette que certaines parties de ce long trajet soient parfois racontées avec quelques mots quand on aimerait en lire des pages. Souvent, on se concentre surtout sur les pensées du père, puisque c’est sa voix que l’on entend dans ce livre, ce qui est très intéressant bien sûr, mais j’aurais beaucoup aimé en savoir plus sur le lieu où ils se trouvent, sur le dépaysement qu’ils peuvent ressentir. C’est avant tout le voyage d’un père et de son fils un peu différent avant d’être une formidable découverte des Amériques. C’est plus psychologique que descriptif. C’est vraiment la seule chose que l’on peut reprocher à cet ouvrage qui reste quand même une aventure humaine très agréable à savourer, un mélange d’italien, d’anglais et d’espagnol, de sueur, de moto et de pirogue sur fond de câlin et de questionnement.

Fulvio Ervas, N’aie pas peur si je t’enlace, traduction de l’italien par Marianne Faurobert, aux éditions Liana Levi, 19€.

Différente, de Sara Lövestam

 

Il me semble que ça fait bien longtemps que je n’ai pas un peu parlé de littérature nordique. Je vous ai donc choisi un roman en langue suédoise, admirablement traduit en français. Le livre s’intitule Différente, il a été écrit par Sara Lövestam. J’ai lu ce bouquin en regardant en parallèle la première saison de Dexter, sans le faire exprès, j’y ai vu plein de parallèles assez drôles. Toutefois, contrairement à la série télévisée, pas de meurtre dans ces pages.

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Martin réussit à convaincre Paula de passer des échanges virtuelles à une vraie rencontre. Il est très impatient et quand enfin, il la voit, c’est le coup de foudre immédiat. C’est que Martin a des attirances sexuelles assez atypiques : il aime les femme amputées ou aux membres manquants, surtout les jambes, et c’est le cas de Paula. La jeune fille a été abandonnée à la naissance, ce qui ne l’a pas empêché de réussir : elle est linguiste à l’université. Elle n’a jamais vraiment connu l’amour, et elle a toujours refusé de subir son handicap : deux choses qui changent au contact de Martin, un peu trop enthousiaste à son goût.

Mais ce n’en est pas fini pour Paula : rapidement elle rencontre Leo, meilleure amie de Martin et lesbienne revendiquée qui aime bien cumuler les histoires. C’est un peu électrique entre les deux femmes : c’est vrai Leo n’a pas la langue dans sa poche. Mais elles apprendront à se connaître et à vraiment s’apprécier.

Pour Paula, c’est une nouvelle période de sa vie qui s’ouvre, riche en émotions, peut-être trop, trop bouleversante. Et quand en plus des amours, les histoires de familles se croisent et refont surface, ce sont de lourdes révélations qui voient le jour.

Beaucoup de choses déballées dans ce roman à la fois rythmé et grave, drôle et sincère. Peut-être trop de choses, au point que ça en devient parfois surréaliste. Toutefois, Sara Lövestam a réussi à exprimer dans ce tourbillon de sentiments des thèmes universels et touchants, qu’elle traite avec humanité. Toute envie, tout caractère peut s’expliquer par un passé parfois pas facile, même si on l’ignore encore. Dans Différente, on explore des situations inhabituelles, curieuses avec une envie, peut-être malsaine, de voyeurisme, d’en savoir plus sur la vie et l’histoire de ces personnages pas banals.

On ne s’ennuie jamais avec ce livre mas je dois avouer que parfois on s’y perd. L’auteure donne la parole à chacun de ses personnages, souvent de façon rapide : le plus souvent on comprend assez vite de quelle voix il s’agit mais on peut également s’y perdre très facilement, c’est un mode de fonctionnement très dynamique et inhabituelle, surtout pour un lectrice franchouillarde comme moi ! C’est vrai que ça dépayse bien, ça revigore de lire de tels romans mais quand les personnages ne sont pas identifiés ou qu’on n’explique pas ce qu’ils ont à faire là, il est parfois dur de suivre la narration… Et personnellement, j’ai eu beaucoup de mal à intégrer que Leo était bien une fille, malgré un prénom (un diminutif en fait) masculin. Mais heureusement, à la fin, toutes les pièces du puzzle s’assemblent, et notre cœur bat à cent à l’heure, et on est à fleur de peau, et on vibre au même rythme que toutes ces figures si attachantes, et on n’en peut plus, on veut savoir, et c’est exquis. Bref, un livre hors du commun, très agréable bien que bizarre (mais jamais vulgaire), que je vous conseille vivement !

Sara Lövestam, Différente, traduit du suédois par Esther Semage, aux éditions Actes Sud, 22€.