La Fureur du Prince, de Thierry Berlanda

Au début de l’année, j’avais lu un thriller étonnant : L’Insigne du Boiteux de Thierry Berlanda. Et pour mon plus grand bonheur, est sorti le deuxième opus de cette trilogie : La Fureur du Prince. Et le charme a encore agi.

Dans le premier livre (qui peut se lire seul sans frustration), on découvre un tueur intelligent, sanglant et psychopathe, fils d’une famille noble arabe : le Prince. Son truc, c’est de tuer et de hacher menu des mères devant leur jeune fils. Ambiance. Heureusement, le commandant Falier, avec l’aide du professeur Bareuil (personnage doué et détestable) et de Jeanne Lumet (une ancienne élève du professeur, restée en très mauvais terme avec lui), a réussi le faire enfermer après toutes les horreurs qu’il a commises. Je résume de façon très partielle, mais c’est seulement pour vous replacer quelques points afin de mieux comprendre le roman qui suit. Car à mon grand regret, ce deuxième livre ne permet pas complètement de prendre la lecture en cours de route. Il y a quelques éléments manquants pour tout comprendre sans avoir lu auparavant L’Insigne du Boiteux. C’est faisable, mais pas l’idéal. Bref, petite déception sur ce point. Un petit rappel dans les premières pages n’auraient pas été de trop, d’autant plus que l’histoire nous plonge directement dans la vie des différents personnages.

[Si vous ne voulez pas vous spoiler du tout le premier opus, il ne vaut mieux pas lire ce qui suit.] Avec un titre pareil, on se doute bien que le Prince est de retour, et qu’il n’est pas content du tout. Après quelques magouilles administratives, il ne va pas en prison comme prévu, mais en hôpital psychiatrique. Un endroit sur-protégé et surveillé conçu exprès pour lui. Mais le prendre pour un malade est peut-être la faiblesse de trop. Cela ne suffit pas à le retenir, et cet homme finit par s’échapper. Mais il est peu probable qu’il y soit arrivé seul : qui l’a aidé ? Dans quel but ? A peine échappé, il commence déjà à tuer, il faut l’arrêter. Pour se dresser sur sa route, Falier reprend du service tant bien que mal, accompagné d’une Jeanne Lumet aussi terrifiée que déterminée et de Bareuil qui a un étrange comportement avec elle.

Dans ce roman, l’intrigue se focalise beaucoup plus sur ces personnages, plus que l’enquête. C’est pourtant bien un thriller, avec une menace imminente qu’ il faut urgemment arrêter, avec des embûches, des personnages récalcitrants, des énigmes. Toutefois, je n’ai pas senti le même malaise d’insécurité que dans le premier livre. Les personnages secondaires, comme la directrice de l’hôpital psychiatrique et le chargé de l’enquête, prennent beaucoup de place, et même si cela suit une logique dans la narration, même si ces passages sont liés à l’enquête, on est moins dans l’action que dans les dialogues, les explications. Toutefois, cela a aussi permis d’en savoir plus sur le Prince, son passé, son enfance, son premier meurtre : voir comment se construit un meurtrier en puissance nous permet de mieux comprendre ce personnage – ce qui manquait un peu à L‘Insigne du Boiteux.

J’ai apprécié cette lecture, plus posée que le premier roman. Je dirais qu’il était passionnant plus que haletant, mais je me suis toutefois régalée, et j’avais vraiment hâte de voir comment cette histoire finirait ! L’écriture de l’auteur est toujours si fluide et claire, la lecture est aisée, les nombreux dialogues rendent ce roman très vivant et les personnages sont très attachants. L’idéal est vraiment de lire L’Insigne du Boiteux ET La Fureur du Prince, car ce que l’un n’a pas pas, l’autre le possède. Ils se complètent parfaitement.

Thierry Berlanda, La Fureur du Prince, La Bourdonnaye, 19€75 (et une magnifique couverture! Des livres toujours aussi soignés dans cette belle maison d’édition!)

Hôpital psychiatrique, de Raymond Castells

Après une rencontre et une dédicace avec l’auteur Antoine Sénanque, dont j’ai chroniqué son dernier roman, je ne pouvais pas partir de la librairie sans zieuter un peu ce qui était sorti. A ma grande surprise, mes pas se dirigent vers le rayon policier. Je déniche alors un roman qui s’intitule Hôpital psychiatrique, et une fois la quatrième de couverture lue, s’en est fini pour lui : et hop, dans mon panier ! L’auteur s’appelle Raymond Castells, et je peux vous dire que je suis assez frustrée de ne pas avoir trouvé plus d’informations sur lui que son métier : psychologue clinicien.

Hopital-Psychiatrique-Raymond-Castells

Nous sommes en mai 2010, Louis et Louise arrivent à la fin de leur vie et, pour répondre à un journaliste, ils témoignent et font revivre l’époque de leur rencontre.

A dix-sept ans, Louis Dantezzi est accusé du meurtre de son beau-père, de sa mère et de sa soeur, déclaré fou, il est envoyé dans un asile d’aliénés près de Toulouse. Il raconte son quotidien parmi les criminels dangereux et les Jésus en herbe, son ascension au sein de cette structure, les violences que font subir les gardiens et les expérimentations médicales hasardeuses.

Au cours de ces quelques années passées dans cette maison de fou, le monde change de couleur : c’est la Seconde Guerre mondiale. Heureusement, dans toutes ces atrocités, il rencontre Louise, elle aussi internée pour meurtre, une jeune fille à la vie pas facile : le coup de foudre est immédiat. Louis avait depuis longtemps pour projet de s’évader, mais en faisant les choses bien, en prenant son temps pour que toutes les conditions idéales soient réunies : il ne s’éloigne pas de son but mais à présent, c’est avec Louise qu’il veut s’enfuir.

Mais c’était sans compter sur les affres de la guerre : entre les résistants au sous-sol et les collabos sous les combles, la boucle est bouclée quand un régiment entier de la Wehrmacht prend ses quartiers dans l’asile : c’est bien une maison de fou, le seul lieu où une situation si surréaliste peut voir le jour.

C’est pourtant vrai : ce genre de cohabitation secrète et étrange a bel et bien existé durant la guerre. C’est d’ailleurs toute la force du roman. De nous décrire des évènements, des faits, des traitements, qui étaient légion pour l’époque mais qui nous semblent impossibles ou inhumains aujourd’hui. Et même quand l’asile d’aliénés est devenu hôpital psychiatrique, quand les gardiens sont devenus des infirmiers sur le papier, les choses n’ont pas réellement changé. 

Mais ce que j’ai vraiment adoré, c’est bel et bien le style de l’auteur : je m’y suis retrouvée trait pour trait, il écrit comme je rêverais un jour d’écrire. A la fois grave, sincère, mais aussi drôle et cynique. Il a un ton incisif, il joue sur des chapitres très courts qui jonglent à merveille entre dialogues théoriques, actions étranges, ruses et secrets.

Il faut dire que son personnage principal, Louis, est un garçon plutôt mystérieux : très, très malin, il réussit à graver les échelons, à force de patience. On pourrait parfois le prendre pour un sans-coeur, mais en réalité, Louis n’aime que les personnes qui sont aptes à être aimées. Et pour eux, il donnerait sa vie. Mais pour les autres, ce ne sont que des pions qui l’indiffèrent ou que parfois il déteste. Il arrive toujours à passer dans les mailles de leurs filets, et souvent il retourne cela à son avantage. C’est un personnage très intelligent, qui fait un peu peur c’est vrai, qui s’est peut-être laissé hanté par la folie ambiante.

C’est impossible de décrire de façon rationnelle ce roman, il brasse tellement de choses, de façon si pointue, sans état d’âme. Cette lecture est une aventure, elle nous emporte dans un autre univers qu’il nous est impossible d’imaginer sans y être. J’imagine à la fois les recherches que ce roman a demandé et l’esprit un peu fou qu’il faut avoir pour écrire de telles lignes. Car c’est prodigieux, c’est sauvage, c’est vivant, c’est mordant, c’est aliénant. Un cocktail explosif qui nous tient en haleine. Six cent pages accrocheuses de la préparation d’une fuite, d’un plan pour s’échapper de cette hôpital de malades de l’esprit, six cent pages d’une cohabitation dangereuse mais burlesque, six cent pages de rencontre avec la folie et toutes ses déviances, qu’importe de quel côté de la ligne on soit. Ce livre est fou. Et c’est pour ça que je vous le conseille.

Raymond Castells, Hôpital psychiatrique, aux éditions Payot & Rivages, coll. Rivages/Noir (889).