Tout bouge autour de moi, Dany Laferrière

J’aime la littérature francophone, même si c’est vrai que je ne fais pas étalage ici de romans québécois ou africains. Alors aujourd’hui, je me rattrape et je vous propose de parler d’un roman d’un Haïtien qui habite au Canada, Tout bouge autour de moi de Dany Laferrière.

L’auteur nous propose de revenir presque quatre ans en arrière, alors que la terre s’est mise à trembler à Port-au-Prince, un séisme dévastateur qui nous marque encore aujourd’hui.

tout bouge

Ce 12 janvier 2012, l’écrivain était présent sur cette île partagée avec la République dominicaine, il était là à l’occasion de rencontres littéraires. Alors que son dîner venait d’être servi, les premières secousses, puissantes, se sont faites ressentir. A peine le temps de reprendre ses esprits, il fallait déjà fuir. Alors qu’on se plaignait de la déforestation galopante de l’île, c’est le béton qui avait pris possession de ce bout de terre : après le désastre, les cabanes de bois et de tôle sont toujours debout, les immeubles de ciment, eux, ont été réduit en miettes.

Dany Laferrière a écrit ce court livre un an après la catastrophe, il n’y fait pas l’étalage d’un ton larmoyant, mais au contraire, il nous expose des faits : la première nuit dehors, et la peur, l’angoisse de ne pas retrouver les membres de sa famille, la vie en communauté sous des tentes, la recrudescence du vaudou, le caractère des secouristes, l’état de la radio et d’internet, ses amis qu’il a recroisé, ses coïncidences qui ont préservé des vies, et le temps qui continue à avancer malgré tout. Il met en avant ce courage et cette abnégation du peuple haïtien qui a connu les pires dictatures, révoltes, inondations, ouragans. Il ne reste pas centré sur Port-au-Prince mais nous expose aussi la situation dans la campagne proche, touchée elle aussi.

J’ai vraiment vu ce séisme d’un autre regard que les images topoï que nous a servi la télévision. C’est une injustice qu’on ne peut combattre, on ne peut pas contrôler notre Terre et ses caprices, toutefois, la vie a continué sur ce sol qui a tremblé, il a bien fallu continuer à avancer. J’admire le sang-froid des Haïtiens face à cette situation de crise, et j’ai découvert un peuple et une île au paysage transformé pour toujours, ceci avec beaucoup d’humilité.

L’auteur a construit ce livre avec des chapitres très courts : par petites touches, il reconstruit cette nouvelle réalité, et cela sans misérabilisme. Il nous parle avec sincérité de ses peurs et de ses angoisses, de sa vision des psychologues et des religieux qui se sont emparés de l’événement. J’ai parfois ri, j’ai souvent eu un sentiment de tristesse, mais je me suis sentie très fière de voir que l’humanité avait de telles ressources d’adaptation.

C’est un livre à découvrir, pour ne pas oublier ce jour de janvier 2010.

« J’entre. La chambre est intacte, à part la télé qui est par terre. (…) Je prends tout ce que je peux emporter. (…) Je ne dois pas rester trop longtemps dans cette chambre tout en étant conscient de l’importance de cette provocation. La mort en nous frôlant laisse en nous une frénésie qui nous pousse à défier les dieux. D’où l’envie irrésistible de me coucher sur le lit. Je me ravise au dernier moment sentant que je suis en train de faire une bêtise. Ce n’est peut-être pas fini. Une nouvelle secousse pourrait mettre l’hôtel par terre. Je ne sais plus depuis combien de temps je suis dans la chambre. Depuis hier, j’ai perdu la notion du temps. Je sais maintenant qu’une minute peut cacher en elle la vie d’une ville. »

Dany Laferrière, Tout bouge autour de moi, Le Livre de Poche, 6€10.

Villa Amalia, de Pascal Quignard

Je vais un peu vous parler de moi. Mais très rapidement, juste histoire d’aborder l’ouvrage d’aujourd’hui. J’ai la chance de rejoindre en septembre prochain la première promotion du master professionnel « Métiers de l’écriture » qui ouvrira ses portes à la rentrée. Un honneur mais surtout une immense joie. En plus de cours passionnants type journalisme, étude de brouillons, scénario, nous aurons la chance de rencontrer trois « grands » auteurs durant l’année scolaire. Le premier n’est, ni plus ni moins, un monstre de la littérature française : Pascal Quignard. Certes, il n’est pas forcément connu dans tous les ménages ; il a pourtant écrit des montagnes de livres, essais ou romans. Et son dada, c’est la musique. Elle le hante, le vampirise, l’angoisse, le comble, le tiraille, le passionne. Une relation tumultueuse où il tente de démêler les différents fils, et cela que ce soit à travers ses oeuvres de fictions ou ses essais, fragmentés.
On dit souvent de Quignard qu’il est un peu opaque, difficile à étudier. Je l’avoue, si l’on n’est pas mélomane, certains de ses livres nous paraissent un peu dur d’accès. J’ai du, pour préparer cette rencontre, lire quelques uns de ces livres : deux essais : La Leçon de musique et La Haine de la musique, et deux romans : Tous Les Matins du monde et Villa Amalia. C’est ce dernier ouvrage que je vais aborder dans cette chronique. Ce n’est peut-être pas un choix judicieux pour vous faire découvrir cet auteur, car son empreinte est un peu plus cachée, profonde, moins évidente. Mais j’ai passé un tel bon moment de lecture avec ce livre que je souhaitais le partager avec vous.
Villa Amalia est un livre bouleversant. On suit l’histoire d’une femme, proche de la cinquantaine pour qui la vie prendra un tournant radical. Ann surprend son compagnon avec une autre femme alors qu’elle-même est surprise par Georges, un ancien camarade de classe primaire. Face à cette trahison, elle décide de quitter la vie parisienne, sans rien dire à l’homme qui a partagé sa vie pendant quinze ans : elle se débarasse de tous ses effets personnels, vend la maison, quitte son travail, change de voiture. Elle achète à Georges un petite maison dans son domaine, pour en faire sa « hutte ». Ann est compositrice, elle arrive à faire gémir et pleurer la musique pour avoir son essence même, et son oeuvre demande donc un lieu de travail adéquat. Après quelques voyages à droite, à gauche, elle se fixe quelque temps sur l’île italienne d’Ischia. Et là, c’est le coup de foudre, un élan amoureux violent et irrépréssible. Ann est tombée amoureuse d’une villa au toit bleu, presque inaccessible et inhabitée : la Villa Amalia. Des rencontres s’y feront, des amours s’y noueront, des drames y surviendront. C’est toute une part de sa vie qui est dévorée par cette demeure. La chaleur de l’Italie met le feu à son existence routinière.
« Elle aimait de façon passionnée, obsédée, la maison de zia Amalia, la terrasse, la baie, la mer. Elle avait envie de disparaître dans ce qu’elle aimait. Il y a dans tout amour quelque chose qui fascine. Quelque chose de beaucoup plus ancien que ce qui peut être désigné par les mots que nous avons appris longtemps après que nous sommes nés. Mais ce n’était plus un homme qu’elle aimait ainsi. C’était une maison qui l’appelait à la rejoindre. C’était une paroi de montagne où elle cherchait à s’accrocher. C’était un recoin d’herbes, de lumière, de lave, de feu interne, où elle désirait vivre. Quelque chose, aussi intense qu’immédiat, l’accueillait à chaque fois qu’elle arrivait sur le surplomb de lave. C’était comme un être indéfinissable, euphorisant, dont on ne sait par quel biais on se voit reconnue par lui, rassurée, comprise, entendue, appréciée, soutenue, aimée. »
L’écriture de Quignard est forte. Je lui reproche dans ses autres livres, notamment ses essais, une écriture très personnel, pour lui, qui me mettait mal à l’aise. Ici, cela se ressent moins et on est happé par les émotions puissantes qui traversent le bouquin. L’auteur nous plonge dans les bouleversements profonds de la vie et de la mentalité d’Ann. Un peu en voyeur, on suit ce parcours si atypique avec peur et délectation. Quignard sait jouer avec brio de toutes la palette sentimentale mise à la disposition de l’auteur. Il nous fait voyager mais toujours avec un fond pessimiste. Qu’importe le chemin qu’on prend, qu’importe si on décide de changer du tout au tout, à la fin, il y a la mort, plus ou moins rapide, plus ou moins méritée mais inéluctable. C’est un livre dont on ressort en titubant. Plus que jamais vous ressentirez ce sentiment contradictoire du « Je veux changer ma vie mais j’ai peur ». C’est écrit avec les tripes, à la sueur du front, au sang des larmes et c’est pour lire des choses comme ça que l’on lit des romans.
J’ai oublié de vous dire que depuis quelques semaines, je chronique également pour le site culturel Les Plumes Asthmatiques, ça se passe tous les mercredis 😉 Et si tout se passe bien, il y aura un petit compte-rendu de ma rencontre avec Pascal Quignard, qui doit avoir lieu courant octobre.