Phobos (tome 1) de Victor Dixen (lecture commune de juin 2017)

Il y a un an et demie, je découvrais pour la première fois Livre Paris, et j’en avais alors profité pour m’acheter et me faire dédicacer plusieurs romans, dont plusieurs sagas. Dont le très fameux Phobos de Victor Dixen. Et oui, encore une fois, je lis après tout le monde. Et pour ne pas le zapper une année de plus, j’ai trouvé un moyen imparable : le faire figurer parmi les lectures communes de l’année 2017.

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J’ai donc pu plonger dans cette histoire incroyable : six jeunes filles, six jeunes hommes, sans plus aucunes attaches sur cette Terre, se sont portés volontaire pour une aventure unique – et définitive : coloniser Mars. Durant tout le trajet de plusieurs semaines qui va les mener jusqu’à leur futur lieu de vie, plusieurs speed-datings sont organisés pour, à terme, créer des couples. Car ce que vous ne savez pas encore, c’est que, malgré une année entière d’entraînement, filles et garçons ne se sont jamais mélangés, ne se sont jamais rencontrés. Pourquoi une telle mise en scène ? Car plus que de l’exploration scientifique, il s’agit là d’une télé-réalité. Une télé-réalité hors du commun qui mobilise les foules sur la Terre entière depuis qu’une société privée à racheter la NASA : on le nomme le programme Genesis.

Dans ce climat un peu fou, nous retrouvons Léonor, une des six jeunes filles embarquées pour la planète rouge. Léonor est à la fois excitée et apeurée par cette aventure, elle ne comprend peut-être pas aussi bien que les autres l’enjeu médiatique de tout ça : elle aimerait rester elle-même, rester sincère. Mais entre les messes basses de chacune, le pression constante, le côté malsain du jeu, le pouvoir sans limite de ceux qui tirent les ficelles et le lourd secret qu’elle porte, le trajet risque de comporter quelques surprises.

Tout d’abord : est-ce que j’ai aimé ? J’ai envie de répondre un grand oui et un grand non à la fois.

Un grand oui pour l’intrigue absolument passionnante et innovante. On se prend complètement au jeu de la télé-réalité, du voyeurisme, c’en est même un peu effrayant. On jubile d’être du côté des coulisses car ça nous permet d’en savoir plus, de suivre chaque speed-dating. Évidemment, la notion de rencontres amoureuses, c’est une des choses que je recherchais dans ce roman, et je n’ai pas été déçue : la place qui est donnée à cette facette de l’intrigue est pile ce qu’il fallait. Cela rythme le reste de l’action, comme un rendez-vous qu’on attend de pied ferme, comme des retournements de situation dont on a la jouissance de savoir qu’ils vont arriver sans vraiment savoir de quoi ils seront faits. J’ai adoré les personnages, même s’ils manquaient presque tous de finesse : la plupart sont assez caricaturaux, mais je ne m’attendais pas à vraiment plus pour une saga jeunesse. Disons que ça parlera très bien au public visé. Les sous-intrigues de secrets, d’actions, de complots sont assez bien ficelées. Des liens se créent au fil des pages et on découvre au fur et à mesure l’ampleur des choses : autant dire à présent que j’ai hâte de voir la suite, surtout la façon dont les personnages en direction de Mars vont tenter de régler tous ces problèmes qu’ils n’ont pas mérités.

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Un grand non parce que c’est écrit avec des pattes d’éléphants. Sincèrement. Je veux bien croire que c’est un roman pour les ados et jeunes adultes, mais pas pour des imbéciles. Il n’est pas nécessaire de taper du poing sur la table pour nous énoncer très clairement les éléments de l’intrigue. Un peu d’éclaircissement de temps en temps je veux bien, surtout quand l’histoire est résolument nouvelle et avant-gardiste, mais faire dire à ses personnages lors d’un dialogue tous les ressorts machiavéliques derrière un mystère, ça gâche tout. En fait, très peu d’explications semblent naturelles dans ce roman. Seuls les moments de prime-time à la télévision semblent réalistes, pour le reste, on sent bien la main de l’auteur qui veut nous forer le crâne pour y déverser des explications sans même anesthésier ça sous une couche de narration habile. Ça m’a réellement gâcher ma lecture de savoir qu’un auteur ne se démenait pas pour faire mieux, de savoir qu’un éditeur avait accepté de laisser passer ça sans faire retravailler plus. Voilà, coup de gueule fini. J’espère bien que les choses s’arrangent dans les tomes suivants.

Oui, car malgré ce point qui m’a extrêmement déçue, je me suis attachée à cette saga, à cette histoire à laquelle j’adhère à 2000 % et j’ai très hâte de découvrir la suite. Et vous ? Qu’en avez-vous pensé ?

A voir également : les avis de Virginy et d’Erika.

Victor Dixen, Phobos, tome 1, aux éditions Robert Laffont, 17€90

Palafox, d’Eric Chevillard

Dans la série « Je lis des romans ludiques », nous avions déjà Les Grandes Blondes d’Echenoz et Be-Bop de Gailly, ces deux auteurs jouant avec l’écriture. Aujourd’hui, je vais mettre la barre plus haute dans l’amusement littéraire avec Palafox d’Eric Chevillard. Amis lecteurs qui appréciaient la cohérence, la logique voire la rectitude, passez votre chemin. Avec ce roman, il va falloir développer votre grain de folie !

Palafox éclot dans la famille Buffoon qui tout le long de sa vie aura à coeur de lePalafox soigner, de l’élever, de l’apprivoiser, avec plus ou moins de réussite et de plaisir. Mais la seule certitude que l’on a de Palafox c’est sa nature animale. Ils nous est impossible d’en dire plus. Au début, on aurait pu penser que c’était un poussin mais très vite on hésite : est-ce un insecte ? un serpent ? un fauve ? un oiseau de basse-cour ou quelque chose de plus exotique ? et pourquoi pas un grand requin bleu ? ou un rongeur ? Avec ses griffes, ses pattes poilues, palmés, ses serres, ses nageoires, ses ailes, on ne sait pas trop que choisir. Et que dire de son pelage fauve, de ses écailles miroitantes, de ses plumes colorées, sa peau cuirassée ? Palafox est l’être de l’hésitation, on ne fait que douter tout le long du livre. Notre perception de cet animal lunatique, puissant et malin, proche de l’homme que quand ça l’arrange, évolue au fur et à mesure de ses péripéties : une fois apprivoisée et câlin, l’autre fugueur et carnassier, on hésite entre la curiosité et la pure révulsion.

L’auteur de ce surprenant récit est Eric Chevillard, que vous connaissez peut-être par son blog, petites pépites de littérature quotidiennes. Palafox est son troisième roman, publié en 1990, qu’a suivi une production littéraire très riche, et on a pu voir à travers elle des procédés narratifs qui sortent de l’ordinaire. Personnellement, je l’ignore, puisque Palafox est à ce jour le seul livre de Chevillard que j’ai pu lire (plus pour très longtemps je pense !), mais côté dépassement des règles d’écriture habituelles et imagination débridée, ce roman se situe pas mal ! Malgré les incertitudes constantes qui règnent sur le statut de l’animal, ce livre contient une véritable histoire, une intrigue. Une intrigue qui sort des sentiers battus mais qui se tient. Les personnages humains possèdent chacun une vraie personnalité, bien que peu décrite : ce n’est pas la peine, ça ne constitue pas le coeur de l’histoire. Ce livre a beaucoup de points forts mais c’est, je crois, son écriture même qui le rendent « spéciale ».
Chevillard donne l’impression d’une écriture qui coule d’elle-même, qui est facile et naturelle. Sans oublier l’auteur qui se manifeste souvent sans prendre toute la place. Les mots explorent en jouant, en se faisant poésie, les différentes facettes de Palafox, sa nature, son caractère, ses frasques. On suit son parcours, de sa naissance à sa mort, on écoute les différentes hypothèses des scientifiques essayant d’établir à quelle branche du règne animal il appartient (d’ailleurs il se peut que ce soit « elle »). C’est un peu une enquête, c’est un peu un jeu de rôle, c’est un peu un numéro de cirque ou un film d’aventures. On ne peut pas vraiment définir ce que c’est, c’est hybride, à deux, trois, cinq, quinze têtes. Cette aventure polymorphe nous ballade entre petites anecdotes, projets de grande envergure et rebondissements en tout genre à travers une écriture acérée, méchante, fantaisiste, drôle et virtuose. Chevillard ne mâche pas ses mots mais les manie avec drôlerie et critique. Et on arrive à la fin de ces presque deux cent pages un peu essoufflé, emporté par l’envol, la course, la nage survolté de Palafox qui nous a balladé, embarqué tout le long du livre.

La Joueuse de go, de Shan Sa

Vous le verrez, les livres que je lis en ce moment sont assez liés au thème de la guerre. Non, je ne recherche pas sang versé et cruauté, disons plutôt que ce sujet me permet d’explorer des pistes, de découvrir des auteurs qui restent inconnus pour moi. Je viens de finir de lire La joueuse de go de Shan Sa, le troisième roman de cette écrivaine française d’origine chinoise. Il a obtenu le prix Goncourt des lycéens en 2001 et reste LE livre qui a placé cette auteur au devant de la scène littéraire francophone. Petit extrait :
« La Chinoise n’aime pas le bavardage. Elle ne me pose aucune question et me presse de commencer. Dès son premier coup, elle impose un jeu pervers et extravagant. Je n’ai jamais joué au go avec une femme. Je ne me suis jamais trouvé si près de l’une d’entre elles, si ce n’est de ma mère, de ma soeur, d’Akiko, des geishas ou des prostituées. Bien que le damier me sépare de mon adversaire, son parfum de jeune fille me met mal à l’aise. Absorbée par ses pensées, la tête penchée, elle semble rêver. La douceur de son visage contraste avec la dureté de sa main. Elle m’intrigue. »
Tout se déroule en 1931, en Chine, alors que le contexte politique est plus que tendu : le dernier empereur chinois règne sans partage sur la Mandchourie alors que celle-ci est occupée par l’armée japonaise qui vise une plus grande invasion de ce territoire. Ces deux cultures, pourtant si proches, souffrent d’une tension sourde qui les séparent et les font se lever l’une contre l’autre. Alors que les habitants essaient de ne pas trop penser aux cruautés de la guerre, évitent de remarquer les mouvements de révoltes et d’insubordination de quelques Chinois, une adolescente mandchoue de seize ans mène son propre combat : sur la place des Milles Vents elle manie avec virtuosité les pions pour rafler la victoire au jeu de go. Spectatrice d’une civilisation qui peine à passer le pas de la modernité, elle assiste aux mariages arrangés, aux répudiations tout en pensant que cette vie n’est peut-être pas pour elle. Insouciante et mélancolique, elle continue de s’immerger dans la tactique et la concentration du go et bat tous ses prétendants.

De l’autre côté de cette barrière, on fait la rencontre d’un officier japonais qui, lui, fait partie intégrante de la guerre, fait la guerre. Enrôlé jusque dans son coeur, il ne peut tout de même s’empêcher de remettre en question la douleur, la souffrance provoquée par une simple recherche de pouvoir. Un jour, sa troupe s’arrête dans cette petite ville mandchoue. Parlant couramment mandarin, on lui demande de se glisser dans la foule pour glaner quelques informations sur la résistance chinoise. Au détour d’une rue, il voit ces tables à damier et ses joueurs attablés ; curieux, il s’approche et fait la rencontre de cette petite chinoise. Entre eux deux, la partie va peut-être dépassé le simple jeu de go. Leur affrontement, en parallèle des horreurs de la guerre ou des questionnements de l’adolescence, va prendre de plus en plus en place, même s’il n’y a que des gestes et aucune parole.
Je ne peux pas vous en raconter plus, mais sachez que le fin, la fin… ! Vous en aurez le souffle coupé. Mais heureusement ce n’est pas ce qui fait toute la beauté de ce roman. Il faut savoir qu’il se compose de multiples chapitres, courts, où à tour de rôles, les deux narrateurs prennent la parole. Autant vous dire que le décalage dans le discours de la jeune Chinoise et du soldat japonais est parfois saisissant ! Mais c’est justement ça qui fait la grandeur de cet ouvrage. D’un côté on suit la vie de cette jeune fille qui nous évoque son rapport à la famille, les déboires de sa soeur avec son mari, découvre l’amour mais comprend aussi que la guerre n’est pas une illusion et qu’il ne faut pas se bercer dans un aveuglement dangereux et l’ignorer. De l’autre côté, on est avec ce fier officier japonais, sûr des valeurs de son peuple et des raisons de cette invasion mais qui toutefois se laissera toucher par la grâce et l’innocence de la jeunesse encore pure des pires cruautés de ce monde.

Cela ne se résume donc pas seulement à la rencontre de ses deux personnages, ce sont deux univers distincts, deux personnalités presque opposées que l’on découvre à travers ces quelques semaines de guerre. Le jeu de go, décrit avec une poésie rare, est là comme un média qui reflète les mouvements d’humeurs, les états d’âmes des différents adversaires : c’est un des meilleur moyen pour connaître l’autre, l’amadouer, l’affronter.
On sent dans  les paroles de Shan Sa un attachement sincère à sa patrie et une curiosité pour ces événements historique qui, bien que sanglants, ont forgé son pays. Elle ne prend nullement position pour l’un ou l’autre de ces partis, si ce n’est contre la guerre elle-même. C’est une écriture très belle, aux images et métaphores très bien trouvées. On plonge dans un monde qui nous est, pour la plupart, complètement inconnu, et on y plonge entièrement, dans les moindres recoins, on n’oublie aucune facette de cette petite ville des Mille Vents. J’ignore encore qu’elle est mon sentiment globale à la sortie de ce livre : suis-je ravie pour toute la beauté et l’émotion palpable qui en ressort ? ou suis-je tétanisée par les horreurs dont ce roman nous rend témoin ? C’est indéniablement cette ambivalence qui fait tout l’intérêt du livre : de deux éléments en ressort-il nécessairement un duel ou un duo est-il possible ?

La Dame de pique d’Alexandre Pouchkine

Ah, littérature russe… mon amour ! Découvert il y a longtemps mais toujours aimé avec autant de fougue, de passion, jamais mon attachement envers toi ne faiblira. Mais malgré ça, un de tes auteurs phares, j’ai dénommé Alexandre Pouchkine, ne m’était pas encore bien connu. Il fallait pallier à ce terrible manque. La Dame de pique, célèbre nouvelle fantastique, m’a sauvée.

Cet auteur est un touche-à-tout côté genre littéraire ; on se souviendra notamment d’Eugène Onéguine, roman en vers, dont la chronique ne va pas tarder à poindre le bout de son nez sur ce blog. Pour vous le faire découvrir en douceur (quoique, Pouchkine est vraiment très accessible et plutôt jouissif tellement c’est bien écrit), je vais donc commencer par cette courte nouvelle mais qui fonctionne comme un roman.

L’histoire débute par une soirée tranquille entre cinq hommes en train de jouer. La discussion s’oriente vers la grand-mère de l’un deux qui connaîtrait une combinaison de trois cartes pour gagner à coup sûr au jeu du pharaon et donc gagner de l’argent facilement. On est transporté tout d’un coup aux côtés de cette dame, Anna Fédotovna et sa jeune demoiselle de compagnie Lisabeta Ivanovna. Hermann, officier du génie, séduit cette dernière et sous prétexte de la rejoindre dans sa chambre, pénètre dans celle, voisine, d’Anna. Il lui demande de lui révéler les trois cartes secrètes mais celle-ci meurt… de peur. Plus tard, après être aller à l’enterrement de la dame, Hermann voit son fantôme qui partage avec lui l’astuce gagnante. Le jeune homme se précipite alors au jeu pour s’enrichir. Mais la vie lui jouera un tour. Je ne révèle rien de la fin tellement elle est savoureuse.

Cette nouvelle est vraiment très facile d’accès, agréable et rapide à lire pour ceux qui n’ont pas le temps. Le côté fantastique rajoute un saveur particulière, la chute est vraiment à tomber… (jeu de mot facile j’avoue). Toutefois, je suis habituée à plus de psychologie ; ici, les personnages me paraissent très lointains, mais pour une nouvelle c’est tout à fait normale. Tout se résume à l’action, à la passion de l’enrichissement par le jeu (solution de facilité) qui l’emporte sur l’amour, l’honneur, l’honnêteté. Mais ceux qui veulent tromper le destin vont s’apercevoir qu’on ne peut rien contre lui, il gagne toujours. L’écriture est naturelle et vivante, elle rebondit à chaque phrase et jaillit à chaque lettre, un vrai régal. Une belle leçon de vie pour une lecture très divertissante, cette fiction fantastique est un très bon moyen pour faire connaissance avec « l’homme le plus intelligent de Russie » (Nicolas Ier).