Les Diaboliques de Jules Barbey d’Aurevilly

C’est un recueil de nouvelles que je vous propose aujourd’hui. Celui de Jules Barbey D’Aurevilly intitulé Les Diaboliques. Il s’agit de l’oeuvre la plus connue de l’auteur ; publiée en 1876, le premier récit qui la compose, Le Dessous de cartes d’une partie de whist, a été écrit dès 1850. Ce livre contient six nouvelles faites pour être ensemble et donne à voir au lecteur des histoires diverses mais toutes tounées vers la femme.

En effet, elle est le sujet central de ce bouquin, mystérieuse, vaporeuse, dangereuse…. on la voit dans toute sa force, sa puissance même si parfois cela passe par une exacerbation de sa fragilité, de sa sensualité. Toutes ces femmes sont hors du commun, par leur comportement ou leur vécu ; elles sont atypiques et difficiles à suivre.

L’auteur nous fait le récit de rencontres ou d’aventures amoureuses qui ont débouché sur des sentiments puissants. Certaines de ces histoires peuvent paraître trop surréalistes mais elles choquent par leurs descriptions d’univers ou d’êtres humains sales, scandaleux. L’auteur, catholique, a même été accusé d’immoralisme. Pour lui, il s’agit de faire l’étalage de l’horreur de ce monde pour éviter de le reproduire ; une sorte d’oeuvre didactique donc, mais soyons franc, c’est parce que nous sommes friands de ces scènes de vengeance, d’adultère, de meurtre que nous lisons ce recueil.

Je crois que peu de récit nous laisse autant sur notre faim. Pourtant l’histoire est close, il y a bien un début, un  milieu et une fin. Mais ces femmes sont toujours vues par le biais du narrateur homme qui raconte son histoire (qu’il a vécu ou entendu) à un public lors d’un diner ou dans un salon. Elles nous apparaissent alors énigmatiques, leurs comportements souvent étranges n’en sont que plus inexplicables. Insaisissables elles le sont et je ne sais toujours pas si ce livre les sert ou les accuse. La seule entorse à cette règle est la dernière des nouvelles, La Vengeance d’une femme : ici, c’est elle-même qui raconte sa propre histoire, nous savons alors son ressenti, ses pensées… mais cela ne rend son expérience que plus difficile (et donc plus jouissive dans un sens) à lire.

Quant à l’écriture, elle peut être somptueuse, ravissante à lire et à entendre. Les mots coulent entre eux, font de doux ricochets mais repartent de plus belle sans être encore essoufflés. Mais le style n’est pas égal dans tout le livre, parfois il se fait lourd et trop détaillant, au point d’en perdre le fil. Certaines descriptions ne sont pas obligatoires mais pourtant elles sont très étoffées au point de ne plus en pouvoir. Toutefois, cette oeuvre doit se laisser savourer, laissez fondre sous votre langue cette pastille de littérature. Entre envoûtement ou intérêt scandaleux, ce recueil de nouvelles saura vous faire aimer les femmes mêmes les plus intimidantes, même les plus mauvaises, même les plus diaboliques.

Je vous laisse avec ce magnifique passage tiré de la troisième nouvelle, Le Bonheur dans le crime :

« La panthèse devant laquelle nous étions, en rôdant, arrivés, était, si vous vous en souvenez, de cette espèce particulière de l’île de Java, la pays du monde où la nature est la plus intense et semble elle-même quelque grande tigresse, inapprivoisable à l’homme, qui le fascine et qui le mord dans toutes les productions de son sol terrible et splendide. A Java, les fleurs ont plus d’éclat et plus de parfums, les fruits plus de goût, les animaux plus de beauté et plus de force que dans aucun autre pays de la terre, et rien ne peut donner une idée de cette violence de vie à qui n’a pas reçu les poignantes et mortelles sensations d’une contrée à la fois enchantante et empoisonnante (…) ! Etalée nonchalamment sur ses élégantes pattes allongées devant elle, la tête droite, ses yeux d’émeraude immobiles, la panthère était un magnifique échantillon des redoutables productions de son pays. Nulle tache fauve n’étoilait sa fourrure de velours noir, d’un noir si profond et si mat que la lumière, en y glissant, ne la lustrait même pas, mais s’y absorbait, comme l’eau s’absorbe dans l’éponge qui la boit… Quand on se retournait de cette forme idéale de beauté souple, de force terrible au repos, de dédain impassible et royal, vers les créatures humaines qui la regardaient timidement, qui la contemplaient, yeux ronds et bouche béante, ce n’était pas l’humanité qui avait le beau rôle, c’était la bête. Et elle était si supérieure, que c’en était presque humiliant ! »