Nouvelles et chronique de Si c’est un homme, de Primo Levi

Bonjour à tous ! Juste un petit mot pour vous dire quand pendant 15 jours, le rythme de publication va se ralentir. En effet, je suis stagiaire au Prix du Jeune Ecrivain à l’occasion de s ateliers d’écriture organisés chaque année en juillet. En passant, je voulais également vous signaler que j’ai publié un article sur les blogs littéraires pour les Plumes Asthmatiques où j’écris tous les mercredis. Et surtout, n’hésitez pas à venir me retrouver sur Twitter :  @LaCritiquante Mais laissons place à la chronique !

Ce que nous appelons la faim ne correspond en rien à la sensation qu’on peut avoir quand on a sauté un repas, de même notre façon d’avoir froid mériterait un nom particulier. Nous disons « faim », nous disons « fatigue », « peur » et « douleur », nous disons « hiver », et en disant cela nous disons autre chose, des choses que ne peuvent exprimer les mots libres, créés par et pour des hommes libres qui vivent dans leurs maisons et connaissent la joie et la peine. Si les Lager avaient duré plus longtemps, ils auraient donné le jour à un langage d’une âpreté nouvelle ; c’est celui qui nous manque pour expliquer ce que c’est que peiner tout le jour dans le vent, à une température en dessous de zéro, avec, pour tous vêtements, une chemise, des caleçons, une veste et un pantalon de toile, et dans le corps la faiblesse et le faim, et la conscience que la fin est proche.

 Si c'est un homme

Primo Levi avait décidé de résister mais ça n’a pas duré longtemps. Jeté dans un wagon à bestiaux, il rejoint le Nord, le Lager – camp – de travail de Monowitz et son « Arbeit macht frei ». Entouré de grilles électrifiées et de barbelés, avec pour seules protections contre les éléments extérieurs une pauvre chemise, un pantalon rayé et des sabots qui lui torturent les pieds. Il ne s’appelle plus Levi mais 174 517. Tous les jours pendant deux hivers et un été, il a trimé dans la boue, dans la soif arrachante, pour avoir droit à son minuscule quignon de pain et à de la soupe trop clair.

Primo Levi nous raconte son quotidien dans un environnement qui nie toute notre humanité. On croyait savoir ce que c’était à travers les films et les livres d’histoire mais personne ne peut penser une seconde que la vie au Lager c’est aussi le marché noir pour avoir une cuillère ou du savon, c’est les rapports dirigés par l’argent que certains partagent avec des civils de l’usine où ils travaillent, la Buna. Personne n’a imaginé l’humiliation que c’est de prouver aux infirmiers que l’on est toujours malade du typhus, devant tout le monde, avec des combines dégueulasses pour essayer de rester un peu plus à l’infirmerie.

Primo Levi retrace également les rencontres, salutaires ou mortelles, qu’il a pu faire dans ce lieu de honte. Des relations complexes, des visions attristées d’hommes qui ont changé de nature au contact de la dureté du Lager. L’auteur n’a pas pour but d’engendrer de la pitié en épaississant le trait : il est honnête avec nous, car une des choses qu’il l’a fait tenir dans ce camp de Monowitz, c’est de rester debout, vivant pour témoigner, raconter aux autres, ceux qui ignorent que dans les fins fonds glacés on opère une déshumanisation massive, leur dire ce qui s’est passé, comment ça s’est déroulé, pour qu’on ne répète pas les mêmes erreurs.

On ne lit pas Si c’est un homme par voyeurisme de la fange humaine, on le lit pour se dire « non, plus jamais ça », on le lit pour se rendre compte de la complexité de l’homme, qui peut sombrer de l’autre côté si facilement. Primo Levi n’a pas une écriture pompeuse, une écriture vantarde du survivant, il évoque simplement et sans compromis cette parenthèse pourrie de sa vie au Lager. Il n’a pas connu les camps d’extermination, il n’est pas allé à Auschwitz tout près, presque par chance, mais il savait cette menace de finir en fumée dans les cheminées des crématoires, il voyait à la fin la fosse débordante des corps des centaines de détenus morts de faim, de froid, de maladie. Lui-même ne sait pas pourquoi il a survécu, une humilité qui le suit jusque dans ce livre, qui est tout simplement le reflet véritable d’un pan de notre Histoire peu reluisante.

C’est un témoignage qu’il faut connaître pour ne pas basculer dans l’oubli. C’est un dissection du malheur à son état brut qu’il faut lire pour savoir être heureux. En plus, c’est écrit de façon intelligente, sans redondance, seulement avec sincérité. Et si vous vous posez encore des questions après ça, l’auteur a même rajouté un appendice à la fin pour répondre aux interrogations qui reviennent le plus souvent. Un livre qu’il faut avoir dans sa bibliothèque, mais si j’aurai préféré le ranger dans « Romans » tellement il est dur d’admettre que ce qui est écrit ici, c’est la race humaine qui en est responsable.

Primo Levi, Si c’est un homme, traduction de l’italien par Martine Schruoffeneger, Pocket (3117), 6€10.

Lu dans le cadre du challenge « Destination : PAL » de Lili Galipette