Un mariage anglais, de Claire Fuller

Un mariage anglais de Claire Fuller est apparu devant moi sur un présentoir dans ma médiathèque. Je me suis alors souvenu que j’avais déjà entendu parler – en bien – de ce roman, et je me suis dit pourquoi pas ? Le début de ma lecture a été un peu laborieux, je n’étais pas passionnée parce que je lisais, je trouvais ça un peu ennuyeux et j’étais détachée de l’histoire et des personnages. Il faut dire que le titre, la quatrième de couverture décrivent un roman fort, poignant, avec des rebondissements, beaucoup de nature… Alors oui, il y a la nature sauvage, la mer dans laquelle on nage à n’importe quel moment. Mais au fond, c’est un récit qui s’écrit petit à petit, à son rythme.

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Ingrid a disparu il y a plus de dix ans, laissant seul son mari Gil – un écrivain assez connu – et ses deux filles Nan et Flora. Son mari redécouvre, cachées dans les livres qu’ils collectionnent et envahissent sa maison, des lettres qu’Ingrid lui a laissé, revenant sur leurs mariages, sur les secrets de Gil qui ont peu à peu créer des failles. Nan et Flora sont obligées alors de revenir auprès de leur père, affaibli, vieillissant…

Des personnages atypiques, qui ne vont pas bien ensemble, qui ont leur saute d’humeur et parfois un caractère bien trempé, des relations changeantes… Ce livre a quelque chose en lui d’humain et de sincère. Nan et Flora sont deux sœurs très différentes mais au fond complémentaires : on s’aperçoit avec elles comment un père peut être différent pour chacune. Je ne sais pas vraiment quoi penser de ce dernier, Gil : son côté écrivain et collectionneur de livres m’a beaucoup plu mais c’est un mari peu fiable. Les personnages secondaires sont en fait vitaux pour l’histoire et Claire Fuller les insère d’une excellente façon dans son récit. Quant à Ingrid, j’ai eu beaucoup d’empathie pour elle, je l’ai comprise, j’ai trouvé excellente chacune de ses lettres, sa façon de revenir sur son passé et son présent, de revenir sur ses dilemmes de mère et de femme – Gil a presque le double de son âge, c’était son professeur de littérature. L’auteure s’est beaucoup appliqué dans la description des lieux, et même avec peu de mots, je m’y suis crue.

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J’ai apprécié les paysages, j’ai adoré les personnages secondaires mais aussi le principe des lettres découvertes des années plus tard. Toutefois, l’intrigue aurait pu être mille fois plus passionnante, se terminer en beauté, avoir un rythme plus prenant. De ce côté-là, ça a été décevant. C’est pour moi une lecture en demi-teinte : il y a des qualités dans l’écriture, le style, la construction des personnages, mais à mon sens, certains éléments comme l’intrigue, la narration, le rythme auraient vraiment besoin d’être plus travaillés.

Claire Fuller, Un mariage anglais, traduit de l’anglais par Mathilde Bach, aux éditions Stock, 22€.

Un balcon sur l’Algérois, de Nimrod

Ouh, que j’ai honte ! Je ne poste que très rarement depuis plusieurs, je suis vraiment désolée. Mais je ne pense pas qu’il y aura une très nette amélioration jusqu’au NaNoWriMo car les recherches et lectures préparatoires pour ce dernier me prennent beaucoup de temps. Ceci dit, j’ai enfin fini de lire Un balcon sur l’Algérois de Nimrod.

Il faut savoir que Nimrod est un poète avant tout. Quand je l’ai rencontré, il animait justement un atelier d’écriture de poésie. Mais le livre dont je vais vous parler ici est pourtant un roman. Dans ses pages, on peut suivre le narrateur, un étudiant tchadien, qui est à Paris pour poursuivre ses études. Nous sommes dans les années soixante-dix, la ville est belle, aventureuse et invite à l’amour. C’est ainsi qu’il s’amourache de Jeanne-Sophie, sa directrice de mémoire, une femme à qui on ne peut pas dire non, une femme franche, entière, passionnée à qui on doit tout céder. Mais l’amour peut prendre feu, et c’est la cas dans cette relation. De peur d’être entièrement embrasé, il doit s’écarter d’elle.

J’ai mis beaucoup de temps à lire ce petit livre car, au-delà de mes occupations diverses et variées et même s’il se lit facilement (langage clair, phrases compréhensibles), j’estime qu’il faut prendre son temps pour le savourer. C’est un roman très très poétique qui explore le thème de l’amour, de l’attachement, des relations humaines, du corps et du lien au savoir et à la culture d’une façon très personnelle et « visuelle ». Le style est très imagé, beau, élégant mais pourtant très accessible et léger. C’est une vraie balade émotionnelle qui se raccroche à des éléments concrets, à des rencontres, à des faits quotidiens, et je trouve que cet équilibre est parfait.

Toutefois, je n’ai pas du tout eu le coup de foudre pour ce roman. Déjà, parce qu’il m’a surprise, je ne m’attendais pas à ça, et j’ai eu du mal à rentrer dans l’histoire. Le contexte ne me parle franchement pas et je ne me suis pas attachée une seule seconde aux personnages. J’ai eu l’impression que ce roman n’était pas écrit pour des lecteurs en fait. De plus, j’ai été un peu perdue dans la narration. Peut-être que je n’étais pas assez attentive ? Allez savoir.

Je ressors de cette lecture avec un sentiment mitigé. Oui, la langue est belle, mais je me suis sentie assez exclue de ce roman. Mais je pense que ce ressenti est vraiment subjectif, personnel. Je vous invite donc à vous faire votre propre opinion. Ce qui est certain, c’est que j’ai croisé ici une plume à part, très reconnaissable, que je relirai plus tard à l’occasion.

Nimrod, Un balcon sur l’Algérois, Actes Sud, 18€.

84, Charing Cross Raod, d’Helene Hanff

84, Charing Cross Road est un livre qui beaucoup circulé sur les blogs ces derniers mois, avec des critiques assez élogieuses. Alors quand je suis tombée sur ce livre de correspondance entre la librairie Marks & Co en Angleterre et l’américaine Helene Hanff, j’ai sauté sur l’occasion.

 

Il faut savoir que ce livre est vraiment court, en une journée la lecture est pliée. Je suis restée un peu sur ma faim. On peut découvrir dans ces pages un échange de lettres qui a commencé en 1949 pour durer vingt ans. D’un côté, une femme qui veut rattrapper son retard en lisant de bons ouvrages, dans de bonnes éditions et qui peine à trouver son bonheur chez elle, de l’autre une librairie tenue par des passionnés, toujours à l’écoute. Helene Hanff n’a pas la langue dans sa poche, et les employés de l’établissement vont vite oublier leur ton trop protocolaire. Car à travers ces lettres anodines, une vrai relation voit le jour. Helene leur envoie des colis de produits difficiles à trouver en ces temps de restriction, eux l’invitent sans cesse à venir les voir en Angleterre. La bienfaitrice rentre même dans la vie intime des libraires en échangeant des lettres avec leurs épouses, leurs voisines, en offrant des bas à leurs filles.

Ici, on ne fait pas mention de politique, de guerre, de religion, ou qu’à demi-mot. Même la littérature n’est pas la matière première des lettres. Non, il s’agit juste d’un échange d’égal à égal, une relation à la fois intime et distante de milliers de kilomètres. Chacun fait succinctement part de sa vie, sans trop livrer, pour ne pas abîmée ces beaux moments de lecture de la correspondance. C’est touchant et ténue.

Une belle découverte, toutefois, il y a quelques bémols. Il est bien sûr énormément fait mention dans ces lettres d’ouvrages, d’éditions particulières, de règlement, etc. Des éléments qu’ils semblent logiques de trouver ici mais qui deviennent un peu lassants à la longue, surtout qu’ils nous donnent l’impression de ne pas laisser assez de place au reste, au sentiment, à l’humain. De plus, il s’agit d’une sélection de lettres, il arrive de sauter plusieurs mois et autant vous dire que c’est frustrant, je déteste quand on décide pour moi. Cette correspondance recèle quelque chose de profond, toutefois il faut faire l’effort de percer cette épaisse couche de superficialité. Mais vu la petitesse de l’ouvrage, je pense que ça vaut l’effort de s’y pencher. Oh, l’écriture en soi n’est pas fabuleuse, ce n’était pas destiné à être publié, ni à être du beau style, mais elle va à l’essentiel, on peut au moins lui reconnaître cela – et l’édition française respecte la typographie original des lettres ce qui est plutôt agréable.

Bref, à essayer !

Helene Hanff, 84, Charing Cross Road, aux éditions LeLivre de Poche (15575à), 5€60.

Le palais des livres, de Roger Grenier

« Qu’est-ce qu’un roman, en fin de compte ? C’est une sorte de miroir qui reflète à la fois la vie intérieure la plus intime de l’auteur et un aspect du monde extérieur. C’est une façon de démonter la réalité pour la recomposer autrement, afin d’en donner une image plus vraie, je veux dire une image qui puisse être utile au lecteur, lui apprendre quelque chose sur le monde et sur lui-même. La vie à l’état brut est souvent trop incohérente, trop mystérieuse aussi, pour que l’on puisse en tirer un enseignement. La vie, décomposée et recomposée à travers le prisme du roman, nous permet de réfléchir. Plus les satisfactions d’ordre esthétique et l’émotion, l’effusion sentimentale qu’il nous apporte. »

La lecture, de Georges Croegaert

C’est ce genre de réflexions qui peuplent Le palais des livres de Roger Grenier. Peut-être avez-vous vu du côté de ma PAL la liste impressionnante de bouquins de cet auteur que je dois lire pour la rentrée ? Ce sont des « lectures étudiantes », je dois les lire pour la fac, mais pour une très bonne raison ! En effet, mon master (« métiers de l’écriture et de la création littéraire » si vous voulez tout savoir) organise régulièrement des rencontres avec des écrivains et le premier à nous rendre visite en septembre est Roger Grenier. Autant vous dire que je vais me sentir toute petite à côté de ce grand bonhomme au CV de trente pages.

Bref, je dois lire plusieurs de ses œuvres et j’ai commencé par celle-ci. On pourrait dire qu’il s’agit d’un essai, mais je trouve que ça ressemble plus à un carnet de pensées. Des pensées sur tout l’univers littéraire : de l’intérêt du roman, l’écrivain en tant qu’homme, les thèmes littéraires dont l’amour, quelques réflexions sur des termes précis.

Dans Le palais des livres, on ne parle pas que de lettres, mais plus largement de la vie. Roger Grenier nous livre une part de lui-même à travers ses mots, et cela d’égal à égal, et c’est vraiment très appréciable ! Des phrases justes mais jamais alambiqués, un vocabulaire simple sans être simplet et surtout, par-ci, par-là, des anecdotes personnelles, des petites notes biographiques sur des acteurs de la vie littéraire française et internationale.

Cette œuvre se lit doucement, comme un bonbon qu’on laisserait fondre sur la langue. On apprend des choses, on en entraperçoit d’autres, on voyage entre les différents chapitres avec grâce. Une petite lecture bien agréable pour sortir du roman.

Roger Grenier, Le palais des livres, aux éditions Folio (5478), 6€.

La dactylographe de Mr James, de Michiel Heyns

Si vous lisez un tant soit peu, si vous vous intéressez un minimum à la littérature étrangère, le nom d’Henry James vous dit forcément quelque chose. Et si vous êtes comme moi, vous n’avez donc lu aucun de ces livres, chose à laquelle vous allez vite remédier à la fin de cette chronique en mettant un de ses romans dans votre PAL (Pile A Lire). Bref, tout ça pour vous dire que je n’ai pas lu Henry James mais que j’ai quand même réussi à approcher le personnage, par sa dactylographe plus précisément.

Pour replacer les choses : Henry James est un auteur américain qui a passé la plus grande partie de sa vie en Angleterre, il fut même naturalisé anglais avant sa mort. Il est reconnu pour son style très travaillé, son raffinement dans l’écriture et le réalisme littéraire dont il est une figure majeure. Il publiera ses premiers romans dès les années 1870 et continuera d’écrire jusqu’à sa mort en 1918.

Je l’ai rencontré par le biais du livre de l’auteur Michiel Heyns, La dactylographe de Mr James. Il s’agit d’un roman, avec beaucoup de faits fictifs mais aussi une grande part de véridique : le vrai et le faux sont d’ailleurs démêlés à la fin du livre pour un souci de justesse. L’écrivain s’est inspiré de Theodora Bosanquet, une des dactylographes de Mr James, engagée en 1907. Dans ce livre, elle est devenu Frieda Worth.

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L’intrigue se déroule dans la petite ville anglaise de Rye, et plus précisément à Lamb House, la résidence de Mr James, et s’étale de novembre 1907 à juillet 1909. Frieda, fascinée par cet homme, doit chaque jour rejoindre le Maître pour taper sous sa dictée ses romans, ses préfaces, et à de très rares occasions des textes plus privés. Mr James est un homme du monde, très poli, très loquace, profond et intelligent. Il se doit de respecter les convenances et d’entretenir ses relations. Frieda, dans son rôle discret, observe ce ballet de visites : la famille de Mr James (son frère William, sa femme, leur fils Harry, leur fille Peggy), les écrivains en herbe admirateurs, l’exubérant Mrs Wharton, et le beau Mr Fullerton, sans oublier Max, le teckel du maître.

Frieda sait qu’elle fait bien son travail et qu’elle est appréciée pour cela, mais être sans cesse cantonnée à son métier, considérée comme le simple prolongement de la machine à taper est source de frustration. Toutefois, elle sait rester à sa place, mais ne s’empêche pas de jeter un œil critique sur son employeur, brillant bien sûr, mais aussi hypocondriaque voire égocentrique par moment. Et quand Morton Fullerton lui demande de lui rendre un service en volant à ce cher Mr James des lettres qu’il lui a envoyé, elle ne peut qu’accepter face à son charme.

Frieda se retrouve alors au centre des secrets, des manigances de Lamb House. Ce double jeu lui vaudra de savoir les dessous de l’entourage de Mr James : amours, ruses, mensonges, jeux d’esprits, elle s’en sortira avec calme et discrétion.

Je n’ai rien à dire de la traduction, j’ai l’impression qu’elle retranscrit très bien ce qu’a voulu dire Michiel Heyns. On dit d’ailleurs qu’il a dans ce livre réussi à avoir un style parfaitement « jamesien » : dans ce cas, je dois vous avouer qu’au début, j’ai eu du mal avec cela. Ce style est vraiment très travaillé, de longues phrases et périphrases, beaucoup de virgules et de précisions. Il ne faut pas être trop fatigué pour pouvoir suivre, la meilleure solution étant de se plonger vraiment dans le livre.

Passé les premiers chapitres un peu chaotiques pour les lecteurs comme moi qui ont du mal à saisir tout de suite qui est qui et qui fait quoi, le roman se révèle agréable une fois que l’on s’est fait à cette écriture particulière qui est en réalité très poétique et belle, presque naturelle pour un auteur comme Henry James.

Cela est donc une sacré prouesse de la part de Michiel Heyns. Au fil des chapitres, ce roman que l’on pourrait presque qualifier de « fleuve » devient captivant : ce personnage de dactylographe que Heyns s’est complètement réapproprié nous permet de visiter l’intimité de ce grand maitre de la littérature de langue anglaise qu’est Mr James mais aussi de comprendre une partie des enjeux de cette époque (les suffragettes par exemple) ou des centres d’intérêts parfois particuliers de cette société (spiritisme, dialogue avec l’au-delà et téléphatie).

On s’attache à ce récit de la vie quotidienne d’une employée, appréciée par son patron. Très modeste et attachée au maître, elle n’est quand même pas incapable de vivre pour elle-même, allant parfois jusqu’à oublier les devoirs de discrétion et de respect de la vie privée qu’exige son métier. Les jours passent, les visites s’enchaînent sous son regard qui voit beaucoup plus de choses qu’il ne devrait. C’est vraiment un personnage attachant, bien qu’ambivalent, même si j’ai eu un peu de mal avec l’utilisation d’une narration à la troisième personne.

Ce livre fut donc une surprise pour moi, je n’en donnais pas bien cher au début de ma lecture, mais je suis contente d’avoir persisté. Une fois habituée au style de l’auteur, j’ai été enchanté de lire un roman de la sorte, pas rocambolesque c’est sûr, mais toutefois sympathique. Sa grande qualité est de donner envie d’en lire plus sur Michiel Heyns et Henry James.

Michiel Heyns, La dactylographe de Mr James, traduit de l’anglais (Afrique du Sud) par Françoise Adelstain, aux éditions Philippe Rey, 21€.