Capitaine Françoise, de Stéphane Rubin

Ah, l’auto-édition, ce pendant obscur du monde littéraire. Feigner de l’ignorer ou en être un défenseur actif : à chacun de choisir son camp. Pour ma part, je dois avouer que je n’ai pas la meilleure des opinions sur ce secteur, mais je reconnais qu’il y a parfois quelques surprises. Et je ne refuse jamais quand un auteur vient me voir tout gentiment pour me faire découvrir son roman. Et ça a été le cas avec Stéphane Rubin, qui m’a envoyée – avec un très jolie dédicace – Capitaine Françoise. L’histoire se déroule dans la tête de Françoise, une libraire bretonne, qui nous fait partager une de ses journées entre les rangées de livres et les clients. Le soir-même, il y a une rencontre sur les résistances (les mineurs lorrains, une des premières féministes, etc.) et c’est elle qui en a la responsabilité. Tout organiser, des petits fours à l’accueil de l’éditeur, de la vitrine aux livraisons, voilà son travail.

 

Chaque rencontre, chaque détail ou petite péripétie, donne lieu à des remarques, souvent avec verve et humour. Disons que la Françoise, elle est bourrue, et elle remâche des expressions bretonnes sans s’en rendre compte. Elle a un avis sur tout, a toujours des petites histoires, son monologue est plein de rebondissements. Autant dire que c’est exclusivement oral, même si c’est la plupart du temps des paroles mentales. Il faut s’habituer à cette vivacité et à cette expression que l’on n’a pas l’habitude de voir en littérature, tout de moins que l’on n’a pas l’habitude de voir de façon exclusive dans un roman.

Capitaine Françoise, c’est une fresque de personnages, avec une petite touche de géographie et de culture locale. Malheureusement, – et c’est là ma plus grande déception sur le contenu – ces personnages, qui constituent l’essence du livre, sont de vrais stéréotypes et manquent cruellement de profondeur. Entre les mamies copines, la jeune femme superficielle fan de chick-lit, l’étudiant doux et beau gosse de philo, les politiciens véreux et opportunistes, l’attachée de presse vampire, on a fait le tour des topoï je pense. Et alors qu’on est dans la tête de Françoise, je l’ai personnellement trouver assez fade ; tout reste en surface. Puis franchement, elle m’est assez antipathique, à avoir des idées sur tout et tout le monde : si elle existait dans la vraie vie, je ne l’aimerais pas. J’espère que pour d’autres lecteurs, ce n’est pas le même ressenti qui prime, car ça gâche la lecture, mais que voulez-vous, je n’ai pas choisi d’éprouver cela.

Cependant, c’est assez bien écrit, piquant et divertissant. On passe un bon moment et on découvre un petit bout du patrimoine breton (notamment la langue locale) et la verve du personnage principal fait sourire de nombreuses fois. Le coup de maître de l’auteur est de nous tenir en haleine alors que l’histoire ne se déroule que sur une journée (mais pourtant sur 236 pages écrites en petits caractères!), chapeau. Et il y a même des rebondissements et une fin surprenante !

Bien sûr, j’ai grincé les dents très très fort sur la correction ortho-typographique (auteurs en auto-édition, par pitié, PAR PITIÉ, arrêtez d’oublier le typographique de correction ortho-typographique) : les majuscules non-accentuées, les apostrophes mécaniques presque partout, les guillemets à l’anglaise, la présentation des dialogues n’importe comment. Futurs auteurs, ne négligez pas tout ça, car sinon, ça peut complètement vous décrédibilisez. Cela n’enlève rien au contenu, mai votre image (et donc votre texte) en prend un coup !

Capitaine Françoise, un petit livre distrayant et drôle, pour passer un bon moment sans se faire de soucis. À essayer !

Stéphanr Rubin, Capitaine Françoise, collection Mon libraire, ce héros, 15€. Pour vous le procurer, vous pouvez contacter l’auteur à l’adresse mail suivante : petitmot@petitsriens.com

Sang dessus dessous, de Claude Izner

Claude Izner est en fait le pseudonyme de deux sœurs qui écrivent à quatre mains : Liliane Korb et Laurence Lefèvre. On les connaît surtout pour les enquêtes de Victor Legris, un libraire de la rue des Saints-Pères. Mais pour moi, elles sont inconnues au bataillon. En général, quand il y a écrit « détective » sur la couverture (le nom de la collection par exemple), je fuis. Ce n’est vraiment pas mon truc les enquêtes policières à la Hercule Poirot.

Sang dessus dessous est la réédition de leur premier roman à deux, il préfigure en quelques sortes la série Victor Legris. Je me suis faite avoir par la couverture (même s’il y avait marqué « Grands détectives » dessus…), un vieux livre, quelques monuments de Paris, une silhouette pressée… Puis il faut dire que la quatrième de couverture était assez alléchante, avec des énigmes meurtrières, impliquant des livres….

 sang dessus dessous izner

Milo Jassy (drôle de nom) est bouquiniste sur les quais de Seine. Sa vie se partage entre ses bouquins, sa voisine de commerce Henriette et son chien Lemuel. Mais un jour, il apprend qu’un de ses amis, libraire, a été retrouvé mort dans sa boutique. Nu, on l’a étouffé dans un sac plastique avant de le poignardé post-mortem. Le plus étrange, ce sont les deux Jules Verne d’une antique collection posés sur la tranche à ses pieds et lacérés. Les événements bizarres s’enchaînent, Milo Jassy comprend qu’il doit résoudre cette enquête car un danger inquiétant plane au-dessus de sa vie. Je ne vous en dirai pas plus pour garder le suspense.

Que dire ? J’ai été déçue. Certes, je n’aime pas les romans de détectives, mais ça n’a presque rien à voir ici tellement le livre est médiocre. C’est peut-être cru mais sincère. Le cadre est plutôt intéressant, mêler du Vingt Mille Lieues sous les mers et des assassinats, c’est plutôt original. Toutefois, l’écriture n’est pas claire. Au début, l’action met du temps à s’éclaircir, c’est beaucoup de noms, de lieux, des données qui nous perdent, sans compter que les multiples intervenants ont souvent des surnoms, ou sont la même personne, ou n’existent pas vraiment… Bref, un imbroglio de personnages tout au long de ce livre qui mène à une gigantesque pagaille.

Les péripéties s’enchaînent pour mener à une fin dont on se doutait avant de la lire. Le fil conducteur fait des boucles dans tous les sens, c’est loin d’être en ligne droite. Tout n’est qu’un enchaînement de petits événements dont on a du mal à comprendre la logique pendant une bonne partie de la lecture, et il y en a tellement avec des acteurs différents qu’on s’y perd très très facilement. On sait que l’effet « pièces de puzzle qui s’assemblent » est de tradition dans les romans d’enquête, et c’est même un de leurs plus grands attraits, mais ici on a l’impression de tomber dans un jeu de mikados éparpillés, la fin consistant juste à tous les ramasser pour les refourguer dans leur boîte. Bref, c’est raté.

Mais le pire, c’est qu’aucun des personnages n’est réellement crédible ou attachant. Ce sont des stéréotypes pour la plupart, avec peu de réalisme psychologique, et ceux qui révèlent un potentiel intéressant ne sont pas assez exploités. On reste en surface. Et même si Milo Jassy est le détective du livre, – il pose des questions, fais des recherches, et va même sur le terrain -, on a plus l’impression que les choses lui arrivent sans qu’il ne vienne rien demander, dans le sens où tous les indices lui parviennent sans trop d’effort… Pendant tout le livre, on n’a jamais vent de ce que fait le police, ce qui n’est pas très crédible vu les événements.

Bref, je vais m’arrêter, une vraie déception pour ce livre que j’ai failli acheter, heureusement je me suis rabattue sur l’emprunt en bibliothèque. On sent bien que c’est un premier roman policier pour les deux sœurs. Je ne connais pas leurs autres livres avec Victor Legris, j’imagine qu’elles se sont améliorées et qu’elles ont quitté l’ambiance brouillonne qui règne dans Sang dessus dessous.

Claude Izner, Sang dessus dessous, 10/18, « Grands Détectives » (4637), 7€50.

Le Libraire, de Régis de Sá Moreira

J’avoue, je n’ai jamais entendu parlé de Régis de Sá Moreira. Pourtant, il traîne depuis quelque temps dans ma bibliothèque ce livre acheté chez le bouquiniste. Je suppose que c’est surtout son titre qui m’a intéressée. Ou alors la photo de la première de couverture de l’édition du Livre de Poche : un tisane de littérature.

C’est un roman assez court, une petite pastille de réglisse (ou de caramel selon vos goûts) qui fond tranquillement sur votre langue le temps d’une pause bien méritée. Ce libraire, on ne saura jamais son nom. Ces livres, il les a apprivoiser depuis longtemps, il vit en parfaite osmose avec eux. Ces client aussi il a appris à les connaître, à les ménager. Ce libraire est parfois un peu mélancolique, parfois pas très logique mais toujours très sensible, touchant. Ce n’est pas vraiment une histoire à proprement parler, c’est plutôt une ballade dans cet univers parfois imaginaire, mais toujours très intime qu’est cette librairie. Ici, on sert des infusions aux orties, on fait écouter du Mozart aux livres, on ne sait pas parler couple, on n’a qu’un seul guide de voyage mais un étagère entière d’éditions d’Anna Karénine. La vie du libraire est assez hors du commun mais bizarrement on se retrouve facilement dans ce personnage, tellement ouvert, tellement beau qu’on veut tous lui ressembler.

L’écriture peut paraître hors norme, déplaire ou perdre quelques lecteurs. Mais elle est tellement légère, tellement poétique, elle a tellement de choses à nous dire. L’auteur sait garder toute cette profondeur sans alourdir son texte. C’est rare et surtout très appréciable. Parfois absurde, il ne faut pas chercher à absolument trouver un sens, une logique à ce livre, mais juste se laisser se bercer par ces mots qui résonneront encore longtemps dans votre esprit de lecteur.

« Dès qu’il ouvrait un livre, le libraire était heureux. Ou du moins, il se sentait bien. C’était presque une joie d’enfant. C’était aussi une faiblesse. Il avait l’impression qu’on s’occupait de lui, qu’on prenait soin de lui. Pour tout dire, lorsque le libraire lisait un livre, il avait le sentiment d’être aimé. »

Et pour continuer sur votre lancée, allez jeter un coup d’oeil sur ce lien : le paradis des amoureux des livres