Journal, d’Hélène Berr

« Les amitiés qui se sont nouées ici, cette années, seront empreintes d’une sincérité, d’une profondeur et d’une espèce de tendresse grave, que personne ne pourra jamais connaître. C’est un pacte secret, scellé dans la lutte et les épreuves. »

Des journaux intimes, des écrits autobiographiques témoignant d’une expérience de la Seconde Guerre mondiale, on en trouve déjà beaucoup. Souvent, cela nous raconte la vie de résistants, de déportés, de clandestins, de soldats voir même de collabos. Mais c’est surtout l’horreur qui est mise en scène, les moments les plus difficiles dans ce monde en guerre. Avec Hélène Berr, j’ai découvert l’autre versant : un Paris paralysé, un Paris qui plonge peu à peu dans la peur et ses habitants avec.

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Hélène Berr est une brillante jeune fille de 20 ans qui fait des études d’anglais. La guerre a commencé et elle décide de tenir un journal pour garder une trace de ses journées passées avec des amis de la famille ou à jouer de la musique classique. Mais elle y note également ses réflexions, très abouties et profondes pour certaines, plus triviales pour d’autres. Hélène est juive, les lois raciales la concernent donc en premier : le port de l’étoile jaune, l’exclusion des israélites des transports en communs, des commerces… Elle l’a vécu. Mais c’est quand son père est emprisonné que tout bascule et qu’elle prend peu à peu conscience de l’injustice de cette politique qui prend pour race ce qui n’est « qu’une » religion.

Hélène est surprenante : elle garde un sang froid extraordinaire et n’écrit pas ces quelques lignes pour se plaindre. Non, écrire lui sert d’exutoire : coucher sur le papier ses sentiments lui permet de mieux les comprendre. Surtout qu’en plus de la situation très instable de la France, Hélène doit faire face à des problèmes de cœur : elle réalise qu’elle s’est engagé avec un Gérard de plus en plus absent alors qu’elle vient de faire la rencontre d’un certain J., qui l’obsède tout doucement. Cela pourrait nous sembler anecdotique mais dans l’esprit de cette jeune fille, l’amour qu’elle ressent pour ses proches et ce garçon sont inséparables de sa façon d’appréhender sa vie.

Hélène redoute l’avenir mais refuse de vivre dans la peur : pour cela, elle se souvient de ces journées dans la campagne d’Aubergenville, elle se souvient de son bonheur d’étudier à la Sorbonne. Et elle s’occupe : bénévole dans une bibliothèque, elle prend soin également d’enfants juifs qui n’ont plus de famille (parents déportés par exemple), et Dieu sait comme il y en a ! Elle n’est pas sourde aux rumeurs : les rafles, le Vél d’Hiv, etc. Mais il faut garder courage et la tête sur les épaules.

 

Le plus surprenant, c’ets cette écriture, qui fait preuve d’une réelle maturité dans les idées et dans les formes. Bien sûr, c’est un journal à l’origine privée : certains billets n’ont pas réellement d’intérêt pour nous, on se trouve un peu perdu à travers cette myriade de personnages que nous ne connaissons pas. Il y a quelques facilités de langue, quelques répétitions, mais sincèrement, on pardonne tout cela à Hélène, car on est déjà assez intimidé de rentrer ainsi dans la vie de cette jeune femme qui jusqu’au bout a eu fois en la justice. En effet, malgré les mises en garde et les dangers, la famille Berr n’a pas fui, jusqu’au bout elle est resté à Paris, échappant aux rafles avec une chance insolente. Jusqu’au jour où… le malheur a rattrapé Hélène et ses proches. De ça, on n’en saura pas grand chose, juste une lettre de l’auteure pour sa sœur, écrite le jour de l’arrestation. C’est encore un plus grand déchirement de se séparer d’Hélène, de finir cette lecture quand on sait qu’elle périra dans les camps peu de temps avant leur libération.

C’est une personne pleine de vie, très studieuse : son journal est ponctuée de mots anglais et de références littéraires très agréables. C’est vrai, on ne comprend pas tout parfois, certaines références nous manquent : Hélène a gardé son jardin secret. Pendant des mois, elle admirait la beauté de la capitale, la joie des enfants, mais au fond d’elle-même, elle savait que derrière certains de ces murs la barbarie humaine était à l’œuvre. Au fur et à mesure de l’avancée nazie, la jeune fille ne pouvait se retenir de haïr ces hommes, ces automates qui détruisaient le beau et la paix. Mais tout haut, elle ne pouvait rien dire : c’est à son journal qu’elle dénonçait cela, qu’elle se confiait.

J’ai vécu un moment fort et touchant en partageant la vie et les pensées intimes d’Hélène Berr. Son Journal est une œuvre très belle, empreinte de désespoir mais aussi de vie. Plus que jamais après cela, on se dit que de telles abominations ne doivent surtout pas revoir le jour.

Hélène Berr, Journal, édition Tallandier, 20€.

La Couleur des sentiments, de Kathryn Stockett

J’ai toujours un train de retard sur le reste de la blogosphère. Alors que tout le monde avait lu L’Atelier des miracles par exemple, moi je commençais à peine me dire « Ah oui, ce serait peut-être bien que je le lise » pour le chroniquer deux mois plus tard. Idem pour Deux étrangers. Alors je n’allais pas changer mes petites habitude de retardataire pour La Couleur des sentiments, surtout que le film est sorti depuis plusieurs mois. Ce grand roman de Kathryn Stockett me permet de boucler le challenge Pavé de l’été (que je redoutais de ne pas réussir) grâce à ses 600 pages ! Mais je ne les ai même pas vu défiler tellement j’ai adoré !

L’histoire est composée de trois voix, elle se déroule dans l’État conservateur du Mississippi dans les années 1960 où la ségrégation n’est pas un concept mais une réalité. Aibileen est noire, elle travaille comme presque toutes les femmes noires de Jackson en tant que bonne, c’est une employée qui sait rester à sa place. Elle a joué la maman pour des dizaines d’enfants de blancs qui étaient plus des hommes et des femmes que des pères et des mères. Minny, elle, a le défaut d’avoir une « grande gueule » ce qui lui a valu quelques renvois. Elle dit ce qu’elle pense, elle peut paraître insolente, mais lorsqu’elle fait une Chose Épouvantable Abominable à sa patronne, Hilly qui dirige la Ligue, elle sait qu’il sera alors très difficile de retrouver du travail dans sa ville.

De l’autre côté de cette barrière raciale, il y a Skeeter Phelan, une blanche, qui a pour rêve d’écrire, de devenir journaliste. Mais quand elle revient de la fac, elle apprend que la bonne qui l’a élevée, qui l’a aimé, cette chère Constantine, n’est plus là, un mystère, un secret inavouable terni son départ. Skeeter se sent à l’étroit dans les règles qui séparent ces deux mondes, blancs et noirs. Et quand elle apprend que son amie Hilly veut tout faire pour obliger la construction de toilettes pour les domestiques noirs afin qu’ils n’utilisent pas ceux de leurs patrons, c’est la goutte d’eau.

Aibileen, Minny, Skeeter, trois femmes différentes mais qui sans s’en rendre compte vont changer les choses. Prudentes au début, hésitantes, elles vont se lier, pour coucher sur le papier le récit de la vie que mènent les bonnes noires au service des familles blanches. Des choses que l’on n’a jamais écrit, des choses que l’on n’a jamais lu. Dans un contexte où le Ku Klux Klan n’est pas qu’un mythe, ce peut être dangereux. Mais elles veulent aller jusqu’au bout.

La Couleur des sentiments, il faut absolument le lire un fois dans sa vie. On y croise une myriade de personnages avec leurs difficultés, leurs espoirs, leurs caractères, leurs questionnement. Ce n’est pas manichéen, il y a de mauvaises bonnes qui volent, qui mentent, et il y a des gentilles patronnes qui feraient tout pour aider leurs employés. Blancs et noirs, ça ne s’opposent pas nécessairement, leur histoire d’amour et de haine sont plus complexes que cela, et c’est magnifiquement illustré dans ce livre.

Bien sûr, ça entraîne une belle réflexion sur la ségrégation et le racisme, sans pour autant vouloir faire la morale. C’est un vrai voyage dans le temps et l’espace pour nous faire découvrir la vie dans cet Etat du Sud, alors que Martin Luther King commence à peine à faire parler de lui. J’ai redécouvert ce morceau de l’histoire, et c’était beau.

Bien que certains passages ne soient pas faciles, certains épisodes de la vie de ces bonnes ne sont pas très reluisants… Kathrynn Stockett a cependant réussi à introduire de l’humour, de la passion et de l’émotion dans cet univers de petite bourgeoisie blanche du Mississippi. Chacune de ces trois femmes a son temps de paroles et a sa voix propre, ainsi qu’une vie qui n’est pas faite que de journalisme ou de ménage : il y a aussi la famille, l’amour, l’amitié, la peur.

 

Ma chronique est un peu brouillonne et sûrement très incomplète. Encore en moi, c’est un fouillis de sentiments après la lecture de ce roman : je suis heureuse que les choses aient changé, que le racisme est reculé au profit de l’égalité, je me suis régalé, j’ai ri et j’ai pleuré en parcourant ces pages. Un des meilleurs de lectures de ma vie, vous pouvez en être sûr ! Je ne sais pas quoi rajouter, seulement : LISEZ-LE !

Kathryn Stockett, La Couleur des sentiments, traduit de l’américain par Pierre Girard, aux éditions Babel (1141) d’Actes Sud, 9€70