Le Diable s’habille en Prada, de Lauren Weisberger (lecture commune de juillet 2017)

le-diable-s-habille-en-pradaDe la lecture sans prise de tête : voilà ce que je voulais pour l’été, pour les vacances, pour la lecture commune de juillet 2017. Cela faisait un petit moment déjà que j’avais envie de lire ce roman, qui a donné naissance à un de mes films préférés (ne me jugez pas) : Le Diable s’habille en Prada de Lauren Weisberger.

Andrea rêve d’être une grande journaliste, et pour cela elle est prête à tout, même à postuler pour le plus célèbre magazine de mode au monde : Runway. Et sans trop savoir comment, elle parvient à décrocher ce job qui fait tant d’envieuses : elle devient la seconde assistante personnelle de la rédactrice en chef, Miranda Priestly. Andrea va vite apprendre que derrière les talons aiguilles et les défilés de mode, elle et son style dépareillé vont devoir faire beaucoup de concessions. Entre les horaires de dingue, les demandes impossibles de sa patronne plus qu’exigeante, les langues de vipères qui peuplent les couloirs de la rédaction, la jeune fille est sur un chemin semé d’embûches. Mais si elle tient le coup, ne serait-ce qu’un an, on lui a dit, on lui a promis : elle pourra aller là où elle veut, y compris au très prestigieux New Yorker ! Et si à force de vouloir bien faire, notre héroïne finissait par se perdre elle-même dans les strass et les paillettes ?

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C’est à cet instant que j’ai commencé à vouloir ce poste, de toute la force de mon âme. À le vouloir comme on peut vouloir quelque chose que l’on considère hors de sa portée. Dans mon esprit affamé de succès, obtenir ce poste relevait d’un vrai défi – parce que j’étais un imposteur, et pas des plus doués, de surcroît à ce jeu-là. À la minute où j’avais foulé la moquette de Runway, j’avais su que je n’appartenais pas à ce monde-là. Mes vêtements, ma coiffure étaient certes décalés dans cet univers, mais mon état d’esprit – cela crevait les yeux – l’était encore davantage.

Ce livre nous donne tout ce qu’on attend de lui, et c’est juste parfait. On sourit, on râle, on est fatigué ou enivré avec Andrea. Même si elle semble parfois naïve, on la trouve finalement assez courageuse et on s’attache à cette working girl qui veut juste aller au bout de ses rêves. On la voit tomber dans des pièges, on la voit se débrouiller comme une chef et j’ai pris un immense plaisir à la suivre dans ses déboires. Son nouveau job regorge de surprise, on imagine tout de suite une copie de Vogue et d’Anna Wintour. Cette rédactrice en chef croquée dans le roman est redoutable… et on adore la détester. Cette femme-dragon suscite de la fascination et de l’admiration : elle s’est hissé là à la seule force de sa volonté. Comme Andrea qui lutte pour survivre et s’imposer dans cet univers redoutable qu’est Runway.

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Les personnages et le décor de cette histoire, dans un New York à mille à l’heure, sont vraiment les points forts. On a du mal à lâcher le livre, même si la traduction parfois peu naturelle ou des sous-intrigues plus inintéressantes viennent parfois polluer le récit.

Le Diable s’habille en Prada (le livre comme le film d’ailleurs) vous fera assurément passer un bon moment, si vous avez envie d’une littérature grinçante, furieusement tendance et facile. Bref, c’est une histoire divertissante, aux personnages très bien rendus, à avoir lu et/ou regardé au moins une fois dans sa vie, pour le plaisir !

Lauren Weisberger, Le Diable s’habille en Prada, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Christine Barbaste, aux éditions Pocket, 7€40.

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Ciseaux, de Stéphane Michaka

En ce moment, je lis beaucoup de livres (romans, essais) traitant de l’écriture ou de l’écrivain. Aujourd’hui, j’ai choisi de vous en présenter un qui évoque en plus l’éditeur, et sa relation à l’auteur. Connaissez-vous Raymond Carver ? C’est un nouvelliste américain, décédé en 1988. Ce n’est pas celui qui a écrit le roman dont je vais vous parler, mais il en constitue la matière première. Un appendice en début du livre nous précise qu’il s’agit bien ici d’une œuvre de fiction, cependant des éléments importants de la vie de Carver s’y retrouve : sa première femme, son alcoolisme, sa liaison avec une poétesse. Cela me rappelle un autre roman que j’ai lu il y a quelques mois et qui, lui aussi, traitait de façon fictionnel la vie d’un écrivain bien réel. Mais aucune des fictions mentionnées dans ce roman n’existent en dehors de celui-ci.

Le roman en question se nomme Ciseaux, et a été écrit par Stéphane Michaka. On y suit la progression de Raymond, un écrivain, qui essaie tant bien que mal de finir des nouvelles et de les faire publier. L’amour désabusé qu’il entretient avec sa femme Marianne, qui lui a tout sacrifié, est renforcé par sa consommation un peu trop élevée et régulière d’alcool. Raymond sait qu’il devrait arrêté, mais il n’a pas la motivation suffisante.

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Un jour, une des ses nouvelles est remarquée par un magazine. Cependant, l’éditeur, Douglas, qui s’en occupe, veut effectuer de gros changements : il coupe de façon radicale de nombreux passages, rend la nouvelle hachée menue, en change son titre. Raymond acquiesce, c’est la seule solution pour connaître la publication et il a vraiment besoin d’argent. Le succès est là, alors il continue d’écrire des histoires qui seront charcutées « pour la bonne cause » par cet éditeur caressant. Mais Marianne, qui est très impliquée dans la vie d’écrivain de son mari, soulève cette dénaturation de ses nouvelles, qui ne sont plus les siennes, mais celles de « Ciseaux », le surnom de Douglas. Alors Raymond essaie de faire entendre sa voix, mais c’est dur quand on lui promet l’édition d’un recueil entier constitué exclusivement de ses nouvelles et qu’on lui trouve un poste de professeur dans une bonne fac….

La construction de cet ouvrage est assez atypique. Comme dans une pièce de théâtre ou un scénario, le nom d’un des personnages entame diverses petites parties : monologues ou narration du point de vue de ce personnage. Cela permet de savoir ce que peuvent ressentir Raymond mais aussi Douglas par exemple. Ce peut également être une lettre qu’ils écrivent à l’autre, voire, la partie peut concerner deux personnages, c’est alors une tranche de vie qui leur est commune qui nous est racontée. On peut difficilement faire plus claire comme structure, pratique pour une lectrice qui se perd facilement comme moi, et cela a l’avantage de multiplier les points de vue. Mais, cela ne perd pas pour autant toute la saveur romanesque de ce livre : c’est un combat entre plusieurs personnalités très distinctes, ce sont des années de vie de sacrifices et d’amours tumultueuses qui défilent.

Rajouter à cela la retranscription de plusieurs nouvelles de Raymond (le personnage et non le « vrai » nouvelliste) et le roman est alors complet. On ne peut pas parler de l’écriture de quelqu’un sans savoir ce qu’il écrit justement, et cela permet de mieux comprendre les coupes sauvages que se permet d’effectuer Douglas et leur importance. Ces nouvelles sont visuellement séparées du reste du texte par un changement de police : décidément tout est fait pour qu’on ne se perde pas dans ce livre ! En les lisant, on comprend les mécanismes d’écriture de Raymond qui prend comme point de départ pour écrire ses fictions sa propre vie et qui se laisse influencer par son état, ses émotions à chaque ligne. Ces nouvelles traitent de la vie personnelle, privée, intime et nous permet de mieux comprendre les propres événements qui jalonnent la vie de cet écrivain. N’ayant jamais lu quelque chose de Raymond Carver, j’ignore si le style des deux Raymond est assez proche, mais j’avoue que ce détail n’a aucune importance.

Ce n’est pas un roman très palpitant c’est vrai, mais on se laisse facilement bercé par les aventures de cet écrivain qui peine à se faire connaître. On peut par moment ressentir de la pitié pour ce héros qui est par moment aveugle à ce qui se passe autour de lui, mais c’est un attachement timide pour lui qui prend vite la place de ce sentiment pathétique. Une lecture pas forcément reposante mais très agréable tout de même.

Stéphane Michaka, Ciseaux, aux éditions Fayard, 19€.