Cela faisait longtemps que je voulais replonger dans l’univers japonais par la lecture. Les blogs et les romans ne me suffisant pas, j’ai décidé d’aller carrément me servir au rayon socio pour en ressortir un livre sur la jeunesse de ce pays affectionné par de nombreux passionnés. C’est Japon, la crise des modèles de Muriel Jolivet qui a retenu mon attention.
Installée depuis près de quarante ans au Japon, elle a énormément écrit sur cette culture, et étant professeur, elle ne cesse de côtoyer des étudiants. Elle était donc au premier plan pour observer que cette jeunesse avait changé, un phénomène très intéressant à étudier mais qui en inquiète plus d’un sur place.
En effet, ce pays est très traditionnel, patriarcal même : on se marie, la femme reste au foyer, on fait des enfants qui s’occuperont de nous à nos vieux jours comme nous l’avons fait pour les nôtres. On ne divorce pas, et c’est l’homme qui ramène les sous à la maison. J’exagère à peine.
Hors de nombreuses mutations ont eu lieu : évidemment (et heureusement!) les femmes ont gagné en liberté, le divorce n’est pas si rare que ça, elles peuvent travailler même si elles sont mères. Toutefois, la plupart occupe juste un poste de secrétaire avant de trouver un bon parti, dans sa propre entreprise tant qu’à faire. Mais le plus flagrant, c’est avant tout le net recul du nombre de mariage et de naissance, et le fait que ces deux événements arrivent de plus en plus tard dans la vie des Japonais. La faute à qui ? A la récession qui a vu naître des milliers de freeters (un peu l’équivalent de nos intérimaires mais avec un statut plus précaire) pas assez riches et motivés pour se marier, à la timidité des hommes, à la montée en flèche des relations sexless.
La jeunesse n’est plus la même, on l’a dit moins travailleuse, blasée, incapable de s’imaginer un avenir ou de s’émouvoir. Les Japonais ont vu naître une nouvelle génération « à part » :
- les hikikomori qui restent cloîtrés chez eux,
- les gyaru, ces filles aux mœurs légères qui peuvent s’adonner parfois aux « relations assistées » (enjô kosai), proche de la prostitution,
- les host et les boys, la nouvelle prostitution masculine qui réconforte les femmes en mal d’attention,
- les OL, pour office ladies, ces secrétaires peu qualifiées et multi-tâches qui sont avant tout décoratives et qui représentent pour les employés hommes un vrai vivier d’épouses potentielles,
- les makeinu, les femmes « chiens battus », perdantes car elles vieillissent mais sans mari ni enfants, comme quoi les traditions pèsent encore lourd !
- les netto nanmin, ces « sinistrés des (cyber-)cafés », trop pauvres pour avoir un chez eux, ils restent la nuit dans ces espaces ouverts non-stop,
- les nîto, ceux qui ne font absolument rien, pas de travail, d’étude, de stage, d’activité. Ce sont des « parasites » qui restent chez leurs parents, parfois jusqu’à la trentaine passée !
- les otakus : ce terme désigne surtout des hommes, timides, qui ont du mal à interagir dans la réalité et préfère le monde virtuel.
La nouvelle jeunesse japonaise ne suit pas le chemin de ses aînés : ils s’essaient à différentes modes vestimentaires très visuelles, ils veulent « prendre leur temps » pour « trouver leur voie » au risque que cela dure toute leur vie. Bien sûr, ce n’est qu’un constat général qui règne au Japon et les exceptions sont très nombreuses. On ne peut pas caser chaque jeune adulte dans une case.
C’est d’ailleurs cela qui m’a gêné dans ce livre car on dirait que Muriel Jolivet essaie à tout prix de faire rentrer tout le monde dans des catégories, son livre est structuré sur ce fonctionnement de pensée.
Toutefois, son écriture est très claire et s’éloigne parfois des canons du style scientifique, avec quelques expressions plus.. familières, ce qui ne fait pas de mal dans une études de socio ! On doit reconnaître qu’elle a dépiauté avec patience toute cette nouvelle société japonaise. Pour cela, elle s’est (beaucoup) appuyée sur des essais d’autres auteurs, elle s’est même complètement reposée sur certains pour plusieurs de ces chapitres. Bien sûr, il fallait réinterpréter tout ça pour que le lecteur français comprenne cet univers si différent du sien, mais quand même… le travail de recherche et d’écriture personnelle est un peu réduit par ce biais !
Elle emploie énormément de mots japonais, ce qui est une bonne chose, certains concepts étant intraduisibles, mais même avec un glossaire à la fin, je dois avouer que ça a été parfois dur de suivre sa pensée, pour la néophyte que je suis, avec tous ces termes étrangers.
Ce livre se lit vite et j’avoue que ce fût une expérience enrichissante et un bon moment de lecture. J’ai adoré en apprendre plus sur cette société japonaise même si je me serais passée de ce chapitre interminable sur le mariage. Bref, si vous êtes intéressés par la chose, je vous le conseille !
Muriel Jolivet, Japon, la crise des modèles, aux éditions Philippe Picquier (une maison d’édition que j’apprécie de plus en plus !), 22€30.