Ce n’est pas la peine aujourd’hui de présenter Roger Nimier, célèbre écrivain français dont le roman le plus connu est Le Hussard bleu. Mais savez-vous qu’avant de mourir dans un tragique accident de voiture en 1962, aux côtés de l’écrivaine Sunsiaré de Larcône, il a eu une fille, âgée de cinq ans au moment des faits ? Et que cette fille, Marie Nimier, est à son tour devenue auteure ?
Elle a écrit pas mal de livres : théâtre, romans, livres jeunesse, nouvelles. Mais celui qui est, je pense, le plus marquant est La Reine du silence, qui a obtenu en 2004 le prix Médicis. Dans ce livre autobiographique, Marie Nimier essaie de retracer la relation qu’elle a tissé avec son père, avant se mort bien sûr, mais également après. Elle tâtonne pour faire resurgir des souvenirs oubliés, imaginés, des images un peu fanées de ce père agité, travailleur, de cet être qu’on a peine à qualifier de figure paternelle. Roger Nimier n’était pas toujours tendre avec sa famille, absorbé par son travail chez Gallimard, il n’a jamais été très « famille ».
Toutefois, Marie Nimier n’est pas là pour condamner son père mais tente de démêler cet amas de tôle froissé pour y retrouver des traces de lui, de ce personnage parfois malhabile à exprimer ses sentiments. Mais avant toute chose, elle essaie de répondre à cette question que son père un jour lui écrivit en lettres capitales sur une carte postale : que dit la reine de silence ? Marie Nimier, déclarée gagnante du jeu du silence dans sa classe est face à un dilemme : comment parler sans perdre son titre ? Alors elle interroge : le fils de Sunsiaré, ses frères, les documents de son père bientôt mis aux enchères, des photos de magazines, des objets hérités de cet homme. A travers tout çà, elle trace son chemin, sa petite route en fil d’enquête pour mettre un mot sur ce qu’elle ressent, pour savoir ce qu’elle doit ressentir.
Elle se souvient d’une figure imposante, masculine, qu’elle, la seule fille, la petite, essayait d’amadouer, essayait de s’en faire aimer, avec plus ou moins de succès. Elle met en relation des éléments de sa vie, de celles des autres proches, qui se croisent de façon étrange, formant des coïncidences à la limite du prophétique.
Marie Nimier se dévoile complètement dans cet ouvrage, elle fait confiance au lecteur à qui elle se donne sans retenue. Sûrement était-ce une nécessité après des dizaines d’années de mettre des mots sur cette absence du père. Ses mots, sensibles, s’adressent directement à nous, ou à elle-même, le doute flotte souvent. Le seul fil rouge présent est cette figure paternelle mais les anecdotes se suivent, s’appelant les unes les autres sans véritablement d’ordre préétabli. L’auteure laisse aller sa plume, parfois avec difficulté, mais toujours avec poésie et clairvoyance. Un livre tout simplement beau, parfois douloureux, qui nous ramène forcément à notre propre expérience, bien que chaque vie soit unique, le père, lui, est universel.
« Il faudrait rappeler que mon père buvait beaucoup. Suggérer qu’une petite fille face à un homme saoul, ça ne fait pas le poids, fût-il un grand écrivain, l’un des dix meilleurs écrivains de sa génération. Je n’ai pas envie d’entrer dans les détails, pas seulement par respect, ou par pudeur, mais parce qu’autour de mon père et de ses amis il y a déjà teellement d’anecdotes spectaculaires que ceux-ci ne feraient que nourrir une légende qui me dégoûte un peu. J’ai envie de raconter des petites choses. De celles qui ne s’échangent pas en deux mots, debout, un verre à la main, dans les jardins d’un hôtel particulier. Des trucs pas intelligents, pas spirituels, pas brillants, où l’on ne sourit pas à la fin en s’exclamant « Quel personnage ! »
Ni même : « C’était tout lui. »
Des trucs qui n’ont pas leur place dans les colonnes des revues littéraires. Des trucs qui ne font pas mousser la mousse, comme diraient ses amis.
(…)
La semaine suivante, à la Maison de la Radio où je participe à une table ronde, on dirait qu’ils se sont donné le mot. Ah, vous êtes Marie Nimier, j’ai très bien connu votre père (c’est fou ce que mon père avait comme amis), c’était un homme d’une haute, comment dire, d’un, et puis très, je l’ai même vu le jour de l’accident (c’est fou le nombre de gens que mon père a rencontré le jour de l’accident), nous étions tous si…
Je souris d’un air désolé. Ce n’est pas une pose, je suis sincèrement désolée, comme on le dit d’un paysage. Je me sens poussiéreuse. J’ai envie de me prendre par la main et de disparaître. »