Hippocrate aux enfers, de Michel Cymes

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C’est d’abord le titre – plus que l’auteur – qui m’a attirée : Hippocrate aux enfers de Michel Cymes. Le sous-titre disait : Les médecins des camps de la mort. Et là j’ai tout de suite compris que c’est un thème qui allait me toucher, me parler. Je n’ai aucun lien, rien, avec l’atrocité commise par les nazis dans les camps : pas de famille touchée, pas de racines juives. Mais ici on touche à quelque chose de plus universel : l’humanité et comment on peut arriver à perdre la sienne pour devenir un monstre.

Et c’est cette question que s’est posé l’auteur ici. En tant que médecin, il n’a pas pu rester de marbre alors qu’il entendait dire autour de lui que certaines expériences menées dans les camps avaient pu être utiles à la science. Ces deux grands-pères ont connu les camps, on imagine alors tout à fait pourquoi ces paroles ont résonné en lui. Il devait comprendre, essayer de savoir ce qui c’était passé, et pourquoi, et comment. À son échelle, sans être historien, il a donc fait des recherches.

Dans ce livre assez court, on découvre alors le destin d’hommes (et un tout petit peu de femmes, ce qui était représentatif du corps médical de l’époque) qui ont voulu gagner l’estime du parti, qui ont voulu exercer leur sadisme sans retenue, qui ont voulu mener des expériences trop vite, trop fort. Les motifs et les parcours sont divers, mais un seul fait revient : la cruauté, l’inhumanité et malheureusement beaucoup trop souvent : la mort.

Chapitre par chapitre, on découvre des noms qui ressurgissent des procès de Nuremberg : des médecins, des chirurgiens. On apprend aussi le contenu de certaines expériences et la façon dont on a essayé de justifier : des prisonniers qui meurent de soif, d’hypothermie, du typhus qu’on a leur a véhiculé exprès, de blessures graves qu’on leur a infligées. Les vivisections, le voyeurisme, la misère, les mensonges, et le tout sans anesthésie s’il-vous-plaît. Les camps ont été une aberration de l’histoire humaine. Mais au-delà, à quoi servait de faire mourir des centaines, des milliers d’être humains pour des expérimentations médicales qui étaient censées sauver des gens ? Je ne saisis pas.

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Michel Cymes a retracé l’histoire de ces personnes responsables, il a fouillé pour savoir pourquoi. Il a trouvé le comment, le grâce à qui (le funeste nom d’Himmler revient partout). Il a trouvé également comment se sont finies les choses pour eux (les peines légères à Nuremberg, les disculpations, la retraite sous le soleil de l’Amérique du Sud, le suicide parfois, la reprise de leur travail en médecine…). Il a trouvé des traces en France, ou dans les camps, dans les archives, les livres spécialisés. Il a trouvé des courriers, des témoignages. Mais il n’a pas trouvé le pourquoi. Pourquoi un médecin devenait un monstre. Pourquoi le serment d’Hippocrate qu’ils prêtent tous était jeté aux orties.

J’ai affiché dans mon bureau les photos de certains d’entre eux. Parfois je les observe pour essayer de comprendre ce qui a pu les transformer en bourreaux, ce qui, dans leur personnalité, leur histoire, a pu entrer en réaction physique avec cette période monstrueuse et donner ce composé chimique incroyable apte à transformer un médecin en assassin, un chercheur en tueur.

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Ce livre est écrit avec beaucoup de pudeur même s’il traite ce thème sans trop de détours. La plume de Michel Cymes m’a semblé honnête, consciencieuse de chercher des réponses – à défaut de les trouver. A aucun moment, il ne nie la douleur de toutes les autres victimes de la guerre, bien sûr. Mais on comprend aisément qu’en tant que médecin, ce sujet l’interroge particulièrement. J’ai beaucoup appris de cette lecture, et j’ai mené ma réflexion plus loin qu’elle ne l’était grâce à elle. Dans un sens, c’est un livre qui m’a fait avancée et qui m’a remis en mémoire des faits que personne ne devrait oublier, ou pire, nier. La lecture est rapide, instructive, éclairante. L’écriture est très personnelle, mais on ne l’apprécie que plus ; elle est aussi très documentée.

Un livre à découvrir.

Michel Cymes, Hippocrate aux enfers, Le Livre de Poche, 6€60.rat-a-week

Le Passage, de Jean Reverzy

Mes études m’ont amené cette année à réfléchir sur les relations qui mêlent littérature et médecine, notamment à travers l’oeuvre de Marie Didier ( et). Je me suis également penchée sur un autre auteur, médecin généraliste à Lyon : Jean Reverzy, décédé en 1959. J’ai choisi de partager avec vous son premier roman, sûrement le plus connu, Le Passage, qui a obtenu le prix Renaudot en 1954.

le-passage-jean-reverzy-9782020297714Dans ce livre sont mêlés des souvenirs exotiques, une fatalité évidente, et une description crue du monde médical. Le narrateur nous raconte le retour d’un vieil ami, rencontré en Polynésie. Celui-ci rentre en France « pour mourir ». Avec lui une vahiné sur le déclin et un foie bien mal en point. Il s’appelle Palabaud et est atteint d’une cirrhose  bien qu’il ne soit pas alcoolique. A travers lui, c’est toute une vie en Polynésie qui renaît : la mer tant recherchée, la boue d’une île pas si paradisiaque que ça, les moeurs des aborigènes, les habitudes des Européens, la médecine d’Outre-Mer, etc. Mais en parallèle, le narrateur évoque les quelques mois de répit passés dans un hôtel lyonnais, face à sa propre déchéance, sa propre décrépitude. Sans s’apitoyer, Palabaud n’a pas d’espoir de guérison, il attend, presque avec patience, la mort longue à venir alors que ses joues se creusent, que ses côtes saillent. Son ami-narrateur, médecin, nous raconte les quelques menues mesures qu’il peut prendre pour alléger la douleur d’une existence en train de s’éteindre mais aussi sa relation désabusée avec ses patients et des couloirs d’hôpitaux trop fréquentés.
C’est un double voyage qu’opère ici l’auteur, à la fois un périple dans les îles polynésiennes mais aussi le compte-rendu d’une vie sur le déclin, sous le joug nécessaire du temps qui annihile toute volonté. On pourrait penser que ce dernier thème a été traité dans la littérature au point d’en enlever toute la substance, toutefois Reverzy a réussi ici a renouvelé son traitement, à travers une narration originale mais surtout un personnage hors du commun, à la fois attachant et source de pitié. Des mots simples mais une recherche dans le lexique bien mené nous offre une lecture à la hauteur de nos attentes. A la fois divertissante mais aussi touchante, l’auteur a réussi le pari d’allier originalité et sensibilité.

Je suis partagée après avoir fini ce roman, pas sur ces qualités littéraires bien sûr (c’est admirablement bien écrit) mais je n’arrive pas à me décider s’il dégage un pessimisme permanent de notre vie éphémère ou au contraire l’optimisme d’un homme qui n’a pas peur de la mort. C’est sûrement le mélange des deux qui fait toute la grandeur du personnage de Palabaud, le narrateur étant un peu trop fataliste pour me plaire. Palabaud a la conscience tranquille de sa mort prochaine, il finit doucement sa vie, peut-être pas de la meilleure manière qui soit, mais d’une façon qu’il a choisi, qu’il pense être la meilleure. De bonne grâce, dans un dernier sursaut d’espérance mais avant tout pour faire « comme tout le monde », Palabaud se plie à la demande de ses amis qui veulent qu’il consulte des médecins. Même si à chaque fois, le personnage répète les mêmes choses, le médecin ausculte de la même façon, les choses arrivent au même point, la médecine lui donne l’impression d’être moins seul et de ne pas mourrir pour rien. C’est un interlocuteur comme un autre, ce sera le témoin de sa mort.
C’est un beau livre, simple, divertissant et surprenant, avec lui vous passerez à coup sûr un très bon moment de lecture.

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Et à tous, rendez-vous dès le 20 décembre, je vous réserve une petite surprise pour vous faire patienter jusqu’à Noël !