Le Château de ma mère, de Marcel Pagnol

mincouv72044493L’année dernière, j’avais découvert Marcel Pagnol, et j’avais alors décidé d’attendre l’été suivant pour continuer l’aventure avec Le Château de ma mère, encore un récit qui fleure bon les vacances dans les hautes herbes. On continue d’accompagner Marcel, nous contant son enfance – ce livre-là étant la suite directe de La Gloire de mon père.

gloire_de_mon_pere_chateau_de_ma_mere_2Plus que jamais, l’enfant a trouvé sa place dans la petite maison de vacances où la famille a ses habitudes. Les adultes chassent, Marcel les assistent, jusqu’au jour où il fait la connaissance de Lili, un garçonnet du coin spécialisé dans les pièges. Avec lui, une fidèle amitié se noue, qui va égayer les grandes vacances d’été. Et puis toutes les autres. Après nous avoir parlé de l’amour filiale, de la tendresse familiale, Marcel nous parle d’autres plaisirs et bonheurs d’un petit garçon : battre la campagne avec un copain, loin des adultes, faire des plans sur la comète sans penser aux lendemains, à l’école qui va reprendre. C’est d’ailleurs un déchirement pour Marcel de voir la rentrée prochaine arriver : il fera tout pour repousser la date fatidique mais difficile d’y échapper avec un père instituteur.

Mais une heureuse rencontre va donner à son père une clé, et quelle clé ! Celle-ci ouvre tous les portails le long du canal, abrégeant le grand voyage à pied pour rejoindre la maison de vacances. Ainsi la famille peut même venir les week-ends grâce à ce coup de main, un peu illégal, qui leur fait gagner beaucoup de temps. Mais cela veut aussi dire traverser des domaines privés, des châteaux abandonnés, des terres de paysans, propices aux rencontres… et aux frayeurs ! Gare au terrible gardien et son effrayant chienc475edeb9cbb6986fff2bc84516477b3 !

Cette famille est vraiment touchante et on en vient presque à envier Marcel pour avoir grandi dans un tel foyer. Dans sa rencontre avec Lili, on ne peut que se retrouver : les copains de vacances avec qui on découvrait un nouveau territoire, les amis de l’école primaire avec qui on passait les longs après-midi d’étés… ça rappelle des souvenirs ! L’amitié est quelque chose d’intemporelle qui continue de nous parler aujourd’hui, bien que le livre ait soixante ans. Comme dans La Gloire de mon père, j’ai eu beaucoup de joie à retrouver la langue simple et délicieuse de Marcel Pagnol qui nous entraîne avec énergie et sincérité dans ses aventures d’enfant. Il arrive à nous passionner pour ces choses qui comptaient plus que tout aux yeux d’un jeune garçon, même si cela peut sembler bête à l’adulte qu’on est aujourd’hui. C’est fou comme on peut se faire un monde pour des babioles ! Quelle imagination on a à cet âge ! J’ai tellement aimé retourné en enfance, retrouver la fraîcheur de la première amitié, l’amertume de voir les vacances se finir… Et bien sûr, la description de cette nature en perpétuel renouvellement, que nous avons le bonheur de découvrir cette fois-ci selon plusieurs saisons. Moi qui habite Toulouse, j’ai tellement reconnu cette description du canal… J’avais l’impression d’y être, dans ce petit chemin discret qui longe le cours d’eau, tout en côtoyant ces demeures tranquilles, impressionnantes… dans un petit goût d’aventure.

Canal de Provence, Gardanne, Bouches-du-Rhone (13), France

[…] Dans mon pays de Provence, la pinède et l’oliveraie ne jaunissent que pour mourir, et les premières pluies de septembre, qui lavent à neuf le vert des ramures, ressuscitent le mois d’avril. Sur les plateaux de la garrigue, le thym, le romarin, le cade et le kermès gardent leurs feuilles éternelles autour de l’aspic toujours bleu, et c’est en silence au fond des vallons, que l’automne furtif se glisse : il profite d’une pluie nocturne pour jaunir la petite vigne, ou quatre pêchers que l’on croit malades, et pour mieux cacher sa venue il fait rougir les naïves arbouses qui l’ont toujours pris pour le printemps. C’est ainsi que les jours des vacances, toujours semblables à eux-mêmes, ne faisaient pas avancer le temps, et l’été déjà mort n’avait pas une ride.

Je me rends compte que cette chronique n’est absolument pas construite, et très franchement, ce n’est pas grave, car je ne pourrais guère faire mieux. Le Château de ma mère, ça touche aux émotions, à ces tiraillements, ces joies qu’abritent nos cœurs. Je l’ai préféré à son prédécesseur car le sujet de l’amitié me parle tout simplement plus que celui de la chasse, mais l’écriture est toujours aussi bonne. Je suis donc ravie que, contrairement à son plan initial, Marcel Pagnol ne se soit pas arrêté là et ait continué à écrire sa vie. Très hâte à présent de lire Le Temps des secrets.

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Marcel Pagnol, Le Château de ma mère, aux éditions Fortuno, 5€70.

Traité des peaux, de Catherine Harton

Dans le cadre du Prix des Cinq Continents de la Francophonie, dont je m’occupe de la gestion pour le comité de lecture français, j’ai l’occasion de lire quelques romans francophones en lice pour l’édition 2015. [D’ailleurs, je manque de lecteurs, donc si vous êtes intéressés, envoyez-moi un petit mail : lacritiquante@gmail.com Merci !]

En découvrant une partie des livres candidats, je suis tombée sur une maison d’édition que je ne connaissais pas et je suis tout de suite tombée amoureuse de cette dernière pour ses ouvrages fins, soignés, au format bien découpé. Un vrai coup de cœur pour les éditions Marchand de feuilles !

J’ai donc lu un recueil de nouvelles, Traité des peaux, qui m’a emmené dans la neige et le froid du Groenland et du Québec prè du peuple inuit et des tribus amérindiennes. Ce livre m’a fait voyager de façon instantanée et j’ai adoré cette immersion totale, pudique et franche dans ces milieux en pleine mutation forcée, mondialisation oblige. On découvre ces habitants encore très proches de leurs coutumes ancestrales, des amoureux de la nature sous la neige et la glace. C’est un très bel hommage à ces modes de vie : la chasse, la survie lors de températures polaires, l’utilisation du bois, la fidélité des chiens de traîneaux, le traitement des peaux de phoques,.. L’auteure, Catherine Harton, réussit à nous entraîner dans ces contrées lointaines et inconnues – pour moi en tout cas – et, à travers des personnages attachants, divers et bien représentés, à nous faire comprendre les dangers et les changements profonds qui touchent ces populations un peu à part du reste du monde mais qui sont toutefois obligées de s’y fondre malgré tout. A travers des destins très différents, elle nous retrace qu’elles peuvent être et qu’elles ont été les vies de ces Groenlandais ou de ces Algonquins, entre leurs rêves, leurs désillusions, leurs espoirs, leurs bonheurs, leurs désirs.

Je ne suis généralement pas très portée sur les nouvelles, mais pour ce Traité des peaux, j’ai vraiment été conquise. Chaque nouvelle est un coup de pinceau qui vient embellir cette fresque presque polaire. L’atmosphère de ce recueil est pudique et poétique, tout en étant dur et triste par moment. Le style de l’auteur m’a tout de suite plu. Ces mots reflètent la beauté de ces paysages et la douceur des peaux de bêtes, phoque ou huskies. Cette écriture m’a tout de suite emportée vers ces contrées lointaines, et j’ai découvert avec émotion des vies et des peuples dont j’ignorais tout.

Ce livre a été une vraie rencontre. Avec l’auteure, avec cette très jolie maison d’édition et avec ces lieux magiques, ces coutumes, ces habitants qu’il faudrait plus protéger, mieux comprendre.

Catherine Harton, Traité des peaux, les éditions Marchand de feuilles, 18,95 $. Pour l’instant, seulement disponible au Canada, ou sur internet (en dollar + comptez les frais de port). J’espère qu’il sera disponible en France rapidement, ou même qu’il sera disponible un jour, car c’est une vraie perle. Sinon, vous pourriez le lire en tant que lecteur du Prix des Cinq Continents 2015 (oui, je manque vraiment de lecteurs…).

Tout bouge autour de moi, Dany Laferrière

J’aime la littérature francophone, même si c’est vrai que je ne fais pas étalage ici de romans québécois ou africains. Alors aujourd’hui, je me rattrape et je vous propose de parler d’un roman d’un Haïtien qui habite au Canada, Tout bouge autour de moi de Dany Laferrière.

L’auteur nous propose de revenir presque quatre ans en arrière, alors que la terre s’est mise à trembler à Port-au-Prince, un séisme dévastateur qui nous marque encore aujourd’hui.

tout bouge

Ce 12 janvier 2012, l’écrivain était présent sur cette île partagée avec la République dominicaine, il était là à l’occasion de rencontres littéraires. Alors que son dîner venait d’être servi, les premières secousses, puissantes, se sont faites ressentir. A peine le temps de reprendre ses esprits, il fallait déjà fuir. Alors qu’on se plaignait de la déforestation galopante de l’île, c’est le béton qui avait pris possession de ce bout de terre : après le désastre, les cabanes de bois et de tôle sont toujours debout, les immeubles de ciment, eux, ont été réduit en miettes.

Dany Laferrière a écrit ce court livre un an après la catastrophe, il n’y fait pas l’étalage d’un ton larmoyant, mais au contraire, il nous expose des faits : la première nuit dehors, et la peur, l’angoisse de ne pas retrouver les membres de sa famille, la vie en communauté sous des tentes, la recrudescence du vaudou, le caractère des secouristes, l’état de la radio et d’internet, ses amis qu’il a recroisé, ses coïncidences qui ont préservé des vies, et le temps qui continue à avancer malgré tout. Il met en avant ce courage et cette abnégation du peuple haïtien qui a connu les pires dictatures, révoltes, inondations, ouragans. Il ne reste pas centré sur Port-au-Prince mais nous expose aussi la situation dans la campagne proche, touchée elle aussi.

J’ai vraiment vu ce séisme d’un autre regard que les images topoï que nous a servi la télévision. C’est une injustice qu’on ne peut combattre, on ne peut pas contrôler notre Terre et ses caprices, toutefois, la vie a continué sur ce sol qui a tremblé, il a bien fallu continuer à avancer. J’admire le sang-froid des Haïtiens face à cette situation de crise, et j’ai découvert un peuple et une île au paysage transformé pour toujours, ceci avec beaucoup d’humilité.

L’auteur a construit ce livre avec des chapitres très courts : par petites touches, il reconstruit cette nouvelle réalité, et cela sans misérabilisme. Il nous parle avec sincérité de ses peurs et de ses angoisses, de sa vision des psychologues et des religieux qui se sont emparés de l’événement. J’ai parfois ri, j’ai souvent eu un sentiment de tristesse, mais je me suis sentie très fière de voir que l’humanité avait de telles ressources d’adaptation.

C’est un livre à découvrir, pour ne pas oublier ce jour de janvier 2010.

« J’entre. La chambre est intacte, à part la télé qui est par terre. (…) Je prends tout ce que je peux emporter. (…) Je ne dois pas rester trop longtemps dans cette chambre tout en étant conscient de l’importance de cette provocation. La mort en nous frôlant laisse en nous une frénésie qui nous pousse à défier les dieux. D’où l’envie irrésistible de me coucher sur le lit. Je me ravise au dernier moment sentant que je suis en train de faire une bêtise. Ce n’est peut-être pas fini. Une nouvelle secousse pourrait mettre l’hôtel par terre. Je ne sais plus depuis combien de temps je suis dans la chambre. Depuis hier, j’ai perdu la notion du temps. Je sais maintenant qu’une minute peut cacher en elle la vie d’une ville. »

Dany Laferrière, Tout bouge autour de moi, Le Livre de Poche, 6€10.