Dans les forêts de Sibérie, de Sylvain Tesson

Avant de passer à ma lecture commune de mai, et parce que je suis d’une logique implacable, j’ai décidé pour les premiers beaux jours de l’année de lire un récit qui se déroule sur les rives du lac Baïkal en pleine taïga russe : Dans les forêts de Sibérie de Sylvain Tesson (oui, je le lis après tout le monde sur la blogosphère).

11 février

Au matin, nous reprenons la glace. La forêt défile. (…) La glace craque. Des plaques compressées par les mouvements du manteau explosent. Des lignes de faille zèbrent la plaine mercurielle, crachant des chaos de cristal. Un sang bleu coule d’une blessure de verre.

« C’est beau », dit Micha.

Et plus rien jusqu’au soir.

A 19 heures, mon cap apparaît. Le cap des Cèdres du Nord. Ma cabane.

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Sylvain Tesson a passé six mois en pleine Sibérie. Son environnement se résumait à l’unique pièce de sa cabane et à son poêle qui lui apportait de la chaleur, autant dire ici de la vie. Il voulait goûter à la solitude dans les immensités enneigées de la taïga. Le premier village était à cinq jours de marche. Son quotidien : couper du bois, observer, risquer sa vie sans s’en rendre compte en explorant les environs, boire du thé et de la vodka, lire et écrire, accueillir les visiteurs impromptus.
C’est peut-être d’ailleurs cela qui m’a le plus étonnée dans ce livre, véritable journal autobiographique de cette longue expérience : je m’attendais vraiment à un récit sur la vie d’ermite mais à mon grand étonnement j’ai croisé beaucoup de personnages dans ces pages. J’en suis un petit peu déçue, oui, pour la simple raison que je ne désirais pas vraiment lire ses rencontres avec les rares touristes de passage ou les Russes perdus dans les environs. Le voir se saouler, pêcher et mener de drôles de conversations avec d’autres, j’avoue que je m’en fiche. Je préfère ce passage où il évoque l’importance de voir un oiseau par la fenêtre, ces pérégrinations parmi les sapins, les subtils changements dans le paysage au fil des mois qui passent, son lien avec ses deux chiens.

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J’ai un véritable amour pour ces coins du monde – un de mes rêves est de faire tout le trajet en Transsibérien. Et j’étais très enthousiaste de commencer cette lecture, j’en avais entendu du bien et j’imaginais qu’il me permettrait de m’évader et de me recentrer. J’aimais beaucoup l’idée de cette retraite, avec des livres et de quoi écrire, avec beaucoup de thé et les heures qui se diffusent au gré du soleil. Mais j’ai été tout de suite désarçonnée par le style de l’auteur dont je n’avais rien lu auparavant. Beaucoup de métaphores, de phrases poétiques… ce n’est pas ce que je voulais lire, tout simplement. Cette langue m’a paru trop riche là où j’attendais du dépouillement, de la simplicité. J’avais l’impression de toujours lire quelque chose écrit à côté de ce que je voulais au fond. En bref, ce récit n’est pas fait pour moi, je ne suis pas la bonne personne, la bonne lectrice pour lui.

Je lui reconnais toutefois de nombreuses qualités : les pages défilent assez vite au gré du redoux dans la taïga, le style peut plaire – il est beau. Ça ne se répète pas, sacré exploit. Mais malgré toutes ces bonnes choses, je n’ai pas complètement accroché. Ce moment de lecture fut agréable mais je ne retenterai pas l’expérience Sylvain Tesson.

Et vous, qu’en avez-vous pensé ?

Sylvain Tesson, Dans les forêts de Sibérie, aux éditions folio, 7€70.

Traité des peaux, de Catherine Harton

Dans le cadre du Prix des Cinq Continents de la Francophonie, dont je m’occupe de la gestion pour le comité de lecture français, j’ai l’occasion de lire quelques romans francophones en lice pour l’édition 2015. [D’ailleurs, je manque de lecteurs, donc si vous êtes intéressés, envoyez-moi un petit mail : lacritiquante@gmail.com Merci !]

En découvrant une partie des livres candidats, je suis tombée sur une maison d’édition que je ne connaissais pas et je suis tout de suite tombée amoureuse de cette dernière pour ses ouvrages fins, soignés, au format bien découpé. Un vrai coup de cœur pour les éditions Marchand de feuilles !

J’ai donc lu un recueil de nouvelles, Traité des peaux, qui m’a emmené dans la neige et le froid du Groenland et du Québec prè du peuple inuit et des tribus amérindiennes. Ce livre m’a fait voyager de façon instantanée et j’ai adoré cette immersion totale, pudique et franche dans ces milieux en pleine mutation forcée, mondialisation oblige. On découvre ces habitants encore très proches de leurs coutumes ancestrales, des amoureux de la nature sous la neige et la glace. C’est un très bel hommage à ces modes de vie : la chasse, la survie lors de températures polaires, l’utilisation du bois, la fidélité des chiens de traîneaux, le traitement des peaux de phoques,.. L’auteure, Catherine Harton, réussit à nous entraîner dans ces contrées lointaines et inconnues – pour moi en tout cas – et, à travers des personnages attachants, divers et bien représentés, à nous faire comprendre les dangers et les changements profonds qui touchent ces populations un peu à part du reste du monde mais qui sont toutefois obligées de s’y fondre malgré tout. A travers des destins très différents, elle nous retrace qu’elles peuvent être et qu’elles ont été les vies de ces Groenlandais ou de ces Algonquins, entre leurs rêves, leurs désillusions, leurs espoirs, leurs bonheurs, leurs désirs.

Je ne suis généralement pas très portée sur les nouvelles, mais pour ce Traité des peaux, j’ai vraiment été conquise. Chaque nouvelle est un coup de pinceau qui vient embellir cette fresque presque polaire. L’atmosphère de ce recueil est pudique et poétique, tout en étant dur et triste par moment. Le style de l’auteur m’a tout de suite plu. Ces mots reflètent la beauté de ces paysages et la douceur des peaux de bêtes, phoque ou huskies. Cette écriture m’a tout de suite emportée vers ces contrées lointaines, et j’ai découvert avec émotion des vies et des peuples dont j’ignorais tout.

Ce livre a été une vraie rencontre. Avec l’auteure, avec cette très jolie maison d’édition et avec ces lieux magiques, ces coutumes, ces habitants qu’il faudrait plus protéger, mieux comprendre.

Catherine Harton, Traité des peaux, les éditions Marchand de feuilles, 18,95 $. Pour l’instant, seulement disponible au Canada, ou sur internet (en dollar + comptez les frais de port). J’espère qu’il sera disponible en France rapidement, ou même qu’il sera disponible un jour, car c’est une vraie perle. Sinon, vous pourriez le lire en tant que lecteur du Prix des Cinq Continents 2015 (oui, je manque vraiment de lecteurs…).

Passer l’hiver, d’Olivier Adam

Je vais vous parler d’une déception qui m’a surprise (et qui va peut-être vous surprendre, qui sait?). Je vais vous parler d’un recueil de nouvelles dont je ne me souviens pas beaucoup tellement il est monotone et banal dans son thème : Passer l’hiver d’Olivier Adam.

J’ai le vague souvenir d’avoir lu il y a longtemps, Je vais bien, ne t’en fais pas, qui ne m’avait pas laisser une impression impérissable, je suis donc partie sans a priori sur cette lecture. Au premier abord, je pensais que ça allait me plaire : l’hiver ou l’époque de l’année où on se laisse aller à la rêverie, à la mélancolie, à la tristesse, à la nostalgie, une époque où l’on est spectateur de la nature, une époque où l’on perd nos repères. Et cela est très bien dépeint par Olivier Adam à travers des personnages très différents et des histoires diverses : un chauffeur de taxi réconforte une femme avec une urne funéraire, une mère sacrifie son réveillon de Noël pour achever un travail pénible seule dans son bureau… Il y a parfois de l’alcool, parfois de la neige mais toujours des sourires tristes.

Première nouvelle, deuxième nouvelle, ça allait. Je trouvais ça poétique, je trouvais ça beau, j’ai vite compris qu’Olivier Adam avait un style bien à lui (et un rapport aux virgules très bizarre!). J’ai juste regretté cette maudite habitude de faire des titres nébuleux, et des entrées in medias res tout aussi peu claires. Mais bon, c’est la mode de faire dans le brouillard.

J’arrive à la moitié de ce petit livre, et là je dois vous avouer que j’étais bien embêtée : ce mec, il vend des milliers de livres, il est à mon programme universitaire, on voit bien qu’il a du talent… mais franchement, c’est ennuyeux. Oui, ces tranches de vie sont bien écrites, sont intéressantes, mais elles sont toutes un peu clichées : c’est un résumé condensé de tous les thèmes de société, de famille que l’on trouve dans les romans. Mais surtout, le plus gênant, c’est cette impression de lire toujours la même chose. A la limite, on trouve parfois une lueur d’espoir par-ci, par-là dans les yeux des personnages, mais c’est la seule chose qui varie. La forme est différentes, les actions ne sont pas les mêmes, mais question sentiment, on tourne en boucle, tel un disque rayé.

Des hommes et des femmes silencieux, moroses, en questionnement. Bon, c’est un peu surfait tout ça, non ?

Cette chronique manque un peu d’arguments, c’est vrai : elle est complètement subjective. Ce recueil est bien écrit, soyons sincère, mais il m’a laissé complètement insensible et même plutôt blasée. Je retenterais l’expérience Olivier Adam un jour, pour voir si ce n’est qu’une fausse impression… mais cette fois, j’aurais des a priori !

 

Olivier Adam, Passer l’hiver, Point (P1364), 6€30.