L’Insigne du boîteux, de Thierry Berlanda

Au détour de Twitter, un auteur m’a contactée pour me parler de son dernier roman que j’ai accepté de lire immédiatement, la quatrième de couverture m’ayant alléchée. Il s’agit du roman policier L’insigne du boîteux de Thierry Berlanda, aux éditions (avant tout numériques) La Bourdonnaye. Je déteste lire sur écran, donc j’ai pu lire sur papier ; la facture du livre est très bien réalisé et permet un très bon confort de lecture.

Mais revenons à nos moutons. De quoi parle ce roman ? Et bien, d’une série de meurtres, aussi atroces que bizarres. L’assassin se fait appeler le Prince et sa spécialité, c’est tuer des mères de famille sous le regard de leur fils de sept ans, et en ne laissant aucun témoin vivant. Ambiance. Je vous passe les détails mais autant vous dire que les actes de ce personnage met tout le monde d’accord : il faut arrêter ce fou furieux, d’autant plus qu’il récidive.

Le commandant Falier piétine un peu dans cette affaire, quand bien même tous les services de police sont sur le coup. Malgré l’aide du professeur Bareuil, spécialiste en crimes rituels, aucune piste sérieuse n’est trouvée. Mais quand l’assassin laisse sur les lieux de son œuvre d’horreur un indice de taille, tout est remis en jeu. Bareuil fait venir à son ancienne et plus brillante élève pour qu’elle leur vienne en aide. Mais Jeanne Lumet, au-delà de son déplaisir de retrouver son ancien professeur, a de quoi s’inquiéter. Elle est la maman d’un petit garçon de sept ans et se retrouve au cœur d’une affaire meurtrière.

J’ai été vraiment étonnée par ce roman. Je ne suis pas du genre à lire du policier, et sa couverture lumineuse pourrait laisser sous-entendre que c’est assez ésotérique façon Dan Brown, mais en réalité, c’est un livre très noir, avec un personnage central – l’assassin – très torturé. Jeanne Lumet est une femme intelligente et j’aurais apprécié que son personnage soit plus développé. En règle générale, un peu plus de finesse dans les personnages, un peu plus de profondeur psychologique aurait été agréable, mais je chipote un peu ! Vu tout ce qu’il y a à dire rien que pour l’intrigue, des héros bien campés semblent nécessaires.

L’histoire est très bien menée et laisse de la place au suspens, les dialogues sont très agréables et de façon plus globale l’écriture est très fluide. Niveau histoire, j’aurais personnellement beaucoup aimé être un peu plus en présence du Prince, ou traîner dans les bureaux de la police pour mieux en saisir l’ambiance, mais ce roman est déjà en soi une très bonne descente aux enfers dans la folie meurtrière d’un homme.

C’est un très bon roman, même s’il est vrai que ce n’est pas du même acabit que les pontes du genre – je pense forcément à Grangé chez les auteurs français. Un livre un peu plus étoffé, fouillé, qui laisse gamberger le lecteur qui n’en peut plus et veut savoir à tout prix le dénouement de l’histoire est l’oeuvre d’un grand auteur. Mais je ne doute pas une seule seconde que Thierrry Berlanda parviendra à cette excellence car il est sur la bonne voie. Bref, un auteur à suivre et un roman vraiment bien fait.

Thierry Berlanda, L’insigne du boîteux, aux éditions La Bourdonnaye, 15€99 (version papier) et (version numérique).

La Couleur des sentiments, de Kathryn Stockett

J’ai toujours un train de retard sur le reste de la blogosphère. Alors que tout le monde avait lu L’Atelier des miracles par exemple, moi je commençais à peine me dire « Ah oui, ce serait peut-être bien que je le lise » pour le chroniquer deux mois plus tard. Idem pour Deux étrangers. Alors je n’allais pas changer mes petites habitude de retardataire pour La Couleur des sentiments, surtout que le film est sorti depuis plusieurs mois. Ce grand roman de Kathryn Stockett me permet de boucler le challenge Pavé de l’été (que je redoutais de ne pas réussir) grâce à ses 600 pages ! Mais je ne les ai même pas vu défiler tellement j’ai adoré !

L’histoire est composée de trois voix, elle se déroule dans l’État conservateur du Mississippi dans les années 1960 où la ségrégation n’est pas un concept mais une réalité. Aibileen est noire, elle travaille comme presque toutes les femmes noires de Jackson en tant que bonne, c’est une employée qui sait rester à sa place. Elle a joué la maman pour des dizaines d’enfants de blancs qui étaient plus des hommes et des femmes que des pères et des mères. Minny, elle, a le défaut d’avoir une « grande gueule » ce qui lui a valu quelques renvois. Elle dit ce qu’elle pense, elle peut paraître insolente, mais lorsqu’elle fait une Chose Épouvantable Abominable à sa patronne, Hilly qui dirige la Ligue, elle sait qu’il sera alors très difficile de retrouver du travail dans sa ville.

De l’autre côté de cette barrière raciale, il y a Skeeter Phelan, une blanche, qui a pour rêve d’écrire, de devenir journaliste. Mais quand elle revient de la fac, elle apprend que la bonne qui l’a élevée, qui l’a aimé, cette chère Constantine, n’est plus là, un mystère, un secret inavouable terni son départ. Skeeter se sent à l’étroit dans les règles qui séparent ces deux mondes, blancs et noirs. Et quand elle apprend que son amie Hilly veut tout faire pour obliger la construction de toilettes pour les domestiques noirs afin qu’ils n’utilisent pas ceux de leurs patrons, c’est la goutte d’eau.

Aibileen, Minny, Skeeter, trois femmes différentes mais qui sans s’en rendre compte vont changer les choses. Prudentes au début, hésitantes, elles vont se lier, pour coucher sur le papier le récit de la vie que mènent les bonnes noires au service des familles blanches. Des choses que l’on n’a jamais écrit, des choses que l’on n’a jamais lu. Dans un contexte où le Ku Klux Klan n’est pas qu’un mythe, ce peut être dangereux. Mais elles veulent aller jusqu’au bout.

La Couleur des sentiments, il faut absolument le lire un fois dans sa vie. On y croise une myriade de personnages avec leurs difficultés, leurs espoirs, leurs caractères, leurs questionnement. Ce n’est pas manichéen, il y a de mauvaises bonnes qui volent, qui mentent, et il y a des gentilles patronnes qui feraient tout pour aider leurs employés. Blancs et noirs, ça ne s’opposent pas nécessairement, leur histoire d’amour et de haine sont plus complexes que cela, et c’est magnifiquement illustré dans ce livre.

Bien sûr, ça entraîne une belle réflexion sur la ségrégation et le racisme, sans pour autant vouloir faire la morale. C’est un vrai voyage dans le temps et l’espace pour nous faire découvrir la vie dans cet Etat du Sud, alors que Martin Luther King commence à peine à faire parler de lui. J’ai redécouvert ce morceau de l’histoire, et c’était beau.

Bien que certains passages ne soient pas faciles, certains épisodes de la vie de ces bonnes ne sont pas très reluisants… Kathrynn Stockett a cependant réussi à introduire de l’humour, de la passion et de l’émotion dans cet univers de petite bourgeoisie blanche du Mississippi. Chacune de ces trois femmes a son temps de paroles et a sa voix propre, ainsi qu’une vie qui n’est pas faite que de journalisme ou de ménage : il y a aussi la famille, l’amour, l’amitié, la peur.

 

Ma chronique est un peu brouillonne et sûrement très incomplète. Encore en moi, c’est un fouillis de sentiments après la lecture de ce roman : je suis heureuse que les choses aient changé, que le racisme est reculé au profit de l’égalité, je me suis régalé, j’ai ri et j’ai pleuré en parcourant ces pages. Un des meilleurs de lectures de ma vie, vous pouvez en être sûr ! Je ne sais pas quoi rajouter, seulement : LISEZ-LE !

Kathryn Stockett, La Couleur des sentiments, traduit de l’américain par Pierre Girard, aux éditions Babel (1141) d’Actes Sud, 9€70

 

 

Moskova, d’Anne Secret

J’ai découvert les éditions de l’Atelier in 8 (quel super nom quand même !) dans mon master : un de mes camarades (le seul garçon parmi treize filles, respect !) va effectuer son stage chez eux, dans leurs locaux de Pau. Intriguée par ce nom, petit détour par ma médiathèque pour voir un peu ce qu’ils font. J’ai donc choisi de lire un de leurs ouvrages, publié l’année dernière : il s’agit de Moskova d’Anne Secret. Je ne connais pas encore cette auteure qui est pourtant aussi publiée chez Fayard, Le Seuil et Actes Sud, et c’est pas le biais de cette « novela » que je fais sa rencontre. Son livre est classé dans la collection Polaroïd, qui privilégie le Noir et la littérature de l’urgence.

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Anton a fuit Berlin, tout juste réunifié, pour se réfugier dans l’appartement vide d’un ami de son frère, à qui il a demandé de l’aide. Il débarque alors à la Moskova, un quartier chargé d’histoire mais en danger, car une entreprise veut tout raser pour construire du neuf, du moderne, du rentable à la place. Les rues sont parsemées de maisons murées, celles des propriétaires qui ont cédé. Mais les habitants ne vont pas se laisser faire comme ça, ils tiennent bon, mettent en place des squats illégaux et des pétitions. Dans cette situation, Anton est obligé de faire la connaissance de ses nouveaux voisins, mais pour eux, il sera Dieter, venu de Lubeck. C’est que notre héros cache un lourd secret, il doit protéger sa vie qui, indirectement presque, a été mise en danger. C’est la raison de sa fuite et de ses mensonges. Malgré tout, il essaie de revivre, mais en gardant à l’esprit ses années allemandes : Théa, une liste, les agents dormants, la Russie, des sujets secrets, risqués. A Moskova, il rencontre une bibliothécaire Héloïse qui va remettre un peu de soleil dans sa vie, même si elle ignore beaucoup de choses.

C’est vrai que le secret règne dans tout le livre, la quatrième de couverture nous éclaire un peu, la fin nous apporte quelques révélations mais c’est à nous d’essayer de démêler la réalité du mensonge. Nous sommes un peu dans la peau d’un de ces voisins, sauf qu’on ne sait un peu plus grâce aux rares confessions d’Anton et à quelques épisodes de sa vie éclairants. L’intrigue est donc constamment en tension : suspens, attente d’une révélation nous tiennent en haleine. C’est bien joué de la part de l’auteur mais j’en suis resté très frustrée, ce que je sais après lecture du livre ne me suffit pas, j’aimerais en savoir plus sur le passé d’Anton.

L’histoire, les lieux ont une grande place dans cette nouvelle, même si elle est souterraine, cachée, insidieuse. D’ailleurs, le thème même du livre s’est déroulé dans l’ombre des grands événements comme les guerres ou la chute du mur. J’ai eu l’impression par moment d’avoir affaire à un rapport d’enquête préliminaire, celle qui décrit les actions sans les décrypter, celle qui tâtonne, qui comprend juste à quel endroit, plus ou moins, peut se trouver la vérité.

Mais ce qui est le mieux réalisé dans ce livre, c’est bien le personnage principal. On aimerait être plus proche de lui, il semble gentil, presque honnête, mais c’est impossible, car pour se protéger il n’accepte personne, enfin pas encore, dans son intimité. Il se crée un double, mais il a parfois du mal à tenir le rôle. Car cette situation est bien évidemment porteuse de stress, d’angoisse pour lui. Elle fait ressurgir sa vie à Berlin, peuplée de bonheur mais aussi de peurs. Anton sait que la fuite est le meilleur moyen pour mener une existence un peu près normale. Même si on ne peut pas être proche de lui, on saisit tout à fait les enjeux et la gravité de cette vie à la Moskova, de sa coupure avec Allemagne, ce qui est vraiment un tour de maître.

Je suis seulement déçue de la fin. Je trouve que le livre se termine en queue de poisson, trop rapdiment, trop facilement, comme si l’auteure en avait eu assez et voulu jeter son personnage aux orties. Cette conclusion m’a laissé un goût amer de frustration. Toutefois, je pense que j’ai réagi aussi violemment à cette fin car cette histoire m’a vraiment « attrapée », à la fois neutre et dangereuse, l’écriture est bien particulière, je n’en ai jamais lu de telle. Un bon point donc. Puis il faut dire que les dernières pages représentent la chute qu’on attend souvent dans les nouvelles…

Anne Secret, Moskova, aux éditions de l’Atelier in8, 12€.

Black Boy de Richard Wright

Par où commencer ? Black Boy est un livre tellement riche d’émotions, les mots se bousculent, aucun ne semble suffisant ou juste. L’auteur, Richard Wright, est un des premiers hommes noirs à écrire et publier avec succès. Après Native Son, il écrit un roman autobiographique sur son enfance : c’est ce qui donnera Black Boy. Né en 1909 dans le Sud des Etats-Unis, il part vivre à Jackson dans le Mississipi. Le roman nous décrit avec précision mais aussi et surtout avec poésie et humilité la vie difficile qu’il essaie de mener.

Sa mère tombée gravement malade, son entourage familiale l’élève ou plutôt tente d’élever ce garçon rétif et intelligent. Ne comprenant pas la mauvaise foi des adultes et leurs pressantes injonctions voire menaces à devenir membre de la communauté religieuse, Richard se défend et par là-même se fait rejeter. Muré dans une solitude qui ne le quittera jamais vraiment, il essaie de suivre en pointillés sa scolarité mais est torturté tout le jour par la pauvreté et surtout la faim qui le tourmente constamment. L’auteur nous retrace ici cette enfance faite de petits jobs mais aussi de la découverte de la relation Blanc/Noir dans le Sud ségrégationniste :

 « Je devais toujours être conscient de ma condition, y songer constamment, la porter dans mon coeur, vivre avec elle, dormir avec elle, lutter avec elle. (…) Je devenais silencieux et réservé. A mesure que la nature autour de moi se révélait de façon nette et probante, l’avenir sinistre que je voyais poindre affectait ma volonté d’étudier. (…) Et le problème de la vie pour un Nègre était dur et rebutant… Qu’est-ce qui rendait la haine des Blancs pour les Noirs si constante (…) Quelle était le genre de vie possible avec cette haine ? D’où provenait-elle ? On n’enseignait rien de ce problème en classe et chaque fois que je soulevais la question avec mes camarades, ils demeuraient silencieux ou la tournaient en plaisanterie. Ils étaient loquaces à propos des petits torts individuels qu’ils subissaient, mais n’étaient pas tourmentés par le désir de connaître le tableau dans son ensemble. »

Richard prend alors la décision de quitter cette région pour rejoindre celle du Nord plus douce et plus clémente avec les « moricauds ». Dans ce but, il épargne chaque dollar, travaille dur. Mais surtout, là nait son destin d’écrivain. L’auteur nous raconte comment il a commencé à écrire, à publier des contes dans un journal nègre puis à découvrir la littérature en dévorant des dizaines de livres.

On ne peut qu’être profondément touché par ce récit vrai de vie. La lutte en silence de Richard Wright enfant, sans tomber dans le pathos, nous ramène à la réalité de la ségrégation au début du siècle dernier. Cette autobiographie, en dehors de qualités romanesques indéniables, fait preuve de justesse mais aussi d’un lyrisme plein d’espoir comme pouvait l’être cet enfant à l’époque. Tendre et poétique, Black Boy sait touché les consciences sans les bousculer. Au fil de la lecture s’immisce en nous ce sentiment de malaise mais aussi cet espoir car l’on vit avec le personnage et au même titre que lui, nous prions pour que la vie lui soit plus douce. Trimballé et emmené dans ces aventures, la vie de l’auteur nous surprend par sa richesse et sa dureté, ce témoignage ne peut nous laisser de marbre. Sensibilité de l’écriture, simplicité dans le récit, Black Boy est un des tous premiers romans qui a parlé de la condition noire au temps de la ségrégation et a ouvert la voie à d’autres écrivains et romanciers de couleur.

« En moi naissait le désir d’une sorte de conscience, d’un mode d’existence qui étaient niés et bannis par tout ce qui m’entourait et qui étaient sanctionnés par la peine de mort. Quelque part au coeur de la nuit du Sud, ma vie avait été aiguillée sur une fausse voie, et sans que j’en eusse conscience, la locomotive de mon coeur descendait à toute allure une pente raide et dangereuse, allant au-devant d’une collision, au mépris des feux rouges qui scintillaient autour de moi, des sirènes, des coups de sifflets, et des hurlements qui remplissaient l’atmosphère. »