Les questions orphelines, de Morgan Le Thiec

Encore un livre francophone, encore un livre québécois. Mais celui-ci l’est encore plus que les autres peut-être : il s’agit des Questions orphelines de Morgan Le Thiec aux éditions Pleine Lune.

L’histoire est celle de Billy. Alors qu’il a émigré à Londres, il se voit obligé de revenir à Montréal qu’il a quitté alors qu’il était tout jeune. En effet, son père se meure. Il passe donc des semaines entières dans l’ancienne maison familiale, que son père Samuel a rachetée après plusieurs années à Boston. Il rend visite à son père, rencontre des femmes avec qui rien n’est simple, fait l’inventaire de sa vie en même temps que des objets et des meubles de son enfance. Mais derrière les souvenirs se cachent un drame qu’on ne dit pas : le départ de sa mère, quand il était âgé de dix ans. Entre un frère en colère qui lui parle à peine, et un père dont l’esprit s’étiole, Billy essaie de trouver sa voie, des réponses, sans trop sombrer.

C’est un livre d’une certaine envergure que nous livre ici l’auteure. Le thème est assez banal et a déjà été écrit et réécrit des dizaines de fois à travers la littérature mais il marche toujours aussi bien. La famille, les parents, la parentalité, le secret, le mystère se marient toujours aussi bien ensemble. J’ai apprécié la profondeur psychologique des personnages de ce roman : on les découvre entièrement dans leurs failles, leurs doutes, leurs questionnements. C’est un livre très pudique et intime, qui nous retrace le quotidien de Billy comme les grands événements qui ont marqué sa vie et la marquent encore. On s’attache facilement à ce héros même si je trouve qu’il manque un peu d’épaisseur.

Le ton du roman est assez triste et monotone. Il y a des longueurs et je me suis ennuyée à certains passages. Ce livre manque de clarté et l’intrigue devrait aller plus droit au lieu de zigzaguer auprès de personnages secondaires ou de rêves étranges sur la mère disparue qui nous embrouillent et n’apportent pas grand-chose à ce récit. Ce livre résonne de sentiments forts mais il est un peu creux. J’ai trouvé le fond et la forme beaux mais je ne me suis pas sentie bouleversée ni même très intriguée par ce livre. Il n’est pas mauvais, mais disons qu’il n’est pas très passionnant. Il y a des québécismes mais rien qui ne fasse vraiment voyager la Française que je suis. Il y a des personnages intéressants mais aucun dont je me souviendrais une fois ce livre rangé. Ce roman ne m’a pas marqué, même si j’ai passé un relativement bon moment de lecture avec lui. Il est doux, mais un peu plat. Je l’ai lu jusqu’au bout en partie pour apprendre ce qu’est devenue la mère. Mais là aussi, déception. En même temps, avec un titre pareil…

Une lecture en demi-teinte, que je ne retiendrai pas, ni en bien ni en mal.

Morgan Le Thiec, Les questions orphelines, aux éditions Pleine Lune, 22$95.

Mon amour, de Julie Bonnie

Grâce aux éditions Grasset, j’ai pu cette semaine renouer avec la romancière Julie Bonnie, dont j’avais chroniqué le premier livre, un avis assez dur et négatif, mais sincère. J’avais prévu de mettre cette chronique en ligne le jour de la sortie du livre, c’est-à-dire le 4 mars 2015, mais j’ai eu l’excellente idée de me renverser du café bouillant sur la main ce jour-là, donc j’étais surtout occupée à gémir et à me plaindre avec un sac d’épinards congelés sur le pouce. Ridicule. Mais aujourd’hui, ça va un peu mieux, je peux taper sur un clavier sans trop souffrir – autant dire que je revis.

Bref, revenons à nos moutons. Le roman dont je vais vous parler aujourd’hui s’intitule Mon amour, (oui, oui, virgule comprise). On y retrouve quelques thèmes qui semble chers à notre romancière : la maternité (accouchement et nourrisson), la notion de couple, et la vie d’artiste. Le livre se constitue d’une suite de lettres jamais envoyées, plus écrites pour soi que pour le destinataire. D’un côté, il y a une femme, tout juste mère, qui écrit à son compagnon. Son compagnon lui écrit également, il est parti en tournée internationale – il est pianiste de jazz. Ils ont une petite fille, une toute petite fille.

La femme vit une passion maternelle et regrette son amoureux qui est au loin, l’homme vit une passion artistique tumultueuse et regrette de ne pas être tout à fait le compagnon idéale. A travers ces mots, on sent que l’amour qui unit deux êtres, et qui est le ciment d’une famille toute neuve, est difficile à maintenir. C’est un lien étroit et fragile, parfois malmené.

Puis les lettres font entrer de nouveaux personnages autour de cet homme et de cette femme, et notamment un autre homme. Je vous rassure, on ne va pas tomber dans le banal trio amoureux. Disons que les choses sont plus sensibles, pudiques, complexes. Il y a la colère, la jalousie mais surtout l’attirance, la fidélité, le coup de foudre, la parentalité. Il serait idiot de résumer ce livre à un simple chassé-croisé des coeurs car c’est beaucoup plus que cela.

J’ai apprécié la profondeur psychologique des personnages (c’est ma corde sensible de lectrice) : Julie Bonnie prend le temps de leur donner de l’épaisseur grâce à une écriture à la fois concise, précise et bouleversante. Elle arrive à traduire en mots – ceux directement écrits par ses héros – les silences, les choses inavouables, les échanges de regard, les pincements au cœur. Il y a une vraie intrigue dans ce roman, une histoire qui change le cours des vies. A la fin de cette lecture, des mots résonnent dans notre tête : famille, amour, couple, parent, art. Mon amour, traite de ces sujets avec douceur et force en même temps, de façon toujours sincère. Cette fois, je n’ai pas été déçue mais complètement comblée par ce nouveau roman de Julie Bonnie, une belle preuve qu’en écriture, on s’améliore en pratiquant.

Julie Bonnie, Mon amour, Grasset, 17€50.

Lettre au Père, de Franz Kafka

Franz Kafka a eu, comme beaucoup d’autres enfants, une relation conflictuelle avec son père : ce dernier lui reprochait son manque d’amour filial et de reconnaissance, l’auteur désapprouvait l’autorité de son père. En 1919, il lui écrit un texte, qu’il ne remettra jamais à son destinataire ; le livre Lettre au Père parut seulement en 1952.
Sous la forme d’une longue lettre, comme un long cri projeté à travers le temps, Kafka s’adresse à son père, cet être qu’il n’a pas toujours bien compris, « dans le gâchis de (son) enfance ». Il met en avant le peu d’amour paternel dont il a bénéficié, les attitudes contradictoires de cet homme qui a régi sa vie jusqu’à tard. Il explique à travers quelques souvenirs concrets de son enfance, l’influence qu’a eu son père sur sa vie, les répercussions durables, les questionnements incessants que cette figure dominante lui a procuré. Un membre de la famille normalement si proche et pourtant s lointain : Kafka veut prendre du recul pour comprendre, pour enfin admettre que c’était peut-être un peu sa faute à lui, pour réaliser ce qui faisait agir son père ainsi. Ce n’est pas une lettre « à mon père », mais bien « au père », cet homme qui était censé l’aiguiller, l’accompagner mais qui dans les faits ne l’a que brider. Ce n’est pas une mise en accusation même si ce livre est l’occasion de régler certaines choses, non, c’est un constat d’une enfance, d’une adolescence passées dans la peur d’effrayer cet être supérieur et complexe.
On appréciera l’écriture si touchante et vraie de Kafka, sans superflue, sans niaiserie. Il ne cherche pas ici l’approbation du public, juste une vérité sur sa famille et sur lui-même. C’est une recherche personnelle, privée, que nous avons la chance de lire. Le thème du père, de son pouvoir, de l’éducation qu’il nous donne est un topos de la littérature. Toutefois, c’est ici une des rares fois où l’on a accès a l’autre côté de la paternité : une paternité bancale, une paternité qui n’est pas synonyme d’amour et de confiance mais de peur et de frustration. C’est une sorte de thérapie pour Kafka que cette lettre, et cette thérapie on la suit avec lui. Car on a tous un lien intime et compliqué avec ce sujet parfois tabou qu’est la parentalité. Avec ce texte, l’auteur veut mettre un point final à des années de réflexions sourdes, mettre à plat les choses pour aller de l’avant et écrire, comme il l’a toujours voulu.
« Tu as touché plus juste en concevant de l’aversion pour mon activité littéraire, ainsi que pour tout ce qu’y rattachait et dont tu ne savais rien. Là, je m’étais effectivement éloigné de toi tout seul sur un bout de chemin, encor que ce fût un peu à la manière du ver qui, le derrière écrasé par le pied, s’aide du devant de son corps pour se dégager et se traîner à l’écart. J’étais en quelque façon hors d’atteinte, je recommençais à respirer. Exceptionnellement, la répugn ance que tu manquas pas de montrer d’emblée, pour mon activité littéraire comme pour le reste, me fut agréable. »
On pourrait penser que ce texte, qui ressemble de près à un monologue, est ennuyeux car trop personnel, avec des références inconnues de nous. Et bien, c’est tout l’inverse qui se passe : le thème du père est bien sûr universel et nous touche tous. Mais au-delà de ça, Kafka sait mettre le doigt là où ça fait mal, chaque page est une claque pour notre coeur car nous reviennent en tête des scènes et des sentiments, de parent ou d’enfant, similaires à ce récit. L’écriture est en plus très coulante, on passe d’un sujet à l’autre avec cohérence et douceur. Cette petite centaine de pages est lue à la vitesse de l’éclair. Vous trouverez ce livre pour 2 euros chez Folio, une bonne raison pour le découvrir.
« Tel est l’aboutissement de la vie que j’ai menée auprès de toi jusqu’ici, telles sont les perspectives qu’elle implique pour l’avenir. »