Un mariage anglais, de Claire Fuller

Un mariage anglais de Claire Fuller est apparu devant moi sur un présentoir dans ma médiathèque. Je me suis alors souvenu que j’avais déjà entendu parler – en bien – de ce roman, et je me suis dit pourquoi pas ? Le début de ma lecture a été un peu laborieux, je n’étais pas passionnée parce que je lisais, je trouvais ça un peu ennuyeux et j’étais détachée de l’histoire et des personnages. Il faut dire que le titre, la quatrième de couverture décrivent un roman fort, poignant, avec des rebondissements, beaucoup de nature… Alors oui, il y a la nature sauvage, la mer dans laquelle on nage à n’importe quel moment. Mais au fond, c’est un récit qui s’écrit petit à petit, à son rythme.

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Ingrid a disparu il y a plus de dix ans, laissant seul son mari Gil – un écrivain assez connu – et ses deux filles Nan et Flora. Son mari redécouvre, cachées dans les livres qu’ils collectionnent et envahissent sa maison, des lettres qu’Ingrid lui a laissé, revenant sur leurs mariages, sur les secrets de Gil qui ont peu à peu créer des failles. Nan et Flora sont obligées alors de revenir auprès de leur père, affaibli, vieillissant…

Des personnages atypiques, qui ne vont pas bien ensemble, qui ont leur saute d’humeur et parfois un caractère bien trempé, des relations changeantes… Ce livre a quelque chose en lui d’humain et de sincère. Nan et Flora sont deux sœurs très différentes mais au fond complémentaires : on s’aperçoit avec elles comment un père peut être différent pour chacune. Je ne sais pas vraiment quoi penser de ce dernier, Gil : son côté écrivain et collectionneur de livres m’a beaucoup plu mais c’est un mari peu fiable. Les personnages secondaires sont en fait vitaux pour l’histoire et Claire Fuller les insère d’une excellente façon dans son récit. Quant à Ingrid, j’ai eu beaucoup d’empathie pour elle, je l’ai comprise, j’ai trouvé excellente chacune de ses lettres, sa façon de revenir sur son passé et son présent, de revenir sur ses dilemmes de mère et de femme – Gil a presque le double de son âge, c’était son professeur de littérature. L’auteure s’est beaucoup appliqué dans la description des lieux, et même avec peu de mots, je m’y suis crue.

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J’ai apprécié les paysages, j’ai adoré les personnages secondaires mais aussi le principe des lettres découvertes des années plus tard. Toutefois, l’intrigue aurait pu être mille fois plus passionnante, se terminer en beauté, avoir un rythme plus prenant. De ce côté-là, ça a été décevant. C’est pour moi une lecture en demi-teinte : il y a des qualités dans l’écriture, le style, la construction des personnages, mais à mon sens, certains éléments comme l’intrigue, la narration, le rythme auraient vraiment besoin d’être plus travaillés.

Claire Fuller, Un mariage anglais, traduit de l’anglais par Mathilde Bach, aux éditions Stock, 22€.

J’abandonne aux chiens l’exploit de nous juger, de Paul M. Marchand

Ouh, quel livre dérangeant. Cela faisait une éternité que je n’avais pas lu de roman de la sorte, que ce soit dans le style ou le thème. Roman d’ailleurs, je ne sais pas vraiment, puisque dans les premières pages de J’abandonne aux chiens l’exploit de nous juger, l’auteur Paul M. Marchand évoque une femme derrière l’histoire, dont il aurait juste retranscrit à sa manière une partie de sa vie.

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L’héroïne s’appelle Sarah. Elle nous raconte son histoire dans un monologue de deux cent pages, un peu décousu, voyageant dans le temps et les souvenirs, les ressentis. Sarah a grandi sans père, entourée de femmes. A dix-sept, elle a quand même voulu retrouver ce géniteur. Elle ne savait pas encore que trois ans plus tard, cette relation allait devenir quelque chose d’inattendu, de fusionnel. On a du mal à l’imaginer, à dire le mot et pourtant Sarah et Benoît, celui qui est son « père », ont partagé une relation amoureuse, charnelle. A en perdre la tête, à en perdre ses espoirs et son avenir, en tout cas en ce qui concerne Benoît. Sarah, elle, y croyait, elle vivait l’instant présent et ignorait le passé, cette filiation taboue.

Je n’ai jamais vu en lui un « père », uniquement un « géniteur » imprévu, c’est-à-dire un étranger avec toutefois une vague familiarité. Toute la nuance est là. Et cet inconnu, que j’avais cherché et fini par retrouver, m’affolait depuis nos premières rencontres. Lorsque j’étais dans ses bras, j’étais ailleurs. Et j’étais bien dans cet ailleurs. Je faisais ce que je ressentais, et je le partageais avec un homme qui ressentait la même chose que moi. C’est aussi simple que cela… Entre ces bras-là, j’étais enfin chez moi. Affamée, je me risquais sur une pente très chaotique. Je gagnais du temps sur les heures. (…) De ces hauteurs inaccessibles, tout me paraissait alors acceptable. Quand nous nous quittions, je ne redescendais pas. Je m’écrasais. Saignée à blanc, et tarie…

C’est dérangeant car Sarah trouve presque normale cette relation : ils s’aiment réellement, ils n’étaient personne l’un pour l’autre avant cela. Difficile de mettre sur cette histoire le mot « inceste » comme on l’imagine habituellement. De plus, l’issue de leur relation nous laisse sans mot. On y croit à la réalité de cet amour, ça nous brise le coeur d’un côté, mais de l’autre on est dans l’incompréhension totale.

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C’est un petit livre de deux cents pages, et je suis contente qu’il ne fasse pas plus. Il a la juste longueur pour faire le tour du sujet, de ses origines à ses conséquences, sans radoter. De plus, j’ai eu un peu de mal avec la plume de l’auteur, très poétique, élancée, sentimentale. Ce n’est pas du tout le genre de style que j’apprécie, préférant le prosaïsme, le réalisme, la narration classique avec dialogue et chapitre. Ici, le lecteur suit le flot des pensées de Sarah qui se remémore et veut nous livrer son histoire. J’ai aimé en savoir plus sur son passé et sur ce qu’elle est devenue après, quelles résonances cet épisode a eu sur sa vie. Mais j’aurais encore plus apprécié ma lecture si le décor avait été mieux planté. Par exemple, il y a un voyage à Amsterdam je crois à un moment. J’aurais aimé le vivre, y être, pas juste le croiser dans le désordre de temps à autre dans le texte. Je comprends que le sujet se prête aux divagations et aux états d’âmes mais un peu plus d’ordre, ou de rigueur, ou de linéarité… ça n’aurait pas fait de mal !

A vous de vous faire votre propre opinion. La lecture est rapide, le style vaut le détour, la forme du témoignage est poignante.

Paul M. Marchand, J’abandonne aux chiens l’exploit de nous juger, aux éditions Le Livre de Poche, disponible en e-book ou d’occasion.

Les questions orphelines, de Morgan Le Thiec

Encore un livre francophone, encore un livre québécois. Mais celui-ci l’est encore plus que les autres peut-être : il s’agit des Questions orphelines de Morgan Le Thiec aux éditions Pleine Lune.

L’histoire est celle de Billy. Alors qu’il a émigré à Londres, il se voit obligé de revenir à Montréal qu’il a quitté alors qu’il était tout jeune. En effet, son père se meure. Il passe donc des semaines entières dans l’ancienne maison familiale, que son père Samuel a rachetée après plusieurs années à Boston. Il rend visite à son père, rencontre des femmes avec qui rien n’est simple, fait l’inventaire de sa vie en même temps que des objets et des meubles de son enfance. Mais derrière les souvenirs se cachent un drame qu’on ne dit pas : le départ de sa mère, quand il était âgé de dix ans. Entre un frère en colère qui lui parle à peine, et un père dont l’esprit s’étiole, Billy essaie de trouver sa voie, des réponses, sans trop sombrer.

C’est un livre d’une certaine envergure que nous livre ici l’auteure. Le thème est assez banal et a déjà été écrit et réécrit des dizaines de fois à travers la littérature mais il marche toujours aussi bien. La famille, les parents, la parentalité, le secret, le mystère se marient toujours aussi bien ensemble. J’ai apprécié la profondeur psychologique des personnages de ce roman : on les découvre entièrement dans leurs failles, leurs doutes, leurs questionnements. C’est un livre très pudique et intime, qui nous retrace le quotidien de Billy comme les grands événements qui ont marqué sa vie et la marquent encore. On s’attache facilement à ce héros même si je trouve qu’il manque un peu d’épaisseur.

Le ton du roman est assez triste et monotone. Il y a des longueurs et je me suis ennuyée à certains passages. Ce livre manque de clarté et l’intrigue devrait aller plus droit au lieu de zigzaguer auprès de personnages secondaires ou de rêves étranges sur la mère disparue qui nous embrouillent et n’apportent pas grand-chose à ce récit. Ce livre résonne de sentiments forts mais il est un peu creux. J’ai trouvé le fond et la forme beaux mais je ne me suis pas sentie bouleversée ni même très intriguée par ce livre. Il n’est pas mauvais, mais disons qu’il n’est pas très passionnant. Il y a des québécismes mais rien qui ne fasse vraiment voyager la Française que je suis. Il y a des personnages intéressants mais aucun dont je me souviendrais une fois ce livre rangé. Ce roman ne m’a pas marqué, même si j’ai passé un relativement bon moment de lecture avec lui. Il est doux, mais un peu plat. Je l’ai lu jusqu’au bout en partie pour apprendre ce qu’est devenue la mère. Mais là aussi, déception. En même temps, avec un titre pareil…

Une lecture en demi-teinte, que je ne retiendrai pas, ni en bien ni en mal.

Morgan Le Thiec, Les questions orphelines, aux éditions Pleine Lune, 22$95.

Mon amour, de Julie Bonnie

Grâce aux éditions Grasset, j’ai pu cette semaine renouer avec la romancière Julie Bonnie, dont j’avais chroniqué le premier livre, un avis assez dur et négatif, mais sincère. J’avais prévu de mettre cette chronique en ligne le jour de la sortie du livre, c’est-à-dire le 4 mars 2015, mais j’ai eu l’excellente idée de me renverser du café bouillant sur la main ce jour-là, donc j’étais surtout occupée à gémir et à me plaindre avec un sac d’épinards congelés sur le pouce. Ridicule. Mais aujourd’hui, ça va un peu mieux, je peux taper sur un clavier sans trop souffrir – autant dire que je revis.

Bref, revenons à nos moutons. Le roman dont je vais vous parler aujourd’hui s’intitule Mon amour, (oui, oui, virgule comprise). On y retrouve quelques thèmes qui semble chers à notre romancière : la maternité (accouchement et nourrisson), la notion de couple, et la vie d’artiste. Le livre se constitue d’une suite de lettres jamais envoyées, plus écrites pour soi que pour le destinataire. D’un côté, il y a une femme, tout juste mère, qui écrit à son compagnon. Son compagnon lui écrit également, il est parti en tournée internationale – il est pianiste de jazz. Ils ont une petite fille, une toute petite fille.

La femme vit une passion maternelle et regrette son amoureux qui est au loin, l’homme vit une passion artistique tumultueuse et regrette de ne pas être tout à fait le compagnon idéale. A travers ces mots, on sent que l’amour qui unit deux êtres, et qui est le ciment d’une famille toute neuve, est difficile à maintenir. C’est un lien étroit et fragile, parfois malmené.

Puis les lettres font entrer de nouveaux personnages autour de cet homme et de cette femme, et notamment un autre homme. Je vous rassure, on ne va pas tomber dans le banal trio amoureux. Disons que les choses sont plus sensibles, pudiques, complexes. Il y a la colère, la jalousie mais surtout l’attirance, la fidélité, le coup de foudre, la parentalité. Il serait idiot de résumer ce livre à un simple chassé-croisé des coeurs car c’est beaucoup plus que cela.

J’ai apprécié la profondeur psychologique des personnages (c’est ma corde sensible de lectrice) : Julie Bonnie prend le temps de leur donner de l’épaisseur grâce à une écriture à la fois concise, précise et bouleversante. Elle arrive à traduire en mots – ceux directement écrits par ses héros – les silences, les choses inavouables, les échanges de regard, les pincements au cœur. Il y a une vraie intrigue dans ce roman, une histoire qui change le cours des vies. A la fin de cette lecture, des mots résonnent dans notre tête : famille, amour, couple, parent, art. Mon amour, traite de ces sujets avec douceur et force en même temps, de façon toujours sincère. Cette fois, je n’ai pas été déçue mais complètement comblée par ce nouveau roman de Julie Bonnie, une belle preuve qu’en écriture, on s’améliore en pratiquant.

Julie Bonnie, Mon amour, Grasset, 17€50.

A l’encre russe, de Tatiana de Rosnay

Je retrouve Tatiana de Rosnay, après ma lecture du Cœur d’une autre, il y a quelques temps déjà. Aujourd’hui, je vais vous parler de L’encre russe, qui a élu domicile dans ma bibliothèque depuis plusieurs mois et méritait d’en sortir.

L’histoire ne peut se résumer en une seule phrase. L’action se déroule dans un hôtel luxueux dans un lieu paradisiaque de la côte italienne. Nicolas Kolt, écrivain, y réside pour le week-end avec sa compagne Malvina. Il n’aime pas cette jeune fille comme il devrait l’aimer, mais ses sentiments se sont affadis depuis sa rupture avec son ex. Nicolas a trouvé le succès et la richesse grâce à son roman L’Enveloppe qui a battu tous les scores de ventes internationaux. Il y raconte un secret de famille, inspiré de sa propre histoire : son père, disparu en mer alors qu’il était enfant, avait en réalité des parents russes. Nicolas Duhamel, de son vrai nom, décide alors de choisir pour nom de plume, le patronyme (un peu raccourci au passage) de son père.

Le motif de ces vacances au bord de mer : écrire. Cela fait des mois qu’il doit écrire son deuxième roman, il ballade tout le monde en faisant croire que tout va bien, mais en réalité, il n’est plus capable d’écrire.

Rien que ça, l’impossibilité d’écrire, c’est un fichtrement bon sujet de roman, surtout avec un personnage comme Nicolas, qu’on déteste un peu, mais qu’on ne peut s’empêcher d’aimer tout de même. Mais c’est sans compter sur l’ingéniosité de Tatiana de Rosnay qui ne va pas s’arrêter là. La figure du père et des origines russes vont hanter notre personnage. Il se questionnera sur sa relation aux femmes, à son ex, à Malvina. Et les choses ne vont pas se passer comme prévu à l’hôtel. Bref, il y a de quoi faire, il y a de quoi lire. J’ai beaucoup apprécié la fresque de tous ces personnages – et ils sont plutôt nombreux – qui est détaillée sans nous embrouiller ou nous noyer pour autant. L’auteure manie avec facilité les flash-back pour nous permettre de visiter le passé du héros, sans même s’en rendre compte. Les allers-retours entre le passé et le présent sont partout mais ne posent aucun problème de lecture.

Il est très dur de dire tout ce que j’ai ressenti à cette lecture. Tout d’abord, du divertissement ! J’ai passé un très bon moment, et j’ai été happée par l’histoire en moins de dix pages. De l’intérêt et de l’attachement aussi, de la curiosité pour tous ces personnages secondaires plein de vie. De l’attirance et de l’agacement pour le héros, l’auteure sait très bien jouer avec nos sentiments !

L’écriture de Tatiana de Rosnay est en même temps simple et élaborée. Elle va beaucoup plus loin qu’une narration lambda, mais à aucun moment la lecture ne se fait heurtée ou difficile. On voit que l’auteure pense à ses lecteurs, et cela fait vraiment plaisir !

Bref, j’ai passé une belle lecture en compagnie de Nicolas Kolt (qui a un compte Twitter d’ailleurs!) et je ne peux que vous conseiller d’en faire autant.

Tatiana de Rosnay, A l’encre russe, Le Livre de Poche (33301), 7€60.

Renaissance, de Jean-Baptiste Dethieux

J’apprécie toujours quand des petites maisons d’éditions font appel à moi dans le cadre d’un service presse. C’est l’occasion de découvrir de nouveaux auteurs, de nouveaux éditeurs, de nouvelles collections, des choses vers lesquelles je ne serais peut-être pas aller sans le biais du blog. Dans cette chronique, nous allons parler d’un roman de Jean-Baptiste Dethieux (un Toulousain, donc forcément, j’aime) qui a déjà publié chez Anne Carrière. Renaissance, quant a lui, a été édité chez Taurnada.

Bon, on va commencer immédiatement par les choses qui fâchent, car depuis le moment où j’ai reçu ce livre, ça me démange, ça m’agace. La couverture. Je passe sur ce photoshoppage très raté, sur le fait que le noir et blanc, ce n’est pas très vendeur (surtout quand la couv’ est si sombre…). Mais s’il y a un truc qui me fait grincer des dents, saigner des yeux, ce sont les typos. Il y a cinq polices différentes sur cette couverture. CINQ ! 5 ! Une pour le titre, une pour la collection, une pour le genre, une pour la maison d’édition, une pour l’auteur. Taurnada, par pitié, ne fais pas ça à tes prochains ouvrages. Pour ton bien (et le nôtre).

Bon, fermons cette parenthèse car il faut faire la différence entre le fond et la forme (il faut s’y efforcer). L’histoire est celle d’un homme, psychologiquement instable, qui a vu sa vie bouleversée par la dispersion de sa fille, Blanche. Hanté par le passé trouble de son père dont il a été témoin malgré lui, il part sur les traces de son enfant, aidé (ou menacé?) par des e-mails reçus quotidiennement, montrant l’image d’une homme encapuchonné au cœur d’une forêt.

Que de mystères, de questions. Les pièces semblent parfois s’assembler, mais des incohérences sèment le doute, les souvenirs s’entremêlent, les nouvelles révélations à chaque chapitre jettent le trouble. Je pense qu’on peut appeler ça un thriller psychologique, même si l’urgence est ténue. Il y a beaucoup de pistes, on ne sait laquelle suivre.

Le lecteur est projeté dans cet univers et est emmené par le narrateur dans toutes ses pérégrinations, dans toutes ses découvertes. L’intrigue est plutôt bien menée, le problème, c’est qu’il y en a plusieurs, plus ou moins reliées les unes aux autres, et le lecteur risque de s’y perdre un peu.

Le réel soucis que j’ai eu à cette lecture, c’est la sensation que l’écriture en faisait trop. La narration est parfaite, mais le fond, les péripéties sont trop nombreuses. Ce n’est pas assez bien dosé, ou pas assez mis en scène. Je vais mieux vous expliquer. Il arrive vraiment des trucs pas cools à notre héros, des choses graves, et sincèrement, des choses pas communes du tout. C’est le roi de l’infortune ! Et j’ai trouvé que c’était beaucoup trop. Si l’auteur voulait conserver tout ce curriculum vitae, il aurait vraiment fallu nous faire aimer ce personnage : mieux le connaître, pouvoir s’y identifier très facilement. La nécessité d’un gros travail sur les effets de suspens, sur une tension palpable se fait sentir au bout d’une cinquantaine de pages. Seul cela aurait pu permettre d’enlever cette sensation d’une complète irréalité du récit. C’est un petit ratage de ce côté-là donc.

Toutefois, ce roman se lit très facilement, le style est agréable, et même l’histoire que j’ai critiquée vaut quand même le coup d’être lue ! Tout est une question d’équilibre. Je trouve que pour une maison d’édition naissante, Taurnada a su repérer un auteur qui a du potentiel, même si cette histoire-là en particulier aurait mérité un retravail important. A noter que la correction ortho-typographique (en excluant la couverture) est impeccable, et ça c’est agréable ! (même si je conseillerais une retenue dans les points de suspension à l’avenir…)

Jean-Baptiste Dethieux, Renaissance, aux éditions Taurnada, 9€99.

Feu pour feu, de Carole Zalberg

Je reviens vers vous après une absence de plusieurs jours et un été assez pauvre en articles. Les vacances sont passées par là, mais aussi un tournant dans ma vie : j’ai fini et validé mon master en métiers de l’écriture. Je me lance dans la vie active. Hier, jour de mon anniversaire, mon auto-entreprise en animation littéraire a officiellement commencé son activité. Je dois monter un site internet, faire de la communication, trouver les premiers clients… D’ailleurs, si vous êtes dans la région toulousaine et que vous recherchez quelqu’un pour des ateliers d’écriture, de lecture ou, plus généralement, pour de l’animation dans le monde littéraire, faites-moi signe !

J’espère aussi pouvoir alimenter plus régulièrement mon blog. Pour moi, les vacances ne sont pas du tout synonymes de lecture, au contraire ! Aucun roman dévoré, à peine quelques articles de presse… Mais j’ai fait main basse sur un tout petit roman très beau, lu dans le cadre de sa participation au Prix des Cinq Continents de la Francophonie. Il s’agit de Feu pour feu de Carole Zalberg, et c’est un coup de cœur.

L’histoire se déroule dans plusieurs pays, on ne sait pas vraiment lesquels, mais on les devine. C’est une histoire de survie, de sauvegarde, de famille, d’émigration. Un père prend dans ses bras sa petite fille, un bébé encore contre mère alors que celle-ci vient de mourir, entourée d’autres corps. Il faut partir, pour sauver sa peau, trouver d’autres lieux plus sûrs, d’autres façons de continuer. C’est le récit d’une lutte où il faut garder espoir, car on ne peut plus reculer : derrière il n’y a que les morts et les souvenirs.

Ce père va marcher, assurer leur sécurité, il va essayer de tout donner à ce petit bébé si patient, si sage qu’on dirait qu’elle comprend toute la situation. Il fera confiance aux autres quand il n’aura pas le choix. Il travaillera en confiant son unique enfant à une inconnue, car il n’aura pas le choix. Il prendra les décisions qu’il faudra prendre, et il réussira. Oh, bien sûr, ce n’est pas le paradis et les étapes ont été longues, mais ce qu’il a pu lui offrir sera toujours mieux que ce qu’il y avait là-bas.

De ce passé, nul besoin d’en parler, c’est ancré en lui mais il ne souhaite pas que sa fille parte elle aussi dans la vie avec un bagage aussi lourd. Il ne peut que la voir grandir, s’épanouir, et essayer de la comprendre, même ses gestes les plus fous, même ses mots les plus durs.

C’est un récit poignant, à l’émotion affleurante, mais c’est aussi et surtout un roman tout en pudeur. Il raconte ce qui ne se dit pas, sans que ce soit réellement un secret. L’errance, le départ sont des étapes parfois vitales mais toujours difficiles. Cette expérience, des gens ont du la vivre : c’est ce que je m’imagine, et c’est pour ça que j’ai d’autant plus été à fleur de peau à la lecture de ce petit livre. Il est difficile d’en dire vraiment plus : au début, on ne sait pas où ces mots nous entraînent, mais très vite on suit la plume de l’auteur malgré nous, le cœur battant. L’écriture semble très personnelle, intime, même si l’on sait que ce n’est pas la voix propre de l’auteure. On rentre sur un territoire privé, où l’ombre du passé et la lumière de l’amour se côtoient.

Je n’en dirai pas plus, car ce que je ressens pour ce minuscule ouvrage est ineffable. Juste : lisez-le.

Carole Zalberg, Feu pour feu, aux éditions Actes Sud, 11€50.

Lolita, de Vladimir Nabokov

Nabokov. Une langue puissante et chatouilleuse me disait-on. Une écriture sulfureuse et suintante, qui n’a pas conscience d’elle-même – ou alors est-ce l’inverse ? Je me devais de découvrir ce style et cette histoire, celle de Lo, de Lola, de Lolita.

Alors non, rien à voir avec la chanson d’Alizée, non cette fois, on entre dans la cour des grands. Là où le secret illégal, dangereux, pervers, nous est dévoilé, confié, dans toute sa vérité. Quand l’amour et l’attirance sont des attractions si puissantes qu’elles en sont immorales, quand la jeunesse fougueuse et innocente vient toucher le cœur et le corps d’un mâle observateur, en attente, haletant, redoutant et impatient à la fois. C’est un roman qu’on lit passionnément et à distance, une relation double et trouble entre cette écriture envoûtante et suave, mais parfois crue et trop proche de réalités sociales implacables. D’un côté, on a cette tendresse et ce désir ardent, de l’autre on a la loi, et des mots comme « incestueux » et « pédophile » (qu’on ne pourra lire qu’au bout d’une petite centaine de pages – c’est dire comme les mots peuvent se faire discrets mais les idées passer tout de même).

Bref, il faut que je sois plus claire. Le narrateur se fait appeler Humbert. C’est lui l’homme, le mâle de cette histoire. On pourrait le penser fort et puissant dans une figure de maître, de supérieur, mais non, il n’est qu’à la merci de ces petites jambes aux poils discrets et blonds qui finissent dans des socquettes blanches et vierges. Au début, il les aiment toutes ces nymphettes, mais seulement dans son esprit, il ne faut pas oser, il ne peut pas avancer d’un pas dans cette direction dangereuse où sa folie veut l’entraîner. Imaginer est une chose, mais un acte, c’est une implication qu’il n’est pas encore prêt à prendre sur lui.

Un jour, sa route croise celle de Dolores Haze. Elle a 12 ans. Et c’est une nymphette, cette catégorie si particulière de jeunes filles presque indescriptible, qui seule peut déclencher un désir chez Humbert. Et pour elle, il le sait déjà, il serait prêt à tout. Il la veut, il a besoin d’elle, il veut la boire, la manger, la posséder, l’aimer, la caresser, la chérir, la pétrir. Pour elle, il fera tout ce qui est nécessaire, même si pour cela, il faut du tact, de la patience, de l’imagination, de la stratégie… et un peu de chance.

Lolita a fait un scandale à sa sortie, et on peut le comprendre : il bouscule les mœurs en mettant en scène la pédophilie, mais aussi l’inceste (avec le bref résumé de l’histoire, c’est difficile à imaginer, mais je vous assure, dans un sens on peut parler d’inceste). Aujourd’hui heureusement, on ne s’arrête plus à ça (l’écriture est un espace de liberté), surtout qu’on ne peut pas reprocher à Nabokov une écriture du détail qui serait ignoble. Non, au contraire, sa plume est poésie et passion. Nous sommes Humbert et nous pouvons presque comprendre son attirance pour Lola. Non, ne vous effrayez pas en lisant ça : vous ne serez pas changé en pervers ou délinquant sexuel après cette lecture. C’est juste que passer à côté d’un style si captivant, si fort mais en même temps doux et équilibré, ce serait une bêtise. Vous devez lire Nabokov. Personnellement, j’ai trouvé cette lecture puissante ! Elle restera important dans mon parcours de découverte littéraire.

Vladimir Nabokov, Lolita, traduit de l’anglais par Maurice Couturier, aux éditions Folio, 8€40.

Si tu passes la rivière, de Geneviève Damas

Tout d’abord, bonne année 2014 à tous, tous mes vœux de bonheur et de trouvailles littéraires ! Vous avez été nombreux à venir et à revenir sur le blog l’année passée, merci de tout cœur !

Un peu de littérature belge aujourd’hui pour le premier article de cette nouvelle année, ce n’est pas souvent que ce blog en accueille. L’auteure du jour s’appelle Geneviève Damas, elle travaille surtout dans le monde du théâtre. Avec Si tu passes la rivière sorti en 2011, elle a signé son premier roman.

C’est l’histoire d’une campagne, d’un village et d’une ferme. Dans cette ferme, il y a le père et les garçons. Avant il y avait Maryse la fille mais elle est partie, elle est passée de l’autre côté rivière, là où il y a des murs noirs et des cendres. On ne l’a plus revue. Tout ça, c’est François qui nous le raconte. A la ferme, il s’occupe souvent des cochons, puis du marché. On le croirait simplet, mais au fond, ça bouillonne dans sa petite tête. Il a bien compris que tout le monde avait une maman, alors où était passé la sienne ? Est-elle elle aussi passée de l’autre côté de ce court d’eau si mystérieux juste après la naissance du garçon ? François a toujours cru qu’elle était morte mais impossible d’aborder le sujet avec le père. Sa seule solution est de lire les pierres tombales du cimetière pour en trouver une au nom de Sorrente – son nom. Mais pour ça, il faut être allé à l’école… Alors François va se rapprocher du prêtre chez qui il a piqué une livre avec une femme blonde et un enfant dedans. Il veut connaître leur histoire, il veut savoir l’alphabet, il veut découvrir qui était sa mère. C’est une quête de la vérité, un peu boiteuse, mais très touchante.

J’ai adoré ce livre. Les premières pages, on se dit « Oh la ! C’est quoi ce truc trop mal écrit ? » Puis on comprend, c’est François qui parle : avec ses mains de paysan bouseux, il décrit ce qu’il voit, ce qu’il pense, ce qu’il ressent, les méandres de son histoire. Et même si les formes n’y sont pas, ce qu’il a dans la caboche ce petit, ce n’est pas rien. On se prend vite d’affection pour ce personnage sous le joug de l’omerta familial. On ne juge pas son amitié pour sa copine truie, Hyménée. On ne juge pas ses gestes un peu brusques, ses relations sociales si cabossées. Non, on l’aime juste car il est sincère, il est bon, il veut aller de l’avant. La découverte de l’alphabet, il le comprend lui-même, c’est un changement décisif. Il commence à se prendre en main. L’évolution du personnage est très belle, et sa langue le devient avec lui.

L’univers de ce roman, ce sont des secrets, de la solitude qui ne demandent qu’à être brisés, des habitudes qui doivent être chamboulées. On grandit avec François et comme lui on crève d’envie d’en savoir plus sur ce passé, cette naissance, cette rivière. Le style employé dans ce livre est un prouesse, c’est tout à fait remarquable, osé, inoubliable. Je n’ai pas de mots pour exprimer cette découverte. Sincèrement, n’hésitez pas, foncez, allez lire ce petit roman, qui est une vraie pépite !

Geneviève Damas, Si tu passes la rivière, aux éditions Luce Wilquin, 13€00.

Deux étrangers, d’Emilie Frèche

Ce livre, c’est grâce à Twitter que j’en ai pris connaissance : son auteur, Emilie Frèche, y était sans cesse félicitée par la communauté bloguesque littéraire pour son dernier roman, Deux étrangers, qui obtint même le prix Orange. Alors, le jour où je l’ai vu apparaître dans les rayons de ma médiathèque, je ne me suis pas trop posé de questions : hop ! Sans même savoir de quoi il parlait, je l’embarquais.

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Deux étrangers, c’est l’histoire d’un père et de sa fille Élise. Drôle de coïncidence, je finis de le lire juste avant la fête des pères ! Alors qu’Élise regarde son couple faire naufrage, elle reçoit un appel de cet homme avec qui elle n’a plus eu de contact depuis sept ans. Il lui demande, ordonne même, de venir le voir à Marrakech, où il habite, avant la fin du mois. Sans vraiment savoir pourquoi, la jeune femme grimpe dans l’ancienne Renault 5, héritage chéri de sa mère bien-aimée, et se dirige vers le Sud dès le lendemain.

Ce voyage presque automatique la conduira à tirer sur le fil de leur histoire, l’amour d’un père et d’une fille qui s’est très étiolé pour devenir de la peur, des menaces. Une figure d’homme presque tyrannique, qui ne dépassait jamais les limites légales, mais qui n’avait pas besoin de ça pour faire du mal, et pour être détesté. Après coup, Élise cherche des réponses dans son enfance, son adolescence mais aussi dans le passé foisonnant de son père, français né en Algérie, juif qui se réclame d’ascendance espagnole, un riche de l’immobilier qui a fait changé son nom « Benhamou » en « Amour ».

Les souvenirs se succèdent : des moments d’humiliation, des moments de grande colère et de rage, des moments de souffrance tue. Ces humiliations ont blessé leur amour jusqu’à le rompre. Père et fille sont devenus des étrangers jusqu’à leur ultime séparation à la mort de la mère d’Élise. Alors qu’elle tente de redresser la barre de son histoire d’amour avec Simon avec grande difficulté, la jeune femme se dirige avec beaucoup d’émotion, un mélange d’impatience et de peur, vers des retrouvailles qu’elle pensait impossibles. Qu’importe que le temps et les déchirures soient passés par là, la famille, les liens du sang ne peuvent pas s’effacer et sont ancrés en nous comme autant de cicatrices, une force d’attachement immuable.

J’ai aimé ce livre : il ne se prend pas pour plus haut qu’il n’est, il est à hauteur d’hommes et c’est suffisant pour voir à quel point nos caractères et nos sentiments peuvent être tordus, injustes, complexes, contradictoires. Il est très touchant, sensible : Emilie Frèche a su trouvé les mots justes pour évoquer ce passé qui fait mal et cette angoisse de l’avenir. Ce roman ne tombe jamais dans le pathétique, il effleure avec doigté et émotion l’amour et ses méandres, il enchaîne avec aisance les souvenirs, les disputes, les bons et les mauvais moments qui ont jalonné cette vie. Elise est une héroïne qui garde tout son honneur alors qu’elle est abattue par l’avenir de son couple et ce rappel trop vivace de sa jeunesse gâchée. Avec humour, elle comprend mieux son attachement presque ridicule envers cette vieille voiture, un débris, qui représente peut-être les seules étincelles de bonheur de l’époque où elle vivait encore chez ses parents. Et petit à petit, elle comprend pourquoi ce voyage si long en Renault 5 depuis Paris lui était une nécessité.

Je pense qu’il n’y a pas grand chose d’autre à rajouter : l’écriture est somptueuse, le style doux mais jamais on ne s’ennuie. On vibre au même rythme que l’héroïne et on parcoure ces kilomètres dans le même état d’esprit bouleversé qu’elle. Peut-être une petite déception sur la fin, pas que je sois déçu de la tournure que prennent les choses mais j’aurais aimé en savoir plus, au moins en apprendre davantage sur le ressentiment d’Élise. Mais en dehors de ce détail, Deux étrangers est vraiment un livre formidable que je vous conseille de tout cœur !

Emilie Frèche, Deux étrangers, aux éditions Actes Sud, 21€00.