La Conjuration des Imbéciles, de John Kennedy Toole

Ce livre traîne dans ma bibliothèque depuis longtemps et j’ai décidé de le lire un peu par hasard (je vide ma PAL cette année!). Je ne m’attendais pas du tout à trouver ce genre de pépite. L’histoire de son auteur aussi est intéressante – et un peu triste, il faut l’avouer. La Conjuration des Imbéciles, c’est l’œuvre de John Kennedy Toole. Malheureusement, personne ne veut de ce livre hors normes. L’auteur en finit par se suicider et c’est la ténacité de sa mère qui permit à ce roman de voir le jour aux yeux du grand public.

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Ignatius a la trentaine passée, il vit toujours chez sa mère à la Nouvelle-Orléans. Arrogant, obèse, intellectuel, il parle trop, a un avis pour tout et est en train d’écrire un immense livre sur sa vision de l’Amérique. Il a un corps hors normes, se retrouve dans des situations plus malchanceuses les unes que les autres. On le suit, et on suit les traces et les souvenirs qu’il sème à son passage, qui marquent les autres personnages tout aussi hauts en couleurs de ce livre. Sa mère, avec qui il est toujours en conflit, le somme de trouver un travail. De nouvelles péripéties l’attendent.

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Deux choses m’ont tout de suite étonnée dans ce roman : ce personnage principal si différent, si particulier. Un peu dérangé ou génie refoulé, je n’en sais rien, je ne l’aurais pas apprécié dans la vraie vie, mais il reste un personnage fascinant qui nous laisse pantois à chaque page. La deuxième chose qui m’a marquée, c’est cette langue : celle des dialogues d’abord, un vocabulaire très oral, avec des accents retranscrits, mais aussi la langue de l’écrivain. Il a en effet un style bien à lui, alternant les moments de pause et d’action, avec toujours au centre de son intrigue ses personnages, cœur de l’histoire.

Pour qualifier ce roman, je ne peux pas dire qu’il est fluide, haletant, novateur (au contraire, il y a un charme passéiste dans ces lignes), somptueux (il reste « crade », je ne trouve pas d’autres mots!). Mais il est indéniablement remarquable et je vous invite grandement à tenter l’aventure. Vous serez sans aucun doute désarçonné au début, mais il suffit de ne pas opposer de résistance : les pages défileront alors toutes seules.

John Kennedy Toole, La Conjuration des Imbéciles, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean-Pierre Carasso, aux édition 10/18, 9€60.

Demain j’arrête ! de Gilles Legardinier

Pour Noël, j’avais décidé d’offrir à ma môman le dernier livre dédicacé de Gilles Legardinier, son auteur préféré. L’occasion pou moi de découvrir cet écrivain très gentil était trop belle, j’en ai donc profité pour acheter la jolie édition de Demain j’arrête !

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Je n’avais jamais lu du Gilles Legardinier et je m’attendais à passer un bon moment, une lecture divertissante. C’était exactement le cas en effet, et c’était très sympathique. Dans ce livre, on suit Julie, qui travaille en banque et adore son petit quartier. A l’arrivée de son nouveau voisin, elle ne peut s’empêcher d’être curieuse, voire… un peu obsédée. Au fur et à mesure de leurs rencontres, c’est plus que son nom – Ricardo Patatras – qui va l’intéresser…

J’ai été beaucoup déçue de ne pas mieux savoir où était ce quartier, cette ville. Les lieux sont importants dans ce roman et j’ai eu un mal fou à me les imaginer, ça m’a vraiment dérangée.

Les personnages sont très attachants, surtout les personnages secondaires. Quant à Julie, elle a ce grain de folie qui donne tout le côté rocambolesque à ce roman et plonge tout le monde dans des situations incroyables. Heureusement, la bonne humeur et le sourire sont de mises dans ce roman. Pour ma part, ça n’a jamais été mon truc ce type d’intrigue… surtout que le mystère de Ric, je l’avais deviné depuis de nombreuses pages, autant dire que la fin m’a parue très longue à venir.

C’est aussi un des défauts majeurs de ce livre à mes yeux : le rythme. Le style est bon et Gilles Legardinier écrit de très bonnes pages – quoique, sérieusement, ce truc avec les chats ?! – mais c’est long. On aurait pu enlever une petite centaine de pages aisément. On est des êtres humains, on est empathiques, on peut comprendre ce que vivent les personnages sans nous le répéter plusieurs fois sous des formes différentes.

Heureusement, l’intrigue est rafraîchissante et légère, la romance adorable, les personnages attachants, les dialogues très présents donnent de la vie au roman. Une lecture parfaite pour se divertir.

Gilles Legardiner, Demain j’arrête !, aux éditions Pocket, 8€50.

Sauveur & fils (saison 2), de Marie-Aude Murail

 

J’avais un peu hésité avant de me lancer dans la lecture de la saison 2 de Sauveur & fils de Marie-Aude Murail, j’avais un peu peur de me lasser, que cette lecture soit trop enfantine pour moi, mais je me suis finalement laissé tenter…

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Sauveur est toujours psychologue et reçoit toujours des enfants et des familles dans son cabinet pour tenter de les aider. Même s’il se laisse parfois déborder par leurs problèmes et les traîne jusqu’à la maison. Ella veut devenir Elliot, Raja ne dit rien et n’utilise que du noir dans ses dessins de petite fille, Gabin ne va plus au lycée, Blandine se shoote avec des bonbons Haribo… On retrouve certains patients de la saison passée – sans que ça ne fasse de redites, c’est très bien joué – et on voit ainsi leurs évolutions, on découvre également de nouveaux personnages que j’ai adoré ! J’ai trouvé tous ces patients très attachants. Tellement d’humanité dans ce roman…

Sauveur doit aussi faire face à de nouvelles situations dans sa propre maison, puisqu’il vit une histoire avec Louise qui a deux enfants et un ex-mari détestable. Sauveur veut sauver tout le monde : il trouve toujours le mot juste, comprend chaque expression et est terriblement gentil. Hamster ou homme perdu, son toit est le toit de tout le monde. Pas facile de trouver le repos quand on est si investi dans son travail et que sa vie privée donne du fil à retordre.

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Marie-Aude Murail a écrit là un roman qui parlera à tous les adolescents. Ancré dans notre époque, je l’ai trouvé vraiment moins enfantin, rêveur, enchanteur, drôle que ces autres romans, mais ce n’est pas vraiment une critique négative, juste un constat. Pourtant, ce roman ne manque pas d’humour et de péripéties, les pages se tournent vite, le rythme est bon. C’est très réaliste, et toutes les diverses situations sont bien présentées : dans un cabinet de psy, on croise des vies malheureuses, fatiguées, déprimées, dans le déni, en colère… et ce n’est pas facile de regarder tout ça. J’ai trouvé donc par moment ma lecture un peu pénible, plus sombre que dans la première saison. On dirait que Sauveur n’a pas de pause, de très bonnes nouvelles à fêter, jamais. À sa place, je serais en train de soupirer non-stop. Heureusement, Louise et Lazare – son fils – lui redonnent le sourire et il ne s’ennuie jamais dans sa bruyante maisonnée.

Pour les adultes, on voit quelle piste sème Marie-Aude Murail pour la saison 3, et j’ai hâte de savoir ce qui va arriver à nos personnages. Je n’en ai pas fini avec cette série !

Marie-Aude Murail, Sauveur & Fils (Saison 2), aux éditions École des loisirs, 17€.

La bibliothèque des cœurs cabossés, de Katarina Bivald

Parfois, il faut s’écouter. Pendant mon intersidérale panne de lecture – promis, j’arrête bientôt d’en parler – je me suis un peu forcée. Il y avait ce roman, ça promettait d’être feel-good, y a de la romance, de l’amitié, une librairie, l’amour des livres. Je me suis dit : « Banco, c’est fait pour moi ! » C’est vrai qu’il me semblait un poil long, mais je trouvais la couverture sympa, il n’avait pas reçu des mauvaises critiques, alors pourquoi pas ?

la-bibliotheque-des-coeurs-cabossesLa bibliothèque des cœurs cabossés de Katarina Bivald est l’histoire de Sara, qui vient passer plusieurs semaines dans le village de Broken Wheel – elle vient de Suède – pour voir son amie Amy, une amie par correspondance. Toutes deux ont forgé une belle amitié en échangeant sur leurs lectures et enfin aujourd’hui, elles vont se rencontrer ! Mais il y a un vrai problème : Amy n’est plus là… Désemparée, Sara se voit heureusement secouru par les habitants de la ville qui la prennent sous leurs ailes, plus ou moins. Elle vivra dans la maison d’Amy.

Cette ville, en perte de vitesse, attriste un peu Sara. Il y a ce local vide dans la rue, et tous les livres d’Amy qui ne servent plus à rien. Et si… ? L’idée d’ouvrir une librairie est si tentante !

Cela fait des mois que j’ai lu ce livre et je l’ai refermé avec lourdeur. Clairement, ça n’a pas été ma lecture de l’année et ça ne m’a pas aidé à sortir de ma panne de lecture. Mon avis n’est donc pas le plus complet, je ne me souviens que partiellement de l’histoire : elle ne m’a pas marquée car je lui ai trouvé des longueurs, elle ne m’a pas marquée car je n’ai pas vraiment réussi à m’attacher aux personnages. Les personnages, parlons-en : ils sont très nombreux – trop. Certains sont originaux, mais la plupart n’ont pas d’intérêt en soi. On dirait qu’ils n’ont pas vraiment de vie, de consistance, de saveur, dans le sens où ils n’existent que les uns pour les autres, pour faire avancer leurs relations mutuelles. Ils n’ont pas pris corps dans mon esprit, ce sont restés de simples êtres de papier, présents pour faire avancer l’histoire et l’intrigue autour de notre personnage principal. Cette Sara est toute mimi, pleine de bonnes intentions, mais j’ai l’impression qu’on fait tout pour elle, elle manque clairement de profondeur et je la trouve un peu fade.

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Pourtant, il s’en passe des événements dans cette ville où tout le monde se connaît, les relations se font et se défont. J’ai l’habitude des romans où il se passe trop de choses pour que ce soit vrai, mais en général j’ai envie d’y croire, ou j’accepte de le croire car ça sonne vrai, car les intérêts sont grands. Ici, j’ai regardé les événements d’un œil distant, sans y croire un instant et en trouvant cela artificiel. Bizarrement, malgré tous les rebondissements, je me suis ennuyée, ce n’était pas assez rythmé et j’en avais assez marre de ce décor de petite ville américaine. Je n’étais sûrement pas dans le meilleur état d’esprit non plus pour en profiter, il est vrai, mais – je ne sais pas si la traduction y est pour beaucoup ou pas – l’écriture elle-même est un peu lourde, ça ne tiendrait qu’à moi, j’aurais fait de sacrées coupes ! Peut-être que ce style est recherchée, mais ce n’est clairement pas ma tasse de thé. Pourtant je reconnais qu’il y a un talent dans l’écriture de Katarina Bivald : l’idée de départ est sacrément bonne. Mais le lieu d’arrivée : beurk.

Un avis très subjectif mais sincère… Et vous, qu’en avez-vous pensé ?

Katarina Bivald, La bibliothèque des cœurs cabossés, traduit du suédois par Catherine Buy, aux éditions J’ai lu, 10€.

Fleur de Tonnerre, de Jean Teulé

fleur-de-tonnerreJean Teulé. Troisième apparition de l’auteur sur le blog, avec Fleur de Tonnerre, même si j’ai déjà eu l’occasion de lire beaucoup plus de ses romans dans le passé. Et très franchement, je ne sais pas trop quoi en penser. Il y a certaines œuvres dans sa bibliographie qui sont incroyables, d’autres décevantes. Mais il y a toujours un style propre à Jean Teulé reconnaissable entre mille. Après, de là à dire que j’aime ça… Il ne faut pas exagérer.

On sait que le bonhomme aime bien les récits historiques, les histoires qui se basent complètement sur des hommes et des femmes particuliers, à la lisière de l’humanité et de la folie. Et le personnage central de cette intrigue m’avait attiré dès la quatrième de couverture. Elle s’appelait Hélène Jégado et ce n’est pas qu’une femme de fiction : elle a vraiment existé, dans la première moitié du XIXe siècle, en plein cœur de la Bretagne. On la surnommait Fleur de Tonnerre. Elle croyait au pouvoir des menhirs, aux esprits qui hantent les forêts, même si le catholicisme tentait déjà par tous les moyens possibles de se faire une place dans la région. Nous allons la suivre toute sa vie, à travers ses différents et nombreux postes de cuisinière. Derrière elle, les corps s’amoncellent. Car Hélène se sent investi d’une mission, elle a l’impression de faire le travail de l’ankou, de la mort. Elle empoisonne méthodiquement. Affinant ses méthodes, elle n’a jamais fait preuve de scrupules. Les années passent sans qu’elle ne se fasse attrapée, elle connaît de multiples vies. Et il me semble qu’elle y laisse à chaque fois un peu de sa raison.

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J’ignore à quel point il y a du vrai, historiquement parlant, dans ce roman. On ne lui demande pas d’être véridique, mais il semble que l’auteur ait fait pas mal de recherches, ce qui rend ce récit d’autant plus accrocheur. On s’imagine ces scènes, ces gens, ces réactions, ces villes, ces paysages, ces façons de vivre, ces coutumes, cette langue bretonne peu à peu effacée par le français… C’est réel pour nous, on s’y croit vraiment. L’écriture de Teulé, généralement, y aide, avec une langue simple mais ancrée dans l’histoire, de nombreux dialogues, des chapitres courts et directs. J’ai toutefois beaucoup de mal avec ce style inégal : poétique, puis drôle et brusque d’un coup. Je ne suis pas charmée du tout et même pire : j’ai eu l’impression que l’écriture me parasitait parfois dans ma découverte de l’histoire. C’est tellement changeant d’un paragraphe à l’autre que je ne parviens même pas à vous trouver un extrait représentatif du roman.

J’ai apprécié ce destin hors du commun, d’une femme bien étrange. Mais je ne me suis nullement attachée à ce personnage – et pourtant, la littérature nous a démontrés maintes fois qu’un personnage négatif pouvait être attachant. Il y a deux personnages secondaires que l’on croise tout au long du roman…. Je ne les ai pas aimés du tout ! On aurait dit un rajout artificiel pour augmenter le nombre de pages. Ils ne servaient à rien, n’apportaient absolument rien à la lecture.

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Il y a des hauts et des bas dans ce livre. Pour ma part, j’ai l’impression que les sujets traités par Jean Teulé me plaisent de plus en plus, mais son écriture me convient de moins en moins. On sent pourtant que l’auteur soigne son œuvre, qu’il y a un sacré travail là-dessous… Mais ça ne fonctionne pas avec moi, je passe complètement à côté. Il est possible que ce soit ma dernière lecture de l’auteur.

Jean Teulé, Fleur de Tonnerre, aux éditions Pocket (15766), 6€20.

Une soirée littéraire, d’Ivan Gontcharov

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Cela faisait une éternité que je n’avais pas lu un roman russe. C’est une littérature que j’apprécie, mais à petite dose, sinon je fais vite une overdose justement ! Il faut dire que j’ai à chaque fois l’impression d’atterrir sur une autre planète, d’être catapultée dans une société à laquelle je ne comprends pas tout et, surtout, dont je ne fais pas partie. Et avec Une soirée littéraire d’Ivan Gontcharov, ça n’a pas raté.

Des invités sont réunis chez Ouranov : gens du monde du livre, connaissances, prétendantes, militaires. Une petite vingtaine, pour écouter une lecture. Pour la plupart, c’est une première. L’auteur n’est pas connu. Il s’agit à du premier roman sur lequel il travaille – histoires d’amour et de jalousies dans les hautes castes, à la russe. Lecture longue, qui en passionne certains, qui en ennuie d’autres. Petits discussions, coup d’œil, attitudes, pensées. On revient sur chaque personnage, on le présente. Car une fois la lecture passée, leur hôte les convie à un repas : le moment idéal pour reparler du roman lu, mais pas seulement. Littérature, journalisme, rang social, etc. De nombreux autres sujets de conversations vont émailler la nuit. C’est aussi l’occasion pour beaucoup de se rencontrer, de faire connaissance autour de la table. Des personnalités s’affirment, se dessinent.

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Un petit récit qu’on ne trouverait pas chez nos auteurs français. J’ai l’impression que seuls les Russes savent faire ce genre de récit : ambiance désuète d’une aristocratie du siècle passé, littérature classique qui s’oppose aux points de vue moderne, et galerie de personnages. Des personnages qu’on rencontre par touches, et que je n’arrêtais pas de confondre. On n’est pas assez proche d’eux, les dialogues constants nous embrouillent : je me suis perdue à plusieurs reprises, ce qui ne m’a pas aidé à dessiner la personnalité de chacun ! Toutefois, je me suis laissé bercée sans trop chercher à avoir le fin mot de l’histoire, et les pages défilent sans trop de difficulté. Mais je n’irai pas jusqu’à dire que cette lecture fut excellente. C’est un peu trop impersonnel, et surtout assez vain : je n’ai pas vraiment trouvé qu’il y avait là une intrigue, un but, un fil conducteur solide. On suit une nuit à la russe, en passant. Et je n’attendais rien de plus de ce petit livre ceci dit et il m’a diverti le temps d’une journée.

A vous de voir si vous voulez tenter l’aventure !

Ivan Gontcharov, Une soirée littéraire, traduit par Bernard Kreise, aux éditions de L’Herne, 16€.

Dolce agonia, de Nancy Huston

Le fumet se répand telle une douleur dans la maison : ça m’a toujours été pénible, se dit Sean, l’odeur de la bonne cuisine, pire depuis le départ de Jody mais ça m’a toujours été pénible, dans toutes les maisons où j’ai vécu, la viande surtout, ragoûts de bœuf de mamie à Galway, soupes au poulet de m’man à Sommerville, osso buco somptueux de Jody, le fumet de la viande qui cuit une souffrance à chaque fois, un élancement de nostalgie : passe encore d’entrer dans une maison et de consommer un repas de viande, mais en humer l’odeur tout au long de sa cuisson est une torture, pas à cause de la faim mais à cause de l’idée insinuante, désespérante, sans cesse transmise et retransmise aux tripes, de la dinde en train de dorer lentement dans ses jus, faisant perversement miroiter des promesses de chaleur bonté bonheur, simples plaisirs domestiques, toutes choses qu’on ne peut avoir et qu’on n’a jamais eues, pas même un enfant.

Aujourd’hui, je vous invite à découvrir un roman que je traîne depuis des lustres dans ma bibliothèque : Dolce agonia de Nancy Huston, une auteure que j’affectionne particulièrement. Une belle découverte encore une fois.

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Thanksgiving, le repas où l’on remercie, où l’on rend grâce. Dieu est là, qui a décidé d’observer, de commenter également un moment, parmi tous les autres moments : le repas de Thanksgiving dans le maison de Sean Farrell. C’est un poète et professeur d’université, la quarantaine bien passée. Il a réuni autour de lui des amis, des gens auxquels il tient. Collègues dont il est proche, anciennes compagnes… Et chacun a emmené son épouse, son mari. Ils ne se connaissent pas tous, ils ont chacun eu des vies différentes mais un point les relie ce soir : vouloir partager un moment de bonheur alors qu’ils ont tous traversé et traversent encore des épisodes tragiques et douloureux. Entre la préparation du repas, l’attente de la neige et des discussions en petit comité, la soirée avance. Au fil des pages, on voyage dans les souvenirs et les pensées de chacun, on revit leurs vies. Ainsi, chacun d’eux finit par nous être proches : on comprend leurs réactions, leurs peurs, leurs doutes. On se surprend à les aimer ou à avoir pitié d’eux. Ce couple en deuil, cette mère inquiète pour son fils atteint d’une tumeur, cet homme qui a vu sa femme partir avec ses enfants, cette jeune épouse qui cache un lourd passé, ce vieil homme agité de souvenirs.

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L’humain et l’humanité est au centre de ce roman, plus peut-être que l’amour. On y parle énormément de famille, d’attachement, de mort, et malgré les désaccords, l’hypocrisie, les secrets, on espère que le soir de Thanksgiving saura tous les rassembler.

Il ne s’agit pas là d’un conte de Noël, il n’y a rien de féerique. Disons que c’est une œuvre à la fois poétique dans sa construction, dans son écriture et très réaliste dans son fond. La plume de Nancy Huston est rafraîchissante, talentueuse, hors normes, audacieuse. Elle reste toutefois complètement accessible et est une vraie invitation à la lecture. L’auteure écrit pour nous, pour nous faire entrer dans ce cercle d’amis en cette nuit si particulière. L’écriture est légère, passant d’un sujet à l’autre, d’une pensée à un souvenir, d’une réflexion à une discussion avec aisance. Elle se détend et devient plus intime au fil des heures et des verres d’alcool des convives. On l’épouse complètement, on ne fait plus qu’un avec elle et on est littéralement plongé dans cette ambiance. On y est, chez Sean Farrell, à ce dîner de Thanksgiving. C’est en tout cas de cette façon que je l’ai vécu. Intensément. Il faut se laisser aller à la langue de l’auteur, approuver de ne pas trop savoir où l’on va, et vous verrez : ce n’est que du bonheur.

Et vous, avez-vous déjà succombé à la plume de Nancy Huston ?

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Nancy Huston, Dolce agonia, aux éditions J’ai lu, 6€90.

Gatsby, de Francis Scott Fitzgerald

Je suis très très fière de vous annoncer que j’ai épongé tout mon retard dans les lectures communes ! Ouf ! De plus, ma panne de lecture est bien derrière moi puisque je dévore à nouveau des pages et des pages avec entrain chaque jour. Ça fait du bien, je peux vous dire ! J’espère réussir à écrire quelques chroniques d’avance pendant les vacances, histoire d’être un peu pus tranquille au mois de novembre (NaNoWriMo oblige).

9782266217255Mais bref, arrêtons-là avec cette intro bien trop longue. On se retrouve aujourd’hui pour parler de Gatsby de Francis Scott Fitzgerald, que j’ai lu dans la nouvelle traduction de Jean-François Merle.

J’attendais beaucoup de cette lecture qui m’attendait de pied ferme depuis des mois. Je ne savais pas vraiment dans quoi je me lançais et j’ai été très surprise par cette lecture.

Nous sommes au début des années 1920. Notre narrateur est le voisin d’un personnage mystérieux qui habite une villa luxueuse et organise sans cesse des fêtes extravagantes. Mais qui est ce Gatsby si insaisissable ? Au fil des pages, il se découvre et, derrière le vernis de suppositions, on découvre un homme parfois inquiétant, désœuvré, désespéré. Amoureux.

Ah l’amour, ses faux-semblants, ses convenances et surtout ses mensonges. C’est le cœur même du livre. Juste devant l’orgueil et le sentiment d’irréalité de ces années d’alcool et de sourires calculés, de passades et d’argent.

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C’est une bien étrange expérience que de lire Gatsby. Déjà l’écriture en soi. Très au fil de la plume, très vivante, directe. Elle ne s’attarde pas, passe d’un sujet à l’autre dans l’urgence de la situation. Elle est l’exact reflet de cette société qu’elle veut dépeindre, de ces personnages qu’elle façonne. J’ai été assez désarçonnée par ce style, mais je m’y suis adaptée sans grand mal. En fait, j’ai surtout eu du mal à comprendre et à m’attacher aux personnages. On reste assez distants d’eux, même si au final on les voit sous leur vrai jour. Le lecteur fait tout autant partie du faste et l’illusion de cette époque que Gatsby et les autres. Il y a de plus un vrai parfum de désillusion qui flotte dans l’air. Ce roman n’est pas déprimant, mais pas joyeux non plus. On y trouve une sorte de fatalité face au temps qui passe, aux sentiments qui changent ou au contraire restent tel quel à prendre la poussière.

J’ai parfois eu du mal à suivre l’action, à m’accrocher aux dialogues, mais il faut avouer que je me suis laissée porter sans chercher à tout décortiquer, et finalement l’action se passe sous nos yeux de spectateurs, ébahis, circonspects ou surpris.

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Je suis contente d’avoir découvert ce roman si mythique. J’ai enfin rencontré Gatsby et j’ai presque touché du doigt qui il était. Il est certain que je découvrirai les autres livres de l’auteur car celui-ci m’a vraiment intriguée.

Francis Scott Fitzgerald, Gatsby, nouvelle traduction de l’anglais par Jean-François Merle, aux éditions Pocket, 2€90.

Dans le bleu de ses silences, de Marie Celentin

« Alexandrie m’apparut à la fois simple et complexe, riche de langues lointaines et de parfums exotiques, vive et surprenante en ses couleurs et ses mystères. Elle se voulait résolument grecque, mais tout en lançant à la mer et au monde entier les œillades insolentes de la jeunesse et de l’inexpérience. Alexandrie, dans ses convictions comme dans ses doutes, se voulait fière et envoûtante : elle n’eut aucun mal à me séduire. »

C’est ce qu’on peut lire dans les premières pages de ce livre monumental qu’est Dans le bleu de ses silences, le premier (PREMIER !) roman de Marie Celentin publié chez Luce Wilquin, maison d’édition belge que je vous conseille fort. Cet immense pavé de plus de 850 pages peut faire peur, et il y a de quoi. Mais quand on prend la peine de s’y laisser couler un petit peu chaque jour, ce livre peut vous accompagner pendant plusieurs semaines et, vous pouvez me croire : c’est un vrai ravissement.

La quatrième de couverture ne fait qu’effleurer le livre et mieux vaut ne pas s’y fier. Cette immense fresque nous plonge dans la ville grecque d’Alexandrie en pleine Egypte : une cité jeune certes, mais puissante. Une grande armée, un point incontournable pour le commerce, une porte ouverte sur l’Orient, et un pilier de la culture et de la sagesse. On oublie souvent de parler d’Alexandrie quand on évoque la puissance grecque dans l’Antiquité. On se souvient parfois du phare de Pharos ou de la grande Bibliothèque qui ont échappé à l’oubli à défaut d’avoir échappé aux flammes, mais c’est réduire cette cité à une toute petite partie d’elle-même. Alexandrie c’est aussi le règne de Ptolémée II, les démonstrations de richesse, les guerres, la politique, les esclaves, les secrets, l’immigration, la vallée de Nil, les mercenaires, le port, le rapport à Rome. Alexandrie, c’est Diounout la suivante égyptienne, Nathanyah l’esclave en quête de son affranchissement, Zénon le gestionnaire apprécié, Apollonios l’érudit, Bérénice la princesse impassible, Ptolémée le neveu royal exilé, Titus le Romain, Arsinoé la reine déchue.

En 800 pages, on a le temps d’apprendre à tous les connaître, ces personnages qui ont traversé notre histoire, qui ont forgé une certaine vision de l’Orient. Alexandrie était une ville de voyage, d’exil, d’apprentissage où la vie grouillait partout, sous toutes ses formes. Chaque quartier avait sa langue, sa classe sociale, son métier. Mais l’auteure nous emmène aussi dans les couloirs du Musée, les salles du Palais royal ou les plaines du Nil. Ce roman est une aventure et il faut s’y laisser emmener. On peut faire confiance à l’auteure pour ne pas nous laisser nous perdre. Grâce à une écriture intelligente dont le parti pris est de prendre son temps pour tout dire avec tous les détails nécessaires, on sait où l’on va et surtout d’où l’on vient. Une des grandes difficultés de cette œuvre est la multitude de personnages. Mais on s’attache très vite à chacun d’eux et on se souvient de ces héros sans difficultés une fois la lecture terminée. Le seul problème, c’est qu’il arrive très souvent que plusieurs personnages est le même nom (Arsinoé, Ptolémée, Apollonios par exemple) mais très vite l’auteure nous fait comprendre de qui il s’agit et nous abandonne pas dans le doute. Chaque personnage est dessiné avec précision et chaque psychologie est fouillée.

Je suis admirative de cette écriture qui fait preuve d’une grande rigueur. D’une part pour ne pas se perdre dans toutes ces données, ces personnages, ces lieux, mais aussi pour être proche de l’exactitude sur des données historiques. C’est fou d’avoir autant appris et aimé apprendre l’histoire de l’Egypte grecque. Mais Marie Celentin garde toujours en tête qu’il s’agit là d’un roman et elle distille au bon moment dans les bonnes mesures ses informations qui se fondent complètement dans le cœur du récit. Je n’ai pas trouvé ce livre scolaire ou trop formel même s’il est vrai que l’action est rarement au cœur du récit. En effet, l’écrivain préfère les dialogues, les descriptions, la narration, ce qui donne un rythme lent à l’image du fleuve du Nil. Mais cela passe plutôt bien à la lecture et convient bien à la taille du roman. On ne se lasse pas, on se laisse porter par la vie alexandrine. Toutefois le récit n’est pas qu’une juxtaposition d’histoires sur cette cité. De vraies intrigues sous-tendent le roman, parfois discrètes mais toujours présentes. Ces fils rouges tiennent le livre entier. Il y a même une énigme type policier !

Il y a quand même quelques défauts – il en faut ! Il est arrivé à deux ou trois reprises que des chapitres n’entrent pas directement dans le cours du récit et on sent que l’auteure les a un peu écrits pour elle. Dissertation sur des auteurs anciens, des tragédies grecques : ça n’apporte pratiquement rien à l’histoire et ça dure assez longtemps. Autre chose qui m’a fait tiquer : une intrigue est tendue pendant toute la première partie et finit un peu en queue de poisson sans plus d’explication, sans rebondissement par la suite.

Mais vu la taille de l’ouvrage, ce ne sont presque que des détails qui ne sont qu’une goutte dans l’océan de mots de Marie Celentin qui relève ici un véritable exploit. Pour nous faciliter tout de même la vie, des arbres généalogiques, un récapitulatif des personnages croisés et une carte sont à notre disposition à la fin de l’ouvrage. Je trouve par contre dommage que la couverture ait été si peu soignée : photo de mauvaise qualité, titre peu évocateur.

De manière globale, j’ai beaucoup apprécié ce premier roman qui regorge de surprises et de qualités. Les personnages sont excellents et ce voyage en Egypte a été exceptionnel, très réaliste. Une lecture que je conseillerais mais que je réserverais pour les grands lecteurs, curieux et patients.

 « J’ai longtemps cru que ma vie n’avait aucun sens, aucune consistance ; j’étais humble, inachevé, insignifiant. […] Aujourd’hui, je crois avoir compris ce qui fait la grandeur de l’homme : quels que soient nos talents, nos errances, la profondeur ou la douleur de nos souvenirs, la grandeur est ce moment précieux où nous acceptons d’être suffisamment ouverts au monde pour accueillir l’improbable et sublimer notre destin.

Et alors que je devrais me réclamer des paroles sacrées que m’ont enseignées mes amis du quartier judéen d’Alexandrie, c’est pourtant en grec que je pense couramment, c’est dans la sagesse hellène que je trouve les clefs qui m’ouvrent les secrets de mon âme. »

Marie Celentin, Dans le bleu de ses silences, aux éditions Luce Wilquin, 27€.

Rosa candida, d’Audur Ava Olafsdottir

J’ai l’impression que ça fait une éternité que je ne vous ai pas présenté un livre non francophone. En même temps, quand on travaille pour un prix littéraire francophone, on tombe facilement dans la marmite. Donc pour le retour de la littérature étrangère sur le blog, j’ai décidé de vous parler d’un roman écrit originalement en islandais (rien que ça). Ce livre, vous le connaissez sûrement ou, du moins, en avez-vous entendu parler : il s’agit de Rosa candida d’Audur Ava Olafsdottir. (On applaudit la traductrice Catherine Eyjolfsson!).

Arnljotur a été le dernier à parler à sa mère : il ne le savait pas mais celle-ci lui donnait ses derniers conseils au téléphone alors qu’elle perdait la vie dans la carcasse de sa voiture accidentée. C’est dans ces champs de lave qu’il s’est décidé un nouvel avenir : il quitte ce père aimant et pudique, ce frère jumeau autiste, la serre et le jardin qui ont lié fils et mère pendant des années. Il va sur le continent pour s’occuper d’une roseraie millénaire et perdue, dans une ancienne abbaye, emmenant avec lui cette fleur à huit pétales unique : la Rosa candida. Il pense partir pour donner un sens ou plutôt une direction à sa vie, allier son besoin de solitude et sa passion pour les roses. Mais c’est dans ce périple et cette vie nouvelle que son passé va le rattraper. Une autre famille, celle formée par Anna, la fille d’un nuit, et par l’enfant qu’ils ont eu ensemble. Arnljotur va découvrir le vrai sens du mot parent, dans ce lieu oublié du reste du monde.

J’ai eu un vrai coup de cœur pour ce petit roman, et je comprends aujourd’hui les raisons de son succès. Il faut dire que l’écriture est vraiment différente, j’ai eu l’impression qu’elle venait d’un autre monde, plus froid, plus vide, plus beau aussi. L’auteure nous emmène dans son univers avec douceur et on s’attache immédiatement aux personnages : comme dans la vraie vie, on les découvre petit à petit dans toute leur profondeur et ce processus est très touchant. Tous les personnages secondaires sont là pour une bonne raison et sont dessinés avec minutie, sans excès. Il y a dans ce livre un parfait équilibre, voilà c’est le mot ! Entre l’écriture unique d’Audur Ava Olafsdottir, la magnifique histoire faite de sourire d’enfant, de rose sans épines et d’hésitation d’adulte. C’est un vrai régal pour le cœur, une œuvre à la fois douce, sincère et forte en émotion, un mélange savant de la rusticité des paysages islandais et la caresse de la senteur des fleurs.

L’auteure sait taper juste : ces personnages sont d’une finesse psychologique sans commune mesure, ses paysages gardent juste ce qu’il faut de mystère, sa narration se lit sans effort. Le héros est à la fois candide, tendre et criant de vérité. Une beauté.

Je pourrais encore écrire plusieurs pages d’éloges pour ce livre qui rentre tout de suite dans mon panthéon personnel (très rare privilège!). J’ai été touchée, j’ai ri, j’ai pleuré, j’ai eu peur, je me suis sentie bien. Un vrai bonheur en cellulose. Je ne peux que vous conseiller de découvrir au plus vite cet excellent roman.

Audur Ava Olafsdottir, Rosa candida, traduit par Catherine Eyjolfsson, aux éditions Zulma, 20€.