Les Vies minuscules, petites parenthèse dans l’existence des humbles, ces gens sans or et renommée, ont fait connaître Pierre Michon dans la sphère littéraire française. Une biographie générationnelle où les souvenirs et les doutes se mêlent à l’écriture et à un style hors norme. Ce ne sont pas des nouvelles, ni des récits, mais des vies : un homme, une fille, un couple, des frères… Des bouts de familles, une fresque généalogique qui se crée sous nos yeux.
Ici, il y a cet homme malade qui, jusque sur son lit de mort, est surpris par son illettrisme. Là, un homme saoul qui meurt tel le Dormeur du Val de Rimbaud. On croise une petite morte, cette petite grande sœur inconnue, mais avant, on a partagé la route d’un illustre inconnu parti en Afrique. La famille Michon est grande, les amis nombreux, les chemins croisés encore plus. Chaque destin, réel ou inventé, est unique et intéressant. Car ces personnes ont pris des décisions qu’on n’aurait pas choisies, pas osées, elles nous font voir un côté de la vie, de leur vie, qui ne sera jamais le nôtre, qui nous replonge dans une époque que nous n’avons parfois pas vécue. Chaque histoire est ici très touchante, toutefois, on ne tombe pas dans un pathétique mielleux. C’est jaugé avec la plus grande rigueur entre le sublime et l’ironique, le pragmatique et le somptueux.
Et ça, c’est la fameuse touche Michon. Un langage riche, recherché, fouillé, une syntaxe malmenée à l’ancienne qui peut faire peur au premier abord. Personnellement, j’ai échoué dans la lecture de ce livre deux fois. J’ai laissé passer du temps pour y revenir plus d’un an après, et j’étais prête, assez mature pour savourer ce livre que j’ai dévoré en deux jours. Mais attention, il faut quand même prendre son temps pour laisser couler les mots dans ses veines, s’en laisser imprégner, entendre leur musique. Car derrière l’apparente démonstration du savoir langagier de Michon, l’auteur nous emporte dans une douce poésie, un peu mélancolique, un peu souriante. Le rythme nous entraîne, ricoche de phrase en phrase, le tempo s’accélère ou au contraire devient lent, lancinant, se balance le long des signes de ponctuation.
Entrer dans cette œuvre pleinement, s’y abandonner, faire ce choix d’accepter cette langue et cette écriture, prendre cette décision d’appréhender sans peur ce style si beau : voilà comment il faut aborder Vies minuscules pour en retirer tout le miel, le nectar, le jus sucré et doux.
C’est un livre bouleversant qui évoque pourtant des sujets très communs. J’ai aimé les personnages, j’ai aimé l’écriture, j’ai aimé les vies, tout ici est beau, les thèmes où l’écriture – ou plutôt le manquement de l’écriture – est très présente, comme la poésie des mots. Il ne faut pas se laisser surprendre, se laisser effrayer par le côté peut-être un peu inaccessible de la langue : c’est un a priori. En réalité, cette langue qui a si longtemps échappé à Michon, il vous suffit de la saisir et alors la lecture ne sera qu’un pur bonheur.
Pierre Michon, Vies minuscules, aux éditions Folio (2895), 6€60.