Songe à la douceur, de Clémentine Beauvais

Premier coup de cœur pour ce mois de février, ça tombe bien, c’est le mois de la Saint-Valentin – et oui, je sais, cette chronique ne paraît qu’en mars. Vous voulez une histoire d’amour tout en douceur, une histoire d’amour qui change des romances fleur bleue mais qui reste romantique à souhait quand même ? Alors Songe à la douceur de Clémentine Beauvais est pour vous.

Tatiana et Eugène se sont connus quand ils étaient adolescents. Elle avait le béguin pour lui. Alors que sa sœur Olga et son ami Lensky s’aimaient d’un amour fou à côté d’eux, Eugène et Tatiana faisaient connaissance. Puis leurs liens ont été rompus. Dix ans plus tard, ils se retrouvent, au hasard des rues de Paris.

Ce roman est une vraie pépite, c’est la plus belle œuvre que j’ai lu depuis longtemps. Il y a une certaine paresse dans les sentiments que les personnages éprouvent. Et aussi une émulation : on retrouve notre adolescence avec eux. La richesse des sentiments décrits dans ce livre est purement incroyable. Clémentine Beauvais sait nous émouvoir, nous emporter et nous fasciner pour ce couple en devenir que l’on suit avec bonheur. Pourtant, ce n’est qu’une histoire d’amour, de retrouvailles… mais ce n’est pas que ça. L’auteure a voulu faire sa version d’Eugène Onéguine de Pouchkine, et elle a su retransmettre ce petit côté russe que j’aime tant, tout en l’insérant dans la vie parisienne. Paris, une histoire d’amour, avec des personnages qui sont nés dans les mêmes années que moi : j’ai adoré m’identifier à cette histoire, et j’imagine que c’est en partie pour cela que j’ai tant apprécier ce roman.

Bien sûr, je suis obligée de parler de ce style ! En vers libres, une pure merveille. Quel style, quelle richesse de la langue, honnêtement, je suis vraiment époustouflée ! Il n’y a pas de mots assez forts pour exprimer la fascination qu’a eu sur moi ce livre. Ça se lit très facilement, sincèrement on se laisse emporter très vite – j’avais des appréhensions au début, des préjugés, ils sont tous tombés en deux pages.

C’est un roman exceptionnel, il réserve de nombreuses surprises. Je m’en souviendrais longtemps.

Clémentine Beauvais, Songe à la douceur, aux éditions Points, 7€40.

Le Cercle des poètes disparus, de N. H. Kleinbaum

Le Cercle des poètes disparus. J’ai vu ce film sur le tard, et il m’avait bouleversée. Depuis longtemps, j’avais eu l’envie de lire le roman de N. H. Kleinbaum à l’origine de cette histoire, c’est désormais chose faite.

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A Welton, un collège haut de gamme pour garçon dans les années 1960, il va de soi de travailler dur, d’être discipliné et de faire honneur à l’école. Mais quand on est un adolescent de 16 ou 17 ans, d’autres choses rentrent un jeu : tomber amoureux, vouloir s’émanciper, faire avec l’autorité d’un père, vouloir vivre ses passions, se faire des amis, vaincre sa timidité et sa gêne… C’est alors qu’un nouveau professeur de littérature, Keating, vient illuminer le quotidien de cette bande d’amis. L’occasion pour eux de découvrir le vrai sens des mots, la liberté, le pouvoir et le beauté qui résident dans la poésie. L’occasion aussi de faire revivre le Cercle des poètes disparus dont Keating lui-même avait fait partie quand il avait leur âge.

La grotte était devenue leur foyer, lieu magique à l’abri des regards, soustrait à toute forme d’autorité ; un endroit où ils pouvaient être tout ce qu’ils rêvaient d’être, et laisser libre cours à leur imagination ; lieu de tous les possibles, bulle d’indépendance dans un monde régimenté, soupape aux pressions qu’exerçait sur eux l’univers clos de Welton. Le Cercle des Poètes Disparus venait de renaître de ses cendres et il voulait dévorer la vie à pleines dents.

J’ai tout d’abord eu la très agréable surprise de découvrir que le film a vraiment respecté le livre. J’ai donc eu les visions des acteurs incarnant les personnages au fil de ma lecture, mais cette histoire est si belle, si forte que ça ne m’a pas du tout dérangée. Cette lecture passe très vite et, passé le premier flottement où on se mélange un peu les pinceaux avec tous les personnages, on ne peut plus se défaire de cette histoire. On sait qu’un drame flotte au-dessus de la tête des garçons, et on se prend en affection pour leur vivacité, leurs doutes, leur jeunesse. Il est vrai que l’auteur aurait pu supprimer un ou deux personnages inutiles et mieux explorer leurs liens entre eux – qui ne peuvent pas être tous gentils et fraternels tout le temps, on est d’accord. Mais très vite, on s’attache fort à ces personnages passionnés et au monde de la poésie qu’ils découvrent ensemble, comme une révélation. Dans ce roman, figurent les plus pages que j’ai pu lire au sujet de la littérature : autant dire que l’auteur a une sacrée plume !

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Les dialogues rendent tout cela très vivant, l’auteur ne s’embarrasse pas du superflus et on ne retient que l’essentiel, bondissant d’un personnage à l’autre. Une vraie pépite ce livre et je ne peux que vous le recommander !

N. H. Kleinbaum, Le Cercle des poètes disparus, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Olivia De Broca, aux éditions Le Livre de Poche, 5€30.

Paroles du Japon

Quand j’ai une panne de lecture, le seul moyen que j’ai pour ne pas rompre tout contact avec les livres, c’est de lire du court, principalement de la poésie. Je dirai même très court parfois. Et un de mes derniers remèdes utilisés est bougrement efficace : le haïku. Exotique, tranchant, drôle, concis, simple, naturel, beau.

C’est donc avec une certaine évidence que j’ai emprunté à la médiathèque Paroles du Japon (des haïkus présentés par Jean-Hugues Malineau) quand je l’ai croisé au détour d’une allée. Je suis tombée sous le charme de ce minuscule ouvrage qui se dévore en quelques minutes ou se savoure sur plusieurs journées, c’est selon votre bon plaisir.

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On retrouve bien sûr les célèbres haïkus de Basho mais vous découvrirez également ceux d’Issa, de Ryôkan et d’autres nombreux auteurs japonais des siècles passés. Ils sont rassemblés selon des thématiques semblables (un oiseau, la rosée…). Tous ont un lien plus ou moins ténu avec la nature, et on ressent à leur lecture une douce zénitude s’installer. Le rythme, les sons, les mots ? On ne sait lesquels des trois nous bercent le plus. Les traductions sont très bien réalisées, mais ma curiosité aurait beaucoup apprécié pouvoir en voir au moins certains dans leur langue originale.

Toutefois, ce petit recueil a un autre avantage de poids : les illustrations. Toujours à propos et magnifiques, elles prennent une large place dans cet ouvrage sans voler la scène aux haïkus. Pour notre plus grand bonheur, les deux se complètent et s’unissent à merveille. Les estampes de Hokusai et Hiroshige sont connues dans le monde entier, et sont utilisées à très bon escient dans ce livre.

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Cet ouvrage m’a vraiment fait du bien et a apporté une touche de douceur et d’originalité dans mes lectures. On oublie souvent que les écrits les plus simples et les plus courts sont aussi ceux qui peuvent nous toucher le plus. Je ne peux que vous inviter à découvrir ce recueil que, j’espère, vous apprécierez autant que moi.

Paroles du Japon, haïkus présentés par Jean-Hugues Malineau, Carnets de sagesse, aux éditions Albin Michel, 10€.

Titus n’aimait pas Bérénice, de Nathalie Azoulai

titus-n-aimait-pas-bereniceLe théâtre tragique du XVIIe, je dois dire que ce n’est pas mon fort. Je suis plutôt du genre Molière et Aristophane. Je ne dis pourtant jamais non à quelques vers bien tournés. C’est un peu par hasard que je me suis tournée vers Titus n’aimait pas Bérénice. Quand je me suis lancée dans cette lecture, j’ignorais complètement de quoi cela allait parler. C’est en tournant les pages que j’ai découvert cette héroïne, meurtrie par une blessure profonde due à l’amour. Pour panser ses plaies, elle s’est lancée corps et âmes dans la lecture des pièces de Racine.

Une occasion pour l’auteure Nathalie Azoulai de revenir sur la vie de ce grand homme. On retrace ici son parcours, de son enfance à sa mort. On découvre un homme passionné, ou plutôt obsédé par la pureté de la langue, des mots, qui devaient transcrire dans des sons clairs des émotions plus qu’un sens. Son entrée dans le monde, ses liens avec sa tante, ses rencontres avec d’autres écrivains (Molière, La Fontaine), sa rivalité avec Corneille, son amour profond pour le roi. Et cette passion pour les mots, et pour celles qui les disaient bien.

Je ne vais pas longtemps m’arrêter à l’intrigue, à l’histoire : elle est très intéressante, même si je m’y suis un peu perdue (à cause de mon inattention je pense). Ce qui prime ici, c’est avant tout la plume de l’auteure : Nathalie Azoulai a un style vraiment à elle, très poétique, nébuleux, aérien. On s’éloigne un peu du réel, pour entrer dans un biographie romancée qui ressemble à un cocon. On parle latin, inspiration, sentiments et noms grecs. On parle rencontre, parole, alexandrin et rêve. Et surtout, on parle d’amour.

musee-jean-racine-portrait-la-ferte-milon-aisne-picardieLes images, les comparaisons, les métaphores, les références, les dialogues rapportés : voilà de quoi est composé cet ouvrage. A cela, il faut rajouter les bons mots, les vers blancs et toutes ces phrases qui sont si douces aux oreilles.
Je suis plutôt du genre à aimer les romans efficaces et très réalistes. C’est pour ça que je n’ai pas vraiment accroché à cette lecture. Mais cela ne m’a pas empêchée de voir que derrière ces pages, il y avait beaucoup de talent, une plume riche et lumineuse. Personnellement, je me serais satisfaite de la simple histoire de Racine (écrivain que j’ai hâte de mieux connaître), mais l’écho produit par l’intrigue autour de la première héroïne est très intéressant et révélateur.

C’est un roman que j’ai eu un peu de mal à saisir, je pense toutefois qu’il vaut vraiment le détour, ne serait-ce que pour cette langue si belle. J’ai emprunté Bérénice de Racine, et c’est la première pièce que je lirais de ce grand auteur, et ça, grâce à Nathalie Azoulai.

Nathalie Azoulai, Titus n’aimait pas Bérénice, P.O.L., 17€90.

Rainbow pour Rimbaud, de Jean Teulé

Jean Teulé, je le lis depuis assez longtemps. Régulièrement, ses livres apparaissent dans ma PAL. Pourtant je ne suis pas encore décidée si oui ou non, j’aimais cet écrivain. Car d’un livre à l’autre, soit c’est l’éblouissement, soit c’est la déception. Et le roman dont je vais vous parler ne m’aide pas vraiment à trancher.

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Pour me laisser souffler dans l’immense lecture des Misérables de Victor Hugo, je me suis jetée goulûment sur un petit livre plus tout jeune de Jean Teulé : Rainbow pour Rimbaud. L’histoire est celle de Robert, un géant de plus de deux mètres qui connaît par cœur toute l’œuvre du poète, parle le plus souvent en utilisant ses vers, dort dans une armoire et vit chez ses parents à trente ans passés. Il décide un jour de partir, sans trop savoir ni où ni comment. Et par le hasard du téléphone et la fée des bonnes rencontres, il est vite rejoint dans son périple par une drôle de jeune femme responsable de la mort des arbres de Paris, Isabelle, une amoureuse de l’aubépine. Ils vont aller en Égypte, en Afrique, ils vont s’aimer, se laisser vivre, au creux d’un baobab ou dans une chambre dissimulée.

Vous ne comprenez pas tout ? Ce n’est pas grave, moi non plus. Disons qu’il faut plus prendre cela pour une fable poétique qu’un vrai voyage d’apprentissage. Les personnages apprendront tout simplement au cours de ce périple à mieux se connaître (eux-mêmes et entre eux), à vivre plus pleinement sans rejeter ce qu’on pourrait appeler leurs excentricités.

Il faut avouer que ce texte parsemé justement de mots de Rimbaud est très étrange. Jean Teulé fait tout pour quitter le sol et ne pas être terre-à-terre. Ses personnages sont bien éloignés des hommes et des femmes qu’on connaît, ce sont tous deux des phénomènes. Bon, il n’y a pas de mal à faire des personnages de ce genre, mais je vous avoue sincèrement que je n’ai pas adhéré du tout. On ne peut bien sûr pas du tout s’identifier à eux, et je ne suis pas parvenue à les comprendre. Au-delà de l’aspect poésie/liberté/évasion, je n’ai pas du tout saisi l’intérêt de cette aventure que j’ai trouvé plus qu’improbable, complètement irréaliste. Je comprends bien qu’on dépasse le réel, mais un peu plus de logique, un peu plus d’explication aussi sur les gestes et les actes des personnages auraient été le bienvenu. Il s’agit d’un roman qui tourne exclusivement autour des personnages mais pratiquement jamais on n’évoque leur passé par exemple.

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Je suis passée à côté de quelque chose, c’est certain. Toutefois j’admets volontiers qu’il y a de très belles pages dans ce roman. Comme à son habitude, Jean Teulé a une écriture limpide et fluide qui conviendra à tous les lecteurs. De plus, ce livre est très court, la lecture est rapide. Je vous la conseille donc quand même, en la prenant comme une curiosité. Mais je vais aussi lire les romans les plus récents de l’auteur pour essayer de me faire une opinion plus tranchée.

Jean Teulé, Rainbow pour Rimbaud, aux éditions Pocket, 5€80.

Les Clameurs de la Ronde, d’Arthur Yasmine

les-clameurs-de-la-ronde-une-web-2Il y a bien un genre dont je parle peu sur ce blog : la poésie. Et pourtant, qu’est-ce que j’en lis ! Surtout des classiques, surtout mes chouchous (et en premier lieu Verlaine), mais il m’arrive aussi de lire quelques contemporains, notamment Edith Azam. Alors, pourquoi j’en parle si peu ici ? Eh bien, tout simplement parce que je trouve qu’il n’est pas simple d’écrire toute une chronique sur une œuvre de poésie : le ressenti à ce genre de lecture est vraiment très subjectif et il n’est pas facile de le retransmettre à un public. Déjà que je trouve qu’on lit trop souvent « le style/ l’écriture est poétique » dans mes chroniques habituelles, alors qu’est-ce que je vais bien pouvoir dire d’un livre de poésie ? Bon, toutefois j’aime les défis, et j’ai très envie de partager avec vous ma dernière lecture, Les Clameurs de la Ronde que son auteur, Arthur Yasmine m’a très gentiment fait parvenir.

Ce livre est le résultat de sept ans d’écriture et c’est la première œuvre éditée d’Arthur Yasmine. Alors, qu’est-ce qu’on y trouve ? Tout d’abord, un mélange de forme codifiée de la poésie (sonnet, rhapsodie) le plus souvent sous forme de fragments, mais aussi un échange épistolaire ainsi que des choses pas totalement identifiées. De ce point de vue là, il y en aura tous les goûts. Mais ce qui marque le plus et dès les premières lignes, c’est le ton et le style très incisif de l’auteur. Il n’est pas le poète éthéré qui se balade dans les hautes sphères après avoir fumé trop d’opium, et c’est agréable de retrouver un poète qui va au fond des sentiments, des douleurs, qui les vit viscéralement et nous les retransmet de façon si directe. Il faut dire que tous ces poèmes sont destinés à des personnages en particulier, la parole n’est pas adressée directement au lecteur donc il n’y a pas de censure, on est les spectateurs directs d’une relation souvent passionnelle ou explosive.

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Bon, disons-le tout de suite, à part quelques lignes moins marquées par le côté terriblement humain des sentiments, le livre ne respire pas le joie de vivre. C’est, je trouve, une tendance assez marquée du XXIe siècle de faire des poèmes « qui vont mal », qui sont torturés par la violence des émotions, du monde qui entoure le poète, ce dernier ayant d’ailleurs un statut à part car il n’est plus porté aux nues comme il a pu l’être jadis, mais est plutôt pointé du doigt ou ignoré dans le meilleur des cas. Poète est un métier précaire (vocation précaire?) et j’ai l’impression que celui qui écrit de la poésie a tendance à plus souffrir que les autres, ou à ressentir plus profondément la souffrance. Toutefois cela donne de magnifiques pages.

Il y a tout d’abord l’amour et le rapport charnel sublimement décrit et écrit dans ce livre, suivis des affres des relations amoureuses : l’incompréhension, cette propension à se faire du mal en s’aimant follement en même temps. On ne s’ennuie pas à cette lecture et je dirais même qu’on s’y implique, relisant patiemment les mots (maux) pour s’en laisser pénétrer avant de tourner la page. Je lis peu de poésie (puisque je relie toujours les mêmes poèmes en réalité…), et je redoute toujours la poésie incompréhensible, la poésie trop élevée, la poésie qui rejette son lecteur. Arthur Yasmine évite à tout prix cet écueil, puisque chaque mot, chaque ligne est accessible à tous, il suffit juste de prendre son temps pour savourer le poème. Mais on se laisse vite emporter par ces magnifiques strophes célébrant les muses ou les courbes de la femme aimée, on vibre au même rythme que le narrateur lors de l’échange épistolaire, et globalement Les Clameurs de la Ronde est vraiment un ouvrage réussi.

stevens_linda_journalistOn peut toutefois regretter la police minuscule – munissez-vous d’une loupe – et quelques manques de modestie qui venant d’un auteur « né à Paris au début des années 90 » (très jeune donc) peuvent désarçonner et mettre mal à l’aise. Je ne sais pas s’il faut en rire ou s’en réjouir, mais vous pourrez également lire une lettre de l’auteur à différentes maisons d’édition où il propose son livre en même temps qu’il les gratine de quelques insultes et remarques bien écrites sur leur façon de gérer la poésie. Bon… pourquoi pas, mais ça casse un peu le rythme du livre. Ce retour à la réalité brutale et la lecture en soi de la lettre, je m’en serai sûrement passé, et ça m’a un peu gâché la fin du livre, mais heureusement de beaux vers sont venus conclure cette œuvre pour finir sur une note plus agréable.

En résumé : un très bon livre pour un auteur en début de carrière, et je pense qu’il faudra garder à l’œil Arthur Yasmine car il est bien parti pour progresser et devenir un très bon poète – selon mon avis très personnel et subjectif bien sûr. Je vous invite à tenter cette lecture. Elle est rapide et change agréablement de ce que l’on a l’habitude de lire en poésie.

Toi aussi tu me manques. Je voudrais faire revenir ton visage pour boire la mémoire qui s’écoule de ta bouche. Je voudrais l’avaler comme un miel glacé. Tu me reverras. C’est certain. Je ne pense plus qu’à toi maintenant. Mais ne sacrifie rien de toi. Ne te sépare de rien. Je te veux entièrement.

Arthur Yasmine, Les Clameurs de la Ronde, Carnet d’Art éditions, 9€.

Un balcon sur l’Algérois, de Nimrod

Ouh, que j’ai honte ! Je ne poste que très rarement depuis plusieurs, je suis vraiment désolée. Mais je ne pense pas qu’il y aura une très nette amélioration jusqu’au NaNoWriMo car les recherches et lectures préparatoires pour ce dernier me prennent beaucoup de temps. Ceci dit, j’ai enfin fini de lire Un balcon sur l’Algérois de Nimrod.

Il faut savoir que Nimrod est un poète avant tout. Quand je l’ai rencontré, il animait justement un atelier d’écriture de poésie. Mais le livre dont je vais vous parler ici est pourtant un roman. Dans ses pages, on peut suivre le narrateur, un étudiant tchadien, qui est à Paris pour poursuivre ses études. Nous sommes dans les années soixante-dix, la ville est belle, aventureuse et invite à l’amour. C’est ainsi qu’il s’amourache de Jeanne-Sophie, sa directrice de mémoire, une femme à qui on ne peut pas dire non, une femme franche, entière, passionnée à qui on doit tout céder. Mais l’amour peut prendre feu, et c’est la cas dans cette relation. De peur d’être entièrement embrasé, il doit s’écarter d’elle.

J’ai mis beaucoup de temps à lire ce petit livre car, au-delà de mes occupations diverses et variées et même s’il se lit facilement (langage clair, phrases compréhensibles), j’estime qu’il faut prendre son temps pour le savourer. C’est un roman très très poétique qui explore le thème de l’amour, de l’attachement, des relations humaines, du corps et du lien au savoir et à la culture d’une façon très personnelle et « visuelle ». Le style est très imagé, beau, élégant mais pourtant très accessible et léger. C’est une vraie balade émotionnelle qui se raccroche à des éléments concrets, à des rencontres, à des faits quotidiens, et je trouve que cet équilibre est parfait.

Toutefois, je n’ai pas du tout eu le coup de foudre pour ce roman. Déjà, parce qu’il m’a surprise, je ne m’attendais pas à ça, et j’ai eu du mal à rentrer dans l’histoire. Le contexte ne me parle franchement pas et je ne me suis pas attachée une seule seconde aux personnages. J’ai eu l’impression que ce roman n’était pas écrit pour des lecteurs en fait. De plus, j’ai été un peu perdue dans la narration. Peut-être que je n’étais pas assez attentive ? Allez savoir.

Je ressors de cette lecture avec un sentiment mitigé. Oui, la langue est belle, mais je me suis sentie assez exclue de ce roman. Mais je pense que ce ressenti est vraiment subjectif, personnel. Je vous invite donc à vous faire votre propre opinion. Ce qui est certain, c’est que j’ai croisé ici une plume à part, très reconnaissable, que je relirai plus tard à l’occasion.

Nimrod, Un balcon sur l’Algérois, Actes Sud, 18€.

Vies minuscules, de Pierre Michon

Les Vies minuscules, petites parenthèse dans l’existence des humbles, ces gens sans or et renommée, ont fait connaître Pierre Michon dans la sphère littéraire française. Une biographie générationnelle où les souvenirs et les doutes se mêlent à l’écriture et à un style hors norme. Ce ne sont pas des nouvelles, ni des récits, mais des vies : un homme, une fille, un couple, des frères… Des bouts de familles, une fresque généalogique qui se crée sous nos yeux.

 

Ici, il y a cet homme malade qui, jusque sur son lit de mort, est surpris par son illettrisme. Là, un homme saoul qui meurt tel le Dormeur du Val de Rimbaud. On croise une petite morte, cette petite grande sœur inconnue, mais avant, on a partagé la route d’un illustre inconnu parti en Afrique. La famille Michon est grande, les amis nombreux, les chemins croisés encore plus. Chaque destin, réel ou inventé, est unique et intéressant. Car ces personnes ont pris des décisions qu’on n’aurait pas choisies, pas osées, elles nous font voir un côté de la vie, de leur vie, qui ne sera jamais le nôtre, qui nous replonge dans une époque que nous n’avons parfois pas vécue. Chaque histoire est ici très touchante, toutefois, on ne tombe pas dans un pathétique mielleux. C’est jaugé avec la plus grande rigueur entre le sublime et l’ironique, le pragmatique et le somptueux.

Et ça, c’est la fameuse touche Michon. Un langage riche, recherché, fouillé, une syntaxe malmenée à l’ancienne qui peut faire peur au premier abord. Personnellement, j’ai échoué dans la lecture de ce livre deux fois. J’ai laissé passer du temps pour y revenir plus d’un an après, et j’étais prête, assez mature pour savourer ce livre que j’ai dévoré en deux jours. Mais attention, il faut quand même prendre son temps pour laisser couler les mots dans ses veines, s’en laisser imprégner, entendre leur musique. Car derrière l’apparente démonstration du savoir langagier de Michon, l’auteur nous emporte dans une douce poésie, un peu mélancolique, un peu souriante. Le rythme nous entraîne, ricoche de phrase en phrase, le tempo s’accélère ou au contraire devient lent, lancinant, se balance le long des signes de ponctuation.

Entrer dans cette œuvre pleinement, s’y abandonner, faire ce choix d’accepter cette langue et cette écriture, prendre cette décision d’appréhender sans peur ce style si beau : voilà comment il faut aborder Vies minuscules pour en retirer tout le miel, le nectar, le jus sucré et doux.

C’est un livre bouleversant qui évoque pourtant des sujets très communs. J’ai aimé les personnages, j’ai aimé l’écriture, j’ai aimé les vies, tout ici est beau, les thèmes où l’écriture – ou plutôt le manquement de l’écriture – est très présente, comme la poésie des mots. Il ne faut pas se laisser surprendre, se laisser effrayer par le côté peut-être un peu inaccessible de la langue : c’est un a priori. En réalité, cette langue qui a si longtemps échappé à Michon, il vous suffit de la saisir et alors la lecture ne sera qu’un pur bonheur.

Pierre Michon, Vies minuscules, aux éditions Folio (2895), 6€60.

Les femmes du braconnier, de Claude Pujade-Renaud

Le 28 novembre, mon master organise une rencontre avec Claude Pujade-Renaud (14h à la librairie Études de l’université Toulouse-II Le Mirail si ça vous intéresse). C’est une auteur que j’avais déjà lu avec La nuit la neige, roman que j’avais beaucoup apprécié. Aujourd’hui, je vous fait découvrir un autre livre de cette auteur, Les Femmes du braconnier. Pourquoi celui là ? Eh bien surtout à cause d’un de ces personnages principaux : Sylvia Plath, une poète que je voulais connaître un peu, et ça depuis une éternité.

Toutefois, ce roman n’est pas celui d’une femme auteure un peu trop dépressive et émotive, mais de celui qui fut son mari Ted Hughes. Ces deux-là se rencontrent en 1956 à Cambridge, une première rencontre sous le signe de la morsure d’où va naître une histoire sauvage, passionnée. Ted est lui aussi un poète, avec pour thème de prédilection l’animalité, l’instinct, un bestiaire qui a quelque chose de malsain, qui a une odeur de mort. C’est le braconnier.

Ensemble, ils formeront un foyer, ils s’émuleront pour s’inspirer mutuellement et écrire, créer à deux. Ils auront un enfant, achèteront une maison, mais tout ça ne va pas durer. Sylvia replonge peu à peu dans une mélancolie trop sombre alors que Ted s’est découvert d’autres passions, dans la personne d’Assia Wevill. L’amour vous joue des tours, ces trois personnages, tous les trois auteurs, vont l’expérimenter. Les sentiments se font et défont malgré leur puissance, leur séduction. Des relations qui semblent si vivantes peuvent conduire à la mort.

Il faut le dire : ce n’est pas un roman très joyeux. Le destin de Sylvia, Ted et Assia, n’a pas été idéal, c’est un fait. Est-ce que c’est cet homme, ce chasseur, ce braconnier qui en a trop voulu et a changé à jamais le cours de la vie de ces deux femmes ? Est-ce le lot des poètes de ne pas finir bien ? Ou est-ce ce climat d’une moitié de siècle peu épanouissante ? Le hasard peut-être ? Personne ne le sait. Mais on peut essayer de le percevoir.

C’est ce à quoi s’essaie Claude Pujade-Renaud. En donnant la parole à tour de rôle à ses différents personnages, les trois principaux comme d’autres plus extérieurs, elle tente de recréer cet univers, ce contexte, de retranscrire les sentiments sûrement contradictoires qui les ont envahi. Une écriture somptueuse, avec des ardeurs et des prouesses narratives surprenantes et captivantes qui ne font que nous plonger un peu plus dans la vie du braconnier, cet homme obscur et séduisant, homme de la nature, force de la terre, qui écrit avec ses tripes.

L’atout de ce roman est de ne pas vouloir se satisfaire des apparences. De nombreux paramètres rentrent en jeu pour expliquer les tourments d’une vie : les difficultés familiales, les affres de la création et de la poésie, la publication, un passé mouvementé. Mais Ted Hughes a été un être déterminant dans l’existence de ces deux femmes aux âmes profondes et complexes.

Il est difficile de décrire l’atmosphère mise en place dans ces pages. C’est impalpable et pourtant bien présent, cela donne un goût d’espoir bafoué car trop ambitieux, de forêt mouillée, d’adultère. Un mélange imperceptible car savamment bien dosé qui nous plonge dans des vies bouleversées avec brio et refuse de nous en laisser sortir jusqu’à la dernière page, happé par l’appel du braconnier.

Claude Pujade-Renaud, Les femmes du braconnier, aux éditions Babel (1091), 8€50.

Poète et paysan, de Jean-Louis Fournier

« Quand on est amoureux, on devient un peu fou, et comme je l’étais déjà un peu avant, j’étais capable de tout. »


Que diriez-vous d’une petite ballade à la campagne ? On arrête pas d’entendre en ce moment que « L’Amour est dans le pré ». Est-ce vrai ? C’est un peu la question que se pose notre narrateur. Dans Poète et paysan, l’auteur, Jean-Louis Fournier évoque le retour à la terre.
En effet, son héros, bel étudiant parisien, s’est épris d’une jeune fille. Pour faire partie intégrante de sa vie, il va même jusqu’à rejoindre son beau-père dans la ferme familiale, perdue au milieu du Pas-de-Calais. Très vite, le désespoir le guette : il pue, il s’ennuie, il est fatigué et il n’est même pas bon fermier. Son seul ami est une génisse et son seul réconfort est d’écrire dans ses moments de doutes. Car il a toujours voulu être artiste, dans le monde du cinéma ou de la poésie. C’est ce qu’il est, au plus profond de lui. Notre narrateur est un doux rêveur. En partant à la campagne, il s’imaginait comme dans ces peintures pittoresques, labourant les champs avec son fidèle cheval de trait, fier er heureux d’être au grand air. Au lieu de ça, il est enfermé dans un tracteur fumant ou dans une étable dégoulinante de purin. Et ça ne fait plus vraiment carte postale. Alors il note, ce qu’il fait, ce qu’il pense, ce qu’il voit ; son imagination déverse des mots sur les betteraves ou les canards. On hésite, c’est si beau mais teintée d’une forme de tristesse…
« J’en ai marre. Qu’est-ce que je fais sous ce ciel gonflé d’eau, qui me pèse de plus en plus et s’égoutte dans mon cou comme une serpillière ? Moi qui rêvais d’être Fellini, moi qui regardais le monde à travers un viseur de caméra, moi qui passais mon temps à la Cinémathèque devant les films russes, moi qui dissertais sur la négativité de la mise en scène chez Fritz Lang. Pourquoi je suis là ? Aujourd’hui, le metteur en scène a une fourche dans les mains, il essaie de ramasser des betteraves. Je ne suis pas là provisoirement, en vacances chez un parent cultivateur. C’est pire, je suis là pour longtemps. Peut-être pour toujours. »
Passée la douce illusion des débuts, le héros pense amèrement à ce choix qu’il a fait, par amour. Par amour, il a oublié sa vie de jeune parisien, il a enfilé des bottes et s’est roulé dans la boue, dans l’optimiste volonté de reprendre la ferme. Et pour quoi ? Sa fiancée, elle, continue ses études à la capitale, ne le voit que quelques weekend. Ce livre traite de toutes les bêtises, les choses insensées ou contradictoires que nous sommes capables de faire par amour. Un amour peu présent dans ce roman pourtant. Non, la chose omniprésente est la terre, ce qu’elle nous offre mais surtout ce qu’elle nous demande en retour : du travail, de la fatigue, de la patience, de la volonté. Et le narrateur ne saisit même pas les bénéfices de tout ça : la betterave est moche et ce n’est pas lui qui en mangera, la boue lui arrache ses chaussures à chaque pas, jamais un rayon de soleil dans ce pays du Nord, aucun beau paysage qui vaut le coup du déplacement… On comprend son désarroi pour quelqu’un qui vient de la ville, là où tout brille, toute est propre, bon et beau.
Heureusement, Fournier ne se perd pas dans cette dichotomie campagne/ville car toutes les deux ont leurs avantages, leurs inconvénients. Non, son héros n’est juste « pas fait pour ça », et même avec tout l’amour du monde, on ne peut pas changer ce point, ce qu’on est, ce qu’on vit. Il faut se rendre à l’évidence et accepter.
De façon plus terre à terre (ahah), le livre est divisé en de multiples courtes parties, chacune étant une pensée du narrateur. Elles se suivent chronologiquement et l’histoire amoureuse y apparaît en filigrane. L’écriture de Fournier (auteur splendide que je vous recommande chaudement) est sensible et très poétique. Et ça tombe plutôt bien vu le titre du bouquin ! Il n’y a aucune précipation ni lenteur dans le style, le rythme est parfait, les descriptions sont intéressantes, les comparaisons sont belles. C’est un ouvrage court mais ressourçant malgré sa fin. Tendresse et rusticité y sont mêlées avec brio ; croyez-moi, après lecture, vous voudrez faire une sieste dans la paille.