Avenue des Géants, de Marc Dugain

Je dois connaître en ce moment mon taux de publication le plus bas sur le blog depuis des mois. Il faut dire que je ne sais plus où donner de la tête entre mon travail habituel, les cours de français que je donne, mon rôle d’associé dans une entreprise en train de se créer, les MOOCs que je suis, les fiches de lectures à faire pour le Prix des Cinq Continents et le Prix du Jeune Écrivain… Ce n’est pas que je ne trouve plus de temps pour le blog, mais c’est surtout que je n’ai plus un instant pour lire. Ce qui est très frustrant. Le rythme va donc rester tout doux pendant quelques semaines. Je pense écrire d’autres types d’articles que je repousse depuis longtemps et qui ne sont pas des avis lectures pour que vous puissiez vous mettre quelque chose sous la dent en attendant.

Mais aujourd’hui, ô miracle, j’ai fini de lire un roman ! Que je traîne avec moi depuis des lustres… Il s’agit d’un livre de Marc Dugain que j’avais mis dans ma whishlist après l’avoir croisé sur un blog : Avenue des Géants.

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Inspiré de faits réels, on y retrouve le personnage d’Al Kenner, emprisonné de longue date. Il n’a pas l’air si méchant que ça même si on sent une menace silencieuse dans le personnage. Pour mieux le comprendre, on va revenir sur son passé. Une histoire qui commence le jour de l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy, alors que notre héros de plus de 2 mètres et au QI supérieur à celui d’Einstein, décide de tuer ses grands-parents. Toute sa vie, il combattra ces « mauvaises pensées » pour essayer de mener une vie normale. Placé en hôpital psychiatrique, Al apprend vite et il est très observateur, ce qui lui permet d’être relâché. Il essaie de mener sa vie, entre une mère qui a gâché son existence et une Amérique en plein mouvement hippie. Al aime rouler pendant des heures dans les grands espaces, boit trop et prend des auto-stoppeuses en furetant à l’université. Mais on sait déjà qu’il va retourner en prison ; la question c’est de savoir pourquoi.

J’ai eu un peu de mal au début avec la temporalité de ce livre, je ne comprenais pas bien les allers-retours entre le passé et le présent. Mais au fil des pages, les différents éléments se mettent en place et on comprend alors que l’auteur nous propose de suivre le cheminement de cet homme si atypique. Marc Dugain réussit le pari de rendre ce personnage à la fois attachant et effrayant. On ne se sent jamais à l’aise avec Al Kenner qui est un paradoxe à lui seul : observateur et fin psychologue, il semble très bien se connaître, toutefois il a régulièrement besoin de s’évader sur sa moto ou dans l’alcool pour ne pas se retrouver face à lui-même et à ses pulsions. C’est ce mélange de maîtrise et de perte de contrôle qui le rend si dangereux.

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Globalement, j’ai aimé cette lecture et je voulais suivre les aventures d’Al Kenner jusqu’au bout. Mais certains éléments du livre m’ont moins plu. Je trouve par exemple que les personnages secondaires ne sont pas assez travaillés et manquent de profondeur alors que certains sont récurrents. De plus, il y a certaines longueurs dans ce roman qui est d’intensité inégale. Enfin, de façon très personnelle, ça m’ennuie de lire des choses sur le milieu hippie, ce n’est vraiment pas un sujet qui m’intéresse. Toutefois, ces défauts sont contrebalancés par d’autres éléments : j’ai adoré la relation du héros avec la police (vous comprendrez mieux en lisant!) et j’ai trouvé très intriguant cette vision un peu psychanalytique qu’a le personnage sur lui-même, c’est vraiment original (et flippant, avouons-le!).

Je suis remonté dans mon Ford sans ajouter un mot. J’en avais déjà bien assez dit. J’étais dans un état de nerfs qui aurait pu m’emporter. J’ai démarré doucement. Je sentais quelque chose de puissant monter en moi. Je n’avais pas atteint la rampe qui descend vers la ville que j’ai vu une jeune fille qui levait le pouce, mal assurée, prête à le descendre au moindre doute. Elle portait une jupe courte et semblait le regretter. J’ai gardé ma montre et je me suis arrêté à sa hauteur. J’ai ouvert la porte côté passager et je lui ai dit :

– J’espère que vous n’allez pas loin, je n’ai pas beaucoup de temps, je dois être à l’hôtel de police dans un quart d’heure.

Ces derniers mots l’ont rassurée.

C’est un roman qui se lit assez bien, mais ce n’est pas du tout un page-turner. On sait déjà comment ça va finir, puisque Al est en prison dès le début. Ce qui est vraiment intéressant ici, c’est de suivre le voyage initiatique d’un tueur qui essaie de ne pas l’être.

Bref, ce n’est pas un coup de coeur, mais une agréable lecture tout de même.

Marc Dugain, Avenue des Géants, aux éditions folio, 8€20.

L’Insigne du boîteux, de Thierry Berlanda

Au détour de Twitter, un auteur m’a contactée pour me parler de son dernier roman que j’ai accepté de lire immédiatement, la quatrième de couverture m’ayant alléchée. Il s’agit du roman policier L’insigne du boîteux de Thierry Berlanda, aux éditions (avant tout numériques) La Bourdonnaye. Je déteste lire sur écran, donc j’ai pu lire sur papier ; la facture du livre est très bien réalisé et permet un très bon confort de lecture.

Mais revenons à nos moutons. De quoi parle ce roman ? Et bien, d’une série de meurtres, aussi atroces que bizarres. L’assassin se fait appeler le Prince et sa spécialité, c’est tuer des mères de famille sous le regard de leur fils de sept ans, et en ne laissant aucun témoin vivant. Ambiance. Je vous passe les détails mais autant vous dire que les actes de ce personnage met tout le monde d’accord : il faut arrêter ce fou furieux, d’autant plus qu’il récidive.

Le commandant Falier piétine un peu dans cette affaire, quand bien même tous les services de police sont sur le coup. Malgré l’aide du professeur Bareuil, spécialiste en crimes rituels, aucune piste sérieuse n’est trouvée. Mais quand l’assassin laisse sur les lieux de son œuvre d’horreur un indice de taille, tout est remis en jeu. Bareuil fait venir à son ancienne et plus brillante élève pour qu’elle leur vienne en aide. Mais Jeanne Lumet, au-delà de son déplaisir de retrouver son ancien professeur, a de quoi s’inquiéter. Elle est la maman d’un petit garçon de sept ans et se retrouve au cœur d’une affaire meurtrière.

J’ai été vraiment étonnée par ce roman. Je ne suis pas du genre à lire du policier, et sa couverture lumineuse pourrait laisser sous-entendre que c’est assez ésotérique façon Dan Brown, mais en réalité, c’est un livre très noir, avec un personnage central – l’assassin – très torturé. Jeanne Lumet est une femme intelligente et j’aurais apprécié que son personnage soit plus développé. En règle générale, un peu plus de finesse dans les personnages, un peu plus de profondeur psychologique aurait été agréable, mais je chipote un peu ! Vu tout ce qu’il y a à dire rien que pour l’intrigue, des héros bien campés semblent nécessaires.

L’histoire est très bien menée et laisse de la place au suspens, les dialogues sont très agréables et de façon plus globale l’écriture est très fluide. Niveau histoire, j’aurais personnellement beaucoup aimé être un peu plus en présence du Prince, ou traîner dans les bureaux de la police pour mieux en saisir l’ambiance, mais ce roman est déjà en soi une très bonne descente aux enfers dans la folie meurtrière d’un homme.

C’est un très bon roman, même s’il est vrai que ce n’est pas du même acabit que les pontes du genre – je pense forcément à Grangé chez les auteurs français. Un livre un peu plus étoffé, fouillé, qui laisse gamberger le lecteur qui n’en peut plus et veut savoir à tout prix le dénouement de l’histoire est l’oeuvre d’un grand auteur. Mais je ne doute pas une seule seconde que Thierrry Berlanda parviendra à cette excellence car il est sur la bonne voie. Bref, un auteur à suivre et un roman vraiment bien fait.

Thierry Berlanda, L’insigne du boîteux, aux éditions La Bourdonnaye, 15€99 (version papier) et (version numérique).

Acqua in bocca, de Camilleri et Lucarelli

Cette année, je n’ai pas pu continuer à apprendre l’italien (je me suis
orientée vers l’occitan du coup!) et la langue de Dante me manque. Je lis des magazines, je regarde des films et je découvre la littérature italienne en VO. Oh bien sûr, je ne lis pas de pavés ni de choses trop difficiles, mon niveau ne me le permet pas, mais je peux quand même faire de belles découvertes comme c’est le cas avec ce livre écrit à quatre mains par deux auteurs que je voulais découvrir : Acqua in Bocca de Camilleri et Lucarelli. J’ai eu la chance de jouer « l’ange-gardien » auprès de Lucarelli lors de sa venue au Marathon des Mots il y a presque trois ans, et je me souviens qu’il évoquait souvent son ami Camilleri. Un vrai plaisir pour moi donc de découvrir un roman issu de leur collaboration !

Nous sommes à Bologne. Il y a eu un meurtre dans une cuisine : un homme retrouvé asphyxié, la tête dans un sac en plastique, avec à côté de lui trois petits poissons rouges. Rien ne lui manque, hormis la vie et une chaussure. C’est l’inspectrice Grazia Negro (l’héroïne de Lucarelli) qui se charge de l’enquête. Elle découvre que la victime est originaire de Vigata et demande alors l’aide d’un collègue sicilen, le commissaire Salvo Montalbano (l’héros de Camilleri). Mais très vite l’enquête se corse et les deux policiers doivent se passer de l’accord de leurs supérieurs pour continuer leurs recherches, des recherches qui se révèleront dangereuses et pleines de surprises.

La forme de ce roman est très originale puisqu’il se compose d’extraits de rapports, de documents et de lettres que s’échangent Montalbano et Negro (de façon assez comique parfois il faut le dire!). Ainsi pas de narration classique, mais une histoire qui avance par petites touches et qui se reconstitue au fur et à mesure, les pièces du puzzle s’emboîtant. On ne s’ennuie jamais car nous sommes dans la tête des deux enquêteurs qui grâce à quelques éléments déduisent et découvrent, sont sur une piste puis une autre. Nous sommes vraiment dans le processus de recherches policières et c’est très agréable.

L’avantage de cette écriture pour moi a été le niveau de langue tout à fait compréhensible du moment qu’on lit un chouilla d’italien. Bon, je cherche toujours le vrai sens de marpione mais en général tout a été pour moi compréhensible. L’enquête est passionnante, même s’il ne s’agit pas là d’un thriller, et ce qui se cache derrière les petits poissons rouges est très surprenant. Ce petit roman a été rondement mené : les auteurs ont écrit à tour de rôle, l’un donnant un défi à l’autre en faisant totalement déviée l’histoire, ce qui donne des péripéties auxquelles on ne s’attend pas.

Bref un court livre d’une centaine de page où la rencontre de Montalbano et Negro, deux grands personnages de la littérature italienne, donne lieu à une enquête prenante, mais surtout à une lecture très agréable. Je vous le conseille !

Andrea Camilleri et Carlo Lucarelli, Acqua in bocca, édition minimum fac, 10€.

La ronde de nuit, de Patrick Modiano

Voilà, c’est officiel ! J’ai lu mon premier Modiano. Voilà, voilà…

Je vous avoue que je ne saute pas au plafond, j’ai du tomber sur le mauvais livre, celui qui n’allait pas vraiment m’aller. J’ai choisi de lire La ronde de nuit, pour la simple raison qu’il n’est pas bien long, en plus la quatrième de couverture me promettait une histoire de traître, et j’aime beaucoup ce thème dans la littérature.

Me voilà donc, toute guillerette de commencer ce livre, d’entrer dans l’univers de cet auteur obsédé par la Seconde Guerre mondiale qu’il a frôlé de peu. Mais j’ai un peu déchanté, je me suis retrouvée un peu perdu au milieu de tous ces noms, ces identités mêlées.

 la ronde de nuit

Le narrateur traîne dans un Paris sous domination allemande quand il est remarqué par le Khédive, un chef de la Gestapo française. Ce policier va faire de lui un infiltré, en l’obligeant à s’introduire sous couverture chez ses adversaires, un mouvement de résistance, pour fournir par la suite des informations. Aux côtés du Khédive, le narrateur devient Swing Troubadour, et fait la connaissance d’une nouvelle société qui a émergé dans ce climat de confusion : des penseurs de seconde main, des officiers un peu limite, des danseuses de peu de renom fondent un nouvel ordre qui remplace la bourgeoisie et les notables déjà en place qui ont fui la capitale. Ils se gavent de cognac, de fois gras, fument des cigares, tout ça hors de prix. Ils voguent au-dessus de la misère ambiante mais notre narrateur ne se sent pas vraiment à sa place ici. Il préfère la compagnie d’Esmeralda et de Coco Lacour qu’il a recueilli et nourri, personnages bien mystérieux qui ont pris bien des formes dans mon esprit.

Vient le jour où Swing Troubadour entre en contact avec cette cellule de résistance qu’il doit infiltrer. Et il y arrive à la perfection, devient l’un des leurs, leur allié, leur ami. Son nom de code : la Princesse de Lamballe. Mais notre narrateur ne veut faire de mal à personne. Il ne veut décevoir aucun de ses patrons qu’il lui demande de tuer ou de dénoncer l’autre. Il n’a pas vraiment d’avis sur la guerre, sur l’Occupation, il mène son petit bonhomme de chemin mais ces identités multiples, contradictoires le laissent perplexe. Il n’arrive plus à s’y retrouver, son choix devient impossible. De toute part, il est un traître, même si ceux qui lui font confiance ne le savent pas encore. Mais n’est-ce pas d’abord envers lui qu’il a commis une trahison ?

Le récit est ponctué de paroles de chansons qui viennent illustrer, expliquer le texte. Je vous ai dit avoir été perdu au début du roman : il y a de quoi. A de nombreuses reprises je n’ai pas compris qui était qui, faisait quoi, parlait à qui, quel rôle jouait notre héros à ce stade de l’histoire. La multitude de noms et de personnages au début du récit n’arrange pas les choses. Heureusement, les choses s’arrangent au fur et à mesure, des pièces du puzzles commencent à s’assembler, notamment à partir de la participation du narrateur chez les résistants. Toutefois, de nombreuses zones d’ombres subsistent : des choses laissées en suspens, juste effleurées et qui mériteraient une explication. Ce roman commence vraiment in medias res, et dans la tête du personnage, si bien que l’on est obligé de sauter dans le train en cours de route et d’essayer de comprendre un peu comme on peut, d’assembler les éléments au fur et à mesure qu’ils nous sont donnés en espérant qu’il y ait un minimum de cohérence dans tout ça.

Mais après réflexion, il est indéniable que cette écriture reflète à la perfection le mic-mac qui se déroule dans la tête du narrateur, puisque c’est lui qui nous parle ici. Et il ne faut pas retenir que le brouhaha du début, qui m’a vraiment empêché de rentrer dans l’histoire convenablement. En effet, le livre suit les pérégrinations du personnage dans Paris : chaque lieu est l’occasion de se remémorer un souvenir d’avant-guerre, d’avant-occupation, d’avant-trahison, un souvenir de famille ou d’amitié. Ce côté tendre tranche énormément avec la cruauté que la vie inflige au héros : pris entre deux feux croisés, il ne peut pas choisir de camp. Un peu malléable, peut-être naïf, notre narrateur cherche surtout une solution pour sortir de cet état de traître, mais, avec angoisse, peine à trouver une solution.

Ce livre vaut le coup d’être lu bien sûr, mais peut-être pas comme une première lecture de Modiano. Je retenterais cette expérience, lire un des romans de cet auteur, histoire de voir si c’est son style qui ne me convient pas du tout, ou si ce livre ne m’était juste pas destiné. Déception encore plus amère puisque j’apprécie particulièrement les thèmes qu’il développe dans ses ouvrages.

Patrick Modiano, La ronde de nuit, aux éditions Gallimard (Folio 835), 4€80.

Flic, de Bénédicte Desforges

Vous l’avez peut-être remarqué, en ce moment, je suis en plein dans les témoignages de toutes sortes, même si j’essaie tant bien que mal d’y glisser une fiction par-ci par-là pour garder un maximum de diversité sur ce blog. Aujourd’hui encore, c’est donc encore le témoignage qui sera mis en avant, celui d’une femme gardienne de la paix, Bénédicte Desforges, qui nous fait lire dans Flic quelques anecdotes sans concession de la « police ordinaire ».


Je ne sais pas trop à quoi je m’attendais avec cet ouvrage, mais sûrement à quelque chose qui sorte un peu plus de l’original que ce que j’ai pu y lire. L’auteure égraine au fil des pages quelques courtes histoires, des chroniques de la vie de tous les jours d’un petit policier d’Île de-France. Il me semble que sa volonté a été de casser l’image du flic bedonnant à l’activité cérébrale réduite, ce « sale con » qui file des prunes pour un rien. Merci Mlle Desforges pour ces a priori sur la façon de penser des non-flics, car bien sûr on pense tous pareils, on vous dévalorise, ça va de soi. Autant dire que ça commençait mal pour moi.
Je vous l’accorde, ce n’est pas du tout un métier facile, c’est dangereux, on y voit des choses dures, on s’y ennuie parfois, on s’engueule avec sa hiérarchie souvent. Pour ça, OK, le portrait est bien brossé. Mais entre deux moments d’émotion un peu cliché et de rébellion contre la justice et la politique françaises, elle raconte ses découvertes de macchabées,  d’overdoses, ses vols pris en flagrant délit, ses rondes bien longues, ses sécurisations de périmètre, les déboires parfois drôles de ses collègues. Tous ces petits moments à part qui jalonnent la vie d’un officier de la police.
Ce n’est pas forcément mal écrit, ça se laisse lire, toutefois l’écriture est désespérément pauvre malgré les quelques maigres envolées lyriques que l’écrivaine tente parfois. C’est un témoignage sans détour sûrement, mais sans surprise et presque sans saveur, tant l’auteur s’est efforcé d’adopter un ton désabusé en rappelant bien, de façon discrète mais certaine, que maintenant, elle ne fait plus partie de ce milieu parce que, parce que et parce que.
Je ne renie nullement toutes les qualités nécessaires et les mérites nombreux du corps de police. Par contre, concernant leur pendant littéraire dans cette oeuvre, je les cherche encore.