Education européenne, de Romain Gary

51iv7usvkkl-_sx298_bo1204203200_1Romain Gary et moi, on fait connaissance depuis quelques mois. J’essaie régulièrement de lire ses écrits, petit à petit, et autant vous dire que de très nombreuses œuvres de l’auteur m’intéressent. A dose homéopathique, pour savourer sans m’écœurer, je me plonge donc dans ce style sincère et juste, avec plaisir. Ce mois-ci, j’ai décidé de lire Éducation européenne. Je me suis lancée sans trop savoir de quoi cela allait parler, un peu à l’aveuglette. Il faut dire que le titre ou la quatrième de couverture nous renseignent guère.

Romain Gary nous embarque dans la forêt polonaise. C’est l’hiver, la neige est épaisse, tout est glacé, et les températures ne cessent de descendre encore et encore en dessous de zéro. Ils sont un petit groupe à vivre là, cachés. Ils doivent se dissimuler pour garantir leur survie puisqu’ils sont résistants. Ils ont fui leurs villages pour affronter cette Seconde guerre mondiale et combattre les Allemands. Ils ont perdu des frères, des pères, ont vu leurs sœurs et leurs filles embarquées dans des bordels. Janek les a rejoint, un peu par hasard. Du haut de ses quatorze ans, il errait entre les arbres à la recherche de son père disparu et est tombé sur eux.

Courir discrètement en ville pour attraper quelques renseignements ou de quoi manger. Soutenir son ami malade qui sait qu’il va mourir. Faire revivre cette jeune fille qui joue les infiltrés dans le camp adverse en y laissant sa dignité. Essayer tant bien que mal de survivre auprès du feu. Parfois, tenter une action contre les Allemands. Et surtout, attendre, attendre les nouvelles : les nouveaux exploits du célèbre résistant Nadejda, les nouvelles du front russe qui pourrait changer leur destin. Parmi eux, il y en a un qui a décidé d’écrire, des histoires liées à cette guerre, avec imagination et humour : nous aussi nous découvrons ces récits, ces récits grâce auxquels sans doute le petit groupe peut survivre.

Ça s’appelle Éducation européenne. C’est Tadek Chmura qui m’a suggéré ce titre. Il lui donnait évidemment un sens ironique… Éducation européenne, pour lui, ce sont les bombes, les massacres, les otages fusillés, les hommes obligés de vivre dans des trous comme des bêtes… Mais moi, je relève le défi. On peut me dire tant qu’on voudra que la liberté, la dignité, l’honneur d’être un homme, tout ça, enfin, c’est seulement un conte de nourrice, un conte de fées pour lequel on se fait tuer. La vérité, c’est qu’il y a des moments dans l’histoire, des moments comme celui que nous vivons, où tout ce qui empêche l’homme de désespérer, tout ce qui lui permet de croire et de continuer à vivre, a besoin d’une cachette, d’un refuge. Ce refuge, parfois, c’est seulement une chanson, un poème, une musique, un livre. Je voudrais que mon livre soit un de ces refuges, qu’en l’ouvrant, après la guerre, quand tout sera fini, les hommes retrouvent leur bien intact, qu’ils sachent qu’on a pu nous forcer à vivre comme des bêtes, mais qu’on n’a pas pu nous forcer à désespérer.

forest-1096493_960_720Globalement, j’ai apprécié ce roman, l’histoire du quotidien des résistants perdus en forêt m’a beaucoup intéressé. J’ai surtout adoré les petites pépites ou surprises que vivaient nos personnages : un petit garçon qui joue du violon, la rencontre entre Janek et la jeune Zosia, les pères et leurs liens avec leurs fils qui n’ont pas suivi les mêmes voies. La figure du père et la musique imprègnent ce livre. Comme toujours avec Romain Gary, la lecture est aisée, des dialogues nombreux et des phrases courtes résumant l’action font avancer efficacement l’intrigue et nous tiennent en haleine. Mais il n’y a pas de forts moments de tension dans cette œuvre mais à l’inverse on peut trouver une sorte de fatalité parfois. Ce n’est pas un roman franchement optimiste : il nous immerge dans l’attente hivernale de ce groupe d’hommes. Il y a toutefois certaines pages vraiment fortes : quelques personnages meurent et notre cœur se serre à chaque fois. Les horreurs de la guerre, on en voit certaines, et ce qui est le plus déprimant, c’est la notion de quotidien qui les accompagnent.

Il y a tout de même un point qui m’a dérangée : les personnages. Tout d’abord, cela peut paraître bête, mais j’ai eu beaucoup de mal à m’y retrouver : les personnages sont nombreux, ils ont des noms aux consonances étrangères ce qui m’a embrouillée d’autant plus car je les confondais sans cesse. Mais surtout, je n’ai pas vraiment réussi à m’y attacher. Romain Gary lui-même semble assez distant de ses personnages. On peut écarter Janek, le personnage principal, et les figures paternelles peut-être pour qui les descriptions sont plus complètes et « humaines ». Mais pour les autres, c’est assez succinct. Il n’y a aucune empathie. Hors, pour un roman au sujet aussi fort, je trouve cela vraiment dommage. Peut-être suis-je passée à côté de quelque chose ?

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Toutefois, je suis assez contente de ma lecture. L’écriture de Romain Gary est très belle et limpide, même si j’aurais aimé plus d’émotion et d’implication. Je continuerai ma découverte de son œuvre avec curiosité.

Romain Gary, Éducation européenne, aux éditions Folio, 7€10.

La Promesse de l’aube, de Romain Gary

Je n’ai pas tout lu, c’est évident. Certains auteurs célébrissimes, des monstres de la littérature française me sont encore inconnus. Parmi eux, il y avait Romain Gary. Les aléas de la vie ont fait qu’avant 2015 je n’avais encore jamais lu cet écrivain, quand bien même il m’intéressait. Je dois vous avouer que j’ai toujours été amusée par sa mystification littéraire : quand il s’est dédoublé pour être à la fois Romain Gary et Emile Ajar, quand il a donc reçu le prix Goncourt à deux reprises pour chacune de ses identités, et quand on a fini par découvrir cela, mais seulement après sa mort.

Il se trouve que je suis tombée dessus par hasard au travail, et cette ancienne curiosité est remontée. En ce moment, j’ai assez de temps pour lire, alors je ne pouvais plus reculer. Pour une première rencontre, j’ai choisi La Promesse de l’aube. Un roman à part dans la bibliographie de Romain Gary, car c’est aussi une auto-biographie, avec quelques écarts subjectifs peut-être, des oublis, mais cela retrace assez bien la jeunesse de l’écrivain vu par lui-même des dizaines d’années plus tard. Il raconte d’ailleurs comment il a commencé très tôt à chercher des pseudonymes (sans jamais citer celui qui fut le plus célèbre) :

Depuis six mois, je passais des heures entières chaque jour à « essayer » des pseudonymes. Je les calligraphiais à l’encre rouge dans un cahier spécial. Ce matin même, j’avais fixé mon choix sur « Hubert de la Vallée », mais une demi-heure plus tard je cédais au charme nostalgique de « Romain de Roncevaux ». Mon vrai prénom, Romain, me paraissait assez satisfaisant. Malheureusement, il y avait déjà Romain Rolland, et je n’étais disposé à partager ma gloire avec personne. Tout cela était bien difficile. L’ennui, avec un pseudonyme, c’est qu’il ne peut jamais exprimer tout ce que vous sentez en vous. J’en arrivais presque à conclure qu’un pseudonyme ne suffisait pas, comme moyen d’expression littéraire, et qu’il fallait encore écrire des livres.

La Promesse de l’aube, c’est l’histoire d’une mère ambitieuse et d’un fils qui fera tout pour la combler. Cela débute en Russie, mais la seule patrie visée et aimée, c’est la France. Et pour l’atteindre, il faut se distinguer par tous les moyens, toutefois les plus nobles sont ceux à privilégier : l’œuvre littéraire, les faits de guerre, la diplomatie.

Ce roman, c’est la quintessence de l’amour filial, c’est l’aboutissement extrême de l’adoration maternelle. C’est un témoignage poignant et doux, l’hommage d’un fils pour sa mère chérie.

L’histoire en elle-même, ce n’est presque pas important, elle retrace tous les moyens mis en œuvre à travers la Russie, la Pologne, la France, les territoires alliés pour qu’un petit garçon devienne un homme, toujours sous le regard, même lointain, de sa maman. C’est comment Roman Kacew devient Romain Gary, diplomate français et écrivain célèbre. Il nous raconte comment sa mère tombait en dévotion devant ses yeux clairs tournés vers la lumière, comment il poursuivait son rêve d’écriture dans des conditions loin d’être idéales, comment il a tout fait pour devenir Français alors que sa naturalisation récente le freinait, comment il s’est battu dans des avions pendant la guerre, et comment il y a perdu tous ses camarades.

Je ne peux pas vraiment en dire plus, car rien ne peut résumer les mots de Gary. Je ne regrette pas d’avoir attendu un peu avant de le lire, de ne pas avoir fondu dessus à l’adolescence. Car un peu de maturité pour comprendre ce livre permet de le voir dans toute sa profondeur et son génie.

On me répète que cette œuvre-là s’éloigne des autres livres de Gary, j’imagine donc que je ne suis pas au bout de mes surprises.

Romain Gary, La Promesse de l’aube, folio (373), 8€.

Quatre soldats, d’Hubert Mingarelli

Hubert Mingarelli est classé à tort dans les auteurs jeunesse, une classification qu’il a toujours répugnée puisqu’il dit écrire pour tous. Je vais vous parler d’une de ses oeuvres les plus connues, Quatre soldats, qui a obtenu le prix Médicis en 2003.
On fait la connaissance donc de quatre soldats de l’Armée rouge, Pavel, Kyabine, Sifra et Bénia, le narrateur dont j’ai eu bien des peines à trouver le nom. Nous sommes en 1919, l’hiver a immobilisée les troupes qui se sont repliées dans la forêt pour échapper au froid. Mais le printemps pointe le bout de son nez, et ce sont les derniers jours passés dans ce calme relatif avant de rejoindre le front. Nous sont contés la cabane de bric et de broc de ces quatre copains, leur amitié éclatante au bord d’un étang, les plaisirs ersatz comme un petit poisson grillé ou une montre avec laquelle dormir… Puis vient un jour les rejoindre un gamin, un jeune d’à peine 17 ans qui est parti de chez lui avec rien si ce n’est la ferme intention de s’enrôler. Obligés de le prendre sous leur aile, pour le meilleur comme pour le pire, il sera le témoin de ces quelques jours hors du temps, loin de la folie de la guerre qui est pourtant au coeur du roman.


On sent une certaine odeur de désillusion et de mélancolie dans les mots si simples de Mingarelli. Avec presque rien, des phrases minimalistes qui résument l’essentiel, l’auteur réussit à nous faire passer ce mélange étrange d’émotions qui remplit les coeurs de nos héros. Sans fioritures, l’amitié sincère de ces quatre soldats nous est dévoilée dans son plus simple appareil : un amour profond mais pudique qui semble bien frêle en temps de guerre, mais si important. C’est une écriture très sensible à laquelle on ne veut pas demander plus.
Moi-même, j’ai tout d’abord été désarçonnée par ces phrases presque enfantines de part leur simplicité grammaticale. Mais je me suis vite laissée emporter par le thème, ces quatre hommes épuisés qui continuent de vivre, entre parenthèses, en attendant la suite, passifs spectateurs d’un monde qui avance doucement. Puis cette écriture s’est révélée dans tout son éclat : Mingarelli n’emploie que des mots justes, et forts. Ce n’est pas la peine de tergiverser, ce n’est pas la peine d’en faire des tonnes quand en quelques lignes tout est dit. Une sincérité dans l’écriture, une force dans l’histoire qu’on ne retrouve chez nul autre auteur. J’ai été soufflée et emballée par ce style si particulier que je vous recommande chaudement.

 
« A présent nous étions sortis de la forêt. L’hiver avait passé et c’est difficile de s’imaginer combien il avait été long et froid. Nous avions mangé nos mules et nos chevaux, et un grand nombre d’entre nous étaient morts dans la forêt. Parfois dans leur cabane qui s’était enflammée. Ou bien ils s’étaient perdus en allant chasser. D’autres qui chassaient les avaient retrouver. Bien sûr certains parmi ceux qu’on n’avait pas retrouvés certains avaient déserté. Mais je crois que le plus souvent ils s’étaient perdus et ils étaient morts de froid. »