Premier amour, d’Ivan Tourgueniev

Alors que les plus beaux jet-setters se la jouent sur le croisette de Cannes, moi je vous reste dévouée : enfermée chez moi pour vous pondre un article digne de ce nom. Mais aussi pour me faire pardonner ces longues journées sans nouvelles chroniques.

Je reviens donc aujourd’hui avec ENCORE de la littérature russe : Premier amour d’Ivan Tourgueniev. Comme j’aime à le dire, le plus français des écrivains russes : il a habité la majorité de sa vie en France, ses romans étant publiés en France, ses seules oeuvres visibles en Russie : des traductions de livres français ! C’est pourquoi ce roman va certes vous emmener en Russie, mais sans que vous soyez complètement déboussolés par les codes de la vie slave à la manière d’Anna Karénine. J’ai une relation particulière avec ce petit ouvrage car c’est un des premiers classiques de la littérature étrangère que j’ai ouvert, au fond du C. D. I. de mon collège. Autant vous dire que mon histoire d’amour avec les auteurs russes a débuté ici. C’est un roman doux, facile à suivre qui est un bon moyen de faire connaissance avec cette littérature vraiment à part.

Premier amour, c’est l’histoire d’un jeune garçon de 16 ans, Vladimir Petrovich, qui au coeur de l’été moscovite, essaie plus ou moins de réviser ses examens. Mais de l’autre côté de la palissade, de nouveaux voisins viennent d’emménager : une princesse ruinée, aux moeurs peu élégantes. Cette dame est la mère de la jeune Zénaïde, 20 ans, qui est tout son contraire : gracieuse, élégante, pleine de vie… Vladimir la surprend dans son jardin entourée de prétendants avec qui elle s’amuse, de façon badine. Tout de suite, c’est le coup de foudre pour ce jeune garçon : pour la première fois la flèche de Cupidon le touche en plein coeur. Immédiatement, il fait connaissance de la jeune fille au comportement changeant et joueur. Cet amour est-il réciproque ? Par moment, il en a l’impression. Mais la princesse change vite d’attitude, perd son entrain et semble rongée par un dilemne qui l’obsède. Son regard sur Vladimir évolue, il ne sait plus que penser. Mais un soir, il surprend son père, cet homme si droit et distant, revenir de la propriété de Zénaïde… son coeur bascule alors.

Ici, nous trouvons les plus belles pages de la littérature amoureuse. C’est avec émotion que le narrateur nous fait part des nouveaux sentiments, des nouveaux questionnements qui l’assaillent à la vue de la belle princesse. Chaque mot n’est que l’expression d’un coeur en ébullition. La naïveté du jeune homme est parfois pathétique mais tellement vraie… Nous pleurons avec lui, nous aimons avec lui. Premier amour est un concentré de justesse et de beauté. Publié en 1860, on dit de cette nouvelle qu’elle est autobiographique : je ne sais si c’est vrai mais ce portrait des amours inachevés se retrouvent universellement, dans la vie de chacun. La rivalité entre son père et son fils est expliquée de façon presque pudique, on sent le fard monté aux joues de notre héros à chaque fois que cette réflexion traverse son esprit. C’est une histoire riche, qui brasse des dizaines de réactions, de sentiments complexes et parfois contradictoires. Toute la palette d’émotions amoureuses est dévoilée devant nos yeux. Je ne peux que vous conseiller ce petit roman russe où l’amour et la jalousie sont dépeints dans toute leur vérité et je vous laisse avec un extrait de ce livre très poétique et touchant.

« Tu sembles posséder tous les trésors de la terre ; la tristesse elle-même te fait sourire, la douleur te pare. Tu es sûre de toi-même et, dans ta témérité, tu clames : « Voyez, je suis seule à vivre !… » Mais les jours s’écoulent, innombrables et sans laisser de trace ; la matière dont tu es tissée fond comme cire au soleil, comme de la neige… Et (qui sait ?) il se peut que ton bonheur ne réside pas dans ta toute-puissance, mais dans ta foi. Ta félicité serait de dépenser des énergies qui ne se trouvent point d’autre issue. Chacun de nous se croit très sérieusement prodigue et prétend avoir le droit de dire : « Oh ! que n’aurais-je pas fait si je n’avais gaspillé mon temps ! » Moi de même… que n’ai-je pas espéré ? A quoi ne me suis-je pas attendu ? Quel avenir rayonnant n’ai-je pas prévu au moment où je saluai d’un soupir mélancolique le fantôme de mon premier amour, ressuscité l’espace d’un instant ! De tout cela, que s’est-il réalisé ? A présent que les ombres du soir commencent à envelopper ma vie, que me reste-il de plus frais et de plus cher que le souvenir de cet orage matinal, printanier et fugace ? »