La nonne et le brigand : ce titre, ce n’est que la moitié de l’iceberg de ce roman de Frédérique Deghelt. J’en ai entendu que du bien et cela par le biais du meilleur média possible : sur Twitter, que de commentaires élogieux à son sujet, je ne pouvais donc pas passer à côté de ça !

J’ai choisi de le lire dans sa première édition chez Actes Sud, dans le collection « un endroit où aller », et non en poche, car j’adore ce format tout en hauteur : ne me demandez pas pourquoi, mais j’ai alors l’impression que le livre est alors un petit bijoux. Puis je n’ai jamais été déçue par les auteurs publiés dans cette collection, donc c’est forcément bon signe.
Je vous avertis, mon jugement ici n’est pas forcément très neutre : je côtoie parfois l’auteure sur Twitter, et ce ne sont que de bons moments, de plus les messages la félicitant pour son roman ne vont pas dans le sens de l’objectivité. Toutefois, j’essaierais d’être la plus honnête possible, c’est une de mes missions pour ces petites chroniques littéraires.
La nonne et le brigand, c’est l’histoire de Lysange, mère de deux grands enfants, épouse pas vraiment fidèle mais qui a besoin de ses aventures pour mener une vie un peu près équilibrée. Sauf qu’un jour, elle rencontre un homme qui va tout faire chavirer, les choses vont aller plus loin qu’une relation de corps. Son âme est embrasé, son esprit embrumé par les ondes de bonheur, de jouissance que lui procurent ces moments passés avec ce journaliste de guerre : elle aime, ou plutôt elle est victime de la passion. C’est une expérience nouvelle pour elle, qu’elle peine à maîtriser.
Démographe, elle reçoit un jour une lettre : Tomas, un retraité qui va bientôt partir au Brésil, veut lui confier sa maison au cap Ferret. Elle ne le connaît ni d’Eve ni d’Adam, visiblement il s’agit d’un de ses lecteurs, qui s’intéresse à ses recherches. Sans vraiment savoir pourquoi, et sans se renseigner au préalable, elle y va. Elle tombe très vite amoureuse de cette cabane entre fleuve et océan, et la compagnie de Tomas lui est agréable. Mais sa plus grande découverte, c’est celle d’un carnet, un journal intime tenu par une jeune nonne alors que celle-ci par en mission au Brésil, à Guajará-Mirim.
Après un changement de dernière minute, sœur Madeleine se retrouve seule pour traverser l’Amazonie et s’enfoncer au cœur de ce continent qu’elle découvre pour la première fois. Heureusement elle est accompagnée par un homme blanc qui connaît par cœur les combines et les dangers de ce territoire, qui a l’habitude des us et coutumes brésiliennes. Il s’appelle Angel, mais pour la nonne, ce nom ne lui convient pas du tout : un peu arrogant, voire violent verbalement, il manque de savoir-vivre et de politesse. Pourtant au fil des semaines et des risques encourus, il a pu montrer à quelques rares occasions son bon fonds, ses qualités discrètes et peu à peu, sœur Madeleine découvre que l’amour du Seigneur ne l’a met pas à l’abri de l’affection humaine. Ce sentiment qu’elle ne peut réprimer la tourmente car, parallèlement, elle ne doute pas de son engagement au service de Dieu. Elle ignore ce qui l’attend et ne préfère pas se l’imaginer.
La nonne et le brigand m’a donné à lire les plus belles pages sur l’amour de toute la littérature française. Peut-être un peu trop pour une lectrice comme moi qui manque de douceur, qui aime bien un peu d’action. Mais je pense aussi que ce sentiment est du à ma répulsion pour l’inertie de Lysange qui « subit » presque cet amour qui la ronge. Je ne supporte pas les gens qui se laissent emporter si loin (… je crois que je manque de tolérance?!).
C’est un roman psychologique, émotif, mais surtout extrêmement bien écrit, bien travaillé, avec des images qui rappellent sans cesse la comparaison entre ces deux femmes prises dans les « lianes » de l’amour. A quelques décennies d’intervalle le même schéma se répète : on pourrait le trouver destructeur, ou au contraire porteur d’un nouvel espoir, dans tous les cas il est synonyme d’agitation, d’impatience voire d’angoisse.
Le récit est bien structuré selon moi, les liens entre le journal intime et la narration de Lysange n’ont pas un aspect artificiel. La narration justement parlons-en : encore un élément d’originalité bien que discret si on n’y porte pas attention. Le récit passionnant de sœur Madeleine au Brésil est bien sûr à la première personne puisqu’il s’agit d’un carnet personnel où elle-même s’adresse à Dieu ; pour nous raconter la vie de Lysange, ses actions, c’est une narration à la troisième personne qui est utilisée. Mais il y a une entorse à la règle, car de façon très judicieuse, Frédérique Deghelt a choisi de donner la parole directement à cette femme (« je ») quand elle évoque cette passion surpuissante : rien de mieux pour nous faire éprouver au plus profond de nous-mêmes les affres de l’amour qu’elle peut endurer. De plus, les dialogues sont les plus souvent mêlés subtilement au corps de texte, un changement par rapport à d’autres romans plus « classiques » mais très agréable.
Malgré la force, voire la gravité des sentiments évoqués dans ce roman, il a été pour moi comme un vent de fraîcheur dans ma bibliothèque. Le style de l’auteur, ses procédés narratifs sont vraiment particuliers sans être tordus ou inutiles. C’est vrai qu’il y a un peu trop de pages sur l’amour pour moi (je frôle vite l’overdose, mais c’est une de mes caractéristiques) mais l’histoire de cette jeune religieuse en mission au Brésil et sa découverte du sentiment amoureux m’ont vraiment passionnée. L’amour de Lysange en parallèle apporte un éclairage agréable et une comparaison savoureuse. Bref, un bon moment de lecture intense et toute en grâce : ça tombe bien, le livre vient juste de sortir en poche pour les étudiants qui comme moi ont peu de deniers dans leur besace.
Frédérique Deghelt, La nonne et le brigand, aux éditions Actes Sud, 23€20 OU aux éditions Actes Sud, poche Babel (1155), 9€00.