Par où commencer ? Black Boy est un livre tellement riche d’émotions, les mots se bousculent, aucun ne semble suffisant ou juste. L’auteur, Richard Wright, est un des premiers hommes noirs à écrire et publier avec succès. Après Native Son, il écrit un roman autobiographique sur son enfance : c’est ce qui donnera Black Boy. Né en 1909 dans le Sud des Etats-Unis, il part vivre à Jackson dans le Mississipi. Le roman nous décrit avec précision mais aussi et surtout avec poésie et humilité la vie difficile qu’il essaie de mener.
Sa mère tombée gravement malade, son entourage familiale l’élève ou plutôt tente d’élever ce garçon rétif et intelligent. Ne comprenant pas la mauvaise foi des adultes et leurs pressantes injonctions voire menaces à devenir membre de la communauté religieuse, Richard se défend et par là-même se fait rejeter. Muré dans une solitude qui ne le quittera jamais vraiment, il essaie de suivre en pointillés sa scolarité mais est torturté tout le jour par la pauvreté et surtout la faim qui le tourmente constamment. L’auteur nous retrace ici cette enfance faite de petits jobs mais aussi de la découverte de la relation Blanc/Noir dans le Sud ségrégationniste :
« Je devais toujours être conscient de ma condition, y songer constamment, la porter dans mon coeur, vivre avec elle, dormir avec elle, lutter avec elle. (…) Je devenais silencieux et réservé. A mesure que la nature autour de moi se révélait de façon nette et probante, l’avenir sinistre que je voyais poindre affectait ma volonté d’étudier. (…) Et le problème de la vie pour un Nègre était dur et rebutant… Qu’est-ce qui rendait la haine des Blancs pour les Noirs si constante (…) Quelle était le genre de vie possible avec cette haine ? D’où provenait-elle ? On n’enseignait rien de ce problème en classe et chaque fois que je soulevais la question avec mes camarades, ils demeuraient silencieux ou la tournaient en plaisanterie. Ils étaient loquaces à propos des petits torts individuels qu’ils subissaient, mais n’étaient pas tourmentés par le désir de connaître le tableau dans son ensemble. »
Richard prend alors la décision de quitter cette région pour rejoindre celle du Nord plus douce et plus clémente avec les « moricauds ». Dans ce but, il épargne chaque dollar, travaille dur. Mais surtout, là nait son destin d’écrivain. L’auteur nous raconte comment il a commencé à écrire, à publier des contes dans un journal nègre puis à découvrir la littérature en dévorant des dizaines de livres.
On ne peut qu’être profondément touché par ce récit vrai de vie. La lutte en silence de Richard Wright enfant, sans tomber dans le pathos, nous ramène à la réalité de la ségrégation au début du siècle dernier. Cette autobiographie, en dehors de qualités romanesques indéniables, fait preuve de justesse mais aussi d’un lyrisme plein d’espoir comme pouvait l’être cet enfant à l’époque. Tendre et poétique, Black Boy sait touché les consciences sans les bousculer. Au fil de la lecture s’immisce en nous ce sentiment de malaise mais aussi cet espoir car l’on vit avec le personnage et au même titre que lui, nous prions pour que la vie lui soit plus douce. Trimballé et emmené dans ces aventures, la vie de l’auteur nous surprend par sa richesse et sa dureté, ce témoignage ne peut nous laisser de marbre. Sensibilité de l’écriture, simplicité dans le récit, Black Boy est un des tous premiers romans qui a parlé de la condition noire au temps de la ségrégation et a ouvert la voie à d’autres écrivains et romanciers de couleur.
« En moi naissait le désir d’une sorte de conscience, d’un mode d’existence qui étaient niés et bannis par tout ce qui m’entourait et qui étaient sanctionnés par la peine de mort. Quelque part au coeur de la nuit du Sud, ma vie avait été aiguillée sur une fausse voie, et sans que j’en eusse conscience, la locomotive de mon coeur descendait à toute allure une pente raide et dangereuse, allant au-devant d’une collision, au mépris des feux rouges qui scintillaient autour de moi, des sirènes, des coups de sifflets, et des hurlements qui remplissaient l’atmosphère. »